Contenu du sommaire : Ordres et coercitions
Revue | Politique africaine |
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Numéro | no 170, 2023/2 |
Titre du numéro | Ordres et coercitions |
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Dossier
- Les rapports sociaux de coercition - Romane Da Cunha Dupuy, Lucie Revilla p. 5-16
- Constitution et structuration d'une profession de l'ordre étatique. La police somalilandaise de 1993 à aujourd'hui - Axelle Djama p. 17-40 Cette contribution retrace le processus d'institutionnalisation des forces de police de la République du Somaliland de 1993 à aujourd'hui. L'étude du fonctionnement quotidien d'un commissariat d'Hargeisa illustre la manière dont les transformations structurelles de l'organisation policière influent sur les conditions d'exercice des métiers de police. Ces transformations conduisent en particulier à l'émergence de distinctions internes au corps professionnel, en lien avec l'évolution des critères de recrutement et des compétences permettant légitimement d'entrer dans l'institution. Alors que la police s'est constituée sur la base des compétences militaires de ses premières recrues, de nouvelles compétences sont davantage valorisées, en particulier scolaires.This article traces the process of the Republic of Somaliland's police forces from 1993 to today. A study of the day-to-day operations of a police station in Hargeisa shows how structural changes to a policing institution influence the conditions under which the police carry out their profession. In particular, these practices lead to the emergence of internal distinctions within the force, in line with the evolution of recruitment criteria and the skills that enable legitimate access to the force. While the police force was originally based on the military skills of its earliest recruits, new skills, especially education, are now more highly valued.
- Surveiller une aire marine protégée : pratiques, logiques et processus de coercition au Sénégal - Mariama Diallo p. 41-62 L'étude de la surveillance des aires protégées au Sénégal est une entrée pertinente pour appréhender les pratiques coercitives des éco-gardes, leur travail de police et les processus à travers lesquels ils s'imposent en tant qu'acteurs du maintien de l'ordre. Elle ouvre une perspective d'analyse des postures et des pratiques des éco-gardes quand ils sont au travail et en interaction avec les citoyens. La surveillance permet d'observer comment, en présence et en marge de l'État, un système de régulation local se produit et se reproduit au quotidien. En dépit de leur reconnaissance officielle, qui est presque un sujet tabou au Sénégal, les éco-gardes font au quotidien un travail de police maritime qui, pendant longtemps, était une chasse gardée de l'État. Explorer leurs pratiques par le bas permet ainsi de comprendre les processus et les mécanismes à travers lesquels s'opèrent les pratiques coercitives des éco-gardes et leur insertion dans des dynamiques plus larges de gouvernementalité à l'aune des réformes du champ de la conservation et de la décentralisation au Sénégal.Studying the surveillance of protected areas in Senegal is an important entry point for understanding the coercive practices of eco-guards, their police work and the processes through which they impose themselves as law enforcement actors. It opens up a perspective for analysing eco-guards' postures and practices when they are at work and interacting with citizens. Surveillance makes it possible to observe how a local system of regulation is produced and reproduced on a daily basis in the presence and on the margins of the state. Despite the fact that they enjoy official recognition, which is virtually a taboo topic in Senegal, the eco-guards carry out daily maritime policing work that had long been the preserve of the state. By exploring their practices from below, we can understand the processes and mechanisms through which the coercive practices of the eco-guards operate and their insertion into broader processes of governmentality in the light of reforms in the field of conservation and decentralization in Senegal.
- Édifier l'État par la kalach. Les Comités de défense de la Révolution de Ouagadougou et le maintien de l'ordre - Thibaut François p. 63-83 Les violences des Comités de défense de la Révolution (CDR) sont un élément essentiel de la mémoire de la Révolution burkinabè de 1983. Mais au-delà des débats concernant l'imputation à l'institution des défaillances du maintien de l'ordre, il est aussi possible de comprendre comment a pu se mettre en place une pratique étatisée de la violence. Archives et témoignages – en particulier d'anciens CDR du quartier Ouagalais de Dassasgho – permettent ainsi de reconsidérer l'investissement et l'usage de la force dont les CDR firent preuve, que ce soit en les inscrivant dans leur rapport à l'armée, leur immersion urbaine ou leurs stratégies de légitimation. L'histoire de l'institution et de ses membres invite ainsi à reconsidérer la dynamique révolutionnaire burkinabè et à interroger la catégorie même du maintien de l'ordre.The violence of the Committees for the Defence of the Revolution (CDR) is an essential element of the memory of the Burkinabé Revolution of 1983. But beyond the debate about attributing law enforcement failures to the institution, it is also possible to understand how it was able to put a state-sanctioned practice of violence in effect. Archives and testimonies – especially from former CDR members from the Ouagadougou neighbourhood of Dassasgho – enable us to look anew at the investment and use of force shown by the CDR by locating it within its relationship with the army, its immersion in the urban fabric or its legitimization strategies. The history of the institution and its members thus invites us to reconsider the Burkinabé revolutionary dynamics and to question the concept of law enforcement itself.
- Violence politique et construction de l'hégémonie au Cameroun. Le complotisme à l'aune des pratiques coercitives à Yaoundé - Patrick Dieudonné Belinga Ondoua p. 85-104 Partant de l'analyse d'une expérience d'expropriation d'une soixantaine de familles dans un quartier périphérique de Yaoundé, cet article étudie la manière dont le complotisme s'articule aux pratiques coercitives en vue du maintien de l'hégémonie au Cameroun. Il montre d'abord comment, face à un risque de déflagration sociale et d'arrêts des chantiers, les forces de police sont parvenues à maintenir l'ordre en instrumentalisant le complot en vue de disqualifier les critiques et les menaces des populations locales, lesquelles ont été les cibles d'une violence policière déployée de façon différenciée et « dosée » en fonction de leur statut socio-politique. Il montre ensuite comment cette violence est incorporée par les populations et module leurs critiques du pouvoir, en favorisant quotidiennement une posture ambivalente marquée à la fois par des discours de soutien aux idéaux et aux projets de l'État et par des discours dénonciateurs marqués du sceau du complotisme.Based on the analysis of the experience of expropriation of about sixty families in a peripheral neighbourhood of Yaoundé, this article studies the way conspiracy is combined with coercive practices to maintain hegemony in Cameroon. First, it shows how, when faced with the risk of social upheaval and building site stoppages, the police managed to maintain order by using conspiracy to disqualify criticism and threats from the local population, who were the targets of police violence deployed in a differentiated, “measured” way according to their socio-political status. It goes on to show how this violence is incorporated by local people and modulates their criticism of the authorities, daily fostering an ambivalent posture marked both by support for the ideals and projects of the state and by denunciatory discourse marked by the stamp of conspiracy.
- « Tarafini wa ? Est-ce que tu me connais ? » Politique du doute et pouvoir au Tchad - Clémentine Racine p. 105-122 À partir de plusieurs enquêtes de terrain essentiellement menées à N'Djamena entre 2016 et 2022, cet article vise à documenter des modes de domination des systèmes autoritaires reposant certes sur l'usage physique de la violence, mais également sur l'opacité et l'incertitude de leurs modes d'action. Le doute produit en partie par la réversibilité des alliances sociales, la nature secrète des réseaux de surveillance et le caractère aléatoire des sanctions participe à l'intériorisation de la méfiance et à l'autocontrôle de la société tchadienne. Modelant les imaginaires et les relations sociales, cette gouvernance par le doute a pour effet politique de reconduire le pouvoir des élites.Based on several field studies conducted for the most part in N'Djamena between 2016 and 2022, this article aims to document the modes of domination of authoritarian systems, which undoubtedly rely on the physical use of force, but also make use of the opacity and uncertainty of their modes of action. The doubt that is generated in part by the reversibility of social alliances, the secretive nature of surveillance networks and the arbitrariness of sanctions contributes to the internalisation of mistrust and self-control in Chadian society. This form of governance based on doubt, which shapes the imagination and social relations, has the political effect of maintaining the power of the elites.
- « On ne peut pas gérer une prison sans information à l'intérieur ». Le renseignement « low-tech » dans les prisons du Niger - Carole Berrih p. 123-139 Dans les prisons du Niger, une partie des personnes détenues exerce des tâches de renseignement pour le compte de l'administration. Le recueil et le traitement des informations reposent sur une organisation de détenus, dirigée par l'un d'eux et contrôlée par le régisseur. Ces informateurs clefs jouissent de prérogatives et de privilèges en échange de leur participation au système de surveillance de la prison. Leur pouvoir est toutefois remis en cause par un dispositif parallèle de renseignement instauré par l'administration, qui, tout en brouillant la hiérarchie interne, contribue à absorber les contestations et à prévenir les risques d'action collective. Réelle technique de gouvernement, la mobilisation des détenus reflète un dispositif de contrôle stratégique orchestré par l'administration.In Niger's prisons, some detainees perform intelligence tasks on behalf of the administration. The collection and processing of information is based on a prisoners' organisation led by one of them and controlled by the warden. These key informants enjoy prerogatives and privileges in exchange for their participation in the prison surveillance system. However, their power is challenged by a parallel intelligence mechanism set up by the administration, which, while blurring the internal hierarchy, helps absorb protests and prevent the risk of collective action. The mobilisation of prisoners is a real government technique that reflects a strategic control mechanism orchestrated by the administration.
- « Faire le boulot de l'État ». Pratiques de décasage et vigilance citoyenne à Mayotte - Clémentine Lehuger p. 141-168 À Mayotte en 2016, des groupes de villageois·e·s se livrent durant plusieurs semaines à l'expulsion de centaines de personnes d'origine comorienne. Le Collectif de défense des intérêts de Mayotte (Codim) justifie ces décasages en les présentant comme une réaction à l'inefficacité des services de l'État en matière de contrôle de l'immigration, nécessitant, selon ses termes « de faire le boulot de l'État ». À rebours des approches qui décrivent ces décasages comme des actions violentes en dehors de tout contrôle étatique, cet article montre que ces pratiques vigilantes entretiennent des liens étroits avec l'État dans ce territoire caractérisé par un champ du pouvoir ultra-concurrentiel.In 2016, groups of villagers in Mayotte spent several weeks evicting hundreds of people of Comorian origin. The “Collectif de défense des intérêts de Mayotte” (Codim) justifies these “décasages” by presenting them as a reaction to the inefficiency of the State's immigration control services, which made it necessary, in its words, to “do the State's job”. Unlike approaches that describe these “décasages” as violent actions outside any form of state control, this article shows that these practices of vigilantism have close links with the state in an area characterised by an ultra-competitive field of power.
- Quand les corps se redressent. Résistances, pratiques et imaginaires d'autodéfense en migration au Maroc - Annélie Delescluse p. 169-188 À partir d'une enquête de terrain menée entre 2016 et 2020, cet article porte sur des pratiques et des imaginaires d'autodéfense observés chez des migrants d'Afrique de l'Ouest et centrale (dits subsahariens) résidant au Maroc. Ces actions individuelles ou collectives (manifestations politiques, saccage de matériels, grèves de la faim, etc.) leur permettent de survivre et de résister face à une déshumanisation qu'ils dénoncent de façon constante. L'article propose aussi d'analyser dans quels contextes l'usage de la force prend des formes ambiguës, en s'apparentant à des règlements de compte, voire à des pratiques de vigilantisme, dans un contexte marqué par une désillusion vis-à-vis du sort des migrants noirs dans les pays du Maghreb.Based on a field survey conducted between 2016 and 2020, this article focuses on the practices and imaginaries of self-defence observed in sub-Saharan migrants in Morocco. These individual or collective actions (political demonstrations, pillaging equipment, hunger strikes, etc.) enable them to survive and resist a dehumanization they are constantly denouncing. The article also analyses the ambiguous ways in which the use of force takes on the form of settling scores or vigilantism in a context of disillusionment with the overall fate of black migrants in Maghreb countries.
Lectures
- PRÉVOST (Nathalie) et JOBARD (Olivier) (réalisé par). Documentaire Mali, la guerre perdue contre le terrorisme, (France, 2023, 70 min) - Tanguy Quidelleur p. 189-190
- SOW (Moussa). L'État de Ségou et ses chefferies aux XVIIIe et XIXe siècles. Côté cour, côté jardin, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2021, 300 pages - Hadrien Collet p. 190-192
- (AMSELLE) Jean-Loup. L'invention du Sahel, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2022, 172 pages - Daouda Gary-Tounkara p. 192-193
- TANTCHOU (Josiane). Portrait d'hôpital (Cameroun), Paris, Karthala, 2021, 188 pages - Amoussoulé Diallo p. 193-195
- ANDREETTA (Sophie). « Saisir l'État ». Les conflits d'héritage, la justice et la place du droit à Cotonou, Louvain-la-Neuve, Academia-L'Harmattan, 2018, 370 pages - Sidy Cissokho p. 196-197