Contenu du sommaire : Reconfigurer le vivant

Revue Cahiers d'anthropologie sociale Mir@bel
Numéro no 19, 2019
Titre du numéro Reconfigurer le vivant
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  • Avant-propos - Marie Mauzé, Perig Pitrou p. 9-12 accès réservé
  • Figuration, configuration, reconfiguration. Le vivant entre métonymie et métaphore - Perig Pitrou p. 13-33 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    L'anthropologie de la vie appréhende les théories de la vie à travers deux types d'activités techniques. Les interactions avec les êtres vivants reposent sur des inférences concernant le fonctionnement des organismes tandis que des objets de la culture matérielle ou des processus techniques peuvent servir d'analogies pour se représenter des processus vitaux, comme lorsqu'on compare la digestion à une coction ou le corps à une machine. Faisant converger ces deux dynamiques, la transformation d'organismes en artefacts, constitue un autre domaine où enquêter sur les conceptions de la vie, en particulier dans des contextes rituels. L'enjeu est de comprendre l'articulation entre une logique métonymique, qui affirme la continuité matérielle entre la vitalité d'un être vivant et celle d'un objet, et une logique métaphorique qui établit des liens de similitudes entre les formes données à des biomatériaux et des êtres vivants. Par-delà l'analyse de la figuration, l'enquête gagne à explorer les procédés mis en place pour configurer et reconfigurer le vivant.
    The anthropology of life considers the theories of life as two types of technical activities. Interactions with living beings rely on inferences regarding the functioning of organisms, while objects belonging to material culture or technical processes can serve as analogies to represent vital processes, for example when digestion is compared to a cooking operation or the body to a machine. Bringing these two dynamics together, the transformation of organisms into artefacts is another field for investigating conceptions of life, particularly in ritual contexts. The challenge is to understand the articulation between a metonymic logic, which poses the material continuity between the vitality of a living being and that of an object, and a metaphorical logic which establishes links of similarity between the forms given to biomaterials and living beings. Beyond the analysis of figuration, the investigation will gain value in exploring the processes implemented to configure and reconfigure the living.
  • Les arbres, eux aussi, sont bons à penser - Maurice Bloch p. 34-50 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Comme les animaux, les arbres sont souvent utilisés dans des pratiques rituelles dans différentes parties du monde. Cela nécessite une explication. Si les arbres et les humains sont généralement considérés comme étant, d'une certaine manière, « vivants », cela ne conduit pas toujours à la même classification. Scott Atran affirme que le concept d'être vivant est inné chez tous les humains et que cela ne nécessite pas d'explication supplémentaire. Sur la base de travaux en psychologie, Frank Keil soutient que le concept d'être vivant réunit un certain nombre de théories. Le travail de Susan Carey va plus loin : elle défend l'idée que l'on peut dissocier les différentes théories contenues dans la notion d'être vivant ; ces théories ne sont pas véritablement similaires, et dans chaque cas, une théorie peut être mise en avant plutôt que d'autres. Son travail concerne le développement de la notion de vie ; elle montre comment les enfants construisent cette notion par étapes et avec des attentions différentes, de sorte que les très jeunes enfants et les adultes restent normalement incertains quant à savoir si certaines catégories d'êtres sont vivantes ou non.
    Like animals trees are often used in ritual practice in different parts of the world. This needs explanation. While trees and humans are usually considered in some ways as being « alive » this does not lead always to the same classification. Scott Atran argues that the concept of being alive is innate in all humans that this needs no further explanation. Frank Keil on the basis of psychological work argues that the concept of being alive joins together a number of theories. The work of Susan Carey goes further : it argues that the different theories contained in the notion of being alive are separable and therefore not straightforwardly similar and that in every instance one theory may be stressed rather than others. Her work concerns the development of the notion of life, and she shows how children construct this notion in stages and with different emphases so that very young children and adults normally remain uncertain whether some categories of being are alive or not.
  • Donner la vie et la mort, ou comment les Inuit activent des objets - Frédéric Laugrand p. 51-66 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    En m'appuyant sur l'ethnographie classique et sur des propos recueillis au Nunavut (Arctique canadien) à l'occasion de plusieurs ateliers de transmission des savoirs, j'examine comment les Inuit conçoivent certains objets utilisés pour la chasse. Ces objets donnent de la vitalité ou la mort. J'avance l'idée que la dynamique relationnelle l'emporte sur la dynamique substantielle, ces deux logiques étant cependant coprésentes. Autrement dit, le pouvoir des objets de chasse découle moins des substances et des matériaux qui les composent, ou même de leur agencéité propre, que de leur mise en circulation, donc d'intentionnalités, de leur don et des échanges qui s'enchaînent. La puissance des objets inuit s'active dès qu'ils sont reçus d'un donateur et ce, au-delà du pouvoir intrinsèque des matériaux qui entrent dans leur composition. Les substances corporelles, en particulier le sang menstruel, occupent une place singulière, générant la mort. Le souffle, quant à lui, produit de la vitalité.
    Drawing on classical ethnography and stories collected in Nunavut (Canadian Arctic) during several workshops on knowledge tranmission, I examine how Inuit conceive certain objects used for hunting. These objects give vitality or death. I argue that relational dynamics prevail over substantial dynamics, these two logics being co-present, however. In other words, the power of hunting objects derives less from the substances and materials that they are made of, or even from their own agency, than from their own circulation, and therefore from their intentionality, the gift and their exchanges that follow. The power of Inuit objects is activated as soon as they are received from a donor, beyond the intrinsic power of the materials that go into their composition. Bodily substances, in particular menstrual blood, occupy a unique place, causing death. Breath, meanwhile, produces vitality.
  • Pirogues et Cuivres sur la côte Nord-Ouest. Formes et matières animées - Marie Mauzé p. 67-87 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article s'intéresse à la vitalité des artefacts telle qu'elle est envisagée par les sociétés de la côte Nord-Ouest en se fondant sur deux exemples. La question de l'objet vivant et animé est abordée à travers les qualités des matériaux, l'examen des processus techniques et des tâches rituelles contribuant à faire émerger des formes vivantes. Sont examinées les conditions d'expression de l'agentivité des artefacts dans les relations entre les humains et les non-humains. Est traitée en conclusion la question de la vitalité biologique et de la vitalité transcendantale dans le cadre de la transmission de privilèges auxquels sont associés les artefacts.
    This article deals with the vitality of artifacts as conceived by Northwest Coast societies based on the study of two examples. The question of the living and animated object is approached through the qualities of materials, the study of the technical processes and ritual tasks that contribute to the emergence of living forms. It also examines the conditions of agency of artifacts as expressed in the relationships between humans and non humans. It concludes by addressing the question of biological vitality and transcendental vitality in the context of the transmission of privileges associated with artifacts.
  • Les objets vivants des religions afro-cubaines : ontologies, biologies, écosystèmes - Katerina Kerestetzi p. 88-106 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article porte sur certains objets rituels des religions afro-cubaines qui sont considérés comme vivants : colliers de la santería qui « parlent », poupées du spiritisme qui « fument », tambours des Abakuá qui « procréent », chaudrons du palo monte qui « se croient vivants ». Pour les pratiquants de ces religions, ces objets sont plus que de simples représentations de divinités et d'esprits mais de véritables incarnations ; ils sont dotés d'intentionnalité et de capacité d'action mais aussi des propriétés et des besoins propres aux êtres vivants : soif, faim, chaleur, croissance, désirs… L'objectif de cet article est d'examiner les processus techniques, matériels et rituels par lesquels la vie vient à ces artefacts. Quelles actions, quelles interactions, quels gestes sont impliqués dans la chaîne opératoire qui transforme un assemblage de matières inertes en une entité vivante et agissante ? L'étude porte aussi sur la composition matérielle de cette vie artificielle et tâche de révéler les logiques intrinsèques qui attribuent à certaines substances et actions la capacité d'engendrer la vie. Finalement elle s'intéresse à la vie de ces objets dans leur « habitat naturel ». Nous verrons comment leur environnement impacte leur manière d'interagir avec les pratiquants mais aussi avec les autres objets.
    This article deals with some ritual objects of Afro-Cuban religions that are considered to be alive : necklaces of the santería that « speak », dolls of spiritism that « smoke », drums of the Abakuá that « procreate », cauldrons of the palo monte that « think they are alive ». For the followers of these religions, these objects are more than mere representations of deities and spirits, but their true incarnations ; they are endowed with intentionality and capacity for action, but also with the properties and needs of living beings : thirst, hunger, warmth, growth, desires… The aim of this article is to examine the technical, material and ritual processes by which life comes to these artefacts. What actions, interactions and gestures are involved in the operating chain that transforms an assembly of inert materials into a living, active entity ? The study also focuses on the material composition of this artificial life and will try to reveal the intrinsic logics that attribute to certain substances and actions the capacity to generate life. Finally, it will look at the life of these objects in their « natural habitat ». We will see how their environment impacts their way of interacting with practitioners but also with other objects.
  • On the multiple temporalities of Guna woodcarving - Paolo Fortis p. 107-123 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article explore les notions de temporalité qui se dégagent de l'étude ethnographique de la sculpture rituelle sur bois chez les Guna du Panama. S'appuyant sur le concept de « cartes du temps » d'Alfred Gell, il montre que la sculpture sur bois des Guna est un outil de navigation temporelle qui permet d'accéder à de multiples images du temps grâce aux qualités de ces artefacts qui acquièrent un sens à travers les relations intersubjectives. Les figures rituelles en bois donnent accès à l'action différée du temps d'origine en établissant une synchronisation avec le temps biographique humain et avec le temps des esprits qui en sont les propriétaires. La sculpture sur bois doit donc être considérée comme un processus matériel qui s'engage récursivement à la fois dans la connaissance historique et l'expérience vécue, les rendant mutuellement significatives, jetant ainsi un pont entre les processus individuels et collectifs variant avec le temps.
    This article explores notions of temporality emerging from the ethnographic study of ritual woodcarving among Guna people from Panama. Drawing on Alfred Gell's concept of « time-maps » it argues that Guna woodcarving is a time-navigation tool that allows people to access manifold images of time through the qualities of these artefacts that acquire meaning through intersubjective relations. Ritual wooden figures give access to the deferred action of the time of origin by establishing synchronicity with human biographical time and with the time of their spirit owners. Woodcarving is therefore to be considered a material process that engages recursively with both historical knowledge and lived experience rendering them mutually meaningful, thereby bridging individual and collective time-sensitive processes.
  • Dieux-matière (vivante) sans cesse reconfigurée : les fétiches en pays mandingue (Afrique de l'Ouest) - Agnieszka Kedzierska Manzon p. 124-140 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Le débat concernant la capacité d'action – et, par conséquent, le statut ontologique – de nombreux artefacts matériels anime l'anthropologie depuis bientôt deux décennies, tout comme les polémiques autour de la notion de fétiche. L'article ambitionne de mieux saisir cette dernière notion, en partant des données ethnographiques mandingues exploitées dans une perspective comparatiste. Il montre que les dieux-fétiches africains sont conceptualisés par « leurs humains » comme des dieux-plantes qu'on cultive, qui se reproduisent sur le modèle de bouturage et dont l'apparence s'apparente au végétal. Les vocables qui leur servent d'appellations génériques dans les langues africaines renvoient pourtant non à des règnes ou des classes du vivant, conçus comme opposé à l'inorganique, mais à une catégorie qui regroupe des matériaux jugés forts et agissants qui affectent plusieurs registres sensoriels. Le retour critique sur quelques notions-clés permet de mieux saisir les fétiches en tant que dieux-matière (vivante) sans cesse reconfigurés que leur nature organique et informe rend divins.
    The question of the agency and, consequently, the ontological status of ritual artefacts has stirred debates in anthropology for almost two decades, as have discussions on the notion of festish. The article aims to better grasp the latter notion through the analysis of Mande ethnographic data in a comparative perspective. It shows that fetishes are conceptualized by « their humans » as gods-plants that are cultivated, and reproduce on the model of cuttings and whose appearance is similar to that of plants. However, the generic names used for them in Mande and many other African languages do not designate the reigns of nature or the botanical classes, but rather point to a category of matter conceived as acting and affecting several sensory registers. The critical return on this last category allows us to better grasp fetishes as (living) matter-gods, organic and active, shapeless and in constant formation, for this very reasons perceived as divine.
  • Artefacts organiques et corps humains artefactuels dans les anciens rites du « cycle de vie » en Nouvelle-Irlande (Mélanésie) - Brigitte Derlon p. 141-158 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Les anciens rites funéraires de Nouvelle-Irlande (Mélanésie) opéraient une « reconfiguration du vivant » en associant pour quelques heures le crâne préservé du défunt et une sculpture de bois (malanggan) fabriquée puis détruite lors de la cérémonie. La quête du sens de cette pratique conduit à mettre au jour les multiples analogies rituelles entre corps humains et artefacts dans l'ensemble des rites du « cycle de vie » où les personnes sont assimilées à des sculptures, tandis que les sculptures funéraires sont traitées comme des personnes. Depuis la naissance jusqu'à la mort en passant par l'initiation féminine et masculine, ces rites opèrent à des moments-clefs de l'articulation du principe spirituel vital et du corps humain, quand les proches de la personne doivent contribuer à faire, à renforcer ou à défaire cette association. Siège de l'incarnation fugace d'une présence surnaturelle, la sculpture funéraire à travers laquelle se rejoue la naissance et la mort de la personne est aussi conçue comme une image mentale qui se matérialise provisoirement dans un corps de bois et survit à sa destruction en perdurant dans la mémoire des hommes. La reconfiguration de l'humain à l'œuvre dans la réunion de la sculpture et de la relique allait de pair avec la reconfiguration (ou reproduction) de la société assurée par les multiples transferts de biens matériels et immatériels effectués dans le cadre des rites funéraires, dont les droits de reproduction des sculptures malanggan.
    In the ancient funerary rites of New Ireland (Melanesia) a « reconfiguration of the living » occured when the preserved skull of the deceased was associated for a few hours with a wooden sculpture (malanggan) made during the ceremony and later on (then instead of later on) destroyed. The search for the meaning of this practice leads to the discovery of multiple ritual analogies between human bodies and artifacts in all the rites of the « life cycle », people being treated as sculptures and funerary sculptures as persons (where people are assimilated to sculptures, while funerary sculptures are treated as persons). From birth to death, through female and male initiation, these rites operate at key moments in the articulation of the vital spiritual principle and the human body, when the person's relatives must contribute to making, strengthening (reinforcing) or undoing this association. As an incarnation of a supernatural presence, the funerary sculpture through which the birth and death of the person is replayed is also conceived as a mental image that temporarily materializes in a wooden body and survives its destruction by remaining in the memory of men. The reconfiguration of the human at work in the assemblage of the sculpture and the relic happened at the very moment when the reconfiguration (or reproduction) of society is ensured by the multiple transfers of material and immaterial goods carried out during funeral rites, including the copyrights of Malanggan sculptures.
  • Les messagers. Configurations et reconfigurations en taxidermie - Lucienne Strivay p. 159-173 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    S'il est une technique systématiquement confrontée aux difficultés et aux miracles de la reconfiguration, c'est la taxidermie. Que fabrique-t-on avec ce qui a été vivant, en l'associant étroitement à des composés chimiques, des métaux, du verre, du bois, etc. ? Comment la collection des spécimens devient-elle un opérateur de reconnexion grâce à l'intervention des artistes dans le muséum d'histoire naturelle ? Quels sont ces nouveaux enjeux alors que les espèces s'éteignent de manière affolante et que les écosystèmes disparaissent sans avoir le temps de s'adapter ? On le voit, les questions soulevées par la taxidermie et ses processus touchent à nos façons de faire monde, à la division des savoirs, au renouvellement des perspectives. Elles nous invitent à une grande reconfiguration dont le refaçonnage des corps devient un prétexte.
    If there is one technique that is systematically confronted with the difficulties and miracles of reconfiguration, it is taxidermy. What do we make with what has been alive, associating it closely with chemical compounds, metals, glass, wood, etc. ? How does the collection of specimens become an operator of reconnection through the intervention of artists in the natural history museum ? What are these new challenges when species are disappearing in a frightening way and ecosystems are disappearing without having time to adapt ? As we can see, the questions raised by taxidermy and its processes affect our ways of making the world, the division of knowledge, the renewal of perspectives. They invite us to a major reconfiguration of which the re-shaping of bodies becomes a pretext.
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