Contenu du sommaire : Pragmatism and Epistemic Democracy
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 81, février 2021 |
Titre du numéro | Pragmatism and Epistemic Democracy |
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Éditorial
- Pragmatism and Epistemic Democracy : Introduction - Annabelle Lever, Dominik Gerber p. 5-10
Pragmatism and Epistemic Democracy
- Pragmatism, Truth, and Democracy - Cheryl Misak, Robert B. Talisse p. 11-27 Il y a un intérêt croissant pour la démocratie délibérative, en particulier pour sa version pragmatiste qui soutient que les libertés et les procédures démocratiques sont plus susceptibles de nous amener à la bonne conception de ce qui est vrai, équitable ou juste. Aujourd'hui, se concentrer sur la vérité est plus important que jamais. Nous (Robert Talisse et Cheryl Misak) avons proposé une argumentation selon laquelle les libertés et les procédures démocratiques peuvent être justifiées sur la base de raisons épistémiques. Nos pratiques de croire et de raisonner exigent que nous nous considérions comme des égaux sociaux et que les voix de tous soient prises au sérieux lorsque nous poursuivons la vérité. Annabelle Lever et Clayton Chin, tout en étant bien en faveur de notre projet général, ont exprimé leur crainte que nous ayons « tort de supposer que les considérations épistémiques soient mieux placées par rapport aux considérations morales pour justifier l'exercice du pouvoir coercitif ». En réponse, nous distinguons d'abord deux situations dans lesquelles la justification épistémique de la démocratie peut opérer. D'après nous, l'argument épistémique montre pourquoi nous devrions être démocrates. Mais la façon dont les démocrates peuvent justifier l'exercice de la coercition pose une question différente. Nous admettons que les raisons que nous mobilisons en tant que société pour justifier le pouvoir coercitif sur les citoyens seront, en effet, d'ordre moral. Notre argument a toujours été que nos croyances sur ce qui est moralement juste doivent – dans la mesure où ce sont des croyances motivées par notre quête de la vérité – être sensibles aux raisons d'autrui. L'argument pour la démocratie est seulement avancé dans un deuxième temps : la meilleure méthode pour atteindre la vérité est, d'une manière générale, une méthode démocratique. Or, les raisons qui seront mobilisées seront des raisons morales invoquant les principes d'égalité, d'autonomie, ou d'utilité.There is growing interest in deliberative democracy, especially the pragmatist version that argues that democratic freedoms and procedures are more likely to get us to the right view of what is true, just, or right. In this time in our history, a focus on truth is more important than ever. We (Robert Talisse and Cheryl Misak) have put forward a position on which we can justify democratic freedoms and procedures on the basis of epistemic reasons. Our very practices of belief and reasoning require that we regard each other as social equals and that the voices of all are taken seriously in our quest for truth. Lever and Chin, in a way that is broadly sympathetic to our general project, have expressed a worry that we are “wrong to suppose that epistemic considerations are better placed than moral considerations when justifying coercive power over others”. In response, we will first distinguish two sites where an epistemic justification of democracy might operate. On our view, the epistemic argument shows why we should be democrats, and the question of how democrats can justify the exercise of coercion is a different matter. We argue that the appropriate reasons we as a society give to justify coercive power over others will indeed be moral. Our point has always been that beliefs about what it is morally right to do must be responsive to reasons, if they are beliefs that are aimed at getting things right. Then the argument for democracy comes in: the best method for getting things right is, broadly speaking, a democratic one. But the reasons that will be in play will be reasons about equality, autonomy, utility, and so on.
- Democracy and Truth - Annabelle Lever p. 29-38 Selon Misak et Talisse, le fait que nous tenions nos croyances pour vraies quelles que soient les différences et les incompatibilités entre nos convictions, fournit des raisons pour préférer la démocratie à tout mode de gouvernement non-démocratique. D'où leur affirmation que la démocratie est une condition nécessaire, quoique insuffisante, pour arriver à des croyances épistémiquement justifiées. Cet article propose de clarifier, de manière critique, cette affirmation.According to Misak and Talisse, we can get from the fact that we all take what we believe to be true, whatever our different and incompatible beliefs, to reasons to support democratic, as opposed to undemocratic, government. Hence, they claim that democracy is necessary, but not sufficient, for epistemically justified belief. This article clarifies and sceptically assesses these claims.
- The Pragmatist Demos and the Boundary Problem - Matthew Festenstein p. 39-47 L'argument selon lequel l'ethos et les institutions démocratiques sont, en un certain sens, une forme d'enquête reste l'un des thèmes les plus puissants et pourtant insaisissables de la pensée sociale et politique pragmatiste. Conceptuellement, la démocratie est antérieure à l'État moderne. Or, le projet de justifier la démocratie est essentiellement un projet de justification à l'intérieur et pour l'État moderne. En s'appuyant sur le développement important de l'argument d'enquête chez Misak et Talisse, cet article examine comment l'argument épistémique pragmatiste rompt avec cette conception traditionnelle de la justification démocratique, et comment son penchant à éliminer les obstacles à l'inclusion épistémique fournit des raisons générales de remettre en cause le concept de frontière politique.The pragmatist argument that a democratic ethos and institutions are in some sense a form of inquiry remains one of the most powerful but elusive themes in its social and political thought. As a term and concept, democracy predates the modern state but the project of justifying democracy is paradigmatically a project of justifying it within and for the modern state. Drawing on Misak and Talisse's important development of the inquiry argument, this article draws out how the pragmatist epistemic argument breaks with this traditional conception of democratic justification, and how its commitment to the removal of internal obstacles to epistemic inclusion provides general reasons to question political boundaries.
- Democracy and Epistemic Egalitarianism - Dominik Gerber p. 49-63 Dans leur approche non-instrumentaliste fondée sur l'épistémologie pragmatiste de Charles Sanders Peirce, Cheryl Misak et Robert Talisse proposent une version unique et importante des justifications épistémiques de la démocratie, suivant l'argument que la démocratie est un élément constituant de l'idéal peircien de l'enquête. Cet article interprète cet idéal comme reposant sur une conception relationnelle de l'égalité épistémique. L'article avance aussi que cette conception ne peut pas donner lieu à une justification sans équivoque d'institutions réalisant une conception d'égalité politique. L'objectif plus général est de mettre en garde contre l'emploi des affinités conceptuelles entre l'égalité démocratique, ses incitations à l'autoréflexion parmi les citoyens, et les relations épistémiques intrinsèquement valables pour fonder une justification de la démocratie.Because of its non-instrumentalism, Cheryl Misak's and Robert Talisse's Peircean theory of democratic justification constitutes a unique and important variety of epistemic democracy. At its core is the claim that democracy is a constituent component of the Peircean epistemic ideal of inquiry. This article offers a relational egalitarian reading of this ideal and argues that Peircean epistemic egalitarianism fails to provide unambiguous support for our commitment to uphold politically egalitarian institutions. It cautions against using conceptual affinities between democratic equality, the self-reflexivity it enables among citizens, and worthwhile epistemic relationships as a basis for justifying democracy.
- The Paradoxes of Democratic Voting and the Peircean Justification of Democracy - Valeria Ottonelli p. 65-79 La défense peircienne de la démocratie propose de fonder l'attrait du gouvernement démocratique sur des intérêts épistémiques universels que nous partageons en tant qu'agents épistémiques individuels. Le problème avec cette approche est qu'elle se heurte à la manière caractéristique dont la délibération et la prise de décision démocratique socialisent notre savoir et nos croyances. L'approche peircienne méconnaît que ce trait caractéristique distingue la démocratie comme un jeu épistémique fondamentalement à part des jeux dans lesquelles nous nous situons, en tant qu'agents épistémiques, dans des contextes non-politiques et non-démocratiques. Les défauts de la défense peircienne se manifestent quand celle-ci fait face aux paradoxes du vote démocratique qui, pour être surmontés, demandent une conceptualisation profondément collectivisée et socialisée des processus démocratiques de la délibération et de la formation des opinions. Pour cette raison, la méconnaissance de la manière distinctive dont la délibération et la prise de décision démocratique socialisent le savoir pose problème à deux titres : premièrement, en basant la défense peircienne de la démocratie sure une conception inadéquate de l'épistémologie démocratique ; deuxièmement, en privant l'approche peircienne de sa capacité de répondre aux défis des paradoxes du vote.The Peircean defence of democracy purports to ground the appeal of democratic government on universal epistemic interests that we simply have qua individual epistemic agents. The problem with this view is that it seems to obliterate the distinctive way in which democratic deliberation and decision making socialise our knowledge and beliefs, making democracy a very special epistemic game, quite different from the games that we play as individual knowers in non-political, non-democratic contexts. The shortcomings of the Peircean defence of democracy fully emerge when confronted with the paradoxes of democratic voting, which can only be overcome if we model the democratic processes of deliberation and belief formation as deeply collectivised and socialised. Thus, the neglect of the distinctive way in which democratic deliberation and decision making socialise knowledge grounds the Peircean defence of democracy on an inaccurate account of democracy's epistemology, and leaves it helpless before the paradoxes of majoritian voting.
- Epistemic Democracy Without Truth: The Deweyan Approach - Michael Fuerstein p. 81-96 Dans cet article, je mets l'approche pragmatiste deweyenne de l'épistémologie démocratique en relation avec l'approche contemporaine de la « démocratie épistémique ». De manière similaire aux démocrates épistémiques, John Dewey caractérise la démocratie comme une forme d'enquête sociale. Or, alors que les démocrates épistémiques suggèrent que la démocratie vise à « poursuivre la vérité », Dewey rejette la notion de « correspondance » à la vérité dans le domaine politique tout comme dans les autres domaines. Pour Dewey, la mesure du succès d'une prise de décision ne découle pas d'un standard indépendant et fixe de vérité ou d'exactitude, mais de notre propre satisfaction réflexive à l'égard des résultats pratiques obtenus. Je soutiens que cette approche réconcilie mieux la démocratie épistémique avec les modèles traditionnels d'autorité populaire (« la volonté du peuple ») et renforce la conception des démocrates épistémiques pour opposer les alternatives élitistes.In this essay I situate John Dewey's pragmatist approach to democratic epistemology in relation to contemporary “epistemic democracy”. Like epistemic democrats, Dewey characterizes democracy as a form of social inquiry. But whereas epistemic democrats suggest that democracy aims to “track the truth”, Dewey rejects the notion of “tracking” or “corresponding” to truth in political and other domains. For Dewey, the measure of successful decision-making is not some fixed independent standard of truth or correctness but, instead, our own reflective satisfaction with the practical results. I argue that this approach better reconciles epistemic democracy with traditional models of popular authority (“the will of the people”) and bolsters the defenses of the epistemic democrat against elitist alternatives.
- Pragmatism, Truth, and Democracy - Cheryl Misak, Robert B. Talisse p. 11-27
Varia
- Thymos. Circulation et appropriations conservatrices d'un concept platonicien, de Leo Strauss à l'Alternative für Deutschland - Bruno Quelennec p. 97-125 S'inscrivant dans le cadre des nouvelles recherches françaises en histoire sociale des idées politiques, cet article propose de reconstruire la carrière du concept platonicien de thymos dans l'histoire intellectuelle des 20e et 21e siècles en examinant sa circulation et ses appropriations variées, ainsi que les différents contextes dans lesquels il a été mobilisé. Après avoir restitué son émergence dans les textes des années 1930 du jeune Leo Strauss, on s'intéresse aux modalités de son implantation outre-Altantique chez les Straussians néoconservateurs (Allan Bloom et Francis Fukuyama), avant d'examiner sa réimportation dans l'Allemagne contemporaine (avec le philosophe Peter Sloterdijk et son étudiant, l'intellectuel de l'Alternative für Deutschland, Marc Jongen). L'article montre que le schème argumentatif du thymos garde une certaine stabilité dans le temps malgré la diversité de ses appropriations : il se caractérise ainsi toujours par une double charge normative qui exprime une ambivalence toute conservatrice à l'égard de l'ordre (libéral) établi, oscillant entre sa défense (protection du statu quo) et sa subversion ou radicalisation « par la droite ». L'article révèle également que le concept n'est pas uniquement mobilisé dans la lutte idéologique, mais aussi dans des luttes entre intellectuels : l'« ardeur », le « désir de reconnaissance » ou la « colère » que dénote la notion ont souvent chez les différents intellectuels étudiés aussi pour fonction d'exprimer une « révolte » de l'intellectuel conservateur face à son statut de « dominé » dans les champs intellectuels ou universitaires, positions qui contrastent souvent avec son rayonnement relatif dans d'autres champs.Inspired by the new french social history of political ideas, this paper tackles the conceptual history of thymos in the 20th and 21st centuries, by examining its circulation and uses in various historical-political contexts. Following its emergence in various texts of the early Leo Strauss, this article shows how the concept was first implanted in the United States by the neoconservative Straussians (Allan Bloom and Francis Fukuyama), before being re-imported into contemporary Germany (with Peter Sloterdijk and his student, the AfD intellectual Marc Jongen). The main thesis is that the thymos framework retains a certain stability over time, despite a great variation in its appropriations : it is thus always characterized by a double normative charge which expresses a conservative ambivalence towards the (liberal) order of things, oscillating between its defense (protection of the status quo) and its subversion or radicalization “from the right”. The article also reveals that thymos is not only mobilized in ideological struggles, but also in conflicts between intellectuals: “Thymos”, “spiritedness”, “desire for recognition”, “anger” also have the function of expressing a “revolt” of the conservative intellectual in the face of his dominated status in the intellectual or university fields, positions which often contrast with his relative influence in other fields.
- Thymos. Circulation et appropriations conservatrices d'un concept platonicien, de Leo Strauss à l'Alternative für Deutschland - Bruno Quelennec p. 97-125