Contenu du sommaire : Nouvelles formes de mobilités et populations
Revue | Espace Populations Sociétés |
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Numéro | no 2, 2023 |
Titre du numéro | Nouvelles formes de mobilités et populations |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les formes contemporaines de la mobilité - Gaëtan Mangin, Hervé Marchal, Stéphanie Vincent
- S'adapter face aux difficultés de mobilité ? Eclairages d'une métropole africaine, Dakar - Gaële Lesteven, Momar Diongue, Pascal Pochet, Pape Sakho Cette recherche s'intéresse aux pratiques de mobilité quotidienne des citadins dans les grandes villes africaines, à partir du cas d'étude de Dakar au Sénégal. Dans un contexte de croissance démographique, d'étalement urbain, d'offre en transport collectif sous-dimensionnée et de faible équipement des ménages en moyens motorisés, se déplacer au quotidien se révèle coûteux et compliqué pour de nombreux citadins d'Afrique subsaharienne. L'article explore les difficultés que rencontrent les populations dans la réalisation de leur mobilité quotidienne et les adaptions qu'elles mettent en œuvre pour satisfaire leurs besoins essentiels. Pour ce faire, il s'appuie sur un corpus de 38 entretiens semi-directifs menés auprès de Dakarois et Dakaroises en 2022 et 2023 concernant leur mobilité quotidienne et sur des analyses secondaires d'une enquête ménages mobilité réalisée en 2015. Il montre comment les difficultés liées au contexte urbain et à l'offre de transport collectif se renforcent et alimentent les difficultés d'ordre physique (corps à l'épreuve), temporel (pertes de temps) et financier (pressions sur les budgets des ménages). Face à ces difficultés systémiques de déplacement, les citadins adoptent différentes stratégies : ajustement du déplacement en cours de route en changeant de mode, d'itinéraire ou de destination ; anticipation du déplacement par planification des trajets et sollicitation d'aide financière ou en nature ; acceptation du déplacement ou renoncement par intériorisation des difficultés. Le cas de Dakar met en lumière l'importance de la contrainte économique dans la mobilité quotidienne et dans les modes de vie urbains au sud du Sahara.This study examines the daily mobility practices of urban residents in major African cities focusing on the case study of Dakar, Senegal. With population growth, urban sprawl, inadequate public transportation options, and limited motorized means among households, everyday travel proves to be both costly and difficult for many sub-Saharan African city residents. This article investigates the difficulties encountered by individuals in achieving their daily mobility needs and explores the adaptations they implement to meet their essential needs. To accomplish this, it draws upon a collection of 38 semi-structured interviews conducted with Dakar residents in 2022 and 2023, focusing on their daily mobility, as well as secondary analyses of a household mobility survey from 2015. It demonstrates how difficulties associated with the urban context and limitations in public transportation reinforce and exacerbate individual challenges in terms of physical strain, time loss, and financial pressure on household budgets. Urban dwellers, in response to these systemic transportation difficulties, employ various strategies as adjusting their current journeys by changing modes, routes, or destinations based on their requirements; pre-planning their trips and seeking financial or practical support; or accepting and resigning to the difficulties by internalizing them. The case of Dakar highlights the pervasive economic constraints in daily mobility and urban lifestyles in sub-Saharan Africa.
- Les mobilités actives à l'épreuve de la périphérie. Stratégies et tactiques à pied et à vélo des habitants de El Rincón, à Bogotá (Colombie) - Arthur Ducasse, Maëlle Lucas Alors que les modes actifs de déplacement sont mentionnés comme une solution pour décarboner le secteur de la mobilité dans les villes des pays des Nords, certaines périphéries des métropoles d'Amérique latine sont déjà largement parcourues à pied et à vélo. Notre contribution vise à participer au débat sur les formes contemporaines de la mobilité dans les périphéries populaires des grandes villes des Suds, en détaillant les difficultés rencontrées par les habitants du quartier de El Rincón à Bogotá (Colombie) qui se déplacent quotidiennement à pied et à vélo. Au moyen d'une approche ethnographique des mobilités actives, nous explicitons d'une part les inadéquations entre la qualité des espaces de circulation et de telles mobilités, et d'autre part les stratégies et les tactiques déployées par les personnes enquêtées pour marcher et pédaler dans la périphérie populaire la plus dense de Bogotá.While active modes are mentioned as a solution to decarbonise the mobility sector in cities of the global North, most people living in Latin American metropolises outskirts already widely travel walking and cycling. Our contribution aims at fuelling the debate about contemporary forms of mobility in the popular peripheries of global South metropolises, by displaying the difficulties for the residents of Bogotá's neighbourhood El Rincón (Colombia) to move daily on foot and by bicycle. Using an ethnographic approach of active mobilities, we evidence the mismatches between the quality of traffic spaces and such forms of mobility, and the strategies and tactics of walking and cycling used by people we interviewed in and around Bogotá's densest popular periphery.
- Se déplacer à vélo dans les territoires ruraux : plurivocité d'une pratique engagée - Alice Peycheraud Cet article vise à appréhender les mobilités cyclistes du quotidien dans les territoires ruraux, encore peu visibles et peu étudiées. Se focaliser sur le vélo dans les territoires ruraux permet ainsi d'interroger une pratique émergente, souvent considérée comme dangereuse et peu commode, dans des espaces où la bicyclette est davantage associée aux loisirs. Le choix d'une approche pragmatique centrée sur l'engagement ouvre à l'appréhension nuancée de la pluralité des pratiques existantes et des multiples façons de « faire avec » les conditions offertes par le rural, entre routes passantes et distances plus longues. Celles-ci reposent notamment sur des adaptations propres à chacun permettant de moduler les efforts nécessaires pour se déplacer en vélo. Mais s'engager dans une mobilité cycliste, c'est aussi souscrire à une certaine conception de la « bonne mobilité », que cela sous-entende une mobilité écologique, bon marché ou simplement plaisante. C'est donc l'équilibre trouvé entre les efforts requis et le « bien » recherché qui permet une stabilisation et une pérennisation de la pratique.The aim of this article is to take a closer look at everyday cycling mobility in rural areas, which is still not very visible or studied. Focusing on cycling in rural areas allows us to question an emerging practice, often considered dangerous and inconvenient, in areas where cycling is more associated with leisure. The choice of a pragmatic approach centered on engagement opens up a nuanced apprehension of the plurality of existing practices and the many ways of "making do" with the conditions offered by rural areas, between busy roads and longer distances. These are all based on individual adaptations that modulate the effort required to get around by bike. But engaging in cycling mobility also means subscribing to a certain conception of "good mobility", whether this implies ecological, cheap or simply pleasant mobility. It's the balance struck between the effort required and the “good” sought that helps to stabilize and perpetuate the practice.
- Les véhicules automobiles électriques dans la morphologie sociale du Québec, les pratiques de déplacement et les aspirations des ménages - Dominique Morin, Guillaume Lessard, Bruno Bourliaguet, Marie-Andrée Leduc La conduite d'une automobile est de loin le principal mode de déplacement au Québec et l'adoption d'une loi y annonce l'interdiction de la vente de véhicules à essence neufs à compter de 2035. L'hydro-électricité québécoise étant nationalisée et reconnue comme une énergie propre et accessible à un coût abordable, les efforts pour la transition énergétique sont orientés au Québec vers l'électrification des transports et la décarbonation des industries. Les véhicules automobiles électriques apparaissent être l'alternative à la consommation d'essence pour les déplacements des ménages qui rencontrent sur ce territoire les conditions les plus propices au changement de pratique mobilitaire. Notre analyse d'un sondage réalisé en 2022 montre comment l'usage des véhicules automobiles et les aspirations à en acheter ou en racheter un électrique prennent corps dans des profils de déplacement des ménages privés et dans la morphologie sociale du Québec. En considérant les régions et des types de lieux auxquels les participants identifient leur résidence principale, des variations apparaissent dans les principaux modes de déplacement des membres du ménage, dans l'effort et la possibilité de privilégier les déplacements actifs et les transports en commun, puis dans les aspirations à se procurer un véhicule automobile électrique. La représentation du peuplement de l'écoumène, du système urbain, des migrations internes, des infrastructures de transport et des conditions matérielles et saisonnières au Québec, à l'intérieur desquels varient les profils de déplacement, est la pierre d'angle de l'analyse. Cette dernière montre que si l'usage des véhicules automobiles électriques en 2022 est amorcé sans grande variation dans la géographie, les aspirations exprimées suggèrent que des fractures pourraient s'accroître, particulièrement entre les générations, les budgets des ménages et les territoires où le rapport à cette technologie diffère.The internal combustion engine vehicle (ICEV) is by far the main mean of transportation for households in Quebec, and a law was adopted prohibiting the sale of new ICEV starting in 2035. Quebec's hydroelectric power, being nationalized and recognized as a clean and affordable energy source, efforts toward energy transition in Quebec seems to be focusing on the electrification of transportation and decarbonization of industries. Regarding Quebec household gasoline consumption for transportation, electric vehicles (EVs) seem to be the alternative that meets the conditions leading to change in mobility practices. Our analysis of a survey conducted in 2022 illustrates how the use of automobiles and aspirations to buy or repurchase an EV take shape within the travel profiles of private households situated in the social morphology of Quebec. By considering the regions and types of places to which participants identify their main residence, variations appear in the household's main means of transportation, in the effort and possibility of prioritizing active mobility and the use of public transport, then in the aspirations to buy or repurchase an EV. The representation of demographics in the ecumene, urban systems, internal migrations, transportation infrastructures, and material and seasonal conditions in Quebec — within which travel profiles vary — is the cornerstone of the analysis. It reveals that while the use of electric vehicles in 2022 is initiated with little variation geographically, expressed aspirations suggest that fractures could potentially widen, particularly amongst generations, household budgets, and territories where the relationship with this technology differs.
- Quels regards des habitants sur les aménagements d'urbanisme « tactique » liés à la pandémie de Covid-19 dans les villes intermédiaires françaises ? Une mise en parallèle entre Mulhouse, Nancy et Reims - Philippe Hamman, Céline Burger, Sébastien Piantoni, Sophie Henck Cet article s'intéresse aux vécus des mobilités quotidiennes des habitants suite au premier confinement de la Covid‑19 en France en 2020 dans trois villes intermédiaires de la région Grand Est. Il focalise plus précisément sur l'étude des actions dites d'urbanisme « tactique » qui y sont liées. Deux approches ont été privilégiées. Une première vise à mieux appréhender les perceptions habitantes des mobilités face aux aménagements temporaires. La seconde cible les pratiques de mobilités habitantes sous l'angle des temporalités. Pour ce faire, l'étude mobilise une méthodologie d'enquête mixte : quantitative, par la production de données issues de questionnaires diffusés in situ ; et qualitative, par le recueil de verbatim aux mêmes moments et auprès des mêmes personnes que les questionnaires. Transversalement, ce dispositif interroge les effets de la pandémie sur les manières de faire la ville et ses possibles impacts sur le long terme.This paper examines the daily mobility experiences of residents of three intermediary cities in the region Grand Est following the first lockdown instituted in France in 2020. It more precisely focuses on the study of the “tactical” urban actions that were initiated at the time. Two major approaches have been used. First, we seek to understand the impact of temporary installations on the residents' perception of mobilities. Second, we focus on the residents' mobility practices in terms of temporality. This study is based on a mixed-methods survey: quantitative – producing data from questionnaires distributed on site; and qualitative – recording verbatim responses at the same times and from the same people as the questionnaires. This approach makes it possible to examine the effects of the pandemic on city making and its possible long-term impact.
- La démotorisation des ménages, nouvel horizon des politiques urbaines ? Analyse croisée de trois métropoles françaises - Mariane Thébert, Anne Jégou La démotorisation, c'est-à-dire l'abandon par les ménages d'un ou plusieurs véhicules particuliers, est-elle un nouveau mot d'ordre des politiques locales de mobilité ? Cet article présente les résultats d'une enquête qualitative conduite de 2018 à 2020 auprès de 22 acteurs locaux, à Paris, Lyon et Dijon. Le terme s'est diffusé dans les années 2000 pour devenir un objet d'attention politique dans la deuxième moitié des années 2010. Accompagnant une dynamique sociale minoritaire constatée principalement dans les villes-centres, il a franchi plusieurs des étapes du processus d'inscription sur les agendas politiques locaux. A Paris la volonté de démotorisation est désormais assumée et à Lyon la démotorisation est passée de prudente à explicite : devenue marqueur de projet politique local, la démotorisation s'introduit dans les politiques d'urbanisme et fait évoluer le métier des opérateurs urbains (aménageurs et gestionnaires du stationnement). Dijon pourrait poursuivre une autre trajectoire politique.Is demotorization, i.e. the renunciation of the ownership of one or more vehicles within a household, a new watchword for local mobility policies? This article presents the results of a qualitative survey conducted from 2018 to 2020 with 22 local stakeholders in Paris, Lyon and Dijon. The term spread in the 2000s to become an object of political attention in the second half of the 2010s. Accompanying a minority social dynamic observed mainly in central cities, it has passed through several of the stages leading to local political agendas. In Paris, the will to demotorize has been assumed, and in Lyon, demotorization has gone from cautious to explicit. Demotorisation is being a part of urban planning policies and is changing the way urban operators (developers and parking managers) work. Dijon may be on a different political trajectory.
- Bogotá après le Transmilenio : les défis d'une modernisation durable et inclusive des transports urbains - Hugo Thomas, Vincent Gouëset Bogotá a conclu en 2022 une ambitieuse réforme des transports publics urbains qui s'est étalée sur deux décennies : après la mise en service du BRT (Bus Rapid Transit) Transmilenio au début des années 2000, la modernisation et l'intégration de l'ensemble du transport artisanal au sein du Système Intégré de Transport Public depuis les années 2010 a représenté un changement d'échelle : l'ensemble des transports collectifs sont désormais intégrés dans un réseau unique, qui permet une correspondance illimitée au moyen d'une carte de paiement électronique pendant 110 minutes. L'un des objectifs majeurs était de réduire les coûts de déplacement des plus pauvres, particulièrement pénalisés par de longs trajets. Mais la réforme s'est effectuée dans le cadre néolibéral dominant en Amérique Latine, sans financement public de l'exploitation, ce qui se traduit par des tarifs élevés et une fréquence faible en dehors des grands axes. Dans un contexte d'individualisation croissante de la mobilité, de prolifération des deux-roues motorisés et de redéploiement du transport informel en périphérie, la question de la durabilité de cette réforme est entière, alors même que la fréquentation des transports collectifs est en chute libre et les ressources financières limitées.In 2022, Bogotá ended an ambitious reform of urban public transports started two decades ago: after the implementation of the BRT (Bus Rapid Transit) Transmilenio in the early 2000s, the modernization and integration of the whole paratransit within the Integrated Public Transport System was carried out during the 2010s. This was a scaling-up: all public transports are now integrated within a single network, allowing 110-minute illimited transfers thanks to a prepaid card. One of the main goals was to reduce travel cost for the poorest people, who are heavily penalized by long trips. However, the reform was led within the neoliberal framework prevailing in Latin America, without public funding of the operation, which produces high fares and low frequency of the buses except on the trunk routes. Given the increasing individualization of mobility, the growth of two wheelers and the renewal of informal transport in the suburbs, looking for the sustainability of the reform is urgent. In addition, public transport ridership is falling down and the financial resources remain low.