Contenu du sommaire : Contrôler l'intelligence artificielle ?

Revue Réseaux (communication - technologie - société) Mir@bel
Numéro no 232-233, mars-juin 2022
Titre du numéro Contrôler l'intelligence artificielle ?
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Présentation

  • Dossier : Contrôler l'intelligence artificielle ?

    • Quatre nuances de régulation de l'intelligence artificielle : Une cartographie des conflits de définition - Bilel Benbouzid, Yannick Meneceur, Nathalie Alisa Smuha p. 29-64 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En enquêtant sur les débats autour des enjeux de la régulation de l'IA, nous avons observé que les problèmes définitionnels étaient au cœur de conflits normatifs sur les moyens d'assujettir l'IA à un « contrôle social », qu'il soit technique, éthique, juridique ou politique. En prenant comme fil rouge de l'analyse les significations variées de l'IA, cet article vise à participer à la compréhension des tensions normatives sur son contrôle. Nous proposons une cartographie des lieux, des acteurs et des approches qui donne à voir comment les débats autour du contrôle de l'IA se structurent selon quatre arènes normatives différenciées, soit : les spéculations transhumanistes sur les dangers d'une superintelligence et le problème du contrôle de son alignement aux valeurs humaines ; l'auto-responsabilisation des chercheurs développant une science entièrement consacrée à la certification technique des machines ; les dénonciations des effets néfastes des systèmes d'IA sur les droits fondamentaux et le contrôle des rééquilibrages des pouvoirs ; enfin, la régulation européenne du marché par le contrôle de la sécurité du fait des produits et service de l'IA.
      By investigating the debates around the issues of AI regulation, we found that definitional problems were at the heart of normative conflicts on the means of subjecting AI to “social control”, whether technical, ethical, legal, or political. By taking the varied significations of AI as a common thread of analysis, this article contributes to the understanding of normative tensions over its control. We propose a mapping of places, actors and approaches that shows how the debates around the control of AI are structured according to four differentiated normative arenas: transhumanist speculations on the dangers of superintelligence and the problem of controlling its alignment with human values; the self-accountability of researchers developing a science entirely devoted to the technical certification of machines; denunciations of the harmful effects of AI systems on fundamental rights and the control of power rebalancing; finally, European regulation of the market through the control of security in relation to AI products and services.
    • Les innovations d'intelligence artificielle en radiologie à l'épreuve des régulations du système de santé - Léo Mignot, Émilien Schultz p. 65-97 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La radiologie est l'un des premiers secteurs médicaux à être concerné concrètement par l'arrivée de dispositifs labellisés « intelligence artificielle » pour le traitement des images. Cette évolution, largement invisible dans la mesure où elle concerne des outils à destination des professionnels, pose la question des conditions de régulation de ces innovations, à la fois par rapport aux règles existantes du système de santé et les adaptations nécessaires pour ces nouvelles technologies. À partir d'une enquête menée à la fois auprès des radiologues, des industriels et des représentants des autorités de santé, cet article montre que cette régulation est largement déléguée aux acteurs du domaine. La régulation actuelle est alors le produit du travail normatif des radiologues, utilisateurs des dispositifs médicaux défendant les conditions de leur activité, et des industriels du secteur, qui les développent et doivent compter sur la collaboration des médecins. Le débat public et politique sur l'encadrement de l'IA dans le domaine de la santé reste en retrait des considérations pratiques rencontrées par les acteurs du secteur, qui se construisent autour des délimitations du groupe professionnel des radiologues et de la compétition entre les constructeurs historiques de dispositifs d'imagerie et les nouveaux entrants de l'innovation numérique.
      Radiology was one of the first medical sectors to be directly concerned by the arrival of devices labelled “artificial intelligence” for image processing. This evolution is largely invisible insofar as it concerns tools intended for professionals. It raises the question of the conditions of regulation of these innovations, in relation to both the existing rules of the health system and the necessary adaptations for these new technologies. Based on a survey on radiologists, the industry, and representatives of the health authorities, this article shows that this regulation is largely delegated to the players in the field. Current regulation is the product of the normative work of radiologists, who are the users of medical devices defending the conditions of their profession, and the companies that develop them and have to rely on doctors' collaboration. The public and political debate on the regulation of AI in the health field is put second to the practical considerations encountered by the stakeholders. The latter revolve around the delimitation of the radiologists' profession and the competition between the traditional manufacturers of imaging devices and the new entrants bringing in digital innovations.
    • L'agentivité algorithmique, fiction futuriste ou impératif de justice procédurale ? : Réflexions sur l'avenir du régime de responsabilité du fait de produits défectueux dans l'Union européenne - Ljupcho Grozdanovski p. 99-127 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette étude examine si un niveau élevé de protection juridictionnelle peut être garanti dans des cas de dommages résultant de décisions autonomes et opaques, prises par des systèmes de Machine Learning (ML). Analysant les moyens procéduraux offerts par la directive dite ‘produits défectueux', cette étude fait deux propositions majeures. D'abord, que pour la preuve de la responsabilité de fait (accountability), soit appliquée la logique de responsabilité pour faute, laissant aux programmeurs, utilisateurs et déployeurs de systèmes ML la possibilité de réfuter la présomption d'agentivité humaine, en démontrant que la faute pour un dommage donné doit être placée sur un algorithme ayant agi seul. Ensuite, s'agissant de la réparation d'un dommage algorithmique (liability), il est proposé que l'obligation de réparation soit attribuée suivant une logique d'acceptation de risques, pour les systèmes ML à ‘haut risque' de préjudicie, ou une logique de force majeure, pour tout dommage algorithmique non encore survenu en pratique.
      This study examines if and how a high standard of judicial protection can apply to litigants in cases dealing with harm caused by autonomous and opaque decisions made by Machine Learning (ML) systems. Based on a critical analysis of the procedural means offered by the EU's Product Liability Directive (85/374), this study makes two normative claims. First, that a fault liability (rather than a strict liability) model should govern the evidence adducing and assessment, regarding the proof of accountability in cases of AI-related harm. This model appears to be more procedurally fair given that programmers, users and developers of ML systems would have the possibility to rebut the—currently irrefutable—presumption of human agency, by proving that in causing harm, an algorithm had acted alone. Second, the study argues that, for the purpose of compensating AI-related harm, two criteria should be applied: on the one hand, for ML systems presenting so-called notorious risks of harm (i.e. types of harm that have already occurred in practice), the duty of compensation should lie with the programmer, user or deployer who accepted the risk of such harm materializing. On the other hand, cases of harm that have not yet occurred in practice could qualify as force majeure and could, therefore, be compensated through insurance schemes set up for the purpose of not leaving victims without compensation, when it is plausibly proven that such a harm was authored by an ML system without any human intervention.
    • Robots vs algorithmes : Prophétie et critique dans la représentation médiatique des controverses de l'IA - Maxime Crépel, Dominique Cardon p. 129-167 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Signée par Elon Musk, Stephen Hawking, Steve Wozniak et Noam Chomsky, une lettre ouverte publiée en 2015 alerte sur les risques existentiels auxquels l'humanité doit faire face en raison des nouveaux développements de l'IA. Elle constitue un moment clé de la réactivation d'un ensemble de ressources narratives et normatives visant à porter sur la place publique un débat critique relatif aux progrès de l'IA. Par vagues successives, les promesses et les risques de l'intelligence artificielle sont venus occuper de façon spectaculaire la discussion publique. À partir de méthode de TAL appliquée à un large corpus de la presse anglo-saxonne, cet article montre que le thème des algorithmes et de l'IA occupe un espace croissant dans la sphère médiatique depuis 5 ans. Le corpus se structure autour de deux espaces sémantiques qui constituent deux régimes dominants de critique, l'un fondé sur les injustices produites par les algorithmes et l'autre sur les peurs de l'autonomie de l'IA et des robots. L'analyse comparée de ces espaces montre qu'ils mobilisent des agents technologiques et humains, des troubles et une temporalité distincts. En développant un discours critique sur les méfaits de ces technologies, la sphère médiatique contribue à forger l'opinion publique mais aussi à définir les formes d'acceptabilité de ces agents calculateurs.
      An open letter published in 2015, signed by Elon Musk, Stephen Hawking, Steve Wozniak and Noam Chomsky, warned of the existential risks facing humanity as a result of new developments in AI. This letter constitutes a milestone in the reactivation of a set of narrative and normative resources aimed at bringing a critical debate on the progress of AI into the public arena. Successive waves of promises and warnings about artificial intelligence have occupied public debate in a spectacular way. Using NLP methods applied to a large corpus from the English-language press, this article shows that the focus on algorithms and AI has been growing steadily in the media sphere over the past five years. The corpus is structured around two semantic spaces that constitute two predominant regimes of critique, one based on the injustices produced by algorithms, and the other on fears of AI's and robots' autonomy. A comparative analysis of these spaces shows that they mobilize distinct technological and human agents, issues, and time frames. By developing a critical discourse on the damage caused by these technologies, the media sphere contributes not only to shaping public opinion but also to defining the forms of acceptability of these calculating agents.
    • Les narvals et les licornes se cachent-ils pour mourir ? : De la cybernétique, de la gouvernance et d'Element AI - Jonathan Roberge, Guillaume Dandurand, Kevin Morin, Marius Senneville p. 169-196 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'annonce de la vente de l'entreprise montréalaise Element AI à Service Now inc. à la fin de 2020 a été accueillie avec stupeur par la grande majorité des acteurs de l'écosystème québécois et canadien en intelligence artificielle. Comment avait-elle pu prétendre si rapidement au statut de narval – celui d'une entreprise canadienne ayant une capitalisation de plus d'un milliard de dollars –, être encensée par l'État, les médias et les milieux économiques pour être rachetée quelques années plus tard « pour une bouchée de pain » ? Dans cet article, le cas Element AI, c'est-à-dire autant son ascension que sa chute, est présenté comme étant idéal-typique d'une « cybernétisation du pouvoir » dans laquelle la régulation se veut facilitatrice, à distance et à même de percevoir contrôle et communication comme les deux pôles d'une unique boucle de rétroaction. Si l'émergence d'Element AI est marquée par sa recherche de « supercrédibitité », de partenariats tous azimuts et de justifications jusqu'à éthiques, sa débâcle, elle, est le signe d'un désordre et d'une désynchronisation qui n'est pas allée sans réprimandes et contredits, même de la part de l'État. Ce passage de la justification à la critique est riche d'enseignement même si, ou plutôt parce qu'il pointe en direction aujourd'hui de ce qui est un vide au sein de cet écosystème et la manière dont il peine à se projeter dans un avenir même proche.
      The sale of Montreal-based Element AI to Service Now Inc. in November 2020 took the Quebec and Canadian artificial intelligence ecosystem by surprise. How could the start-up achieve narwhal status—that of a Canadian company with a capitalization of more than a billion dollars—and be celebrated by the government, the media and the business community, only to be bought out a few years later “for a song”? In this article, we present the case of Element AI, including both its rise and its fall, as an ideal-typical “cyberization of power” in which regulation is facilitative, remote and able to perceive control and communication as two ends of a single feedback loop. While the quick emergence of Element AI is characterized by its quest for “super-credibility”, expressed through partnerships with authoritative actors and institutions, its collapse is the sign of a desynchronization which met with rebukes and contradictions, even from the government. We have much to learn from this shift from justification to criticism since it points towards a vacuum within the Montreal AI ecosystem, as well as its difficulty in projecting itself even into a near future.
    • Implications éthiques du système algorithmique et pratiques des travailleurs des plateformes de livraison de repas : Le cas de Meituan - Ke Huang p. 197-226 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir du cas d'une plateforme de livraison de repas, cet article révèle les problèmes éthiques posés par l'application des systèmes algorithmiques et étudie les actions menées par les travailleurs des plateformes adoptent afin que leurs droits soient respectés dans le contexte politique difficile de la Chine. Les matériaux utilisés sont tirés d'une enquête de terrain de sept mois dans trois villes chinoises et d'une analyse des documents officiels du gouvernement chinois. En dehors du système de plateforme, les livreurs confrontés à ces questions éthiques liées au travail développent une solidarité informelle contre le système algorithmique et les entreprises : ils construisent des espaces de communication à travers les réseaux sociaux pour organiser des actions. Ils trouvent également des stratégies de résistance, comme le fait d'éteindre le système de positionnement de leurs téléphones portables (Diaoxian) au travail et, en cas d'intempérie, de lancer des grèves pour contrer le système. Il arrive que la protestation des livreurs se déplace de l'action collective à l'action individuelle. Ces pratiques informelles des travailleurs, qui associent au système algorithmique une « controverse sociotechnique », constituent un premier pas vers la régulation officielle des systèmes algorithmiques en Chine.
      Based on the case of a food delivery platform, this article reveals the ethical problems posed by the application of algorithmic systems and explores the actions taken by platform workers to ensure that their rights are respected in the difficult political context of China. The author draws on a seven-month field survey in three Chinese cities and an analysis of official Chinese government documents. Outside the platform system, delivery workers facing these work-related ethical issues develop informal solidarity against the algorithmic system and the companies. They build communication spaces through social media to organize actions, and they find strategies of resistance, such as turning off their mobile phone positioning system (Diaoxian) at work and, in case of bad weather, launching strikes to counter the system. Sometimes the delivery workers' protest shifts from collective to individual action. These informal practices of the workers, who associate the algorithmic system with a “socio-technical controversy”, are a first step towards government regulation of algorithmic systems in China.
  • Comment gérer la diversité des produits culturels dans le monde numérique ?

    • Stock et flux : Une analyse des nouvelles pratiques de classement des biens culturels numériques - Quentin Gilliotte p. 229-260 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment les individus classent et organisent les biens culturels numériques ? Pour les biens physiques, classer ses DVD, ses jeux vidéo, ou ses CD par taille, support, genre, auteur, ordre de consommation correspond à des formes d'engagement qui viennent soutenir la consommation des biens culturels, lui donner du sens. Quand il s'agit des biens numériques et qu'il n'y a plus de classification à établir par soi-même, de quelles façons se manifestent les différents niveaux d'engagement dans la pratique ?Nous nous appuyons sur plus de 60 entretiens semi-directifs et sur les données issues d'un questionnaire administré auprès de plus de 2000 répondants par méthode des quotas. L'article montre comment les individus mettent en place des architectures attentionnelles pour ordonner les biens culturels en stock et en flux. Ces pratiques se transforment, et se déplacent de plus en plus vers des formes idiosyncrasiques de classement où l'individu est le principal horizon des pratiques de classification. Il s'agit moins d'ordonner les biens numériques selon des critères institutionnels (le genre, la date, l'ordre alphabétique) que selon des logiques de gestion personnelle de sa consommation.
      How do individuals classify and organize digital cultural goods? Where physical goods are concerned, classifying DVDs, video games or CDs by size, format, genre, author, or order of consumption corresponds to forms of engagement that support the consumption of cultural goods and give them meaning. When it comes to digital goods and there is no longer any classification to be established by oneself, in what ways are the different levels of engagement manifested in practice?We draw on more than 60 semi-structured interviews and on data from a questionnaire administered to over 2,000 respondents using the quota method. The article shows how individuals set up attentional architectures to arrange cultural goods in stocks and flows. These practices are changing and are increasingly moving towards idiosyncratic forms of classification where the individual is the main criterion of classification practices. This is more a question of arranging digital goods according to the personal management of one's consumption than according to institutional criteria (genre, date, alphabetical order).
    • Des compétences marchandes face à la plateformisation d'un marché culturel : La constitution de l'assortiment chez les revendeurs de livres d'occasion - Vincent Chabault p. 261-288 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Méconnu et difficilement quantifiable, le marché du livre d'occasion joue un rôle fondamental dans la circulation de la culture imprimée. Depuis la fin des années 1990, ses détaillants et ses règles de fonctionnement se trouvent déstabilisés par la plateformisation de cet espace marchand, incarnée par l'essor de nouveaux entrants et l'usage des technologies informatiques pour la formation du profit. Basé sur une enquête qualitative de longue durée menée auprès des acteurs de l'offre, cet article vise à examiner l'évolution des compétences marchandes des détaillants en approfondissant l'une des étapes essentielles à la création d'opportunités de gain : la construction de l'assortiment. Les deux processus qui traversent cette opération – sa démarchandisation et sa numérisation – viennent remettre en cause les conditions dominantes de circulation de ces biens culturels de seconde main.
      Although little is known about the second-hand book market, which is therefore difficult to quantify, it plays a fundamental role in the circulation of printed cultural goods. Since the late 1990s, its retailers and operating rules have been destabilized by the platformization of this market space, materialized in the rise of new entrants and the use of computer technologies for profit-making. Based on a long-term qualitative survey of supply-side actors, this article examines the evolution of retailers' merchandizing skills by looking in depth at one of the essential stages in the creation of profit-making opportunities: the construction of a selection of products. The two processes that run through this operation—its decommodification and digitization—call into question the prevailing conditions of circulation of these second-hand cultural goods.
  • Notes de lecture