Contenu du sommaire : Vertus et dévoiements du sport

La justice est une des valeurs les plus mises en avant par le sport moderne et la philosophie olympique qui le fonde. Or, cette idée de justice est rarement interrogée ni même conceptualisée, comme si cette notion allait de soi, malgré son ambivalence. L'idéal poursuivi par l'olympisme de Pierre de Coubertin est celui d'une justice aristocratique, où il est considéré comme légitime que les forts dominent les faibles, même si cela n'est qu'au nom d'une supériorité qui pourrait n'être qu'innée, tenant par exemple à de simples prédispositions physiques. Cette conception contrebalance l'idée d'une justice démocratique, laquelle projette au contraire sur le sport l'idée d'un égalitarisme qui voudrait que les hiérarchies ne soient pas fixées a priori, mais fonction des efforts de chacun. Pierre de Coubertin assumait cette tension entre égalité démocratique et inégalité aristocratique, le sport réconciliant selon lui ces contradictions. Toutefois, cette tension entre ces deux types de justice peut conduire à des actes de résistance, comme la triche ou le dopage, cherchant à subvertir l'ordre aristocratique du sport, jugé illégitime. Le sport selon Coubertin reflète ainsi une complexité où justice démocratique et aristocratique coexistent, avec des implications profondes pour la société et ses valeurs.

Récurrente dans le domaine du sport, la référence aux valeurs structure les prises de position autant que les initiatives engagées. Considérées comme lui étant consubstantielle, elles conduisent à essentialiser les pratiques comme les comportements. Conceptualisées dès le début de la structuration du mouvement sportif, elles vont se pérenniser et contribuer à sanctuariser le sport. Après avoir caractérisé les valeurs ainsi que leurs fonctions, notre analyse s'attachera à saisir les fondements de leur persistance. Il s'agira alors d'appréhender les conséquences de l'alliage du sport et de certaines valeurs sur les conceptions des acteurs lors des affaires et des interrogations qui secouent le mouvement sportif depuis plusieurs années.

Depuis les débuts du spectacle du football en Europe, des violences causées par des spectateurs ont toujours émaillé les matches. À partir des années 1960, les violences jusque-là essentiellement spontanées sont devenues principalement préméditées et portées par des groupes de supporters régulièrement violents. Parmi eux, les bandes de hooligans se sont spécialisées dans l'affrontement physique, au point d'organiser des combats arrangés loin des stades, alors que les groupes d'ultras animent les stades tout en usant parfois de la violence pour l'emporter sur les supporters adverses ou faire entendre leurs critiques quant aux transformations en cours du football. Alors que des pays comme l'Angleterre et l'Allemagne ont mis en place dès les années 1990 des politiques globales de gestion des violences et des supporters, la France peine à construire une telle approche, qui pose la question de la bonne conciliation entre les impératifs de sécurité et le respect des libertés individuelles.

Les usages des activités sportives par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) apparaissent comme des évidences culturelles tant le sport est socialement perçu comme un outil éducatif puissant et vertueux. Si ces représentations sont empiriquement discutables, elles se doublent d'une conception apolitique du sport, y compris lorsqu'il est mis au service d'enjeux incontestablement politiques tels que la délinquance juvénile. Il en résulte un consensus généralisé sur l'intérêt éducatif du sport ainsi qu'une invisibilisation des modèles éducatifs et politiques à l'œuvre dans les usages du sport auprès des mineurs délinquants. L'article met en évidence la manière dont les philosophies éducatives mises en débat dans l'histoire et l'actualité de la PJJ s'actualisent dans ses dispositifs sportifs sans que les professionnels concernés en prennent véritablement conscience. Nous montrons d'une part que le sport, en étant principalement pensé comme un outil de transformation individuelle, s'inscrit dans la tendance générale des politiques comportementalistes consistant à traiter les enjeux politiques et collectifs sous l'angle moral de la responsabilité individuelle. Il suit ainsi une évolution politique qui caractérise plus spécifiquement la justice des mineurs et qui met progressivement à distance le principe de non-responsabilité des mineurs. D'autre part, une ligne de tension émerge dans la place accordée à la logique compétitive. Elle constitue pour certains un modèle social auquel il s'agit de préparer les mineurs délinquants quand elle est, pour d'autres, un contre-modèle éducatif susceptible de renforcer les dispositions agonistiques des mineurs en conflit avec la loi.

La répression des violences sexuelles commises dans le sport est une répression duale qui apparaît plutôt satisfaisante en droit pénal, mais qui pourrait être améliorée en droit disciplinaire, notamment par une meilleure prise en compte de la spécificité de ces violences au sein des textes fédéraux. Duale, cette répression est encore complémentaire ; une complémentarité qui permet de surmonter les difficultés rencontrées par l'une ou l'autre de ces répressions. Ainsi, l'absence de répression pénale en raison de la prescription de l'infraction sexuelle commise par l'entraîneur est compensée par l'imprescriptibilité de l'action disciplinaire. À l'inverse, les difficultés probatoires subies par la procédure disciplinaire sont allégées par l'existence d'une procédure pénale parallèle qui permet à l'organe disciplinaire de mieux fonder sa décision. Une amélioration reste peut-être à apporter pour parfaire cette complémentarité et éviter la contradiction des décisions disciplinaire et pénale, lorsque la première est rendue avant la seconde : l'instauration d'un sursis à statuer obligatoire pour les organes disciplinaires, qui pourrait s'accompagner d'une mesure conservatoire visant à exclure temporairement le mis en cause de l'exercice de ses fonctions au sein de la fédération.

Le dopage est une pratique qui porte atteinte à la santé du sportif et à l'équité des compétitions sportives. Le retentissement de certains scandales a conduit les autorités à mettre en place un droit répressif, pénal et administratif, particulièrement sévère. L'ampleur de la répression du dopage pose toutefois des difficultés au regard des droits fondamentaux des sportifs et de son efficacité même.

Cet article propose de revenir sur la concurrence en Europe entre le modèle inquisitoire de la procédure pénale, caractéristique des États forts, et un accusatoire plus empreint de souplesse procédurale et mis à la mode par l'anglophilie révolutionnaire. On rappellera combien les lois récentes de « négociation pénale » au profit des parquets rappellent les pratiques vernaculaires de médiation et de conciliation pénales parajudiciaires qui assurèrent jusqu'aux années 1850 l'essentiel de la régulation sociale.

Questions et observations sur une intervention du pouvoir juridictionnel dans un différend entre les deux autres pouvoirs dans le cadre de l'adoption d'une loi.

Si la figure du justiciable est une figure habituelle du discours doctrinal français, elle fait l'objet d'une mobilisation particulière au sein d'une thématique elle-même particulière : la numérisation de la justice. Alors même qu'il n'est qu'une cible indirecte de la plupart des objets étudiés dans le cadre de cette thématique, il n'en apparaît pas moins fréquemment convoqué au renfort des analyses menées. Jouant tour à tour le rôle d'outil rhétorique et de prétexte commode, le justiciable apparaît finalement, face à une numérisation de la justice qui se désintéresse de lui, comme l'éternel omniabsent du discours qui s'attache à son analyse.

Dans le cadre d'une formation à l'ENM de Bordeaux, les magistrats du pôle humanités judiciaires ont réalisé une enquête auprès des auditeurs de justice des promotions 2020 et 2021 afin de recueillir leurs perceptions à l'égard des « biais de jugement ». 549 auditeurs ont répondu au questionnaire diffusé. L'analyse de leurs réponses permet de voir comment ils définissent la notion de « biais », s'ils pensent avoir eux-mêmes déjà été confrontés à des décisions biaisées et les solutions qu'ils envisagent pour limiter cette influence. La réflexion interdisciplinaire menée sur les résultats obtenus offre de nouvelles pistes d'actions de formation pour l'ENM.