Contenu du sommaire : Les neurosciences en justice : quels usages ?
Revue | Les cahiers de la justice |
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Numéro | no 2023/3 |
Titre du numéro | Les neurosciences en justice : quels usages ? |
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Éditorial
- Le pouvoir judiciaire en France - p. 397-402
Tribune
- Kevin Spacey : me neither - Guillaume von der Weid p. 403-405
Dossier. Les neurosciences en justice : quels usages ?
- Présentation du dossier - Anne-Sophie de Lamarzelle p. 407-412
- Les neurosciences en justice : de la création d'une nouvelle expertise à ses usages - Laura Pignatel p. 413-424 Les neurosciences soulèvent de nombreux débats, en particulier lorsqu'il s'agit d'avoir recours aux techniques d'imagerie cérébrale pour prouver en justice. De nos jours, comment est accueillie cette nouvelle preuve, non seulement par les parties mais aussi et surtout par le juge lui-même ? Les neurosciences peuvent-elles aider ou, au contraire, freiner la manière dont les juges rendent la justice ? Si la vérité neuroscientifique incarnée par l'imagerie cérébrale peut apparaître comme un nouvel outil au service des magistrats, elle peut très vite s'analyser comme une contrainte, voire comme un danger dans certains cas. Une réflexion doit alors être menée sur la manière d'utiliser les neurosciences et l'imagerie cérébrale en justice.Neuroscience is a field that has been the subject of much debate, in particular when it comes to using brain imaging techniques as evidence in court. How is this new type of evidence accepted nowadays, not only by the parties, but also and above all by judges themselves? Can neuroscience help judges or will it, on the contrary, hinder the way they deliver justice? Although the neuroscientific truth embodied by brain imaging may seem to be a new tool available to judges and prosecutors, it could also very quickly come to be seen as a constraint and even a danger in certain cases. Careful thought needs to be given to the way neuroscience and brain imaging can be used in the justice system.
- De quelques défis posés par les neurosciences au droit - Djohar Sidhoum-Rahal p. 425-435 Les neurosciences diffusent dans l'ensemble des domaines sociaux, jusqu'à rencontrer le droit dans une variété de situations. Ces usages des neurosciences par les acteurs du droit et de la justice se répartissent en deux types. Dans la construction de la vérité, les neurosciences peuvent être mobilisées au titre de preuve. Elles peuvent aussi être un outil de modification des comportements. Ces usages des neurosciences posent des défis présentés ici en puisant dans les situations françaises et étrangères : celui du déterminisme comme source de discriminations, celui de l'épistémologie judiciaire face à l'effectivité du contradictoire, celui de la protection d'une forme d'intégrité cérébrale.Neuroscience has spread into all social fields so that now it is also coming into contact with the law, in a variety of situations. These uses of neuroscience by the actors of the law and the justice system fall into two categories. In the quest to arrive at the truth, neuroscience can be used as evidence. It can also be a tool for modifying behaviour. These uses of neuroscience pose challenges, which are presented here, drawing on situations in France and abroad: that of determinism as a source of discrimination, that of legal epistemology with regard to the effectiveness of the adversarial process, and that of the protection of a form of cerebral integrity.
- Entretien avec Hervé Chneiweiss - Hervé Chneiweiss, Anne-Sophie de Lamarzelle p. 437-446 Par leur pouvoir d'explication, les neurosciences fascinent. Elles sont parfois présentées comme pouvant permettre d'évaluer la dangerosité d'une personne ou de prédire les risques de récidive. Pour autant, les neurosciences ne conduisent-elles pas à réduire l'individu à son cerveau ? Au-delà de leurs apports, à quelles difficultés les nouvelles découvertes sur le fonctionnement cérébral nous confrontent-elles ? Comment les professionnels du droit et de la justice peuvent-ils répondre à ces enjeux ?Neuroscience fascinates by its ability to provide explanations. It is sometimes presented as being able to assess how dangerous a person is or to predict the likelihood of their re-offending. And yet, is there not a risk of neuroscience reducing the individual to their brain? Beyond the contributions it can make, what difficulties do new discoveries about how the brain works raise for us? How can legal and justice professionals deal with these challenges?
- Discernement et consentement à l'aune des neurosciences : exemple du neuromarketing - Nihal Elbanna, Marc Landry p. 447-459 Le neuromarketing dont il est question dans cet article développe des pratiques commerciales qui peuvent orienter les décisions à la lumière des mécanismes neurobiologiques de prise de décision. La compréhension de tels mécanismes permet de comprendre les effets du neuromarketing sur les pratiques juridiques. L'implication du cortex associatif et des neurones de la région intrapariétale latérale (LIP) pèse dans la détermination des choix. Ces neurones présentent une activité qui varie en fonction de l'information visuelle et dure plus longtemps que d'autres neurones ce qui explique différents types de comportements. Les pratiques commerciales qui influent sur le mécanisme de prise de décision d'une manière abusive chez le consommateur sont considérées comme illégales et sanctionnées par la loi. Plusieurs dispositions juridiques peuvent faire face aux pratiques de neuromarketing dans l'objectif de protéger le consommateur contre l'abus de vulnérabilité, les pratiques commerciales déloyales et agressives, et les violations de la vie privée et des données personnelles.The type of neuromarketing discussed in this article develops commercial practices that can orient decisions based on knowledge of neurobiological decision-making mechanisms. Understanding such mechanisms can provide insight into the effects of neuromarketing on legal practices. The involvement of the association cortex and the neurons of the lateral intraparietal area (LIP) plays a role in making choices. The responses of these neurons vary according to visual stimuli and they remain active for longer than other neurons, which explains different types of behaviour. Commercial practices that are deemed to influence consumers' decision-making processes abusively are illegal and punishable by law. Different legal measures can be taken to deal with neuromarketing with the aim of protecting the consumer against the abuse of vulnerable persons, unfair and aggressive commercial practices and breaches of privacy and personal data.
- L'expertise psychiatrique et les neurosciences : vers de nouveaux modèles ? - Simon Bertin p. 461-467 Pourquoi ordonner une expertise ? En matière civile, lorsque sont requises « les lumières d'un technicien »1, et, dans le champ pénal, « dans le cas où se pose une question d'ordre technique »2. À l'instar d'un expert en balistique ou en informatique, un psychiatre peut être amené à fournir un éclairage au magistrat, mais à quel type de question « technique » est-il susceptible de répondre et de quelle technique est-il expert ?Why order a psychiatric assessment? In civil cases, when a "technician's insight" is required, and in criminal cases "when a technical issue arises". In the same way as a firearms or IT expert witness, a psychiatrist may be asked to shed light on a specific matter for the judge, but what type of "technical" questions can they answer and what type of technical expertise do they have?
- Les enjeux juridiques des interfaces cerveau-machine - Magali Bouteille-Brigant p. 469-481 Les interfaces cerveau-machine sont des neurotechnologies permettant de décrypter les intentions d'une personne et de les transformer en commande à destination d'un ordinateur. Si leur développement est initialement lié à des considérations thérapeutiques ou médicales, il ouvre également la porte à l'augmentation des capacités intellectuelles et cognitives humaines recherchée par les tenants du courant transhumaniste. Ces nouvelles technologies représentent un défi majeur pour notre droit, qui devra non seulement savoir s'adapter pour contrer les risques d'intrusion, de discriminations, et d'aliénation dont elles sont porteuses, mais qui pourrait également voir ses fondements même bouleversés, tant elles sont susceptibles de remettre en cause la distinction des personnes et des choses, ou notre dispositif de protection du corps humain.Brain-computer interfaces are neurotechnologies that can decipher a person's intentions and translate them into commands relayed to a computer. Although they were initially developed for therapeutic or medical purposes, they have also opened the door to the enhancement of human intellectual and cognitive abilities sought by the proponents of the transhumanist movement. These new technologies represent a major challenge to our law, which will not only have to adapt to counter the risks of intrusion, discrimination and alienation that they bring with them, but could also see its very foundations overturned, so likely are they to blur the distinction between people and things and call into question our systems for protecting the human body.
Chronique
- Justice pénale et addictions : le modèle des « juridictions résolutives de problèmes » - Lucile Maublanc de Boisboucher, Laurence Bégon-Bordreuil p. 483-500 Dans le sillage de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive qui s'est tenue en 2013, différents tribunaux judiciaires français ont progressivement implanté des « juridictions résolutives de problèmes », sur le modèle des « drug courts » anglo-saxonnes, afin d'améliorer le traitement judiciaire de la délinquance en lien avec une addiction. Ils sont à présent plus d'une trentaine de tribunaux à avoir procédé à leur déploiement. Il s'agit là d'une volonté, émanant du terrain, de se fonder sur les données probantes de la science pour faire évoluer les pratiques pénales. En effet, ce modèle d'intervention santé/justice, né aux États-Unis à la fin des années 1980, bénéficie d'une large et précise validation scientifique permettant sa transposition et son acculturation dans un système judiciaire différent. Cet article vise à retracer l'origine des « juridictions résolutives de problèmes », leurs principes fondamentaux et le cheminement de leur déploiement progressif en France1.In the wake of the 2013 Consensus Conference on the Prevention of Re-offending, a number of French courts (Tribunaux judiciaires) have set up "problem-solving courts" based on the drug courts model in English-speaking countries, in order to improve the judicial treatment of addiction-driven crime. They have already been introduced by over thirty courts. This is based on a grass-roots determination to use evidence-based science to change the practice of criminal justice. This type of combined health/justice intervention, which originated in the United States at the end of the 1980s, benefits from broad and precise scientific validation, allowing it to be transposed and adapted to a judicial system with a different culture. This articles looks at the origins of "problem-solving courts", the main principles underlying them and the progressive path to their introduction in France.
- Hésitations conceptuelles autour des sources du droit : le juge, source de normes ? - Martin Emane Meyo p. 501-515 Le juge est-il source de/du droit ou source de normes ? Question essentielle, en ce sens qu'elle vise à circonscrire, pour autant que cela soit possible, l'office du juge. La doctrine n'étant pas disposée à s'accorder sur ce point, des hésitations existent autour de cette question. Au fondement de ces hésitations, une instabilité notionnelle matérialisée par des incertitudes sur les différences entre texte et signification du texte, juridicité et normativité, norme et signification. Le juge est-il créateur de droit, simple interprète ou véritable garant de la norme ? L'office du juge correspond-il à un pouvoir juridique ou à un pouvoir normatif ? En cherchant à comprendre les assises intellectuelles et théoriques des hésitations autour du rôle théorique du juge, il apparaît que l'office du juge ne serait pas tant éloigné de l'idée de source de norme.Is the judge a source of law/the law or a source of norms? This is an essential question, in the sense that it seeks to determine – as far as it is actually possible – the real role of the judge. As legal opinion has tended to differ on this point, there is still some hesitancy around this issue. What underlies that hesitation is a notional instability that takes the form of uncertainty with regard to the difference between the word of the law and the meaning of the word of the law, juridicity and normativity, norm and meaning, etc. Is the judge a creator of law, a mere interpreter of law or a true guarantor of the norm? Do they represent a juridical power or a normative power? By seeking to understand the intellectual and theoretical foundations of the hesitancy around the prerogatives of the judge, it seems that their role is not so far from that of a source of norms.
- Aline Chalufour (1899-1989) : Les combats d'une femme pour la justice, de Nuremberg à Arras - Jean-Paul Jean p. 517-529 Aline Chalufour (1899-1989) est une des femmes les plus atypiques parmi celles qui ont intégré la magistrature après-guerre. Avocate, docteure en droit, spécialiste de droit public international, polyglotte, elle représente les réseaux d'information gaullistes en Amérique du Nord durant la Seconde Guerre mondiale. À la Libération, elle suit François de Menthon au ministère de la Justice, puis dans l'équipe française au procès des dignitaires nazis à Nuremberg. En 1949, cette femme engagée, catholique sociale et féministe, est nommée juge dans une petite juridiction du nord de la France. Elle se trouve alors confrontée à un milieu conservateur et hostile, qui lui reprochera de « porter atteinte au prestige du tribunal ». Aline Chalufour, « très distinguée, d'excellente éducation », est confrontée à une magistrature d'hommes d'un autre temps.One woman's fight for justice, from Nuremberg to Arras
Aline Chalufour (1899-1989) was one of the most unconventional women to join the judiciary in the post-war period. A lawyer with a PhD in law, a specialist in international public law and speaker of multiple languages, she represented the Gaullist information networks in North America during the Second World War. After the Liberation, she followed François de Menthon into the Ministry of Justice, and was a member of the French team at the Nuremberg trial of the Nazi dignitaries. In 1949, this committed social Catholic and feminist activist was appointed as a judge at a small court in northern France. There she found herself in a hostile, conservative environment, where she was accused of "damaging the prestige of the court". Aline Chalufour was a "very distinguished, highly educated woman" who was confronted with a male judiciary from another era.
- Justice pénale et addictions : le modèle des « juridictions résolutives de problèmes » - Lucile Maublanc de Boisboucher, Laurence Bégon-Bordreuil p. 483-500
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- Céline ou le martyr de la collaboration - Denis Salas p. 531-546 En juillet 1944, Céline quitte Paris pour se réfugier au Danemark où il arrivera non sans mal en mars 1945. Au cours de cette longue fuite, il traverse une Allemagne sous les bombes, séjourne à Baden-Baden, se réfugie à Sigmaringen où se trouvent Pétain et Laval. Un leitmotiv domine l'écriture torrentielle des trois récits qui composent la trilogie allemande, son œuvre ultime consacrée à cette période (D'un Château l'autre, Nord, Rigodon) et dont il est question dans cet article : se défendre coûte que coûte contre l'injuste accusation qui, selon lui, le poursuit. De ces pages brûlées au feu de la persécution se dégage un scénario qui vise à conjurer toute confrontation avec la loi. À son retour en France, il continuera à plaider sa cause et trouvera des juges indulgents qu'il n'espérait plus.In July 1944, Céline fled Paris to take refuge in Denmark, where he finally arrived, not without difficulty, in March 1945. During the course of this long flight, he travelled through Germany under the bombs, stayed in Baden-Baden and took refuge in Sigmaringen where Pétain and Laval were exiled. One leitmotiv dominates the torrential writing of the three novels that make up the German trilogy, his final work devoted to that period (D'un Château l'autre (Castle to Castle), Nord (North), Rigodon (Rigadoon) and it is the subject of this article: defending himself at all costs against what he considered as the unfair accusations made against him. These pages filled with a burning sense of persecution reveal a scenario that consists of warding off all confrontation with the law. On his return to France, he would continue to defend his position and would ultimately be judged leniently.
- Anatomie et fonctions des corps intermédiaires : Étude d'une collaboration des contre-pouvoirs - Marie Cretin-Sombardier, Claire Saunier p. 547-549
- Céline ou le martyr de la collaboration - Denis Salas p. 531-546