Contenu du sommaire : Judiciarisation
Revue | Politique européenne |
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Numéro | no 79, 2023/1 |
Titre du numéro | Judiciarisation |
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Dossier
- Ordonner ou contester l'économie européenne par le droit - Benjamin Lemoine, Damien Piron p. 8-30
- Affrontement entre gardiens de la Constitution économique. : De Karlsruhe à Luxembourg, deux « fondamentalismes de marché » - Guillaume Grégoire p. 32-60 La « constitutionnalisation » des politiques économiques par l'UEM a donné lieu à un déplacement sur le terrain juridictionnel des contestations y afférentes. La crise des dettes souveraines a pu à cet égard servir de catalyseur et de révélateur des référentiels économiques implicites de certaines juridictions suprêmes, au premier rang desquelles figurent la Cour constitutionnelle allemande et la Cour de justice de l'UE. Tout en reconnaissant chacune le marché comme instance normative, elles s'affrontent sur ce que celui-ci recouvre et implique réellement. Il en ressort alors une politisation paradoxale du juge « constitutionnel » comme gardien d'un ordre de marché dépolitisé et objectivé.The ‘constitutionalization' of monetary and budgetary policies by the EMU has led to a judicial shift in the challenges against these economic policies. In this respect, the sovereign debt crisis has catalyzed and revealed the underlying economic rationale behind the legal reasoning of some supreme courts, most notably the German Constitutional Court and the European Court of Justice. They both recognize the market as a normative body, but they clash over what it actually covers and implies. The result is therefore a paradoxical politicization of the ‘constitutional' judge as guardian of a depoliticized and objectivized market order.
- Les voies nationales de la discipline budgétaire européenne : Contraintes juridiques et interprétation accommodante des règles en France - Thomas Lépinay p. 62-94 Cet article étudie la mise en œuvre des règles budgétaires issues de la crise des dettes souveraines (TSCG, six-pack et two-pack) en analysant les luttes institutionnelles qui ont eu lieu pour durcir ou relâcher la contrainte juridique dans le cas français. Il montre comment le gouvernement, issu d'une alternance politique à la suite de l'élection de François Hollande en 2012, a tiré parti de l'ambiguïté des règles pour les interpréter de manière accommodante. Disposant théoriquement d'un pouvoir de veto, le Conseil constitutionnel et la Commission européenne se sont ralliés à cette interprétation, face à une approche plus stricte portée par la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques. Dans un contexte où, de fait, il n'existe pas de sanction judiciaire au manquement aux règles, le droit financier public européen exerce seulement une contrainte indirecte, par son effet sur la structuration du débat public.This article questions the implementation of the fiscal rules enacted during the sovereign debt crisis (TSCG, six-pack and two-pack), through an analysis of the institutional struggles to tighten or loosen the legal constraint in the French case. It shows how the government, emerging from a political alternation following the election of François Hollande in 2012, took advantage of the ambiguity of the rules to interpret them in a creative way. While holding theoretically veto power, the French Constitutional Council and the European Commission rallied to the interpretation adopted by the government, rejecting a stricter approach taken by the French Court of Auditors and the Haut Conseil des finances publiques. In a context where, in fact, there is no judicial sanction for failure to comply with the rules, European fiscal law only exerts an indirect constraint.
- Le souverain et le jeu du code financier : L'affaire Royaume de Belgique vs Merrill Lynch - Benjamin Lemoine, Damien Piron p. 96-130 Cet article documente les jeux ambigus d'un État semi-périphérique avec les codes de la financiarisation. Sur la base d'archives inédites et d'entretiens avec des gestionnaires de dette, des banquiers et des avocats d'affaires, il éclaire un litige entre le royaume de Belgique et la banque d'affaires Merrill Lynch sous l'angle d'une sociologie du droit et de la finance attentive à la mobilisation des pratiques juridiques et financières « en action ». Au tournant de la décennie 1990, l'État belge s'érige à l'avant-garde de l'innovation financière sur sa dette. Embarqué dans une série de paris risqués sur la convergence monétaire européenne, il se présente comme un acteur commercial « comme un autre » et se plie initialement aux règles de la financiarisation, dont il tire profit. Mais lorsque les pertes s'accumulent, le Trésor réaffirme la singularité de ses prérogatives souveraines. Pour acculer sa contrepartie privée à un accord, il la menace d'aller au procès devant les juridictions domestiques (plutôt que new-yorkaises) et minimise stratégiquement son degré de sophistication en vue de souligner sa position de dépendance dans la maîtrise des techniques financières. Au terme de deux ans de négociation, Merrill Lynch verse à la Belgique une compensation. L'affaire est réduite à un « accident de parcours » et le blâme circonscrit autour d'un responsable administratif « leurré ». La financiarisation de l'État belge, loin d'être remise en question, en ressort consolidée et professionnalisée.This paper analyzes the ambiguous games of a semi-peripheral state towards the codes of financialization. Relying on unpublished archives and interviews with sovereign debt managers, investment bankers and lawyers, it draws on a sociology of law and finance focusing on public policy tools and the use of legal-financial codes ‘in action' to shed light on a dispute between the Kingdom of Belgium and US investment bank Merrill Lynch. In the early 1990s, the Belgian Treasury was at the forefront of financial innovation on its debt, taking risky bets on European monetary convergence. It behaved as a commercial actor ‘like any other', initially endorsing the codes of financialization – and benefiting from it. Yet, when losses loomed, the Belgian State reasserted its sovereign prerogatives to compel the bank to settle. It threatened to go to trial and to defer to domestic courts (rather than New York judges), and strategically downplayed its degree of financial sophistication to emphasize its dependence towards the bank. After a two-year-long negotiation, Merrill Lynch paid out to settle the dispute. The case was reduced to a mere ‘hiccup' and the blame circumscribed to a ‘deluded' senior civil servant. Far from being called into question, the financialization of the Belgian state was further consolidated and professionalized.
- Une stabilité financière pour quelle Europe ? : Controverses juridiques et conflits de souverainetés dans la fabrique des compétences de supervision de la Banque centrale européenne - Alexandre Violle p. 132-159 Cet article étudie les mesures déployées par les acteurs de la Banque centrale européenne (BCE) au titre de leur fonction de supervision des banques de la zone euro dans le cadre de la mise en place de l'Union bancaire en 2014. Il s'intéresse à la façon dont la mise en œuvre juridique du concept de « stabilité financière », qui justifie les actions de la BCE pour préserver les finances publiques des États membres, est investi de significations différentes par les acteurs publics et privés de la régulation financière internationale (banquiers, économistes, responsables d'autorités nationales de supervision). Des études de controverses relatives à l'usage de différents instruments de supervision mobilisés par la BCE au sein d'arènes expertes, allant de débats académiques jusqu'au Comité de Bâle, permettent de saisir des problématisations concurrentes des moyens assurant la « stabilité financière », ainsi que la façon dont se négocient les compétences de la BCE à agir sur les banques de la zone euro.This article analyses the measures deployed by European Central Bank (ECB) actors to supervise eurozone banks. It looks at how the legal implementation of the concept of 'financial stability', which justifies the ECB's actions to preserve Member States' public finances, is invested with different meanings by public and private actors in the field of international financial regulation (bankers, economists, heads of national supervisory authorities). By studying the controversies surrounding the use of different supervisory instruments mobilised by the ECB in expert arenas ranging from academic debates to the Basel Committee, it is possible to grasp the competing problematisations of the ways in which "financial stability" is ensured, as well as how the ECB's competences are negotiated.
- Légitimité et légalité de la dette publique : Une juridicisation sans judiciarisation du discours annulationniste - Jessy Bailly p. 160-191 De la crise de la dette du tiers-monde dans les années 1980 au contexte grec en 2015, cet article propose d'analyser la trajectoire militante de l'annulationnisme. En revenant sur les acteurs annulationnistes, leurs trajectoires, leurs ressources, et surtout sur la manière dont ils cherchent à accréditer la dette illégitime à travers un travail d'exégèse juridique, il s'agit d'étudier la manière dont le droit est convoqué par des militants en tant que ressource symbolique afin de convaincre des gouvernements d'annuler une partie de leur dette publique, au nom de la défense de la démocratie sociale. On contribue ici autant à la sociologie du droit, aux recours contestataires du droit contre des politiques économiques, qu'à la sociologie des mouvements sociaux positionnés sur la dette.From the Third Worldb debt crisis in the 1980s to Greece in 2015, this article proposes to analyse the militant trajectory of public debt cancellation. We look back at cancellationist actors, their backgrounds, their resources, and above all how they strive to accredit illegitimate debt through symbolic law mobilization. Our aim is to analyse how law is used by activists as a symbolic resource to convince governments to cancel part of their public debt for the sake of social democracy. This is a contribution to the sociology of law, to the contentious uses of the law against economic policies, as well as to the existing work on anti-debt activists.
- Contester l'ordre budgétaire sur le terrain du droit : Quand une primo-députée s'attaque à la LOLF - Félicien Pagnon p. 192-214 Réalisé à partir d'une enquête de terrain auprès du personnel politique et administratif de l'Assemblée nationale française, cet article retrace le travail d'écriture d'une loi. Entre 2013 et 2015, une députée écologiste se saisit des « nouveaux indicateurs de richesse » pour contester l'ordre budgétaire. Conçu par cette dernière comme une ressource pour généraliser l'usage de ces outils, le droit se révèle en définitive un cadre rigide qui réduit la portée de son projet. Ce cas d'étude permet de saisir comment le rapport de force politique évolue en se déplaçant sur le terrain du droit.Based on a field research on the political and administrative staff of the French National Assembly, this article traces the work of writing a law. Between 2013 and 2015, an ecologist deputy seized on the "new wealth indicators" to challenge the budgetary order. Thought as a resource to generalize the use of these tools, the law turns out to be a rigid framework which reduces the scope of her project. This case study helps us to understand how the political balance of power evolves by moving into the realm of the law.
Lectures critiques
- Federico Fabbrini, EU Fiscal Capacity. Legal Integration After Covid-19 and the War in Ukraine, Oxford, Oxford University Press, 2022. - Christakis Georgiou p. 216-221
- Amandine Crespy, The European Social Question. Tackling Key Controversies, New Castle, Agenda Publishing, 2022. - Karim Fertikh p. 222-225
- Ramona Coman, The Politics of the Rule of Law in the EU Polity, Londres, Palgrave Macmillan, 2022. - Laure Neumayer p. 226-230