Contenu du sommaire : Le bonheur nordique
Revue | Nordiques |
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Numéro | no 41, automne 2021 |
Titre du numéro | Le bonheur nordique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Yohann Aucante, Harri Veivo, Katerina Kesa, Aymeric Pantet
Dossier : Le bonheur nordique
- Til árs ok friðar : Le roi et le bonheur du peuple dans la Scandinavie médiévale - Simon Lebouteiller Dans les sources scandinaves des XIIᵉ et XIIIᵉ siècles, l'influence d'un souverain sur la prospérité est un thème fréquemment employé pour caractériser un règne. De manière schématique, un roi considéré comme juste et légitime a un effet bénéfique sur l'ordre cosmologique, le temps et les récoltes, tandis qu'un souverain jugé négativement apporte désordre, pénuries et calamités. Ce motif venait renforcer divers critères permettant d'évaluer la capacité du souverain à apporter le bonheur à ses sujets. Dans cet article, nous replaçons cette question dans le temps long et examinons comment le rôle du roi dans l'instauration de la prospérité a évolué durant la période médiévale. Les débats historiographiques ont d'abord associé ces attributs aux croyances païennes les plus anciennes. Mais la christianisation de la région ne paraît pas avoir provoqué une disparition de ces idées et a davantage amené à leur actualisation dans le nouveau contexte religieux. Nous mettons de la sorte en évidence les procédés d'adaptation auxquels ces représentations ont été soumises, ainsi que les mutations des structures et des idéologies politiques qui les accompagnent à l'époque médiévale.In twelfth- and thirteenth-century Scandinavian sources, the influence of rulers on prosperity is a common theme that was used to characterize a reign. Broadly speaking, a king who is seen as just and legitimate has a beneficial effect on the cosmological order, weather and harvests, while a ruler who is negatively judged brings disorder, shortage and calamity. This motif reinforced various criteria for assessing the sovereign's capacity to bring abundance to his subjects. In this article, we examine how the role of the king towards prosperity evolved during the medieval period. Historiographical debates have first associated these attributes with the oldest pagan beliefs. But the christianization of Scandinavia did not cause a disappearance of these ideas and rather led to their actualization in the new religious context. Thus, we highlight how these representations were adapted and how they followed the changes in political structures and ideologies in the Middle Ages.
- Pouvait-on être heureux dans la Finlande des années 1920 ? Une enquête micro-historique - Maurice Carrez À Somero, commune du Sud-Häme, aux confins du département de Turku, plus de 160 personnes trouvèrent la mort lors de la guerre civile de 1918 et des mois qui suivirent. Les familles endeuillées n'eurent pas toujours le loisir d'honorer leurs défunts et furent contraintes de vivre durant des décennies aux côtés des responsables de certains massacres. Peut-on dans ces conditions être heureux ? Sans doute pas. Néanmoins, bien que la question du bonheur soit éminemment subjective, l'historien peut essayer de réfléchir à cette question à partir non seulement de témoignages postérieurs, mais également de sources administratives ou judiciaires qui laissent entrevoir des situations douloureuses et des abus manifestes. Cette contribution a ainsi pour but de montrer que, pour traiter d'une notion aussi délicate à cerner, le chercheur a suffisamment de ressources pour apporter un éclairage intéressant.In Somero, a municipality in southern Häme, on the borders of Turku County, about 160 people died during the civil war of 1918 and the months that followed. The bereaved families did not always have the opportunity to honour their dead and were forced to live for decades alongside those responsible for certain massacres. Is it possible to live happily under these conditions? Probably not. The historian, however, although the question of happiness is eminently subjective, can try to reflect on this question not only from later testimonies, but also from administrative or judicial sources that reveal painful situations and obvious abuses. This modest contribution thus aims to show that, in order to deal with such a delicate notion, the researcher has enough resources to shed interesting light.
- Une « école du bonheur » en Suède ? Reflets médiatiques d'une utopie, entre projections et fantasmes - Piero Colla L'article se penche sur la manière dont la topique du « bonheur à l'école » a dominé, à partir du milieu du XXe siècle, le regard français sur le système d'enseignement suédois et une prétendue culture suédoise du rapport à l'enfance. En s'inscrivant dans une histoire sociale du transfert culturel, l'auteur interroge en parallèle l'action déployée par les pourvoyeurs et par les récepteurs d'un paradigme moral. Les corpus interrogés sont les reportages et flashes d'information que la télévision française a consacrés à la situation en Suède à partir des années 1960 et les fonds documentaires des appareils suédois de diplomatie culturelle qui ont tout à la fois nourri et orienté idéologiquement le message des médias. Au cours des années 1960, le reportage sur l'école suédoise s'est établi comme un genre narratif en soi, animé par des lieux (le laboratoire de mécanique, la cuisine), des enjeux récurrents (la place de l'éducation sexuelle dans les curricula) et un questionnement de fond : la question de savoir si la réorganisation de l'enseignement autour des nécessités psychologiques et sociales des enfants a bénéficié à leur épanouissement intérieur, à leur « bonheur ». Dans l'ombre de mai 68, cette problématique se fond avec l'agenda de la présidence Pompidou – alors qu'elle permet aux autorités (scolaires et diplomatiques) suédoises de présenter leurs projets les plus récents sous les dehors d'une utopie prête à l'exportation : une école moderne et flexible pour la société post-industrielle. L'analyse de la programmation plus récente – dans un paysage médiatique bien plus diversifié – atteste de la ténacité de l'investissement utopique de l'école suédoise, mais aussi, à partir de 2012, du retournement du mythe vers son opposé, avec un jeu de miroirs entre les attentes déçues des observateurs français et les échos des classements internationaux des prestations des élèves, qui ont assimilé l'évolution libérale du système scolaire suédois à la trahison de ses anciennes promesses égalitaires.This article examines the way in which – from the mid-twentieth century onward – the theme of “happiness at school” dominated the French view of the Swedish educational system and a supposedly Swedish culture of relations to childhood. Drawing on a social history of cultural transfer, the author examines in parallel the actions taken by “providers” and “recipients” of a moral paradigm. The corpus examined is divided into two parts: on the one hand, the reports and news flashes that French television devoted to the situation in Sweden from the 1960s onwards, and, on the other hand, the archives of the Swedish cultural diplomacy apparatus, which both nourished and gave ideological shape to the media message. During the 1960s, the report on Swedish schools established itself as a narrative genre in its own right, animated by places (the mechanics laboratory, the kitchen), recurring issues (the place of sex education in the curricula) and a fundamental question: whether the reorganisation of education around the psychological and social needs of children benefitted their self-fulfilment, their “happiness”. In the shadow of May 1968 in France, this issue merges with the agenda of the presidency of Georges Pompidou – while it allows the Swedish school and diplomatic authorities to present their most recent projects in the light of an export-ready utopia: a modern and flexible school for the post-industrial era. An analysis of more recent programming – in a much more multifaceted media landscape – attests to the persistence of the utopian investment in the Swedish school, and also, from 2012 onwards, to the reversal of the myth towards its opposite. The disenchantment of French observers was then supported by the echoes of international rankings of student performance, which identified the commodification of the Swedish school system as a betrayal of its former egalitarian promises.
- Happy moderation – Serge de Chessin's promotion of Sweden in France as a counter image to bolchevik Russia - Peter G. Stadius L'auteur et journaliste franco-russe Serge de Chessin a apporté l'une des plus importantes contributions à une image positive de la Suède et de la Scandinavie au cours des années 1920 et 1930. Son travail cadre avec un discours sur des nations scandinaves heureuses mais présente quelques spécificités par rapport à d'autres contributions comparables. L'œuvre majeure de Chessin, Les Clefs de la Suède (1935), est une représentation dithyrambique de la Suède au travers d'un prisme conservateur. La Suède y est décrite comme une société harmonieuse, reposant sur un respect mutuel entre classes sociales, et où la population conserve un intérêt pour le passé national, tout en se tournant vers la vie moderne. L'image des Suédois comme des premiers de la classe, non-exempte d'eugénisme, est un poncif, tout comme la rhétorique antibolchevique continue et acerbe de Chessin. Dans les écrits de Chessin, la Suède est devenue une référence démontrant l'absorption réussie d'une forme douce de démocratisation dans une modernité et une société de masse en germe pendant l'entre-deux-guerres.The French-Russian journalist and author Serge de Chessin is one of the important contributors to the promotion of a positive image of Sweden and Scandinavia in the 1920s and 1930s. His work aligns with the discourse of happy Scandinavian nations, but has some specific features in comparison with others. Chessin's major work on Sweden, Les clefs de la Suède (1935), is an apologetic depiction of Sweden from a conservative angle. Sweden is presented as a harmonious society based on mutual class respect where the people has a sense for the nation's past while committing to modern life. The image of the Swedes as top of the class in a eugenic sense is a recurring theme, as well as Chessin's continuous and fierce anti-bolshevik rhetoric. In Chessin's work, Sweden becomes a model for how a not too radical form of a democratization is possible in a mass society and modernity project during the inter-war era.
- Le « bonheur danois » : entre satisfactions au travail et sentiment de sécurité - Xavier Chatron-Colliet En partant des divers indicateurs de bonheur et de satisfaction au travail au Danemark, l'article s'intéresse à l'intégration sociale et à la relation complexe d'interaction qui peut exister entre la présence de satisfactions au travail et le sentiment de sécurité découlant de la possession d'un emploi. L'existence d'un lien de participation organique solide, même en régime d'attachement citoyen, contribue ainsi à la mise en place d'un cercle vertueux de bonheur. Les sources de satisfactions au travail sont importantes au Danemark tandis que la sécurité permise par l'emploi apparaît comme une source multifactorielle de bien-être subjectif. Cela, même en situation d'étiolement des dispositifs sécurisants, à l'aune des politiques néolibérales de restructuration du marché du travail et du modèle de flexisécurité. L'article montre ainsi que le sentiment subjectif de sécurité face au marché semble jouer un rôle relativement plus important que la protection objective de l'emploi. Une explication plausible serait l'existence d'un contrat social particulier liant l'État, les entreprises et les travailleurs.The article examines several happiness and job satisfaction indexes in Denmark to fathom social integration and the complex interaction that can exist between job satisfactions, perceived job security and social security deriving from employment. The existence of a solid organic social bond – even in a society where the citizenship bond prevails – contributes to create a “self-reinforcing feedback loop” of happiness. Job satisfaction sources are important in Denmark. Furthermore, social and job security are a multifactorial source of subjective wellbeing – even when this security weakened through neoliberal policies of job market and flexicurity restructuration. The article thus shows that the subjective feeling of security and perceived job security are more important for Danes than the objective situation of employment protection. One plausible explanation could stem from a social contract between the State, firms, and workers.
- Til árs ok friðar : Le roi et le bonheur du peuple dans la Scandinavie médiévale - Simon Lebouteiller
Varia
- L'établissement d'un centre-ville sans voiture à Oslo, ou l'européanisation de la capitale norvégienne - Grégoire Tortosa L'établissement d'un centre-ville sans voiture à Oslo semble illustrer, de prime abord, l'engagement remarquable de la capitale norvégienne en faveur de la protection de l'environnement et de la lutte contre les émissions de CO2 et le réchauffement climatique, révélant, une nouvelle fois, une certaine exemplarité nordique en matière d'écologie urbaine. Or, une fois analysées, les raisons profondes qui guident ce projet, comme ses déclinaisons opérationnelles sur l'espace public, apparaissent très éloignées des préoccupations environnementales. L'éviction de la voiture du centre-ville ne serait qu'un moyen pour la municipalité de s'européaniser, c'est-à-dire d'adopter les codes de l'urbanité de l'Europe « continentale » pour stimuler son intégration européenne et dépasser sa périphéricité.The implementation of a car-free city center in Oslo seems to reflect, at first sight, the remarkable commitment of the Norwegian capital to the preservation of the environment and the fight against climate change and CO2 emissions, thereby highlighting once again a kind of Nordic exemplarity in terms of urban ecology. However, once analysed, the underlying motives of the project, as well as its operational applications on public space, appear to be far remote from environmental concerns. Phasing cars out of the city-center turns out to only be a mean for the Europeanisation of the capital —adopting the urban codes of “Continental” Europe in order for Oslo to reach beyond its peripherality and fuel its European integration.
- « First New Society » - Saisir le nationalisme islandais - Lionel Cordier Cet article se propose de décrire et analyser les mécanismes discursifs du nationalisme islandais contemporain et ses expressions les plus emblématiques de ces dernières années à travers les référendums IceSave, le mouvement InDefence, et les appels à un retour aux valeurs traditionnelles islandaises suite à la crise économique de 2008. Le nationalisme islandais possède en effet un certain nombre de caractéristiques qui le distinguent fortement de ses autres voisins nordiques : le caractère insulaire de l'Islande, sa position historique en périphérie de l'Europe, sa taille et sa dépendance passée et présente à d'autres grandes puissances occidentales. Ces spécificités aident à comprendre l'attachement marqué des Islandais à leur pays, mais aussi la faiblesse politique d'organisations politiques d'extrême-droite au sein du paysage partisan insulaire.This article aims to describe and analyze the discursive mechanics of contemporanean Icelandic nationalism and its latest most emblematic expressions of these recent years, like the IceSave referendums, the InDefence movement, and calls for a return to traditional Icelandic values following the economic crisis of 2008. Icelandic nationalism indeed possesses a number of characteristics which strongly distinguish it from its Nordic neighbors: the insular character of Iceland, its historical position in the outskirts of Europe, its size and its past and present dependence on great Western powers. These specificities help to understand the strong attachment of Icelanders to their country but also the political weakness of far-right political organizations within the partisan landscape.
- Le système minimaliste de critique sociale de Roy Andersson - Aymeric Pantet Analysant la Trilogie des vivants et Pour l'éternité de Roy Andersson, cet article propose un tour d'horizon sur l'état de la recherche au sujet de cet auteur de cinéma nordique et une exploration de ses principes cinématographiques — qu'il appelle « l'image complexe » — pour expliciter son ancrage dans une esthétique minimaliste spécifique à la constellation cinématographique nordique contemporaine. Cela permet de mettre en valeur le système filmique du cinéaste en tant qu'il établit une fonction de critique sociale propre au cinéma. Cette dernière est montrée comme se développant autour de la reconnaissance comme idéal normatif et une dénonciation de la réification de la société suédoise moderne. Ces notions, comprises à l'aune de la philosophie sociale, soulignent l'articulation que l'œuvre d'Andersson fait entre une empathie émergeant d'un onirisme trivial ou une culpabilité existentielle et une contemplation désengagée du monde et d'autrui.Examining Roy Andersson's Trilogy of the Living and About Endlessness, this paper provides an overview of the state of research about this Nordic film auteur and an exploration of his cinematic principles – what he calls the "complex image" – to underline his anchoring in a minimalist aesthetic specific to the contemporary Nordic film constellation. This makes it possible to highlight the filmmaker's filmic system insofar as it establishes a function of social criticism specific to cinema. The latter is shown to hinge on recognition as a normative ideal and a denunciation of the reification of modern Swedish society. These notions, understood in the light of social philosophy, underline the articulation that Andersson's work makes between an empathy emerging from a trivial dreaminessor an existential guilt and a disengaged contemplation of the world and of others.
- L'établissement d'un centre-ville sans voiture à Oslo, ou l'européanisation de la capitale norvégienne - Grégoire Tortosa
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