Contenu du sommaire : Archives, écriture, fiction. Dans les pas de Jean Jamin
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 37, 2024 |
Titre du numéro | Archives, écriture, fiction. Dans les pas de Jean Jamin |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Introduction
- Âges d'homme, hommages. Autour de Jean Jamin - Julien Bondaz, Michèle Coquet, Vincent Debaene, Éric Jolly, Marianne Lemaire p. 10-29
Dossier
- Faute de grives, manger l'ethnographe. Des tenderies ardennaises au musée cannibale - Julien Bondaz p. 30-47 Dans un article de 1982, Jean Jamin rendait compte de ses premières enquêtes ethnographiques sur les tenderies aux grives dans les Ardennes, s'imaginant presque « en terre cannibale », pris « comme un merle » par les piégeurs qu'il observait. Quelques années auparavant, étudiant les techniques de piégeage de ces derniers, il avait proposé, dans son ouvrage La Tenderie aux grives, une nouvelle approche théorique de l'action ceptologique. Ses réflexions invitent, d'une part, à revisiter l'histoire de l'anthropologie des pièges afin de mieux comprendre les apports théoriques de Jamin en la matière (depuis les travaux d'Otis Mason jusqu'à l'étude de la chasse aux aigles des Hidatsa par Claude Lévi-Strauss) ; d'autre part, à interroger la dissémination du motif du piégeage dans les autres écrits de Jamin, en interrogeant ses jeux d'écriture autour des figures du piégeur et du piégé, ce qui nous permet de mieux comprendre l'imaginaire cannibale et ses rapports avec la muséologie.In a 1982 article, Jean Jamin described his first ethnographic studies of traditional hunting techniques using tenderies in the Ardennes. He almost pictured himself “in cannibal territory,” caught “like a blackbird” by the trappers he was observing. A few years earlier, in his book La Tenderie aux grives, he had studied their snaring techniques, suggesting a new theoretical approach to hunting and trapping (ceptologie). Jamin's reflections invite us first to revisit the history of the anthropology of traps in order to better understand his theoretical contributions in this area (from the work of Otis Mason to Claude Lévi-Strauss's study of Hidatsa eagle hunting); and then to examine the dissemination of the motif of trapping in Jamin's other writings, by looking at how he takes up and plays with the figures of the trapper and the trapped. This will help us understand the cannibal imaginary in his work and its relationship with museology.
- Secrets avoués et rapports de pouvoir (mission Dakar-Djibouti, 1931-1933) - Éric Jolly p. 48-63 Cet article combine et prolonge deux des analyses pionnières de Jean Jamin démontrant, pour l'une, la valeur hiérarchique du secret, et pour l'autre, le caractère judiciaire des enquêtes menées en Afrique par la mission Dakar-Djibouti. En pays dogon, les membres de cette expédition ethnographique des années 1930 profitent de l'autorité que leur procure le contexte colonial pour arracher à leurs informateurs de présumés secrets, révélateurs selon eux des fondements cachés de la société étudiée. Mais la plupart des secrets dogon qu'ils imaginent ne sont que le produit de leurs présupposés, de leurs attentes, de leurs méthodes autoritaires et de leur méconnaissance des rapports de pouvoir régissant les règles du dire.This article combines and extends two of Jean Jamin's pioneering analyses: the first one demonstrating the hierarchical value of secrecy, and the other one the judicial nature of the investigations carried out in Africa by the Dakar-Djibouti mission. In the 1930s, the members of this ethnographic expedition in Dogon country took advantage of the authority conferred on them by the colonial context to obtain presumed secrets from their informants, which in their view contained the hidden foundations of the society they were studying. But most of the Dogon secrets they fantasised were merely the product of their preconceptions, expectations, authoritarian methods and overall ignorance of the power relations governing speech acts.
- Entre distance vécue et identification jouée : les scènes du texte ethnographique - Gaetano Ciarcia p. 64-79 Jean Jamin était particulièrement intéressé par les logiques sociales de la fiction, au nombre desquelles il incluait le cas de l'ethnologue confronté, durant et après le terrain, à l'identification et à la distanciation (d') avec les sujets de son observation. Tout en accordant à la première, sur la seconde, une sorte d'avantage herméneutique « initial » indiscutable, Jamin l'exprime sous la forme d'un constat ironique : l'identification est le masque d'un soi théâtralement joué sur une scène où la gaffe peut être, parmi d'autres moments apparemment intempestifs, le deus ex machina de l'initiation ethnographique. Dans certains de ses travaux, il réfléchit à une distanciation nécessaire qui, sans être radicale et inhumaine, interroge une « double fiction épistémologique », voire le pacte participatif que le chercheur instaure sur le terrain avec ses hôtes et, à son retour, avec ses lecteurs.Jean Jamin was particularly interested in the social logics of fiction, among which he included the case of the ethnologist faced who, during and after the fieldwork, experiences identification with and distancing from the subjects of his observation. While Jamin regarded the former as having a sort of an indisputable “initial” hermeneutical advantage over the latter, he expressed it in the form of an ironic observation: identification is the mask of a self performed on a stage where the faux pas can be, among other apparent blunders, the deus ex machina of ethnographic initiation. In parts of his work, he reflects on a necessary distancing which, without being radical and inhuman, questions a “double epistemological fiction,” and even the participatory pact that the researcher establishes in the field with his hosts and, on his return, with his readers.
- Littérature orale et « poésie vécue ». À propos de Michel Leiris, Jean Jamin et quelques autres - Vincent Debaene p. 80-97 Lorsqu'on se penche sur les rapports des anthropologues à la littérature, il est tentant d'opposer deux types de profil intellectuel : les ethnologues « de la plume », soucieux de leur style et en dialogue avec les grandes œuvres de la littérature écrite, et les ethnographes « de l'écoute », attentifs (et attentives) à la littérature orale et à ses modalités. Par ses objets comme par ses modes d'écriture, Jean Jamin fait indubitablement partie de la première catégorie. Cette dichotomie mérite cependant d'être questionnée. Le cas de Michel Leiris en fournit l'occasion, car la littérature orale figure par intermittence dans son œuvre selon des modalités très singulières. Sur cette base, on peut réfléchir au rôle joué par l'expérience d'une littérature orale vivante à la fois sur le terrain et dans les récits et écrits savants que les ethnologues donnent à leur retour – et donc aussi interroger l'absence d'une telle littérature dans les travaux de Jean Jamin.When looking at the relationship between anthropologists and literature, one is tempted to contrast two types of intellectual figures: ethnologists “of the pen,” concerned with their style and in dialogue with the great works of written literature, and ethnographers “of the ear,” attentive to oral literature and its methods. Jean Jamin undoubtedly belongs to the first category, both in terms of his topics and his mode of writing. However, this dichotomy deserves to be questioned. The case of Michel Leiris provides an opportunity to do so, since oral literature appears now and then in his work in singular fashion. This sets the ground to reflect on the role played by the experience of a living oral literature both in the field and in the accounts and writings that Leiris produced on his return—and, in return, to question the absence of such literature in Jamin's work.
- Une mission unique en son genre ? Rapports sociaux de sexe autour de l'expédition Dakar-Djibouti - Marianne Lemaire p. 98-117 Dans son édition critique de L'Afrique fantôme (1996), Jean Jamin utilise de nombreux extraits des lettres que Michel Leiris a écrites à son épouse, Louise, tout au long de la mission Dakar-Djibouti. Cet article s'appuie sur cette correspondance pour mettre en évidence le rôle des femmes et les rapports de genre au cours de la célèbre expédition. Contrairement à l'ethnologue et linguiste Deborah Lifchitz, dont la participation donne lieu à des commentaires sexualisés, Louise Leiris et Jeanne Griaule ne prennent pas part à la mission, mais remplissent à Paris des fonctions nécessaires à son bon déroulement. Formant un collectif parisien symétrique au collectif masculin en Afrique, l'entourage féminin des membres de la mission participe pleinement de leur expérience initiatique de terrain et de la construction de leur masculinité scientifique.In his critical edition of L'Afrique fantôme (1996), Jean Jamin uses numerous extracts from the letters Michel Leiris wrote to his wife, Louise, throughout the Dakar-Djibouti mission. This article draws on this correspondence to highlight the role of women and gender relations during the famous expedition. Contrary to ethnologist and linguist Deborah Lifchitz, whose participation gave rise to sexualised comments, Louise Leiris and Jeanne Griaule did not take part in the mission but stayed in Paris where they ensured the mission ran smoothly. Forming a Parisian group that was symmetrical to the male collective in Africa, the female entourage of the members of the mission played a full part in their initiatory experience in the field and in the construction of their scientific masculinity.
- Mozart en Afrique. Souvenir d'une étrange et fâcheuse dissonance survenue lors de « la fête de la pintade » chez les Moundang de Léré - Alfred Adler p. 118-131 Dans la plupart des amicales et interminables discussions que nous avions Jean Jamin et moi, un long moment était consacré à la musique. Reprenant le fil de ces conversations, et relisant l'un de ses textes portant sur un débat entre Claude Lévi-Strauss et Michel Leiris à propos de l'opéra, ainsi qu'un autre où il réfléchit au sens possible de l'intrusion inopportune d'un thème musical dans la tête de Lévi-Strauss lors d'une mission dans le Brésil central, je me suis remémoré une expérience intime du même ordre que j'ai vécue sur mon terrain au Tchad. Ce n'était pas Chopin qui avait envahi mon esprit mais Mozart.During our friendly and interminable conversations, Jean Jamin and I would always spend a lot of time discussing music. I picked up the thread of these conversations, and after re-reading one of his texts about a debate between Claude Lévi-Strauss and Michel Leiris on the subject of opera, as well as another in which he reflects on the meaning of the untimely intrusion of a musical theme into Lévi-Strauss's mind during a mission to central Brazil, I recalled a similar intimate experience I had on my fieldwork in Chad. It wasn't Chopin that had invaded my mind, but Mozart.
- Entretien avec Marc Chemillier - Zoé Bertgang, Marc Chemillier p. 132-139
- (Im)possible réalisme - James Clifford p. 140-155 Que serait un réalisme en phase avec notre époque ? Un réalisme qui ne renoncerait pas à viser le réel, tout en tenant compte de l'impossibilité de sa totalisation depuis un point de vue et une histoire uniques ? Un réalisme sans transcendance, qui dirait à la fois le présent et son altération par l'histoire, l'exigence de lucidité et son insuffisance, l'impératif de représentation et la tension entre visions irréconciliables ? Tout entière sous le signe de l'entre-deux et du va-et-vient, l'œuvre de Michel Leiris est exemplaire de cette gageure, et d'un réalisme dont la possibilité supposerait qu'on en reconnaisse l'impossibilité – et l'on comprend que cette œuvre ait inspiré les écrits de son ami Jean Jamin qui a, lui aussi, exploré à sa façon le réalisme paradoxal de l'artifice et les vertus de l'hétérogène.What would be a realism for our times? A realism which would still aim at reality / at writing the real but would recognize that it cannot be totalized from a single vantage point or a single history? A realism without transcendence, which would tell at once the present and its alteration by history, the need for reflexivity and its insufficiency, the desire for representation and the tension between irreconcilable visions? Always en route, constantly commuting between poles, Michel Leiris's work is emblematic of these contradictory challenges and of this (im)possible realism. And it sheds light on his friend Jean Jamin's work, which explores as well, in its own way, the virtues of montage and the paradoxical realism of artifice / artificiality.
- « I tried to say » Ou comment la poésie des images et des sons vient en aide à l'anthropologue - Michèle Coquet p. 156-171 Alors même qu'il écrivait son ouvrage Faulkner : le nom, le sol et le sang, Jean Jamin rassemblait un corpus d'images, d'extraits musicaux, de citations tirées des ouvrages de William Faulkner. La composition finale de tous ces éléments et leur montage ont conduit à la création d'un document sous forme de diaporama. Cet ensemble d'images, de sons et de citations a constitué, selon Jamin lui-même, un préalable à son analyse anthropologique de l'œuvre de Faulkner, en dessinant une forme d'« arrière-pays », le sien, entrant en résonance avec l'univers de l'écrivain, par le truchement d'une pensée visuelle et sonore. La génétique des textes littéraires nous a familiarisés avec l'étude des matériaux ayant présidé à la naissance d'une œuvre. Ici, il s'agit d'approcher la fabrique poétique de l'analyse anthropologique.While writing his Faulkner. Le nom, le sol et le sang, Jean Jamin gathered a corpus of images, musical extracts and quotations from Faulkner's works. He combined all these elements together and formed a montage that led to the creation of a slide show. In Jamin's own words, this collection of images, sounds and quotations was a prerequisite for his anthropological analysis of Faulkner's work, drawing out a form of “hinterland,” his own, which offered visual and sound components resonating with the writer's world. The genetic literary criticism has familiarised us with the study of the materials presiding over the birth of a text. Here, I want to approach the poetic making of anthropological analysis.
- Entretien avec Françoise Zonabend - Marianne Lemaire, Françoise Zonabend p. 172-181
- Tableaux d'une exposition. Making of … - Jean Jamin p. 182-191 Ce texte inédit a été rédigé et transmis par Jean Jamin à son ami James Clifford quelques semaines après la publication de son dernier ouvrage, Tableaux d'une exposition. Chronique d'une famille ouvrière ardennaise sous la iiie République (Paris, Nouvelles Éditions Place, 2021).
- Archivari. Le tournant des années 1980 - p. 192-238
- Faute de grives, manger l'ethnographe. Des tenderies ardennaises au musée cannibale - Julien Bondaz p. 30-47