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Revue | Revue trimestrielle des droits de l'homme |
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Numéro | no 136, 2023/4 |
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Hommages à Jean-Paul Costa
- Hommage à Jean-Paul Costa, ancien Président de la Cour - Síofra O'Leary p. 905-907
- Jean-Paul Costa, tel que je l'ai connu - Dean Spielmann p. 909-912
- In memoriam – Jean-Paul Costa (1941-2023) - Emmanuel Decaux, Sébastien Touzé p. 913-917
Doctrine
- Nuremberg 1947 : le poignard de l'assassin sous la toge du magistrat - Manuela Cadelli p. 919-939 En 1947, les magistrats les plus actifs du Troisième Reich ont été condamnés, par le Tribunal de Nuremberg, en qualité de coauteurs des crimes nazis et du chef de crime contre l'humanité. Ce procès a montré à quel point les magistrats peuvent être corrompus au service d'une idéologie génocidaire portée par un pouvoir politique totalitaire. L'enseignement du jugement prononcé est remarquable d'actualité en ce qu'il écarte, en des termes qui se veulent à la fois radicaux et définitifs, l'argument positiviste de l'obéissance à la loi invoqué par la défense des accusés et en ce qu'il souligne la primauté du droit international dont il rappelle le lien qui l'unit au « sens moral de l'humanité ».In 1947, the most active magistrates of the Third Reich were condemned by the Nuremberg Tribunal, as co-authors of Nazi crimes and perpetrators of crimes against humanity. This trial showed how readily magistrates can be corrupted when serving a genocidal ideology propagated by a totalitarian political regime. The lesson from the delivered judgment is remarkably relevant in that it dismisses, in terms that are intended to be both radical and definitive, the positivist argument of obedience to the law invoked by the defense of the accused. Additionally, the decision underlines the precedence of international law, emphasizing its connection to the “moral sense of humanity”.
- La vie affective et sexuelle des personnes détenues : les visites en prison au regard de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme - Frédéric Bouhon, Mathilde Franssen p. 941-968 Selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme, les personnes détenues conservent l'exercice de leurs droits fondamentaux, sous réserve du droit à la liberté. En pratique, la détention entrave la possibilité pour ces personnes de maintenir ou de développer une vie affective ou sexuelle avec un partenaire libre. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme interdit toutefois les privations injustifiées : sauf s'il existe des circonstances exceptionnelles caractérisées par l'existence d'un risque sérieux, le détenu doit pouvoir recevoir la visite d'un partenaire – le voir, et en principe le toucher –, selon une fréquence régulière et pendant une durée raisonnable. La même disposition de la Convention a en revanche un potentiel limité en ce qui concerne la sexualité des détenus. En effet, l'article 8 ne fait actuellement peser aucune obligation sur les États de procurer aux personnes détenues des conditions dans lesquelles elles peuvent rencontrer une autre personne dans l'intimité, en échappant provisoirement à une surveillance directe (visites « conjugales »). Alors que le droit à la sexualité des personnes libres est amplement développé, la dimension afflictive de l'emprisonnement semble faire obstacle, par-delà une approche basée sur les risques, au plein développement de ce droit dans le chef des personnes détenues.According to the established case law of the European Court of Human Rights, prisoners retain the exercise of their fundamental rights, apart from the right to liberty. In practice, imprisonment inhibits the ability of these individuals to establish or cultivate emotional or sexual relationships with free partners. Nonetheless, Article 8 of the European Convention on Human Rights prohibits unjustified deprivation. On the one hand, unless there are exceptional circumstances characterized by the existence of a serious risk, prisoners must be allowed to receive visits from a partner – to see and touch them – at regular intervals and for reasonable periods of time. On the other hand, the same provision of the Convention has limited legal effect with regard to the sexuality of prisoners. Indeed, Article 8 does not impose any obligation on States to facilitate private interactions between prisoners and another person, temporarily exempt from direct supervision (“conjugal” visits). While the right to a sexual life for free individuals is firmly established, the afflictive nature of imprisonment seems to impede, beyond a risk based approach, the full development of this right for prisoners.
- Évaluation comparative des mécanismes des mesures provisoires/immédiates du Comité des droits économiques, sociaux et culturels et du Comité européen des droits sociaux : Divergences et convergences après une décennie de pratique - Vassilis Pergantis p. 969-998 Les mécanismes des mesures provisoires/immédiates des deux Comités de l'ONU et du Conseil de l'Europe présentent des aspects procéduraux, des conditions pour l'indication de ces mesures, des défis notables quant à leur portée, leur contenu et, en particulier, leur statut juridique. Les questions soulevées seront analysées en détail à travers la jurisprudence des deux Comités afin de montrer les convergences et divergences dans leur pratique et les points qui restent à clarifier.Provisional/immediate measures of both the UN and Council of Europe Committees pose a series of important challenges on procedure, conditions for indication, their scope of application and content, and particularly, their legal status. The questions raised will be analyzed in detail through the jurisprudence of both committees, with a view to illustrating the convergences and divergences in their case law, as well as any remaining unresolved issues.
- Nuremberg 1947 : le poignard de l'assassin sous la toge du magistrat - Manuela Cadelli p. 919-939
Chronique
- Chronique de jurisprudence de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (2022) - Laurence Burgorgue-Larsen, Muriel Sognigbe-Sangbana p. 999-1067 Le contentieux africain des droits de l'homme poursuit son expansion tant s'agissant du droit procédural que du droit substantiel. La jurisprudence de la Cour s'est largement inscrite dans la confirmation de ses standards même si, sur certaines questions, elle a semblé marquer le pas, comme pour trouver un équilibre entre la protection de la personne humaine et la reconquête de la confiance des États. Elle frappe par l'absence d'avis consultatif, le nombre des ordonnances de mesures provisoires en chute libre, l'absence de nouvelle ratification du Protocole de Ouagadougou et de nouvelle déclaration au titre de l'article 34, § 6, du même Protocole. Deux arrêts majeurs, tous deux sur le droit des peuples, l'un sur la problématique des peuples colonisés et leur droit à l'autodétermination (affaire Bernard Anbataayela Mornah) et l'autre sur la problématique des peuples autochtones et leur droit à l'existence et au développement (affaire de la Communauté des Ogieks) ont ramené la Cour aux particularismes de son système qui impactent son droit procédural, s'agissant de la première affaire, et son droit des réparations, s'agissant de la deuxième.African human rights litigation continues to expand in both procedural and substantive terms. The Court's case law has broadly confirmed its standards, even if on certain issues it appears to have taken a step backward as if to find a balance between protecting human rights and regaining the States' trust. The lack of advisory opinion, the plummeting number of provisional measures orders, the lack of new ratifications of the Ouagadougou Protocol, and the lack of new Declarations under Article 34 § 6 of the same Protocol are all notable. Two major decisions, both on the right of peoples, one on the issue of colonized peoples and their right to self-determination (the Bernard Anbataayela Mornah case) and the other on the issue of indigenous peoples and their right to existence and development (the Ogiek Community case), brought the Court back to the particularities of its system, that have an impact on its procedural law in the first case and its right to reparations in the second.
- Chronique de jurisprudence de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (2022) - Laurence Burgorgue-Larsen, Muriel Sognigbe-Sangbana p. 999-1067
Jurisprudence
- « Un président ne devrait pas dire ça » : (obs. sous Cour eur. dr. h., arrêt Mesić c. Croatie, 5 mai 2022) - Bertrand Favreau p. 1069-1083 L'arrêt Mesić c. Croatie de la Cour européenne des droits de l'homme du 5 mai 2022 constitue une nouvelle approche du conflit entre la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention et le droit à la vie privée tel qu'il est garanti par l'article 8. Au-delà d'une mise à jour de la méthodologie de la « mise en balance » dans la lignée des arrêts Von Hannover et Axel Springer AG c. Allemagne, il vient également renforcer le statut et le rôle accordés à l'avocat en considération du droit pour chacun d'avoir accès à un tribunal dans la filiation notamment de l'arrêt fondateur Golder c. Royaume-Uni, mais aussi la place centrale de l'avocat dans le système de protection des droits de l'homme instauré par la Convention.The judgment in Mesić v. Croatia by the European Court of Human Rights on 5 May 2022 constitutes a new approach to the conflict between the freedom of expression protected by Article 10 of the Convention and the right to private life guaranteed by Article 8. Beyond an update of the “balancing” methodology as seen in cases like Von Hannover and Axel Springer AG v. Germany, it also reinforces the status and the role granted to lawyers, considering the right for every individual to access a court, building on the precedent set by the foundational ruling in Golder v. United Kingdom. Additionally, it underscores the central place of lawyers within the framework of the human rights protection system established by the Convention.
- La lutte contre le blanchiment : cheval de Troie de l'État pour atteindre la liberté d'association ? : (obs. sous Cour eur. dr. h., arrêt Ecodefence et autres c. Russie, 14 juin 2022) - William Bourdon, Jim Villetard p. 1085-1098 Le 14 juin 2022, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Fédération de Russie. Indubitablement, la législation russe mise en place à l'égard des « agents de l'étranger » et visant prétendument à lutter contre le blanchiment d'argent n'apparaît être qu'un outil pour soumettre associations et ONG au bon vouloir des autorités. Face aux recrudescences des législations d'exception en Europe, cette décision rappelle avec force la nécessité pour tout État de droit de garantir les droits et libertés fondamentales.On 14 June 2022, the European Court of Human Rights condemned the Russian Federation. The Russian legislation put in place with regard to “foreign agents” and allegedly aimed at combating money laundering undoubtedly appears to be a tool to muzzle associations and NGOs at the whim of the authorities. Faced with the resurgence of emergency legislation in Europe, this decision is a strong reminder of the need for any state governed by the rule of law to guarantee these fundamental rights and freedoms.
- La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, rempart contre les expulsions génératrices de « douleurs intenses » : (obs. sous C.J.U.E., Gde Ch., arrêt X. c. Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid, 22 novembre 2022, aff. C-69/21) - Cecilia Rizcallah, Timothée Ceurremans p. 1099-1116 Quel sort réserver à une décision de retour qui, si elle est exécutée, pourrait être la cause, pour la personne concernée, de douleurs intenses menaçant sa dignité humaine ? Telle était la question à trancher par l'arrêt commenté. À cette occasion, la Cour de justice précisa son interprétation du seuil de gravité requis pour relever de l'interdiction de traitements inhumains et dégradants consacrée à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Au détour de cette problématique furent également abordées des questions centrales relatives à la protection des droits fondamentaux par l'Union européenne, en particulier liées au champ d'application de la Charte et à sa relation avec les standards de la Convention européenne des droits de l'homme. Ce commentaire s'emploie à livrer une analyse critique des réponses apportées – et questions soulevées – par cet arrêt.The central question addressed in the commented ruling revolved around the appropriate course of action for a decision concerning a return that, if carried out, could potentially subject the individual involved to severe pain, thereby jeopardizing the principle of human dignity. In this context, the Court of Justice clarified its interpretation of the threshold of severity required to qualify as a violation of the prohibition of inhuman and degrading treatment enshrined in Article 4 of the Charter of Fundamental Rights of the European Union. Alongside this issue, fundamental questions regarding the protection of human rights by the European Union were also discussed, particularly concerning the scope of application of the Charter and its relationship with the standards set by the European Convention on Human Rights. This commentary aims to provide a critical analysis of the responses given and the questions raised by this ruling.
- L'absence de reconnaissance juridique à l'état civil des personnes intersexes ne viole pas l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme : La prudence de la Cour européenne des droits de l'homme face au dépassement de la bicatégorisation des mentions de sexe à l'état civil (obs. sous Cour eur. dr. h., arrêt Y c. France, 31 janvier 2023) - Olivia Bui-Xuan p. 1117-1141 Pour la Cour européenne des droits de l'homme, le refus de substituer la mention « sexe neutre » ou « intersexe » à « sexe masculin » sur l'acte de naissance d'une personne intersexe ne viole pas l'article 8. Privilégiant la qualification d'obligation positive, elle en déduit une marge d'appréciation nationale « élargie » et, par suite, confirme la possibilité pour les États de ne pas reconnaître juridiquement une partie de la population. Une telle prudence contraste avec sa jurisprudence relative à la transidentité binaire et témoigne de ses réserves à imposer aux États le dépassement de la bicatégorisation des mentions de sexe à l'état civil.According to the European Court of Human Rights, the decision to retain “male sex” instead of replacing it with the mention “neutral sex” or “intersex” on the birth certificate of an intersex person is not a violation of Article 8. Favoring the qualification of positive obligation, the Court concludes to a “broader” scope for national discretion, and consequently confirms that States can opt not to legally recognize a portion of the population. Such a cautious approach contrasts with its jurisprudence on binary transidentity and manifests its reservations about compelling States to move beyond the binary categorization of gender in civil status.
- L'affaire Halet c. Luxembourg, des avancées mitigées dans la protection des lanceurs d'alerte : (obs. sous Cour eur. dr. h., Gde Ch., arrêt Halet c. Luxembourg, 14 février 2023) - Edoardo Stoppioni p. 1143-1172 L'arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Halet c. Luxembourg est une décision majeure sur l'évolution de la protection conventionnelle des lanceurs d'alerte. Par un « affinage » des critères traditionnellement retenus par la Cour afin de délimiter l'étendue de cette protection, la Grande Chambre provoque une évolution en demi-teinte de cette jurisprudence. Des critiques peuvent être adressées à ce raisonnement ainsi qu'à la motivation de la démarche méthodologique de la Cour, notamment en ce qui concerne sa conception de la procéduralisation du contrôle.The judgment of the Grand Chamber of the European Court of Human Rights in Halet v. Luxembourg is a major decision on the evolution of the conventional protection of whistleblowers. By “refining” the criteria traditionally used by the Court to define the scope of this protection, the Grand Chamber has brought about a mixed development in this case law. Criticisms can be directed towards this line of reasoning, as well as towards the motivation behind the Court's methodological approach, particularly in terms of its conception of the proceduralization of its control.
- « Un président ne devrait pas dire ça » : (obs. sous Cour eur. dr. h., arrêt Mesić c. Croatie, 5 mai 2022) - Bertrand Favreau p. 1069-1083
Bibliographie
- Julie Ferrero et Kiara Neri (dir.), Les juges européens face aux migrations – The European Judges Faced with Migrations, coll. Droit & Justice, no 122, Anthemis, Limal, 2022, 411 p. - François Biltgen p. 1173-1179
- Rym Fassi-Fihri, Les droits et libertés du numérique : des droits fondamentaux en voie d'élaboration – Étude comparée en droits français et américain, coll. Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, t. 165, L.G.D.J., Paris, 2022, 539 p. - Géraldine Rosoux p. 1179-1181
- Jacques Englebert (coord.), La régulation des contenus haineux sur les réseaux sociaux, coll. Débats & Droit, Anthemis, Limal, 2022, 142 p. - Quentin Pironnet p. 1182-1186
- Fabrice Picod, Cecilia Rizcallah et Sébastien Van Drooghenbroeck (dir.), Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne – Commentaire article par article, 3e éd., Larcier, Bruxelles, 2023, 1614 p. - Géraldine Rosoux p. 1187-1188
- Francis Delpérée, Dictionnaire constitutionnel, coll. Centre Montesquieu d'études de l'action publique, no 48, Larcier, Bruxelles, 2023, 550 p. - Géraldine Rosoux p. 1188-1190
- Mustapha Afroukh, Droits et libertés fondamentaux, coll. Que sais-je ?, no 4238, PUF, Paris, avril 2023, 127 p. - Christophe Pettiti p. 1190-1191