Contenu du sommaire : Recherches participatives et épistémologies radicales
Revue | Participations |
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Numéro | no 32, 2022/1 |
Titre du numéro | Recherches participatives et épistémologies radicales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Erratum - p. 5-7
Dossier : Recherches participatives et épistémologies radicales
- Recherches participatives et épistémologies radicales : un état des lieux - Baptiste Godrie, Maïté Juan, Marion Carrel p. 11-50 Cette introduction présente un dossier faisant état des recherches participatives contemporaines reposant sur des épistémologies radicales. Celles-ci interrogent les conceptions hégémoniques et les protocoles conventionnels de production de la science en lien avec les inégalités de pouvoirs et de savoirs structurant les inégalités sociales. En mettant l'accent sur des démarches de coopération entre chercheur·es de carrière et chercheur·es profanes s'inscrivant dans une double perspective de pluralisme épistémologique et de lutte contre les oppressions, les recherches participatives radicales assument des prétentions épistémologiques et politiques subversives. L'introduction revient sur les racines historiques de cet appel à briser le monopole de la recherche et analyse les différentes dimensions de cette radicalité (méthodologique, éthique, politique). Elle explore ensuite la manière dont les questions cruciales posées par ces démarches ont été abordées, en matière de critères de scientificité, d'instrumentalisation, de réflexivité ou encore d'usage du registre de l'oralité et des émotions. Elle interroge, enfin, l'actualité de cette posture radicale et analyse les raisons pour lesquelles elle se serait émoussée avec le temps. Que ce soit à l'échelle des politiques publiques, des structures universitaires ou des activités de recherche, un ensemble de phénomènes concourt à la rareté des recherches participatives radicales.This article introduces a thematic issue on contemporary participatory research rooted in radical epistemologies. These epistemologies question the hegemonic conceptions and conventional protocols of science production in relation to the inequalities of power and knowledge that structure social inequalities. By emphasizing cooperative approaches between career and lay researchers embedded in a dual perspective of epistemological pluralism and anti-oppression, radical participatory research harbors subversive epistemological and political ambitions. This article reviews the historical roots of this call to break the monopoly of research and analyzes the different dimensions of this radicality (methodological, ethical, political). It then explores the way in which the crucial questions raised by these approaches have been addressed, in terms of criteria of scientificity, instrumentalization, reflexivity, or the use of orality and emotions. Finally, it questions the current state of this radical posture and analyzes the reasons why it has become blunted over time. Whether on the scale of public policies, university structures, or research activities, a series of phenomena contribute to the scarcity of radical participatory research.
- Ouvrir le canon du savoir et reconnaître la différence - Boaventura de Sousa Santos, João Arriscado Nunes, Maria Paula Meneses p. 51-91
- Le savoir de l'expérience de la pauvreté. Étude à partir d'une recherche participative sur « les dimensions de la pauvreté avec les premiers concernés » - Elena Lasida, Michel Renault, Marianne de Laat, Bruno Tardieu p. 93-125 L'expérience de la pauvreté est en général considérée comme une donnée de terrain qui permet aux expert·es de développer des modèles d'analyse et d'interprétation. À partir d'une recherche participative sur les dimensions de la pauvreté, qui a associé les personnes en situation de pauvreté comme co-chercheurs et co-chercheuses et en s'appuyant sur l'épistémologie pragmatiste de John Dewey, l'article analyse les conditions permettant de considérer l'expérience de la pauvreté comme un savoir spécifique. Les conséquences de cette reconnaissance sont précisées autant en termes de création de connaissance que de capacité de transformation de la réalité. La recherche réalisée relève ainsi du champ des épistémologies radicales.The experience of poverty is usually considered as field data that allows experts to develop models of analysis and interpretation. Based on participatory research that involved people experiencing poverty as co-researchers, and drawing on John Dewey's pragmatist epistemology, this article analyzes the conditions that allow the experience of poverty to be considered as specific knowledge. The consequences of this recognition are specified both in terms of knowledge creation and the capacity to transform reality. The research carried out thus belongs to the field of radical epistemologies.
- Pluralisation identitaire et identités assignées. La recherche en tant que processus d'engagement militant et politique - Pierrine Robin p. 127-153 Cet article s'intéresse à l'émergence du point de vue généralement invisible de jeunes sortant de la protection de l'enfance, au travers d'une recherche participative sur la transition à l'âge adulte. Cet article porte la focale sur le processus de pluralisation identitaire à l'œuvre dans cette recherche, en lien avec une évolution de la division du travail entre les universitaires et les co-chercheur·es qui font l'apprentissage de nouveaux rôles dans l'enquête, mais aussi en dehors, les amenant à construire des organisations collectives d'entraide, parallèlement à un engagement dans le débat législatif. L'article s'intéresse aussi au risque de réassignation identitaire, avec des chercheur·es pairs ramené·es sans cesse à leur identité de « jeunes placé·es » et des universitaires rappelées à leur tâche traditionnelle d'écriture.This article focuses on the emergence of the generally invisible point of view of young people leaving care, through participatory research on the transition to adulthood. It focuses on the process of identity pluralization at work in this research, in connection with an evolution of the division of labor between researchers and co-researchers, with the latter learning new roles within the investigation, but also outside it, leading them to build collective mutual aid organizations, alongside a commitment to the legislative debate. This article is also interested in the risk of identity reassignment, with peer researchers constantly brought back to their identity as young people in care, and researchers recalled to their traditional task of writing.
- Le théâtre forum en recherche-action participative : au service du pluralisme épistémologique ? Corps, émotions, savoirs - Sophie Lewandowski, Alejandro Molina Valdivia p. 155-181 Le théâtre forum, créé dans les années 1970 par Augusto Boal au Brésil, est une approche radicale de théâtre politique qui n'apporte ni réponses, ni même questions. Il incite les participant·es à gagner en pouvoir de (se) penser, de (se) dire et d'agir. À partir d'une expérience menée en Amérique du Sud dans un projet de recherche-action participative sur les services hydriques forestiers, l'article interroge la capacité du théâtre forum à réduire aujourd'hui les inégalités sociales et épistémiques. Le texte montre que cette forme théâtrale a permis – au moment de l'expérience – aux chercheur·es et aux membres d'ONG une compréhension de rapports de forces auparavant ignorés. Elle a également permis l'expérimentation d'une autre forme de connaissance où les dimensions cognitives, physiques et émotionnelles sont reliées. Mais cette prise de conscience ne s'est pas inscrite sur une transformation collective de long terme et a pu même contribuer – par moments – à des effets opposés à l'intention de départ, comme le repli sur les groupes d'appartenance et leurs savoirs.Forum theater, invented in the 1970s by Augusto Boal in Brazil, is a radical approach to political theater offering neither answers nor questions. It aims to equip participants with the power to (self-)think, to (self-)talk, and to act. Based on a participatory action-research project carried out in South America on forest water services, this article explores the capacity of forum theater to reduce social and epistemic inequalities today. The text shows that this theatrical form has enabled researchers and NGO members to understand previously overlooked power relations, as well as to experience another form of knowledge where cognitive, physical, and emotional dimensions are connected. But this awareness was not part of a long-term collective transformation and may even have contributed—sometimes—to effects that went against the original intention (withdrawal into groups of belonging and their knowledge).
- Femmes rurales en mouvement : une démarche épistémologique féministe décoloniale au moyen du film participatif - Verônica Santana, Héloïse Prévost p. 183-211 Comment investir le processus d'empowerment dans une perspective féministe décoloniale ? Comment mettre en œuvre une démarche épistémologique et méthodologique dans une collaboration entre une universitaire et un mouvement social ? Cet article présente l'expérience de la co-construction, coréalisation, coproduction et codiffusion d'un film participatif – Mulheres rurais em movimento [Femmes rurales en mouvement] – par une chercheuse française et des femmes rurales militantes brésiliennes. En imbriquant la réflexion sur l'androcentrisme et la colonialité, il a été question à travers ce projet d'agir sur les processus d'invisibilisation sociale et sur la négation des savoirs des femmes rurales.How should one engage in the empowerment process from a decolonial feminist perspective? How should one implement an epistemological and methodological approach in a collaboration between an academic and a social movement? This article presents the experience of co-construction, co-direction, co-production, and co-distribution of a participatory film—Mulheres rurais em movimento (Rural Women in Movement)—by a French researcher and Brazilian rural women activists. By interlocking the reflection on androcentrism and coloniality, we aimed at tackling the processes of social invisibilization of rural women and the negation of their knowledge.
- « À plus d'une voix », un atelier radio pour créer les conditions de la prise de parole et se défaire de la subalternité. Modalités d'une recherche transformatrice - Séréna Naudin, Karine Gatelier p. 213-244 Cet article décrit une double démarche : d'une part, celle de conduire une recherche sans dominer en produisant collectivement du savoir avec des personnes qui cherchent un refuge ; et, d'autre part celle de créer les conditions de leur prise de parole émancipée des processus de subalternisation.Les violences structurelles dans lesquelles sont prises les personnes qui cherchent refuge produisent notamment des injustices d'ordre épistémique. En effet, la procédure d'asile tout autant que les discours sur les requérant·es contraignent leur parole et ne permettent pas qu'iels soient vu·es comme des sujets politiques. Comment permettre alors la prise de parole ? Comment ne pas reproduire la violence épistémique en tant que chercheur·e ?Interrogeant notre position dominante tant comme chercheures que comme bénévoles aidantes, nous nous appuyons sur le cadre conceptuel des subaltern studies et de la pensée décoloniale pour analyser la position assignée aux personnes en recherche de protection, et les relations qu'elles entretiennent avec les personnes « établies » à partir d'une multitude de continuités coloniales. Sur la base de ces constats, nous avons créé un atelier radio qui fonctionne comme une succession d'espaces pour transformer ces relations et créer les conditions d'une parole libérée des contraintes analysées en amont. L'atelier s'organise ainsi sous la forme d'un continuum de trois espaces : du plus protégé où la parole peut surgir, à des espaces qui s'ouvrent vers l'extérieur – avec des invité·es – jusqu'aux rencontres publiques où les productions radiophoniques de l'atelier sont présentées et débattues. Ce faisant, l'atelier est questionné sur les modalités d'une recherche transformatrice des rapports sociaux à l'œuvre : la production collective du savoir peut-elle être une praxis de l'égalité permettant d'apercevoir ces personnes comme sujets pensants et agissants ?This article describes a twofold approach: on the one hand, conducting research without dominating by collectively producing knowledge with people seeking refuge; and, on the other hand, creating the conditions for them to speak out, emancipated from processes of subalternization. The structural violence in which people seeking refuge are caught produces epistemic injustices. Indeed, the asylum procedure as well as the discourse on applicants constrain their speech and do not allow them to be seen as political subjects. How then can we allow them to speak out? How can one avoid reproducing epistemic violence as a researcher? Questioning our dominant position both as researchers and as volunteers, we draw on the conceptual framework of subaltern studies and decolonial thought to analyze the position assigned to asylum seekers and the relations they maintain with the “established” based on a multitude of colonial continuities. On the basis of these observations, we created a radio workshop that functions as a succession of spaces to transform these relationships and create the conditions for speech freed from the constraints analyzed earlier. The workshop is thus organized in the form of a continuum of three spaces: from the most protected where speech can emerge; to spaces that open outward—with guests—; to public meetings where the radio productions of the workshop are presented and debated. In doing so, the workshop is questioned with regard to the modalities of a transformative research of the social relations at work: Can the collective production of knowledge be a praxis of equality allowing these people to be seen as thinking and acting subjects?
- Recherches participatives et épistémologies radicales : un état des lieux - Baptiste Godrie, Maïté Juan, Marion Carrel p. 11-50
Varia
- L'art de gouverner par la participation. Le cas d'un panel citoyen à Louvain-la-Neuve - Amaël Maskens p. 247-277 Les dispositifs participatifs qui se multiplient aujourd'hui sont ambigus, entre outils de gouvernement et espaces de contestation citoyenne. Tenant compte de cette ambiguïté, cet article examine un récent dispositif participatif belge afin d'enrichir l'étude des techniques de pouvoir dont fait usage un nouvel art de gouverner par la participation citoyenne. Ce faisant, l'article s'attache à décrire en profondeur un élément clé de cet art de gouverner : l'entretien plus ou moins conscient d'un rapport problématique à la conflictualité, couplant la reconnaissance explicite de son existence et le refoulement pratique des conflits – rapport prenant racine dans un flou entourant le but des délibérations.Today, the rapidly spreading deliberative processes are of an ambiguous nature, given their twofold status as governmental tools and citizen-led oppositional spaces. Taking this ambiguity into account, this article examines a recent Belgian deliberative process in order to enrich the study of the technologies of power used by a new art of governing through citizen participation. In doing so, it provides a thorough description of a key feature of this art of governing: the existence of a problematic, and more or less conscious, relationship to conflict, combining its explicit acknowledgment and its practical repression—a relationship rooted in a normative blurriness surrounding the aims of deliberations.
- La délibération échelonnée - Aurian de Briey, Pierre-Étienne Vandamme p. 279-304 Doit-on renoncer à l'idéal d'une grande délibération structurée incluant l'ensemble des membres d'une communauté politique ? Pas forcément. La délibération échelonnée, étudiée dans cet article, consiste à multiplier les délibérations par groupes de 20 personnes et à en faire remonter les conclusions provisoires, à la façon d'une pyramide, par le biais de représentant·es des délibérations antérieures. Étant donné le caractère exponentiel de la réduction du nombre de participant·es entre les échelons de délibération, il ne faudrait que six étapes pour arriver à la délibération finale. Cet article explore la plausibilité théorique d'un tel modèle et examine les principales objections qu'on pourrait lui adresser.Should we abandon the ideal of a large-scale, structured deliberation including all citizens? Not necessarily. Staggered deliberation, which is studied in this article, consists in setting up deliberations by groups of twenty people, with representatives from these groups presenting their provisional conclusions to those taking part in the next level of deliberation, such that the model takes the form of a pyramid. Given the exponential reduction of the number of participants between the levels of deliberation, it would take only six steps to arrive at the final deliberation. This article explores the theoretical plausibility of such a model and examines the main objections that it could face.
- L'art de gouverner par la participation. Le cas d'un panel citoyen à Louvain-la-Neuve - Amaël Maskens p. 247-277
Lecture critique
- Un Internet conservateur ? Les déterminants sociaux et politiques de l'activisme numérique - Gaël Stephan p. 307-316