Contenu du sommaire : Pluralité et tolérance religieuses en Asie de l'Est
Revue | Extrême-Orient, Extrême-Occident |
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Numéro | no 45, 2022 |
Titre du numéro | Pluralité et tolérance religieuses en Asie de l'Est |
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- Pluralité et tolérance religieuses en Asie de l'Est : comment les comprendre ? - Daeyeol Kim p. 5-14
Partie I. Penser une diversité à plusieurs facettes
- Historiens et anthropologues repensent la diversité religieuse en Chine - Vincent Goossaert p. 15-34 La société chinoise est reconnue par les spécialistes de la diversité religieuse comme un cas remarquable de diversité ancienne et toujours très vivace. Pourtant, les travaux de sciences sociales portant sur la diversité religieuse en Chine appliquent largement des théories développées en Occident. Cet article présente l'état actuel des modèles et théories dans lesquelles est étudié le pluralisme religieux chinois et propose d'esquisser les développements les plus prometteurs qui rendent pleinement compte de la diversité religieuse réelle sur le terrain. Il développe notamment deux outils analytiques : les quatre dimensions de la société et les cadres liturgiques. Il montre ensuite que ces outils mettent en relief la forte propension de la société chinoise à la division régulée du travail religieux.Chinese society is recognized by scholars of religious diversity as a remarkable case of ancient diversity which is still very much alive. However, research in the social-sciences on religious diversity in China largely applies theories developed in the West. This article presents the current state of the models and theories in which Chinese religious pluralism is studied, and outlines the most promising developments that fully account for actual religious diversity on the ground. In particular, it develops two analytical tools: the four dimensions of society and liturgical frameworks. It then shows that these tools highlight Chinese society's stong propensity for a regulated division of religious labor.
- Ancêtre, dieu et « bodhisattva » : Hachiman ou la pluralité religieuse personnifiée - François Macé p. 35-76 À première vue, l'évolution des relations entre dieux autochtones et bouddhas paraît relativement simple : existence séparée, coexistence sans fusion, fusion, séparation tranchée et enfin coexistence pacifique. Cet article entend montrer, à partir d'un exemple précis, que la réalité était beaucoup plus complexe. La fusion, tout en ayant été précoce, ne fut jamais complète. Le dieu Hachiman apparaît, dès l'origine, fortement lié au bouddhisme et fut rapidement considéré comme un bodhisattva. Pourtant, son sanctuaire d'Iwashimizu est devenu le second des vingt-deux sanctuaires shintō les plus importants du pays. Par ailleurs, son assimilation à l'empereur Ōjin en fit un ancêtre impérial au même titre que la grande déesse Amaterasu. Le « grand bodhisattva » Hachiman fut aussi considéré comme la divinité tutélaire des guerriers. À travers l'étude des transformations successives d'un des plus bouddhéïsés des dieux indigènes, nous montrons que ceux-ci n'ont jamais perdu une part de leur divinité particulière.At first glance, the evolution of the relationship between local gods and Buddhas seems relatively simple: from separate existence, to coexistence without fusion, to fusion, clear-cut separation and finally peaceful coexistence. This article intends to show, from a specific example, that the reality was much more complex. The fusion, though it began early on, was never complete. The god Hachiman appears, from the beginning, strongly linked to Buddhism to the point of being quickly considered a bodhisattva. However, his sanctuary of Iwashimizu has become the second of the twenty-two most important Shintō shrines in the country. On the other hand, his assimilation to the Emperor Ōjin made Hachiman an imperial ancestor in the same way as the great goddess Amaterasu. The “great bodhisattva” Hachiman was also considered the tutelary divinity of warriors. Through studying the successive transformations of one of the most “Buddhicized” of the indigenous gods, we show that these god never lost any of their particular divinity.
- Historiens et anthropologues repensent la diversité religieuse en Chine - Vincent Goossaert p. 15-34
Partie II. Un patrimoine religieux composite ou comment négocier l'harmonie
- Religious Identity and Contemporary Ritual Practices of the Cham Ahiér in Vietnam - Mai Bui Dieu Linh p. 77-118 Cet article est consacré à l'identité religieuse et aux pratiques rituelles contemporaines des Cham Ahiér du centre-sud du Vietnam (provinces de Bình Thuận et Ninh Thuận). La compréhension contemporaine de l'identité Cham découle d'un certain nombre d'ouvrages novateurs publiés par des érudits coloniaux français. Cependant, la réflexion passée sur le rôle central des religions « indianisées » (hindouisme et bouddhisme) dans la formation des croyances et pratiques religieuses des Chams a été récemment remise en cause par des publications consacrées à la croissance des pratiques islamiques au cours du deuxième millénaire de notre ère. Bien que la communauté Cham contemporaine soit divisée en groupes qui ont hérité de ces différentes traditions religieuses, les Chams du centre-sud maintiennent un niveau relativement élevé de cohérence ethnique et culturelle grâce à une référence au concept de dualisme cosmologique Ahiér-Awal qui est fortement promu par les intellectuels Cham eux-mêmes. Ce concept dualiste permet de transcender les conflits religieux entre les communautés des Chams dits « hindouistes » et ceux dits « musulmans ». Cet article décrit les complexités actuelles de l'identité religieuse des Chams Ahiér à travers une analyse de leurs pratiques rituelles. Il aborde la communauté des Chams Ahiér et ses pratiques religieuses dans le contexte plus large du milieu religieux afin d'expliquer comment différentes sources de traditions religieuses ont été appropriées et entrelacées, tout en pointant les tensions existant dans ce processus.This article is devoted to the religious identity and ritual practices of the contemporary Cham Ahier of south-central Vietnam (Bình Thuận and Ninh Thuận provinces). Contemporary understanding of Cham identity was derived from a number of groundbreaking works published by French colonial scholars. However, past thinking about the central role of “Indianized” religions (Hinduism and Buddhism) in the formation of Cham religious beliefs and practices was challenged by more recent publications focused on the growth of Islamic practices in the second millennium CE. Although the contemporary Cham community is divided into different groups that inherited these historic religious differences, the south-central Cham maintain a relatively high level of ethnic and cultural coherence through a reference to the concept of Ahier-Awal cosmological dualism, one which is heavily promoted by Cham intellectuals. This dualist concept helps transcend the religious conflicts between the Cham Ahier (“Cham Hindu”) and Cham Awal (“Cham Muslim”). This article describes the complexities of Cham Ahier religious identity through an analysis of their ritual practices. It approaches the Cham Ahier community and its religious practices within the broader context of the religious milieu, explaining how different sources of religious traditions were appropriated and intertwined, while, at the same time, acknowledging that there were also tensions involved in this process.
- Au-delà des Trois Enseignements : La pluralité religieuse et la religion Ch'ŏndogyo en Corée au début du xxe siècle - Carl Young p. 119-146 Établi en décembre 1905, le Ch'ŏndogyo (Enseignement de la Voie Céleste) est une continuation et une modernisation du mouvement Tonghak (Savoir oriental). Son Pyŏng-hŭi, le patriarche du Tonghak, renomma et réorganisa sa religion afin de resserrer son autorité sur le mouvement après plusieurs années d'absence de la Corée. L'essentiel de cette réorganisation initiale du Ch'ŏndogyo se produisit pendant les années menant à l'annexion japonaise de la Corée en août 1910, une période de bouleversements sociaux, économiques et politiques. Le Ch'ŏndogyo devait assurer sa continuité avec le Tonghak tout en créant une nouvelle identité pour l'ère moderne. La réponse du Ch'ŏndogyo consista à maintenir la conception du Tonghak comme religion « orientale » en harmonie avec les Trois Enseignements (bouddhisme, confucianisme et taoïsme), tout en soulignant un contraste net avec le christianisme venu d'Occident. Toutefois, le Ch'ŏndogyo se présentait aussi comme une sorte de mise à jour de la tradition, ouverte à la modernité, la technologie et aux nouveaux courants éducatifs. En se voulant une religion nationale et nationaliste, il dépassa les Trois Enseignements et devint un mouvement spécifiquement coréen, adapté aux évolutions profondes que subissait la péninsule coréenne. Le Ch'ŏndogyo devint ainsi un nouvel acteur dynamique au sein de la pluralité religieuse coréenne.Ch'ŏndogyo (Religion of the Heavenly Way) is a continuation and modernization of the earlier Tonghak (Eastern Learning) movement and was established in December 1905. Son Pyŏng-hŭi, the Tonghak patriarch, renamed and reorganized his religion to reassert his authority over the movement after several years away from Korea. Much of Ch'ŏndogyo's early organization occurred during the years that eventually led to the Japanese annexation of Korea in August 1910, a period of intense social, economic and political change. Ch'ŏndogyo was faced with the issus of continuing from Tonghak while also forging a new identity for the modern age. Ch'ŏndogyo continued Tonghak's stress on being an “Eastern” religion, in harmony with the Three Teachings (Buddhism, Confucianism, and Daoism), in contrast to Christianity coming from the West. However, it also stressed its openness to modernity, technology, and new educational trends and attempted to combine this with earlier tradition. It also presented itself as a national and nationalist religion, and by so doing, it went beyond the Three Teachings, becoming a specifically Korean doctrine adapted to the deep changes affecting the Korean nation. It thereby became a new dynamic actor in Korea's religious plurality.
- Religious Identity and Contemporary Ritual Practices of the Cham Ahiér in Vietnam - Mai Bui Dieu Linh p. 77-118
Partie III. Identité religieuse et hiérarchie interne
- « Dix mille courants, une seule racine » : Le syncrétisme de Deguchi Onisaburō dans la première moitié du xxe siècle - Édouard L'Hérisson p. 147-176 À travers un jeu d'échelles croisant les niveaux microscopique et mésoscopique, le présent article met en lumière la construction de la doctrine syncrétique de Deguchi Onisaburō, le cofondateur du nouveau mouvement religieux Ōmoto, au cours des années 1920. Il s'emploie avant tout à saisir les enjeux et les limites de ce syncrétisme en contexte impérial. En effet, malgré une ambition universelle et la constitution d'un réseau transnational fondé sur l'idée d'harmonie religieuse internationale, le discours syncrétique du leader ne s'en appuie pas moins sur un postulat particulariste qui place le Japon au sommet de la hiérarchie mondiale et souligne le statut de messie universel du cofondateur détenteur de la vérité divine transmise par les divinités shintō. Le credo d'Ōmoto apparaît dès lors comme un syncrétisme stratégique agissant tel un véritable colonialisme spirituel à même de soutenir l'entreprise impérialiste du Japon moderne.Bridging an analysis at both microscopic and mesoscopic scales, this article sheds light on the construction of the syncretic doctrine of Deguchi Onisaburō—co-founder of the new religious movement Ōmoto— in the 1920s. It explores the issues and limits of this syncretism in an imperial context. Despite a universal ambition and the constitution of a transnational network based on the idea of international religious harmony, the leader's syncretic discourse was nonetheless based on a particularist postulate that placed Japan at the top of the world hierarchy and emphasized the universal messiah status of the co-founder, holder of the divine truth transmitted by the Shintō deities. Ōmoto's creed thus appears as a strategic syncretism acting as a veritable spiritual colonialism capable of supporting the imperialist enterprise of modern Japan.
- Communalisation religieuse et pluralité nationale : L'accueil des migrants par les Églises protestantes en Corée du Sud - Hui-yeon Kim p. 177-202 En Corée du Sud, le nombre croissant de migrants n'entraîne pas forcément une pluralité religieuse. La présence de ces étrangers incite, en revanche, les Églises protestantes à ajuster leur pratique religieuse en accueillant des migrants dans des communautés de différentes nationalités créées en leur sein. Une communalisation religieuse semble avoir lieu entre les fidèles coréens et ces étrangers, grâce au partage supposément égalitaire de la même foi. Cependant, la confrontation des différences suscite également l'affirmation d'une identité ethnique de la part des Coréens comme des migrants étrangers en provoquant une ethnicisation réciproque. Cet article analyse ces processus à travers l'étude du cas de l'Église presbytérienne Onnuri afin de mieux comprendre comment les membres nationaux et étrangers de cette Église se les approprient.In South Korea, the growing number of migrants does not necessarily lead to religious plurality. The presence of these foreigners, on the other hand, encourages Protestant churches to adjust their religious practice by welcoming migrants in communities of different nationalities created within these churches. A religious communalization seems to take place between the Korean faithful and these foreigners, as they share the same faith on an equal basis. Yet the confrontation of differences also arouses the affirmation of an “ethnic identity” on the part of Koreans as well as migrants by provoking “mutual ethnicization.” This article analyzes these different processes through the case study of the Onnuri Presbyterian Church in order to better understand how domestic and foreign members of this Church appropriate them.
- « Dix mille courants, une seule racine » : Le syncrétisme de Deguchi Onisaburō dans la première moitié du xxe siècle - Édouard L'Hérisson p. 147-176
Regard extérieur
- Vérité théologique et pluralité religieuse : Retour sur la construction occidentale du pluralisme - Philippe Portier p. 203-217