Contenu du sommaire
Revue | Futuribles |
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Numéro | no 449, juillet-août 2022 |
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- Trois défis français - Hugues de Jouvenel p. 3-4
- Pour un système de santé français intégré - Philippe El Saïr, Émilie Lebée-Thomas, Antoine Malone p. 5-24 Plus de deux ans de pandémie de Covid ont grandement éprouvé les systèmes de santé de la plupart des pays du monde. En France, si le personnel a fait face, c'est au prix d'un épuisement physique et moral des soignants, qui appellent régulièrement à une refonte du système. À l'échelle locale, la pénurie de praticiens et le développement des déserts médicaux sont régulièrement évoqués parmi les principales préoccupations des citoyens. À n'en pas douter la réforme du système de santé français devrait figurer en bonne place dans les enjeux du quinquennat qui vient de commencer. Pour alimenter les réflexions sur ce sujet, cet article de Philippe El Saïr, Émilie Lebée-Thomas et Antoine Malone propose une piste nouvelle consistant à mettre en place un système intégré optimisant l'offre de soins et les dépenses afférentes à des échelles territoriales spécifiques.Les auteurs, tous praticiens hospitaliers de haut niveau, se fondent ici sur un modèle de coopération actuellement en cours d'expérimentation dans cinq territoires français, s'inspirant d'expériences en vigueur dans d'autres pays. Au cœur du projet figurent quatre objectifs : meilleure prise en charge des patients, meilleure santé de la population concernée, meilleur emploi des ressources budgétaires, enfin, meilleures conditions de travail des soignants. Après avoir rappelé ce que recouvre la notion d'intégration de l'offre de santé et présenté les modèles ayant déjà fait leurs preuves, de manière soit verticale (Kaiser Permanente en Californie, National Health System anglais), soit horizontale (Gesundes Kinzigtal en Allemagne, organisations de soins responsables [ACO] aux États-Unis, Intégreo en Belgique), les auteurs montrent comment on pourrait mettre en place une telle intégration au sein du système de santé en France. Partant des expériences pionnières, ils précisent l'échelle territoriale optimale, les freins à lever et les atouts à mobiliser, ainsi que les prérequis pour une généralisation d'un modèle intégré à l'échelle nationale. S.D.More than two years of Covid pandemic have greatly tested the health systems of most countries in the world. Though health-sector personnel in France withstood that test, they did so at a cost of physical and moral exhaustion and they have called regularly for the system to be remodelled. On the local scale, the shortage of practitioners and the development of ‘medical deserts' are regularly mentioned as being among citizens' main concerns. There is no doubt that the reform of the French health system should have a prominent place among the issues of the five-year presidential term that has just begun. To help fuel thinking on this subject, this article by Philippe El Saïr, Émilie Lebée-Thomas and Antoine Malone proposes a new pathway that consists in establishing an integrated system optimizing the supply of care and the expenses incurred at specific territorial levels.The authors, all of them high-level hospital practitioners, base their proposal on a mode of cooperation that is already being trialled in five French areas, which draws on exercises already under way in other countries. There are four objectives at the heart of the project: better patient care, better health among the target population; better use of budgetary resources; and, lastly, better working conditions for healthcare personnel. The authors first remind us what is meant by the notion of integrated health care and outline the models that have already proved effective either vertically (Kaiser Permanente in California, the National Health Service in Britain) or horizontally (Gesundes Kinzigtal in Germany, Accountable Care Organizations in the USA, Intégreo in Belgium), before showing how such integration could be achieved within the French health system. Building on these pioneering experiments, they specify the optimal territorial scale, the obstacles to be overcome and the assets to be mobilized, as well as the necessary prerequisites for the roll-out of an integrated model at the national level.
- Le bâtiment à l'horizon 2050 - Albane Gaspard, Jean-Christophe Visier p. 25-41 Face à l'urgence climatique et au renforcement des ambitions européennes en matière de neutralité carbone, plusieurs exercices de prospective ont été entrepris ces dernières années pour nourrir le débat relatif à la stratégie de transition écologique à mettre en œuvre pour décarboner la France. Parmi eux, rappelons celui de l'ADEME (Agence de la transition écologique), Transition(s) 2050, présenté dans notre précédent numéro2 et sur lequel s'appuie notamment le travail prospectif sur le bâtiment présenté ici par Albane Gaspard et Jean-Christophe Visier.Le secteur résidentiel et tertiaire est à l'origine d'un peu plus de 20 % des émissions de gaz à effet de serre de la France (en 2019) ; sa part baisse depuis une trentaine d'années grâce aux efforts d'efficacité énergétique et de rénovation, mais ce secteur demeure stratégique pour la transition écologique. Dans ce contexte, quelles sont les perspectives d'avenir du bâtiment à l'horizon 2050 ? C'est à cette question qu'entend répondre le travail prospectif « Imaginons ensemble les bâtiments de demain », dont cet article présente la méthodologie, les principaux enseignements et les quatre scénarios élaborés (« Difficile de tout faire », « Rééquilibrage[s] », « Bâtiment comme service » et « Pénuries »). Mêlant prospective exploratoire et normative, qualitative et quantitative, ces travaux explorent les multiples facettes de la transition pour le bâtiment et l'immobilier, et montrent combien la part que pourrait prendre le secteur du bâtiment dans la transition dépendra de la capacité des acteurs (depuis les professionnels de la filière jusqu'aux occupants des logements) à évoluer. S.D.In response to the climate emergency and to enhanced European ambitions for carbon neutrality, a number of foresight exercises have been undertaken in recent years to inform the debate on the kind of ecological transition strategy required to achieve the de-carbonization of France. Among these, we may recall the study by ADEME (the Ecological Transition Agency) entitled Transition(s) 2050, which we presented in our previous issue, on which, among other studies, the foresight work on the building industry outlined here by Albane Gaspard and Jean-Christophe Visier draws.The residential and tertiary sector is responsible for a little over 20% of greenhouse gas emissions in France (2019 figures); its share has been falling for around 30 years, thanks to renovation efforts and energy efficiency gains, but the sector remains a strategic one for ecological transition. In this context, what are the future prospects for housing and for the building industry up to 2050? It is this question which the foresight study Imaginons ensemble les bâtiments de demain [Together Let's Imagine the Buildings of Tomorrow] aims to answer and this article presents its methodology, the main lessons to be drawn, and the four scenarios that emerged from it (‘Hard to do Everything'; ‘Rebalancing(s)'; ‘Building as Service'; and ‘Shortages'). Combining exploratory and normative, qualitative and quantitative foresight, these studies explore the many facets of transition for the building and property industries and show how the part the sector might play in transition will depend on the capacity for change of all involved (from industry professionals to residential occupants).
- Idéaux, valeurs et nécessités économiques : À propos du livre d'Augustin Landier et David Thesmar, Le Prix de nos valeurs - Pierre-Yves Cusset p. 43-54 Début 2022 est paru un ouvrage qu'auraient grand intérêt à lire nos gouvernants et ceux qui les conseillent, en particulier en matière économique : Le Prix de nos valeurs. Quand nos idéaux se heurtent à nos désirs matériels, d'Augustin Landier et David Thesmar. Les auteurs s'y penchent sur le décalage manifeste entre l'opinion des économistes (qui souvent nourrit la décision publique) et celle des individus « ordinaires », animés par leurs idéaux, leurs valeurs, mais aussi leurs aspirations et contraintes matérielles, parfois contradictoires. « Les vrai[e]s gens s'avèrent fort différent[e]s de l'Homo œconomicus, ce robot froid et excellent calculateur des manuels d'économie », écrivent-ils. Cet écart pourrait expliquer la défiance croissante vis-à-vis de l'expertise et alimenterait, selon les auteurs, la montée des populismes, extrémismes ou de l'abstention, et par extension, l'affaiblissement des démocraties.Pierre-Yves Cusset a lu cet ouvrage et en résume ici les principaux enseignements, à commencer par ce décalage entre les valeurs des économistes et celles du reste du monde, illustré par de nombreux exemples concrets et particulièrement parlants (en matière de libre-échange, d'immigration, d'héritage, etc.). Puis il présente les résultats de l'enquête internationale qui sert, dans la deuxième partie du livre, à évaluer les aspirations des individus selon le coût économique des options qui leur sont proposées — permettant d'appréhender les compromis qu'ils seraient prêts à faire (ou non) entre leurs principes moraux et la réalité économique. In fine, en dépit des certitudes qui peuvent animer beaucoup d'économistes, ceux-ci n'ont pas le monopole de la bonne décision, et les citoyens sont les seuls légitimes pour faire leurs choix économiques, selon une rationalité qui leur est propre et dont il faut tenir compte. S.D.Early in 2022, a book was published that our rulers and their advisers would be well advised to read, particularly where economic matters are concerned. That book is Le Prix de nos valeurs. Quand nos idéaux se heurtent à nos désirs matériels [The Price of our Values: When our Ideals Clash with our Material Desires] by Augustin Landier and David Thesmar. The book's focus is on the clear gap between the opinions of economists (which often shape public decision-making) and the views of ‘ordinary' individuals, driven by their ideals and values, but also their aspirations and material constraints — things which are sometimes contradictory. ‘Real people turn out to be very different from Homo œconomicus, that cold automaton and consummate calculator of the economics textbooks,' they write. This gap might explain the growing distrust of expertise and might be said, the authors argue, to underlie the rise of populism, extremism or political disengagement and, by extension, the weakening of the democracies.Pierre-Yves Cusset has read the book and summarizes its main lessons here, beginning with this gap between the values of economists and those of the rest of the population, illustrated with many concrete — and particularly telling — examples (on free trade, immigration, inheritance etc.). He then presents the results of the international survey which serves, in the second part of the book, to evaluate the aspirations of individuals in terms of the economic cost of the options offered to them — enabling us to grasp the compromises they would (or would not) be prepared to make between their moral principles and economic reality. Ultimately, despite the certainties that may drive many economists, they do not have a monopoly on good decision-making, and citizens remain the only source of legitimate economic choices, operating by a rationality that is all their own and needs to be taken into account.
- Réflexions sur la productivité : Après la pandémie et la guerre en Ukraine, quelles perspectives ? - Antonin Bergeaud, Gilbert Cette, Rémy Lecat p. 55-67 Au printemps 2017, nous avons consacré un dossier spécial au ralentissement des gains de productivité et à ses conséquences sur l'évolution économique des pays concernés (n° 417). En effet, alors que le changement technologique se diffusait à grande vitesse dans tous les secteurs de l'économie, la hausse de productivité à laquelle on aurait pu s'attendre n'était pas au rendez-vous. Cinq ans plus tard, et alors que la crise de la Covid a entraîné une accélération considérable de la diffusion du numérique, ce rebond de productivité va-t-il finir par se produire ?Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat, qui avaient contribué à cette réflexion en 2017, font ici le point sur les évolutions sur longue période de la productivité et les perspectives qui pourraient découler, non seulement des conséquences induites par la crise de la Covid, mais aussi de la crise énergétique en germe suite au conflit russo-ukrainien. Après avoir rappelé le paradoxe de Solow (selon lequel la diffusion des nouvelles technologies est visible partout sauf dans les statistiques de productivité), ainsi que la très faible croissance de la productivité constatée cette dernière décennie dans les pays développés, ils soulignent le rôle joué historiquement par les précédentes crises (choc pétrolier de 1973, Grande Récession de 2009) dans ces évolutions. Puis ils présentent les interprétations qui prévalent actuellement s'agissant de l'impact des crises en cours sur l'évolution de la productivité. Ainsi la crise de la Covid, choc exogène, n'aurait pas d'impact notable sur les tendances de long terme à l'œuvre avant 2020 et pourrait même accélérer la venue du choc de productivité attendu de longue date ; en revanche, la crise énergétique liée à l'urgence de sortir de la dépendance aux énergies fossiles (précipitée par la guerre) et au défi de la transition écologique, qui constitue « un choc d'offre », nettement plus structurel, pourrait avoir un effet inverse et faire baisser la productivité, avec des conséquences macroéconomiques potentiellement très douloureuses pour un pays comme la France. S.D.In spring 2017 (Futuribles 417) we devoted a special dossier to the slowdown in productivity gains and its consequences for the economic development of the countries concerned. While technical change was spreading rapidly through all sectors of the economy, the rise in productivity that might have been expected failed to materialize. Five years later, when the Covid crisis has substantially sped up the spread of digital technology, is this leap in productivity finally going to happen?Antonin Bergeaud, Gilbert Cette and Rémy Lecat, who contributed to that thinking in 2017, take stock of long-term developments in productivity and the prospects that might arise not only from the effects of the Covid crisis but also from the energy crisis that is looming on the back of the Russia-Ukraine conflict. After reminding us of Solow's paradox (‘You can see the computer age everywhere but in the productivity statistics') and the very low levels of productivity growth registered in the developed countries in the last decade, they stress the role played historically by previous crises (the 1973 oil shock and the great recession of 2009) in these developments. They go on to present the currently prevailing interpretations on the impact of the current crises on productivity. For example, the Covid crisis, as an exogenous shock, is not expected to have any notable impact on the long-term trends that were at work before 2020, and might even hasten the arrival of the long-expected productivity shock; by contrast, the energy crisis associated with the urgent need to escape dependence on fossil fuels (a crisis precipitated by the war) and with the challenge of ecological transition, which represents a distinctly more structural ‘supply-side shock', might have an opposite effect and reduce productivity, with potentially very painful macroeconomic consequences for a country like France.
Repères
- Russie-Ukraine : scénarios à l'horizon 2025 - Marie Ségur p. 68-72 La rubrique Repères de ce numéro présente les scénarios élaborés ce printemps 2022 par l'association Futuribles International sur le conflit russo-ukrainien. Résultant d'un travail collectif toujours en cours compte tenu de la poursuite des hostilités, ces scénarios font et feront l'objet de révisions régulières au fur et à mesure de l'évolution du contexte international. S.D.The ‘Signposts' column in this issue presents scenarios on the Russo-Ukrainian conflict first developed by the Futuribles International association in the spring of 2022. These scenarios, produced by a collective endeavour which, given the continuation of hostilities, is still ongoing, are being — and will regularly be — revised as the international context changes.
- Russie-Ukraine : scénarios à l'horizon 2025 - Marie Ségur p. 68-72
Forum
- Covid, état d'urgence et libertés publiques : Les libertés qui fondent la démocratie sont-elles solubles dans la lutte contre une épidémie ? - Clément Schouler, Laurent Mucchielli p. 73-85 Voilà maintenant plus de deux ans que dure la crise sanitaire liée au Covid-19 en France, période durant laquelle des contraintes inédites ont été mises en place pour y faire face : confinement, restriction des déplacements, obligation de port d'un masque, obligation vaccinale pour certains citoyens, etc. Si l'épidémie n'a pas disparu, elle semble désormais connaître une phase moins aiguë et, malgré l'apparition régulière de nouveaux variants, la vie normale a presque repris son cours. Cependant, cette crise et les mesures (notamment d'urgence) qui ont été prises depuis deux ans par l'exécutif ont soulevé de nombreuses questions quant au respect des libertés, dans l'espace public, mais aussi au travail, dans l'accès aux loisirs, etc. Partant de ces bouleversements et des contestations qui les ont accompagnés, Futuribles a décidé de lancer une série d'articles consacrés à la problématique des libertés versus demande de protection, de surveillance, etc. La crise Covid a ouvert de nombreux débats et nous démarrons donc cette série par un forum contestant, sur le plan juridique et institutionnel, la façon dont les mesures de restriction des libertés ont été mises en place depuis 2020, mais les prochains articles de notre série ne seront pas circonscrits à ce contexte.Dans ce forum, Clément Schouler et Laurent Mucchielli estiment que depuis mars 2020, sous couvert de l'état d'urgence, c'est tout l'édifice institutionnel de garantie des libertés qui a été remis en cause, en France, par la politique sanitaire du gouvernement. Cette dernière a consisté globalement en deux politiques publiques : le confinement général puis la vaccination de masse. Et à chaque fois, les contre-pouvoirs parlementaires et judiciaires ont été gravement défaillants, affirment les auteurs, qui nous alertent ainsi sur les menaces pour la démocratie et les libertés d'un tel enchaînement de défaillances institutionnelles. S.D.It is now more than two years since the health emergency associated with Covid-19 began in France, a period in which unprecedented restrictions — lockdowns, controls on movement, obligatory mask-wearing, mandatory vaccination for some citizens etc. — were introduced to tackle it. Though the epidemic has not disappeared, it now seems to be going through a less acute phase and, despite the regular emergence of new variants, normal life has almost resumed. However, this crisis — and the measures (particularly, the emergency measures) taken over the last two years by the executive — have raised many questions about the respect for individual liberty, particularly in public space, but also at work and in access to leisure activities etc. Based on these upheavals and the protests that went with them, Futuribles has decided to launch a series of articles on the issue of freedom versus the demand for protection, surveillance etc. The Covid crisis sparked many debates and we therefore begin this series with an opinion piece contesting, at the legal and institutional levels, the way that the measures restricting freedoms have been implemented since 2020. The following articles in the series will not, however, be confined to this context.In this article, Clément Schouler and Laurent Mucchielli take the view that, since March 2020, under cover of a state of emergency, the entire institutional edifice that guarantees our liberties has been thrown into question in France by the government's health policy. That policy has essentially taken two forms: general lockdown, followed by mass vaccination. On each occasion, it is argued, countervailing parliamentary and judicial powers have been seriously deficient, and the authors warn here of the threats to democracy and freedom posed by such a litany of institutional failings.
- Vers une société de surveillance ? - Yoann Nabat p. 87-98 Comme indiqué dans l'article de Clément Schouler et Laurent Mucchielli consacré aux libertés publiques dans le contexte d'état d'urgence récurrent en France depuis 2015, publié dans ce numéro, la revue Futuribles lance une série autour de la problématique des libertés versus demande de protection, de surveillance de la population. Dans ce forum, Yoann Nabat constate le renforcement croissant, ces dernières années, des dispositifs sécuritaires en France et s'interroge sur la dynamique à l'œuvre : ces dispositifs répondent-ils à une demande des citoyens ou, inversement, les aspirations sécuritaires des Français sont-elles le fruit d'un discours sécuritaire plus marqué ?Face à l'extension des pouvoirs conférés aux forces de l'ordre et à la collecte de multiples données en tous genres, court-on le risque de dériver vers une société de surveillance généralisée ? Cette question se trouve, selon Yoann Nabat, « au carrefour de trois influences politiques […] : les impératifs sécuritaires, l'environnement néolibéral et le courant techno-enthousiaste », qu'il s'attache à décrypter. Il alerte sur les conséquences potentielles, pour les libertés individuelles et collectives, d'une généralisation de la surveillance par la donnée, en particulier concernant le modèle pénal (remise en cause des principes du droit pénal), le contrôle des individus (frontière entre connaissance et contrôle, invisibilité de la surveillance numérique…) et la démocratie (dégradation progressive du respect de la vie privée, société de vigilance…). La demande sécuritaire peut-elle avoir raison, à terme, des principes libéraux (au sens politique du terme) qui constituent le socle du contrat social depuis les Lumières ? S.D.As indicated in the article by Clément Schouler and Laurent Mucchielli on public freedoms in the context of a recurrent state of emergency in France since 2015, published in this issue, Futuribles is launching a series around the question of freedom versus the demand for the protection and surveillance of the population. In this ‘Forum', Yoann Nabat notes the increased intensification of security arrangements in France in recent years and asks what dynamic is at play: are these arrangements a response to a demand on the part of citizens or, conversely, is the French population's hankering after increased security the product of a political discourse that puts greater emphasis on that element?With the extension of the powers accorded to the forces of law and order and the collection of copious data of all kinds, are we running the risk of drifting towards a generalized surveillance society? As Yoann Nabat sees it, this question lies ‘at the point of convergence of three political influences,' which he strives to decipher: ‘security imperatives, the neo-liberal environment and a current of technophilia.' He alerts us to the potential consequences for individual and collective liberties of a generalized roll-out of data-based surveillance, particularly with regard to the penal model (a re-casting of the principles of the penal law), the control of individuals (the boundary between knowledge and control, the invisibility of digital surveillance etc.) and democracy (a gradual deterioration of respect for private life, a ‘vigilant society' etc.). Might the demand for security eventually overwhelm the liberal principles (in the political sense of the term) that have formed the basis of the social contract since the Enlightenment?
- Covid, état d'urgence et libertés publiques : Les libertés qui fondent la démocratie sont-elles solubles dans la lutte contre une épidémie ? - Clément Schouler, Laurent Mucchielli p. 73-85
Futurs d'antan
- La longue marche vers l'Union européenne : Des « États-Unis d'Europe » de Victor Hugo aux traités de Rome - Pierre Papon p. 99-108 L'entrée en guerre de la Russie en Ukraine fin février 2022 a réveillé les souvenirs douloureux d'une époque où l'Europe vivait au rythme des guerres et des dissensions entre voisins. Alors que le Vieux Continent pensait être pacifié, à la faveur de la construction de l'Union européenne et de ses élargissements successifs à la plus grande partie du continent, ce retour de la guerre sur le sol européen et aux frontières de l'Union inquiète. Il montre aussi les vulnérabilités qui demeurent dans l'Union, à la fois en matière de défense militaire et en termes de dépendance énergétique. Et sur ces deux aspects, le conflit russo-ukrainien pourrait bien inciter les pays européens à faire un pas de plus dans leur intégration politique. Une intégration politique que préconisait déjà Victor Hugo au milieu du XIXe siècle, appelant au rapprochement des pays européens dans une « unité supérieure », en matière tant économique que politique. L'écrivain français qui prônait déjà une forme de fédéralisme sera finalement suivi, deux ou trois guerres plus tard, au cours du XXe siècle, par les pères fondateurs de la Communauté européenne (Robert Schuman, Jean Monnet en particulier). C'est ce que rappelle Pierre Papon, dans ce Futur d'antan, en reprenant de larges extraits de ces discours fondateurs qui ont conduit l'Europe à se construire, à petits pas, par l'interdépendance économique ; en attendant l'étape d'une véritable intégration politique ? S.D.When Russia went to war in Ukraine in late February 2022, it reawakened painful memories of an age when Europe was regularly beset by wars and conflict between neighbours. At a time when, thanks to the construction of the European Union and its successive enlargements to most of the continent, the Old Continent believed that it was now at peace, this reappearance of war on European soil — and on the EU's border — is a worrying development. It also shows the vulnerabilities that remain within the EU, both in terms of military defence and energy dependence. With regard to these two aspects, the Russo-Ukrainian conflict might well encourage the countries of Europe to take a further step towards political integration, a move already advocated by Victor Hugo in the mid-19th century, when he called on European countries to come together in a ‘higher unity', both economically and politically. Hugo, already arguing for a form of federalism, was ultimately, two or three wars later, to find 20th-century followers in the shape of the founding fathers of the European Community (Robert Schuman and Jean Monnet in particular). This is recalled here in this ‘Future of Yesteryear' article by Pierre Papon, in which he cites long extracts from the founding speeches that led to Europe building itself, slowly and incrementally, through economic interdependence. With genuine political integration perhaps in prospect at a later stage…
- La longue marche vers l'Union européenne : Des « États-Unis d'Europe » de Victor Hugo aux traités de Rome - Pierre Papon p. 99-108
Chronique européenne
- L'Ukraine, 28e État membre ? - Jean-François Drevet p. 109-116 Il est difficile de savoir où en sera le conflit russo-ukrainien au moment où paraîtra ce numéro d'été, mais à l'heure de le boucler, il y a peu de chances que la situation soit revenue à ce qu'elle était en février 2022. Les frontières de l'Ukraine auront-elles encore bougé comparées à celles de 2014, avant l'annexion de la Crimée par la Russie ? Les troupes de Vladimir Poutine auront-elles reculé ?Mais si le président Volodymyr Zelensky est encore en place, les discussions relatives à une possible entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne conserveront toute leur actualité. Une telle perspective est-elle envisageable ? Selon quelles modalités et quel calendrier ? Dans cette chronique européenne, Jean-François Drevet remet la demande d'adhésion rapide (fast track) de l'Ukraine à l'Union en perspective, à la fois sur le plan géopolitique et sur le plan institutionnel. Il rappelle en particulier combien les processus d'adhésion sont longs et complexes (plusieurs pays des Balkans patientent dans l'antichambre de l'adhésion depuis déjà plusieurs années), et nécessitent une préparation et une négociation minutieuses entre le candidat et l'Union ; il souligne aussi le contexte très particulier lié aux ambitions et à la conception sécuritaire du voisin russe. Autant d'éléments qui ne plaident pas en faveur de ce « fast track », mais plutôt d'un renforcement de l'aide financière et matérielle à l'Ukraine dans son combat contre la Russie, avant — une fois la situation stabilisée — d'envisager la demande d'adhésion de Kiev selon le processus habituel suivi par l'Union jusqu'à présent, éventuellement précédé d'une association renforcée. S.D.It is difficult to know how things will stand with the Russo-Ukrainian conflict when this summer issue appears, but, as we go to press, it is highly unlikely that the situation will have returned to what it was in February 2022. Will the borders of Ukraine have moved again by comparison with what they were in 2014 before Russia annexed Crimea? Will Vladimir Putin's troops have retreated?But if President Volodymyr Zelensky is still in power, discussion of Ukraine's possible entry into the European Union will still be as live as it is currently. Is such a prospect imaginable? On what terms and what timescale? In this ‘European Chronicle', Jean-François Drevet puts Ukraine's fast-track request to join the Union into perspective, both in geopolitical and institutional terms. He reminds us, in particular, how accession processes are long and complex (several Balkan countries have been patiently waiting in the accession antechamber for a number of years) and require detailed preparation and negotiation between the candidate and the EU; he also stresses the very special context represented by the ambitions and security approach of Ukraine's Russian neighbour. So many elements that do not conduce toward a fast-track approach, but make it more likely that there will be increased financial and material aid to Ukraine in its fight against Russia before — once the situation has been stabilized — consideration of Kyiv's accession demand in accordance with the usual process previously followed by the EU, though possibly preceded by an intensified association period.
- L'Ukraine, 28e État membre ? - Jean-François Drevet p. 109-116
Actualités prospectives
- Idées & faits porteurs d'avenir - p. 117-128
Lu, vu, entendu
- Analyses critiques & comptes rendus - p. 129-140