Contenu du sommaire : Des collectifs éphémères
Revue | Socio-anthropologie |
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Numéro | no 33, 2016 |
Titre du numéro | Des collectifs éphémères |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Des collectifs éphémères
- À travers l'éphémère - Sophie Poirot-Delpech p. 9-19
- Avec les avant-gardes éphémères, le détour par le social subjectivé : Michel Leiris - Pierre Bouvier p. 21-30 Le XXe siècle a été marqué par des débats associant étroitement littérature, art et politique. Des mouvements successifs mais non redondants ont suscité nombre de débats et de diatribes souvent extrêmes entre les tenants de telle ou telle obédience. Dadaïstes, surréalistes, communistes, existentialistes, situationnistes, et leurs conjugaisons factuelles, constituent autant de perspectives dont un des traits essentiels fut leur caractère éphémère. L'auteur et l'acteur participant Michel Leiris permet, du fait de ses implications successives dans ces moments historiques, d'appréhender les diverses facettes de ces expressions dont cette constance d'un refus objectif sinon voulu de perdurer.Literature, art and politics have been closely intertwined in scrutinizing society over the past century. However one of the main aspects that can be stressed is the difficulty of the various movements to last over time. Dadaists, Surrealists, Communists, Existentialists, Situationnists and their offspring could not or would not escape a recurrent ephemerality that was, if not necessary, never the less objectively inherent to their identity. Michel Leiris, the author and participant of several of these movements, is a good example of this fact: their short-lived nature yet their social relevance.
- Dernière séance à la Cité solaire (Cali, 1971-1977) - Marc Berdet p. 31-45 Cet article appréhende un processus social, la formation esthétique d'un cinéma identifié sous le genre du « gothique tropical ». À Cali, troisième ville de Colombie qui, dans les années 1970, subit un processus abrupt d'urbanisation, des amis cinéphiles lancent un collectif doté d'un ciné-club, d'une revue et d'une société qui autoproduit leurs films. La maison où ils vivent ensemble, nommée Cité solaire en hommage à l'utopie de Tommaso Campanella, accueille aussi d'autres artistes visuels, des voyageurs et des étudiants contestataires. Cette communauté éphémère naît sur les cendres de ladite « période de la Violencia » colombienne et du moment anomique vécu alors par tout le continent, en proie à de grands bouleversements sociaux et culturels. En guise de réponse à cette expérience inédite, cette génération forme progressivement, à travers la cinéphilie, son propre regard, qui conduira à la création d'œuvres d'art abouties.This article aims at understanding a social process: the aesthetic formation of a cinema known under the genre film of “tropical gothic”. In Cali, the third Colombian city, beset in the 1970's by a brusque process of urbanisation, some cinephile friends start a collective with a cine-club, a journal and a partnership for the auto-production of movies. Named “Solar city” after Tommaso Campanella's utopia, the house they live in also host other visual artists, travellers and rebel students. This ephemeral community arises from the ashes of the Colombian “period of Violencia” and of the anomic period peculiar to the whole continent racked with a social and cultural upheaval. As an answer to such a new experience, this generation progressively elaborate, through cinephilia, its own gaze that will lead to the creation of accomplished works of art.
- L'utopie pragmatique des collectifs théâtraux des années 2000, ou un hiatus dans l'héritage - Louise Roux p. 47-59 Cet article s'attache aux collectifs théâtraux du XXIe siècleet à l'héritage des expériences paradigmatiques de 1960-1970. Fondés dans les années 2000, les jeunes collectifs ne se réclament pas de cette mémoire. Ils sont essentiellement pragmatiques. Intermittents, flexibles, inscrits dans le théâtre public subventionné et n'ayant pour l'« homme nouveau » aucun programme concret à proposer, ils centrent leur résistance au cœur de processus de création politiques parce que collectifs, et réalisent une « œuvre ouverte » – selon la théorie d'Umberto Eco – au sein de la représentation. Ancrée dans le réel, polyphonique, sans cesse en évolution, cette œuvre induit une conception démocratique de l'activité des spectateurs de théâtre et réactive certaines découvertes de la création collective des années 1960-1970 – en particulier les théories de l'émancipation. C'est paradoxalement par une esthétique de l'éphémère que les collectifs du XXIe siècle renouent avec l'Histoire et tracent une filiation qui semblait discontinue.This paper's based on the 21st century's collectives in theatre and on the heritage of the 1960-70's paradigmatics'experiences. Setted up in the 2000s, the young collectives are mainly pragmatics. Intermittents, flexibles, working in subsidized theatre, without concrete program for the “new man” to propose, they focused their resistance in their creation processus, political because collective, and realized an “open work”—as defying Umberto Eco—in the heart of the representation itself. Tied in reality, polyphonic, perpetually moving, this work induces a democratic conception of activity of the audience and reactivates some of the discoveries of the collective creations' in the sixties—especially the emancipations' theory. Paradoxycally, the 21s collectives revive with History and redraw a broken filiation thanks to an aesthetic of mayfly.
- Sangam House, résidence d'écrivains - Pascal Sieger p. 61-74 Cet article reflète un travail ethnographique en cours effectué dans le cadre d'une recherche sur les espaces de production artistique contemporaine dans la région de Bangalore (Inde). Il se penche sur le cas de Sangam House, une résidence d'écrivains et s'articule autour de trois moments : l'accès à l'espace, l'exister ensemble des écrivains et la sortie de l'espace. Cette étude examine la manière dont une communauté éphémère se construit et peut perdurer ou laisser des traces chez les participants dans le contexte sociopolitique de l'Inde actuelle et de la globalisation. Elle accorde une place essentielle à la fabrication d'un commun dans l'espace et le temps de la résidence qui permettra d'organiser la résistance des artistes aux pressions et menaces qu'ils subissent dans un espace qui s'est déplié, l'espace du politique.This paper leans on an ethnographic research in progress addressing contemporary art production spaces in the area of Bangalore (India). It considers Sangam House, a writers' residency and is centered around three points: the access to the space, the co-existence (or “exister ensemble”) of the writers and the exit of the space. It studies the way an ephemeral community is created, develops and can perpetuate or leave marks on the participants in the current socio-political context of India and globalization. This article pays special attention to the building of ‘commons' in the space and time of the residency, which is essential for the organization of artists' resistance against all the pressures and threats in a new unfolded space, the political space.
- Les clubs d'amateurs de musique à N'Djamena : un creuset pour de nouvelles sociabilités, éphémères ou pérennes ? - Jean-Pierre Kila Roskem p. 75-88 Cet article étudie deux structures d'amateurs de musique à N'Djamena, le club Guest Star et le collectif AJRA. Bien au-delà du cadre strictement culturel et artistique, ces regroupements génèrent aussi partages et échanges autour d'autres préoccupations relatives aux choix de vie liés au passage de l'adolescence à l'âge adulte.Si le caractère éphémère réside dans le fait que ces structures sont transitoires et surtout que leurs membres ne semblent pas avoir vocation à y demeurer de manière permanente, il n'en est pas de même lorsqu'on observe leurs pratiques internes qui laissent voir une reproduction des modes de fonctionnement formels des groupes constitués. Cela tend ainsi à brouiller ou à relativiser les limites de l'éphémère.L'analyse des codes au sein de ces regroupements, qui peuvent s'inscrire soit en rupture, soit au contraire dans la continuité de la vie sociale, permet de montrer l'une des « modalités de l'exister ensemble » dans une ville africaine aujourd'hui en pleine mutation.The present article examines two clubs for music lovers in N'Djamena, the Guest Star Club and the AJRA collective. Way beyond the strictly cultural and artistic context, these two structures also generate sharing and exchange about other fields of interest concerning life choices related to the passage from adolescence to adulthood.These structures are short-lived and therefore impermanent, all the more so because their members do not seem to consider membership as a permanent feature in their lives. Yet a closer examination of the internal practices in such structures reveals a completely different aspect: they are likely to function along lines similar to the formal rules of other established organisations, which in turn tends to blur or question the limits of their impermanence.Analysis of the social codes within these structures shows they are either at odds or in harmony with life in society and, as such, may be considered as part of the “ways of living together” in an African town currently undergoing considerable change.
- Quand on se rassemble en ville - Emmanuelle Lallement p. 89-99 Les villes constituent des terrains propices à l'analyse des modalités de l'exister ensemble. À partir d'une approche anthropologique de certains rassemblements urbains et contemporains, il s'agit de saisir des logiques de production de collectifs dans lesquels l'effet de rassemblement peut être analysé en termes de « collectifs éphémères ». L'article se fonde sur deux exemples de collectifs éphémères urbains parisiens : d'une part un événement annuel devenu emblématique du détournement festif de l'espace public urbain, Paris Plage, d'autre part des micro-événements d'appropriation plus fragmentée de certains espaces de la ville, à savoir les pique-niques. L'analyse met en évidence l'inversion momentanée et la transgression des espaces et des rapports sociaux comme valeur euphorique typiquement urbaine.Towns and cities lend themselves to the analysis of forms of co-existence (“l'exister ensemble”). Through an anthropological analysis of a number of contemporary urban gatherings, this article seeks to grasp the logics underpinning the production of collectives where the effect of gathering together can be examined in terms of the “ephemeral collective”. The article focuses on two examples of urban Parisian ephemeral collectives: on the one hand, an annual event, Paris Plage, which has become emblematic of the festive detournement of urban public space; on the other, micro-events, namely picnics, involving a more fragmented appropriation of certain spaces in the city. The analysis highlights the momentary inversion and transgression of social spaces and relations as a typically urban euphoric value.
- Jardins éphémères, motivation intacte : les équipes de jardiniers partagés - Léa Mestdagh p. 101-112 Cet article, dont l'analyse sociologique se fonde sur un matériel empirique, étudie des structures collectives particulières, les jardins partagés. Situés dans des interstices urbains, ces jardins sont par définition éphémères. Leurs adhérents font pourtant preuve d'un fort investissement tout en restant bien conscients qu'ils sont limités dans la durée. Proches socialement, ces personnes sont décrites ici à travers quatre « types » construits à partir du sens que les jardiniers donnent à leur participation au projet. Le caractère éphémère de ces collectifs intervient dans la manière dont les membres du jardin s'organisent et interagissent. Mais, loin d'être un frein, il ne limite pas les effets de ces dynamiques collectives, notamment au niveau du quartier, et dont les effets se font souvent sentir bien au-delà de la stricte période d'existence du jardin.Shared gardens are short-lived community phenomenons. Created in free and unoccupied city areas, they are eventually meant to be destroyed following the urban devellopment. Despite of this characteristic, shared gardens are felt important by those actually involved in such communities—the gardeners themselves. Written upon the results of a field study, this paper aims to describe four types of gardeners, identified by the different ways each one invest their respective land. It then explains how those shared gardens, however ephemeral in their nature, succeed in two ways : not only do they create strong collective dynamics, but they also have long-lasting effects on urban territories around them, reaching beyond the basic gardening activity.
- Réalités éphémères et jeu de rôles grandeur nature - Sébastien Kapp p. 113-125 Les jeux de rôles grandeur nature sont de grands jeux costumés pratiqués par des adultes. Ils consistent à incarner un personnage pour s'immerger dans des mondes fantastiques et interactifs. Les collectifs qui se forment à cette occasion sont éphémères, puisque les participants ne se fréquentent physiquement que quelques jours par an. Ainsi, malgré le temps de préparation qui occupe les organisateurs presque toute l'année, lorsqu'ils se rencontrent, les joueurs n'ont que très peu de temps pour entrer dans la peau de leur personnage et s'immerger dans la partie. Cette contribution étudie la façon dont ils collaborent dans des rassemblements qui peuvent atteindre 8 000 participants, sans forcément se connaître au préalable ni connaître en détail l'univers du jeu. L'hypothèse est que le jeu crée ses propres cadres d'action, notamment en agissant sur la temporalité et génère ainsi des modes de socialisation accélérée.Live action role-playing games are played by adults who dress up to embody a fictional character and immerge in fictional interactive worlds. The groups that form on these occasions are short-term collectives, as participants are only physically gathered a few days per year. Despite a very long preparation time, that keeps organizers busy for most of the year, players have a very short time to get into their roles and into the game. This paper considers the way players collaborate in massive gatherings that can reach up to 8,000 although they may not have met before, or been aware of game rules. The main idea is that the game creates its own space and time frames, which result in accelerated socialization.
- Le collectif éphémère des personnels navigants sur les long-courriers - Sophie Poirot-Delpech p. 127-141 Dans les avions, sur les vols long-courriers, les personnels, techniques et commerciaux, donnent l'impression de se connaître depuis toujours. Or, ils ne se sont jamais vus et ne se retrouveront sans doute jamais : leur collectif est toujours éphémère, tant par sa composition que par la discontinuité inhérente au vol. Pour comprendre ce « petit miracle », une équipe de socioanthropologues a partagé la vie des navigants et montré combien la sphère du sensible était mobilisée à travers le langage du corps et le partage des émotions. Le temps du travail en vol est éclairé par le temps hors vol, et en particulier celui de l'escale où les membres du collectif des navigants sont immergés dans une mémoire commune et observent des rituels, ce qui leur permet de construire un « entre soi » qui les protège du monde extérieur. La dimension éphémère du collectif en accroît à la fois l'intensité et la lisibilité.On long-haul flights, the technical and sales staff appear to have known each other forever. Yet they have never seen each other before and will probably never meet again: their collective is always ephemeral, both in terms of its composition and the discontinuity inherent in the flight. To understand this “minor miracle”, a team of socioanthropologists undertook a participant observation of the flying staff and demonstrated the significant mobilization of “the sensible” through body language and the sharing of emotions. Time spent outside the aircraft shines further light on the staff's shift aboard the flight, particularly the stopover, during which the members of the collective of flying personnel are immersed in shared memory and the observance of rituals, thereby enabling them to establish a “between-ourselves” mentality that protects them from the outside world. The ephemeral dimension of the collective increases both its intensity and interpretability.
- En chantier de te retrouver - Fanny Girin p. 143-156 Si l'externalisation du travail fait disparaître les collectifs traditionnels, d'autres types de liens sociaux se fabriquent. Ceux-ci ne sont pas fondés sur des statuts orientés vers la production mais sur un système de réputation visant à maintenir les gens sur le site. À partir d'observations menées sur deux chantiers temporaires, au sein de chantiers navals et d'une raffinerie de pétrole, ce texte explore ces relations du point de vue des sous-traitants et donneurs d'ordre. Le premier terrain montre comment le contrôle de la réputation s'inscrit dans le travail sous-traitant. Le second met au jour les manières dont les agents du client participent à ces réputations tout en cherchant à atténuer leur rôle de donneur d'ordres, source de pression sur les ouvriers. L'ensemble permet de voir que les collectifs éphémères constitués autour des chantiers s'imbriquent dans d'autres collectifs aux temps plus longs, mais qui fonctionnent sur la base de l'éphémère.Though outsourcing is leading to the disappearance of traditional collectives, other types of social ties are emerging. The latter are not based on production-directed statuses but on a system of reputation that aims to maintain people on site. Based on observations from two temporary building sites at naval shipyards and a petrol refinery, this text explores these relations from the perspective of the subcontractors and the contracting parties. The first site shows how monitoring one's reputation fits into the work of the subcontractor. The second highlights the ways in which the client's agents feed into this reputation while also seeking to de-emphasize their role as contracting parties, which is a source of pressure on workers. The study as a whole shows that the ephemeral collectives which grow up around these building sites intermesh with other longer-term collectives that are nevertheless based on the principle of the ephemeral.
- Apprendre l'éphémère de la sociogenèse - Alexandre Duclos p. 157-169 Un collectif éphémère est défini ici comme un rassemblement qui se saisit, consciemment ou non, de la tâche de faire groupe. Cet article propose de partir de l'exploration d'un parcours de sociologue, sur la modalité du récit, pour décrire et comprendre le passage de l'observation des collectifs éphémères vers un certain type de sensibilité et d'approche sociologique, ou pour le dire d'une manière plus académique, d'un objet à une méthode.An “ephemeral collective” could be conceived as a gathering that captures for a brief period of time the tasks of socialization, of building the group by re-arranging standards, norms, socially acceptable ways of doing and feeling to create a new context of intergration and socialization. If an ephemeral collective holds, consciously or not, explicitly or not, in a formalized way or not, the task of building and keeping the group, it will naturally be more moving, more unstable, more fluid, less established and more difficult to study from a sociological point of view. This article intends to start with the exploration of a type of ephemeral collective, riots. This should allow us to propose a path that leads, from the observation of a collective ephemeral, to some type of sensitivity and sociological approach, or to put it in a more academic way, from an object to a method.
Entretien
- Le XVIIIe siècle est-il un siècle de l'éphémère ? - Arlette Farge p. 173-186
Texte classique
- Solidarités ouvrières - Jean Duvignaud p. 189-198
Image
- 300 hommes d'Aline Dalbis et Emmanuel Gras - Emmanuel Gras, Emmanuele Coccia p. 201-211
Recensions
- Gaspard Lion, Incertaine demeure. Enquête sur l'habitat précaire, Paris, Bayard, 2015 - Maulde Urbain-Mathis p. 213-215
- Carine Chavarochette, Magali Demanget et Olivier Givre (dir.), Faire frontière(s). Raisons politiques et usages symboliques, Paris/Montpellier, Karthala/MSH-M (Hommes et sociétés), 2015 - Nicolas Horvat