Contenu du sommaire : Le procès des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015
Revue | Les cahiers de la justice |
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Numéro | no 2, 2021/2 |
Titre du numéro | Le procès des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Filmer les audiences ? - p. 193-194
Tribune
- Le dernier rempart - Richard Malka p. 199-203
Dossier. Le procès des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015
- Une juridiction de la parole - Denis Salas p. 205-207
- Entretien avec le Procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard et le Procureur adjoint, Jean-Michel Bourles - Jean-François Revel, Jean-Michel Bourles, Antoine Mégie, Julien Ortin, Denis Salas p. 209-223 Le procureur de la République antiterroriste et son adjoint reviennent sur la longue préparation, le déroulement et l'issue du procès des attentats de janvier 2015 dont ils s'estiment satisfaits. Au-delà, ils soulignent la signification de la cour d'assises « spécialement composée » adoptée en France en 1986, les raisons de l'origine du PNAT en 2019 dont ils détaillent le fonctionnement collégial et la professionnalisation, gage d'indépendance. Ils insistent enfin sur le défi que représente l'analyse dans l'urgence des passages à l'acte dont il n'est pas aisé de déterminer la portée terroriste.The national anti-terrorism prosecutor and his assistant look back at the trial of the January 2015 terrorist attacks, the long process of preparation, the trial itself and its outcome, with which they say they are satisfied. Beyond that, they emphasise the significance of the "specially composed" assize court set up in France in 1986, the reasons behind the creation of the national anti-terrorism prosecution service (Parquet national antiterroriste, PNAT) in 2019, whose collegial operation and specialisation, seen as a guarantee of independence, they explain. Finally, they stress the challenge of analysing attacks in the heat of the moment when it is not easy to determine their terrorist nature and implications.
- Entretien avec le président Régis de Jorna - Régis de Jorna, Antoine Mégie, Pauline Jarroux, Julien Ortin, Denis Salas p. 225-235 Le Président de la cour d'assises revient dans cet entretien sur les principaux défis posés par ce procès : préparation d'une audience exceptionnelle par la résonance des faits dans l'opinion et le nombre des parties civiles, conduite des débats perturbée par trois attentats (dont l'un à l'extérieur des anciens locaux de Charlie Hebdo), contexte de l'état d'urgence sanitaire lié à la pandémie de Covid-19 affectant les accusés… La police de l'audience qui relève des pouvoirs propres du président se révèle ainsi dans toute son ampleur dans ce procès filmé pour l'histoire dont on a pu douter qu'il puisse aller jusqu'au bout devant tant d'obstacles.In this interview, the President of the criminal court talks about the main challenges posed by this trial: the preparation of a trial that was to be exceptional in several respects: the fall-out in the court of public opinion, the number of civil parties, the fact that the hearings were disrupted by three terrorist attacks (including one outside the former premises of Charlie Hebdo), the particular context of the public health crisis caused by the Covid-19 pandemic affecting the accused, etc. The scale of the presiding judge's task in policing the hearings was laid bare in this trial which was filmed for posterity and faced so many obstacles that some doubted it could be carried through to its conclusion.
- Table ronde avec les avocats de la défense (David Apelbaum Hugo Lévy, Margot Puglièse, Clémence Witt, Camille Tardé) - Hugo Levy, David Apelbaum, Margot Pugliese, Clémence Witt, Camille Tardé, Jean-Luc Rivoire, Julien Ortin, Denis Salas p. 237-252 Les avocats de la défense reviennent dans cet entretien sur ce qu'ont été selon eux les points forts de ce procès. Leur « entrée » dans ce type de dossier (une première fois pour certains), la bataille pour gagner la confiance de leur client, le type de défense choisie, leurs relations avec les parties civiles, les émotions éprouvées au cours des longues audiences. Ils soulignent la satisfaction de ceux qu'ils défendaient lorsqu'ils ont appris que la cour ne retenait pas la qualification de terroriste au point que certains ont eu le sentiment qu'on leur rendait leur dignité.In this interview, the defence counsel talk about what for them were the stand-out moments in this trial, how they came to be involved in this type of case (a first for some of them), the battle to gain their client's trust, the type of defence chosen, their relations with the civil parties, the emotional effect on them of the long days in court. They emphasise the satisfaction of those they were defending when they learned that the court had dropped the charges of terrorism, to the point that some felt that they had been given back their dignity.
- Le parcours des victimes, parties civiles - Claude Lienhard, Catherine Szwarc, Jean-Luc Rivoire, Julien Ortin p. 253-268 Vu du côté des victimes, le procès des attentats de janvier 2015 se devait d'être exemplaire et de répondre à l'impératif de Justice. Pour être exceptionnel et hors norme, le procès impliquait encore plus d'être un procès équitable. L'attribution du volet indemnitaire au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) et au juge de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme (JIVAT), permet aux victimes de se tenir à distance du procès pénal. La constitution de partie civile et la décision de sa recevabilité sont clairement des actes de reconnaissance essentiels. Différentes et diverses, les victimes et leurs proches sont apparus unis par l'effroi, les souffrances, une volonté de comprendre et une immense dignité. La réponse pénale était attendue comme la clôture de l'immense tremblement provoqué par les attentats. L'arrêt civil, de son côté apporte aux victimes la reconnaissance officielle de leur statut. Très attendu, il pose avec rigueur une méthodologie concernant le principe et les critères de recevabilité des constitutions parties civiles. C'est donc la Cour d'assises qui aura autorité absolue pour la reconnaissance de la qualité de victime en cas de contestation dans le processus d'indemnisation.From the victims' point of view, the trial of the January 2015 attacks had to be perceived as exemplary with Justice being seen to be done. Given its exceptional nature, the trial needed more than ever to be a fair one. The fact that responsibility for the awarding of damages to the victims has been handed over to the Guarantee Fund for Victims of Terrorist Acts and Other Offences (FGTI) and the judge responsible for compensation for victims of terrorism (JIVAT) has enabled victims to maintain a certain distance from the criminal trial. The joining of civil parties to the proceedings and the decision on the admissibility of their claims are an essential form of acknowledgment. Although different and diverse, the victims and their families came across as united by terror and suffering, a desire to understand and an immense dignity. The response of the criminal justice system was anticipated as a way to bring closure to the huge upheaval caused by the attacks. The civil judgment, for its part, gives the victims official recognition of their status. A great deal is expected of this judgment and it applies a rigorous methodology to the principle and criteria of the admissibility of the civil parties' claims. It is therefore the assize Court that has absolute authority to recognise the victim's status as a victim in the event of any challenges in the compensation process.
- France / États-Unis, deux réponses au terrorisme - Marc Sageman p. 269-283 Dans les systèmes américain et français, les procès en matière de terrorisme présentent de fortes différences. Il existe de nombreuses juridictions différentes et bien que la partie civile ne soit pas impliquée dans un procès pénal, elle dispose d'un recours en réparation dans les affaires civiles. Les procédures pénales fédérales sont contradictoires. Le ministère public et la défense négocient tout au long de la procédure sur les charges retenues et les peines applicables. Les procès pour terrorisme sont soumis à des lois spécifiques qui criminalisent le soutien matériel apporté au terrorisme et entraînent des peines plus sévères pour les terroristes reconnus coupables. La phase du procès visant à déterminer la culpabilité se déroule devant un jury, et les représentants des deux parties posent des questions aux témoins, le président du tribunal ne traitant que des questions de droit. Une fois reconnu coupable, un accusé comparaît lors d'une seconde audience, en vue de déterminer la peine, souvent devant un juge. Après leur condamnation, les terroristes reconnus coupables sont soumis à des mesures particulières visant à les isoler et à limiter leurs communications avec le monde extérieur.
- France / United States, two responses to terrorism - Marc Sageman p. 284-295 U.S. terrorism trials are very different from French trials. There are multiple jurisdictions for trials and although la partie civile is not involved in criminal trial, it has recourse for compensation in civil cases. Federal criminal proceedings are adversarial, and the prosecution and defense are in constant negotiation as to charges and sentences. Terrorism trials are subject to special laws that criminalize material support for terrorism and carry enhance sentences for convicted terrorists. The guilt phase of the trial takes place in front of a jury, and lawyers from both sides ask questions of witnesses, with the presiding judge only addressing questions of law. Once convicted, a defendant faces a separate sentencing trial, which is often in front of a judge. After sentencing, convicted terrorists are subject to special measures isolating them and limiting their communications with the outside world.
- Filmer les procès pour l'histoire : la fabrique d'une archive de la justice - Martine Sin Blima-Barru, Christian Delage p. 297-308 La loi Badinter du 11 juillet 1985 a permis de créer de façon volontaire 14 archives audiovisuelles de procès promues au rang de documents pour l'Histoire. Dérogatoire à l'interdiction de capter les audiences de la loi sur la liberté de la presse, exception au régime général des archives, cette mise en archives de la Justice sélectionne quelques procès pour l'exemple et pour la mémoire de la Justice. Une archiviste et un historien reviennent sur 35 ans d'une présence rare de la caméra dans le prétoire, afin d'éclairer les modalités de ces captations entre cadre réglementaire, exigence de la pérennisation des archives et besoins présumés de l'historien.The Badinter Law of 11 July 1985 has led to the deliberate creation of 14 audiovisual archive records of trials designated as "Documents for History". Overriding the ban on filming trials imposed by the law on the freedom of the press, and by way of an exception to the general archive regime, this initiative on recording justice in action has involved selecting a few trials as examples for the annals of Justice. An archivist and a historian discuss 35 years of the rare presence of cameras in the courtroom, to throw some light onto the circumstances of the filming of these trials, covering aspects such as the regulatory framework, the necessary securing of the archives and the presumed needs of the historian.
- Parole des victimes et dispositif d'accompagnement - Carole Damiani p. 309-321 L'association Paris Aide aux victimes, agréée par le Ministère de la Justice, s'est vue confier une mission d'accompagnement et de soutien psychologique des parties civiles du procès des attentats de janvier 2015 par le Parquet National Anti-Terroriste (PNAT) de Paris. L'équipe a donc été mobilisée pour préparer le dispositif en amont du procès et soutenir les parties civiles durant les audiences et ce, jusqu'au verdict. Cet accompagnement des victimes a été le fruit d'une longue expérience qui a débuté en 2002 avec le procès des attentats de juillet 1995, et qui s'est affinée à l'occasion des différents procès pour terrorisme qui se sont déroulés à la cour d'appel de Paris. L'élaboration de ces dispositifs de soutien psychologique s'est appuyée sur la parole des victimes et la prise en compte de leurs attentes.Paris Aide aux Victimes, a charity approved by the Ministry for Justice, was assigned the task of providing practical and psychological support to the civil parties in the trial of the January 2015 terrorist attacks by the Paris office of the national anti-terrorism prosecution service (PNAT). The team was therefore mobilised to prepare for the trial in advance and to support the civil parties during the hearings and until the verdict. The support given to the victims is the fruit of long experience which began in 2002 with the trial of the July 1995 terrorist attacks and which has been honed over the years and a number of terrorism trials held at the Paris Court of Appeal. The psychological support provided has been developed by working with and listening to victims and taking on board their expectations.
- La défense de rupture est-elle toujours pertinente ? - Julien Ortin p. 323-333 Dans cet article, l'auteur ayant soutenu une thèse portant sur le militantisme dans la profession d'avocat, s'interroge sur l'opportunité de recourir à une défense politique de rupture dans les procès qui traitent d'affaires terroristes contemporaines. Si une telle défense peut sembler tentante, elle n'est plus réellement opportune. La défense de rupture doit en effet convaincre l'opinion publique puis le juge qu'il existe une autre façon de concevoir les faits qui sont reprochés à l'accusé. Or, un tel travail de recontextualisation est impossible et inaudible dans le cas spécifique du terrorisme djihadiste fortement politisé. En outre, la défense de rupture s'inscrit dans une lutte contre le droit perçu par une majorité comme une arme de domination de la classe dominante. Or, le droit est désormais conçu comme une arme qu'il est au contraire possible de mobiliser contre l'État et l'utilisation au rabais qu'il tend à produire des droits de la défense.In this article, the author, who devoted a thesis to militant activism among lawyers, questions the use a political rupture defence strategy in contemporary terrorism trials. Although such a defence strategy may appear tempting, it is no longer really opportune. The rupture strategy in fact needs to win over public opinion, and then the judge, bringing them round to the idea that there is another way of conceiving of the facts of the case against the accused, whereas such a recontextualisation is impossible and inaudible in the specific case of highly-politicised Jihadist terrorism. Furthermore, the rupture strategy is part of a struggle against the law seen by a majority as a weapon of domination by the dominant class. The law now though is designed as a weapon that can be used against the State and the cheapening its tends to produce of the rights of the defence.
Chronique
- Justice pénale internationale : le cas du Tribunal spécial pour le Liban - Pascal Plas p. 335-349 Le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), installé à La Haye est la seule juridiction pénale internationale dédiée au terrorisme, fortement voulue par l'ONU, en accord avec le Liban, à la suite de l'attentat commis le 14 février 2005 contre Rafic Hariri. Conçue au départ pour être un mixte de Common Law et de civil Law -- existence d'un juge de la mise en état, possibilités d'interrogatoire pour les juges pendant le procès, participation contrôlée des victimes à la procédure - le TSL a finalement fonctionné presque exclusivement en Common Law. Ce choix procédural a conduit à la tenue d'un procès extrêmement technique et long. Le verdict (été 2020, une condamnation, trois acquittements) a été lu à l'aune de la durée des enquêtes et du procès lui-même (plus de 15 ans) ainsi qu'à son coût élevé - « le procès à un milliard de dollars » - et reçu dans une certaine lassitude. Le TSL contribue cependant à la lutte contre l'impunité et surtout l'indifférence à l'encontre des violences politiques.The Special Tribunal for Lebanon (STL) set up in The Hague is the only international criminal court dedicated to terrorism, strongly advocated for by the UN, in agreement with Lebanon, following the killing of Rafic Hariri on 14 February 2005. Initially intended to blend the Common Law and Civil Law systems - existence of a pre-trial judge, the possibility for the judges to intervene in the trial with direct questioning, controlled victim participation in the proceedings - in the end the STL operated almost exclusively under Common Law. This procedural choice led to the holding of an extremely technical and lengthy trial. The verdict (summer 2020, one guilty verdict, three acquittals) was read in the light of the length of the investigation and the trial itself (over 15 years) as well as its high cost - "the billion dollar trial" - and received with a certain amount of lassitude. Nevertheless, the TSL has contributed to the fight against impunity and, above all, indifference to political violence.
- Droits des accusés et des parties civiles : deux exigences incompatibles ? - Sharon Weill, Jeanne Sulzer p. 351-360 Cet article vise à analyser le procès des attentats de janvier 2015 à la lumière de certains procès de crimes internationaux ayant donné lieu à une importante participation de victimes en tant que parties civiles. Il ressort que le fossé qui existe en matière terroriste entre les préjudices des victimes et les charges retenues contre les accusés risquent de créer des attentes irréconciliables. Ce décalage conduit parfois la défense à dénoncer un procès spectacle qui ébranle l'égalité des armes. Ce sont l'ensemble des parties - partie civiles et accusés - qui risquent d'être victimes des dérives de la justice antiterroriste.This article examines the trial of the January 2015 terror attacks in light of international trials that involved significant number of victims as civil parties. It shows that the gap that exists in terrorism trials between the harm done to victims and the charges brought against the accused risks creating irreconcilable expectations. This discrepancy can also lead the defense to denounce a show trial that undermines equality of arms. Thus, both civil parties and defendants risk falling victim to the excesses of anti-terrorist justice.
- L'office du juge d'instruction antiterroriste - Emmanuelle Robinson, Antoine Mégie, Pauline Jarroux, Julien Ortin, Denis Salas p. 361-372 La juge d'instruction antiterroriste E. Robinson revient dans cet entretien sur la dimension hybride des dossiers de terrorisme islamiste. D'un côté, les interrogatoires des mis en examen aux profils très diversifiés permettent de mesurer leur évolution dans le temps long de l'instruction ; d'autre part, les réunions d'information régulières à la fois individuelles et collectives des parties civiles qui sont nombreuses dans ce type de contentieux. Cet entretien éclaire aussi une pratique professionnelle méconnue : le partage d'information au sein de la juridiction à travers la co-saisine quasi-systématique et les échanges réguliers avec les autres services concernés.In this interview, anti-terrorist investigating judge E. Robinson talks about the hybrid dimension of Islamist terror cases. On the one hand, the interrogations of the people charged in these cases, who are from very diverse backgrounds, allow the judge to measure their evolution over the long period of the investigation; on the other hand, the regular meetings held both individually and with groups of victims to keep them informed, which are numerous in this type of case. This interview also throws some light on a little-known professional practice: the sharing of information within the court through the virtually systematic assigning of cases to two investigating judges and regular exchanges with other services involved.
- « Quelque chose de plus grand que nous » : À propos de "Janvier 2015 - Le procès" de Yannick Haenel et François Boucq (Charlie Hebdo - Les Échappés, 2020) - Sandra Travers de Faultrier p. 373-376
- « Du dessin d'audience en particulier… et en général » : À propos de "Janvier 2015 - Le procès" de Yannick Haenel et François Boucq (Charlie Hebdo - Les Échappés, 2020) - Dominique Brunet p. 377-381
- Justice pénale internationale : le cas du Tribunal spécial pour le Liban - Pascal Plas p. 335-349