Contenu du sommaire : La justice et le secret
Revue | Droit et cultures |
---|---|
Numéro | no 83, février 20222 |
Titre du numéro | La justice et le secret |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
Dossier : La justice et le secret
- La justice et le secret, une longue histoire commune - Christophe Archan
- Dans le secret de la juridiction domestique. Le châtiment des femmes dans la Rome antique - Julie Meyer Cette étude s'intéresse au sort des femmes criminelles dans la Rome antique. La plupart du temps, à Rome, même lorsque la femme tombait sous le coup d'une condamnation publique, la question de l'administration de son châtiment était souvent transmise à la sphère privée, afin que la plus grande discrétion soit de mise. Le secret régnait donc en maître lorsqu'il s'agissait de crimes tels que l'adultère ou la consommation de vin : le problème était réglé au sein de la maison, par le mari, ou éventuellement des membres de la famille. L'intérêt, ici, est donc de comprendre les raisons d'un tel secret entourant le châtiment réservé à la femme criminelle et de voir si, dans certains cas, cette discrétion s'effaçait au profit d'une peine publique et si le secret pouvait parfois être rompu.This study examines the fate of female criminals in ancient Rome. Most of the time, even when a criminal woman had been openly condemned, punishment was often administrated by the private sphere, for utmost discretion. Secrecy therefore was a prime goal when it came to crimes such as adultery or consumption of wine: the problem was resolved within the household, by the husband or possibly by members of the family. Understanding the reasons for such secrecy surrounding the punishment of criminal women will help to see if sometimes, in certain cases, this discretion was discarded in favor of a public sentence and if therefore the secrecy surrounding the fate of the criminal woman could sometimes be broken.
- La part de l'ombre… Les juges et médiateurs devant l'aménagement du secret aux Xe et XIe siècles - Laura Viaut La justice de l'an mille est particulièrement connue sous l'angle des assemblées de justice qui se tiennent publiquement sur les grandes places. On pourrait croire au premier abord qu'une telle publicité tend à réduire la place du secret. Mais les sources juridiques nous montrent une réalité bien distincte, celle d'un système aux logiques restauratives, où la vérité est facultative et où la conscience collective prime la conscience du juge.The assemblies of justice of the year 1000, held in the public square, are well known. One might think that its public aspects do not allow secrets. But legal sources show us a very distinct reality: a system with restorative logics, an optional truth, a collective conscience above the conscience of the judge.
- Un verdict du jury impénétrable ? Le secret de la procédure criminelle anglaise (XIIe-XIIIe s.) - Kim-Thao Le Au tournant des XIIe et XIIIe siècles, le jury pénal anglais évolue : il n'est plus seulement en charge des mises en accusation et de la collecte des informations, il a désormais la fonction de délivrer le verdict au procès. Parce que reposant sur le vere dictum selon la conscience des jurés, le verdict s'affirme impénétrable. Dans quelle mesure est-ce vrai ? Et comment expliquer le secret entourant le verdict d'un jury conçu comme omniscient en Angleterre alors que majoritairement dans le reste de l'Occident, la procédure se fonde sur un système de preuves rationnelles ?At the turn of the XIIth and XIIIth centuries, the English criminal jury evolved: it is not only in charge of presenting and gathering information anymore, it now has the function to deliver the verdict at the trial. Because it relies on the vere dictum according to the jurors' conscience, the verdict appears inscrutable. To what extent is this true? And how to explain the secret surrounding the verdict of a jury conceived as omniscient in England while mostly in the rest of the West Europe, procedure was based on a system of rational evidence?
- Un tribunal ou une tribune ? Comment faire taire les anarchistes ? - Gilles Ferragu Cet article porte sur les procès anarchistes de la fin du XIXe siècle en France et sur la question du secret envisagée pour lutter contre les stratégies de propagande des terroristes se réclamant de l'anarchie. À travers divers exemples de procès et projets de règlementation des débats, on tentera de comprendre comment anarchistes, magistrats et députés se sont affrontés dans un autre espace que la rue...This paper focuses on anarchist trials in late nineteenth century France and the question of the secret as a weapon to fight against the propaganda strategies of terrorists claiming to be anarchists. Through various examples of trials and proposed regulations for debates, we will attempt to understand how anarchists, magistrates and deputies confronted each other in an arena other than the street...
- L'éternelle tentation inquisitoire - Vincent Sizaire
- La poursuite du meurtre secret dans l'Angleterre des XIIIe et XIVe siècles : entre responsabilité sociale et besoins du fisc - Christophe Archan Au début de la période anglo-normande, le roi Guillaume le Conquérant organise un système de responsabilité collective pour protéger les membres de son aristocratie. Dès lors, en cas de meurtre d'un ‘Français' et lorsque l'auteur n'a pas été identifié, le seigneur local est considéré comme responsable de l'infraction et doit payer une très lourde amende. Mais s'il ne le peut pas, c'est toute la population de la circonscription (hundred) où le crime a eu lieu qui est mise à contribution pour racheter le « meurtre secret » (murdrum). Avec le temps, cette amende devient une manne non négligeable pour le Trésor, à laquelle il était difficile de renoncer malgré la disparition de la menace pesant sur les Français et leur progressive assimilation dans la population de l'Angleterre. Les juges royaux cherchent alors à profiter le plus possible de la règle ancienne. Mais d'un autre côté, les autorités locales font tout pour échapper à ce qui leur apparait de plus en plus comme un prélèvement fiscal déguisé.At the beginning of the Anglo-Norman period, King William the Conqueror organized a system of collective responsibility to protect the members of his aristocracy. Therefore, in the event of the murder of a ‘Frenchman' and when the perpetrator has not been identified, the local lord is considered responsible for the offense and must pay a very heavy fine. But if he cannot, the entire population of the district (hundred) where the crime took place is called upon to redeem the “secret murder” (murdrum). Over time, this fine became a significant windfall for the Treasury, which was difficult to waive despite the disappearance of the threat to the French and their gradual assimilation into the population of England. The royal judges then seek to take advantage of the ancient rule as much as possible. But on the other hand, local authorities are doing everything to escape what increasingly appears to them as a disguised tax levy.
- Un crime secret : la difficulté de la preuve de l'empoisonnement à travers la jurisprudence du parlement de Paris (1682-1789) - Gwenaëlle Callemein L'empoisonnement est le crime secret par excellence. Crime de l'intérieur, le plus souvent réalisé au sein de la famille, il est particulièrement difficile d'en apporter la preuve. Le juge doit nécessairement ordonner des expertises pour affirmer ou infirmer la présence de poison. Si l'évolution des connaissances médicales commence à faciliter sa reconnaissance, la justice n'en reste pas moins confrontée aux problèmes de preuve durant toute l'instruction. Les témoins sont rares, ou seulement indirects, et l'aveu est bien souvent le seul moyen d'établir de façon certaine la culpabilité de l'accusé, mais il reste difficile à obtenir. L'étude des procès pour empoisonnement permet ainsi de révéler les rouages de la justice criminelle lorsqu'elle se trouve confrontée au secret.
- Le secret par l'épée. Duel, vie privée et liberté de la presse (1819-1940) - Mathieu Soula
- Le juge judiciaire et le secret des affaires - Aurélie Ballot-Léna Dans la perspective d'une recherche interdisciplinaire sur « la justice et le secret », il est proposé de s'intéresser au traitement judiciaire d'un secret né de la pratique et souvent invoqué dans les prétoires, le secret des affaires. A la suite de sa consécration par la directive UE 2016/943 du 8 juin 2016 du Parlement européen et du Conseil, transposée dans le Code de commerce par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018, le secret des affaires bénéficie désormais d'un régime légal de protection qui se veut complet. Or, l'analyse de ce régime montre que le juge y occupe une place centrale. Chargé de veiller à l'équilibre des intérêts en présence il peut, tout à la fois, être gardien du secret ou agent de sa révélation.In view of an interdisciplinary research on “justice and secrecy”, the purpose of the study is the judicial treatment of the trade secrets, born from practice and often invoked in courtrooms. Recognized by EU Directive 2016/943 of June 8, 2016 of the European Parliament and of the Council, transposed into the commercial Code by Law No. 2018-670 of July 30, 2018, henceforth, trade secrets benefit from their own legal protection regime. The analysis shows that the judge occupies a central place. In charge of control the balance of the interests involved, he may be a keeper of the secret as well as an agent of its disclosure.
Études
- Les principes organisateurs de la justice aborigène - Christophe Darmangeat Les différentes procédures qui constituent le répertoire de la justice australienne s'organisent, sur le plan formel, autour des trois caractéristiques que sont le mode de désignation, la symétrie et la modération. À ces trois critères correspondent des dimensions sociales. L'asymétrie traduit la culpabilité, tandis que la symétrie exprime une situation où celle-ci n'est pas établie. Le mode de désignation reflète à la fois la nature individuelle ou collective de la partie mise en cause et la volonté, le cas échéant, de circonscrire les effets de la procédure judiciaire. Quant à la modération, elle met en relief un principe général du droit australien, celui de la modulation : selon celui-ci, la compensation théoriquement stricte des dommages (« œil pour œil, dent pour dent ») se voit allégée – en particulier, vers une procédure modérée – ou, au contraire, aggravée, selon l'état des relations sociales régnant entre les deux parties. Cette approche permet également de comprendre comment la guerre qui, en Australie, est de nature principalement, sinon exclusivement, judiciaire, dérive du feud, dont elle constitue une modalité débridée.
- The Organizing Principles of Aboriginal Justice - Christophe Darmangeat The various procedures that constitute the repertoire of traditional Australian Aboriginal justice can be organized, on the formal level, around three characters, that is: symmetry, mode of designation and moderation. All three criteria correspond to social dimensions. Asymmetry expresses guilt, while symmetry expresses a situation where it has not been acknowledged. The mode of designation reflects both the individual or collective nature of the accused party and the willingness, if necessary, to circumscribe the effects of the legal proceedings. Moderation, finally, highlights a general principle of Australian law, that of modulation: according to it, the theoretically strict compensation for damages (“an eye for an eye, a tooth for a tooth”) is either lightened – in particular, towards a moderate procedure – or, on the contrary, aggravated, depending on the social relations prevailing between both parties. This approach also makes it possible to understand how war, which in Australia is mainly, if not exclusively, of a judicial nature, derives from the feud, of which it is an unbridled modality.
- L'école primaire entre l'Église et l'État : le compromis de la loi Guizot (28 juin 1833) - Catherine Audéoud La loi Guizot signe l'acte de naissance de l'école primaire publique. L'important, pour Guizot, est le « gouvernement des esprits » : dans une France malmenée par la Révolution puis par les agitations des années 1830, il veut moraliser, éduquer le peuple. Cette tâche est du ressort de l'État mais il faut que l'éducation morale, prioritaire, soit aussi religieuse, d'où la collaboration hautement souhaitée entre l'instituteur et le prêtre. Les comités de surveillance établis par la loi sont le fruit de cette symbiose apparente entre l'Église et l'État, tout comme la proclamation de la liberté de l'enseignement. Or, les archives parlementaires dévoilent un cheminement législatif nettement plus contrasté. Le contexte est alors marqué par la défiance à l'égard du parti-prêtre, si actif sous la Restauration et suspecté de véhiculer des idées hostiles au nouveau régime. L'objectif premier de la loi ne serait-il pas de canaliser le clergé plutôt que de le mettre en avant ?The Law Guizot represents the birth of the public primary school. For Guizot, the «government of the minds» is important: In the country of France that has been traumatized by the Revolution and the agitations of the years 1830, he wants to moralize and to educate the people. This becomes the responsibility of the State, but it is necessary that moral education, which has priority, be also religious, which accounts for the strongly encouraged collaboration between the teacher and the priest. The supervision committees established by the Law reflect this apparent symbiosis between Church and State as well as the proclamation of the freedom of education. However, the parliamentary archives show a legislative path much less smooth. The context is characterized by suspicion concerning the priest-party, so active under the Restauration and suspected to channel ideas that are hostile to the new regime. Shouldn't the first objective of the law be to channel the power of the clergy rather than giving it a primary role?
- Les principes organisateurs de la justice aborigène - Christophe Darmangeat