Contenu du sommaire : Socialisations sexuelles
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 249, septembre 2023 |
Titre du numéro | Socialisations sexuelles |
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- Pour une étude des socialisations à et par la sexualité - Martine Court, Gwénaëlle Mainsant, Camille Masclet, Mélanie Perez p. 4-19
- La production de l'évidence hétérosexuelle chez les enfants - Kevin Diter p. 20-37 Questionner l'amour et la sexualité des enfants n'est pas chose aisée en sciences sociales, d'autant qu'il s'agit de domaines considérés comme étant faits par et pour les adultes. Pourtant, dès l'entrée en CP, les tou·tes-petit·es sont loin d'être désintéressé·es par le sujet et ont a minima une petite idée de ce dont il s'agit, à savoir une relation intime entre un garçon et une fille. L'objectif de cet article est de souligner les différents processus par lesquels l'hétérosexualité s'impose durant l'enfance, avec l'évidence du naturel et le naturel de l'évidence. À partir d'une enquête ethnographique et d'entretiens auprès d'enfants de 6 à 11 ans, il montre les différentes manières dont les adultes et les pairs entretiennent l'idée que la sexualité serait exclusivement orientée vers l'autre sexe, à travers de multiples présomptions hétérosexuelles et taquineries homophobes qui contribuent à invisibiliser les amours homosexuelles potentielles. Quelques mineures exceptions à cette évidence existent, notamment chez les filles et les enfants des classes supérieures, en raison d'une éducation sentimentale moins strictement (hétéro)sexuée.Examining children's love and sexuality is not an easy task in the social sciences, especially since these areas are considered to be made by and for adults. However, as soon as they enter first grade, they are far from being uninterested in sexuality and have at least a small idea of what it is all about, namely an intimate relationship between a boy and a girl. The aim of this article is to shed light on the different processes by which heterosexuality is imposed during childhood and taken for granted as natural. Based on an ethnographic study and interviews with children aged 6 to 11, the paper underlines the different ways in which adults and peers maintain the idea that sexuality is exclusively oriented towards the other sex, through multiple heterosexual presumptions and homophobic teasing that contribute to the invisibilization of potential homosexual loves. Some minor exceptions to this evidence exist, especially among girls and upper-classes children, due to a less strictly (hetero)gendered sentimental education.
- Parler de sexualité à ses enfants : Les appropriations différenciées d'une norme éducative contemporaine - Martine Court p. 38-53 Depuis les années 1970, les normes relatives à l'éducation sexuelle des enfants au sein de la famille ont profondément évolué. Contre le « régime de non-dit » qui dominait jusqu'alors, les parents sont désormais invités à parler de sexualité avec leurs enfants avant même l'entrée dans la puberté. Cette parole constitue aujourd'hui une marque de bonne parentalité, tandis que son absence apparaît souvent comme le signe d'un manque de « modernité » éducative. À partir d'une enquête auprès de familles d'enfants de 10-11 ans, l'article étudie comment les parents s'approprient – ou non – cette norme de discussion sur la sexualité dans la famille, et montre que cette appropriation repose sur des ressources et des intérêts socialement situés. Il analyse également ce que l'application de cette norme – ou son absence – produit sur les enfants en termes de socialisation, en démontrant que les pratiques des parents sont inégalement propices à l'acquisition précoce des savoirs savants sur la sexualité et à l'apprentissage de la manière légitime de parler de ce sujet.Since the 1970s, there have been major changes in the norms governing sex education for children within the family. In contrast to the “silence” that prevailed until then, parents are now encouraged to talk to their children about sex even before they reach puberty. Today, talking about sexuality is a mark of good parenting, while its absence is often seen as a sign of a lack of ‘modern' education. Based on a study of families with children aged 10-11, the article looks at how parents appropriate – or fail to appropriate – this norm of discussing sexuality within the family, and shows that this appropriation is based on socially situated resources and interests. It also analyzes what the application of this norm – or lack of it – produces on children in terms of socialisation, demonstrating that parents' practices are unevenly conducive to the early acquisition of scholarly knowledge on sexuality and to learning the legitimate way to talk about this subject.
- Apprendre la sexualité gouine : Socialisation militante à la sexualité et incidences sexo-biographiques - Sarah Nicaise p. 54-75 Cet article propose d'analyser la fabrication et la politisation de l'homosexualité féminine sous l'angle de la socialisation. À partir d'une enquête ethnographique menée auprès d'un groupe militant transpédégouine (TPG), il s'intéresse à la socialisation sexuelle secondaire de « gouines » engagées dans ce groupe. Pour comprendre comment s'apprend une sexualité gouine spécifique (contestataire, féministe, subversive et distinctive), il étudie les modalités et les effets de cette socialisation militante à la sexualité. Il révèle la façon dont le squat, en tant qu'espace socialisateur et lieu de sociabilité TPG, modifie les perceptions de l'homosexualité, les attirances sexuelles et les pratiques de séduction. Il montre également les processus par lesquels le groupe militant agit sur les représentations de ce qui est, ou non, désirable sexuellement et transforme ainsi l'objet des désirs, les pratiques érotiques, les conduites sexuelles et les relations amoureuses. Si la socialisation militante tend à forger des dispositions spécifiques, agissant sur les (dé)goûts sexuels des gouines, elle n'incline pas pour autant à l'identique leurs désirs et leurs pratiques sexuels. L'article vise aussi à réinscrire la diversité des rapports à la sexualité des gouines dans leurs trajectoires sexo-biographiques en regardant leurs socialisations sexuelles antérieures, faites d'expériences amoureuses et sexuelles différenciées, et leurs modes d'engagement dans le groupe.This article analyzes the fabrication and politicization of female homosexuality from a socialization perspective. Based on an ethnographic study of an activist “transpédégouine” group (TPG), it looks at the secondary sexual socialization of “dykes” involved in this group. To understand how a specific dyke sexuality (protest, feminist, subversive and distinctive) is learned, it studies the forms and effects of this militant socialization to sexuality. It reveals how the squat, as a socializing space and place of TPG sociability, modifies perceptions of homosexuality, sexual attractions and seduction practices. It also shows the processes by which the activist group acts on representations of what is, or isn't, sexually desirable, thus transforming the object of desire, erotic practices, sexual conduct and love relationships. If militant socialization tends to forge specific dispositions, acting on the sexual (dis)tastes of dykes, it does not, however, standardizes their sexual desires and practices. The article also aims to reinscribe the diversity of dykes' relationships to sexuality in their sexo-biographical trajectories by looking at their previous sexual socializations, made up of differentiated amorous and sexual experiences, and their modes of involvement in the group.
- Devenir parents de LGBT : Des socialisations minoritaires par ricochet ? - Camille Masclet p. 76-95 Avoir des enfants lesbiennes, gays, bi sexuel·les et trans' (LGBT) transforme-t-il les manières d'être, de faire et de penser des parents concernés ? Cet article examine comment les parcours des minorités sexuelles et de genre peuvent rejaillir sur leurs parents et engendrer des processus de resocialisation. À partir d'une enquête qualitative menée auprès de personnes LGBT adultes et de leurs parents, il montre que ces processus vécus par les parents débouchent sur des transformations de leurs socialisations majoritaires hétéronormatives. En mobilisant la notion interactionniste de carrière, l'article analyse les phases communes par lesquelles passent les parents de LGBT et dégage les formes de socialisation indirecte et partielle à l'expérience minoritaire qui en découlent. Pour saisir les rouages de ces resocialisations, il explore ensuite la pluralité des effets de la carrière de parents de LGBT, en distinguant les cas où les parcours des enfants engendrent des transformations individuelles assez poussées, de ceux où le coming-out ne fait pas événement dans les trajectoires parentales. Développées à partir des minorités sexuelles et de genre et de leurs parents, ces analyses renseignent les effets socialisateurs des écarts à l'hétéronormativité ; elles permettent aussi, plus largement, de saisir des socialisations familiales qui se déploient de manière ascendante, des enfants vers les parents.Does having lesbian, gay, bisexual and trans' (LGBT) children transform the ways of being, doing and thinking of the parents concerned? This article examines how the experiences of sexual and gender minorities can reflect on their parents and generate resocialization processes. Based on a qualitative study of LGBT adults and their parents, it shows that these processes experienced by the parents lead to transformations in their heteronormative majority socializations. Drawing on the interactionist notion of career, the article analyzes the common phases through which LGBT parents pass, and identifies the resulting forms of indirect and partial socialization to minority experience. In order to grasp the workings of these resocializations, it then explores the plurality of effects of the careers of LGBT parents, distinguishing between cases where the children's trajectories generate fairly far-reaching individual transformations, and those where the coming-out is not an event in parental trajectories. Based on sexual and gender minorities and their parents, these analyses provide information on the socializing effects of deviations from heteronormativity; more broadly, they also enable us to grasp family socializations that unfold from the bottom up, from children to parents.