Contenu du sommaire
Revue | Sociologie du travail |
---|---|
Numéro | vol. 66, no 3, juillet-septembre 2024 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
In Memoriam
- Anni Borzeix (1939-2024) - La rédaction
Articles
- L'essor des dérogations au repos dominical dans le commerce : un « retour de bâton » des victoires juridiques des syndicats ? - Pauline Grimaud Cet article porte sur la multiplication des dérogations relatives au repos dominical dans le commerce depuis les années 1990. L'évolution de la réglementation en la matière résulte principalement de la légalisation de pratiques précédemment jugées illégales. En effet, la mobilisation du droit par les organisations syndicales pour faire respecter le repos hebdomadaire des salarié·es le dimanche a encouragé les directions des grandes enseignes commerciales à riposter sur le terrain politique pour exiger de nouvelles dérogations. L'action de ces entreprises connaît un succès remarquable puisqu'à cinq reprises entre 1993 et 2015, le pouvoir exécutif ou législatif étend les possibilités légales de travailler le dimanche dans le commerce. Pour expliciter la capacité des groupes dominants à contester des décisions de justice contraires à leurs intérêts, l'autrice propose d'importer en France la notion de « retour de bâton » élaborée par des sociologues du droit américains. Cette notion permet de comprendre comment les victoires judiciaires des organisations syndicales des salarié·es ont incité les directions des grandes enseignes à se mobiliser pour obtenir la légalisation de leurs ouvertures dominicales. Quant aux syndicalistes, ils et elles renouvellent leur investissement dans l'arène judiciaire, car leurs nombreux succès sur ce terrain-là augmentent leur crédit et leur audience auprès des salarié·es.This article focuses on the proliferation of legal exemptions relating to Sunday rest in the retail sector in France since the 1990s. The evolution of regulation in this area is mainly due to the legalisation of customs previously considered illegal. In turn, trade union mobilisation of the law to enforce the right of employees to weekly rest on Sundays has led the management of major retail chains to fight back on the political front to demand new exemptions in this area. Their actions have met with some success, with the executive and legislative powers extending the legal scope for Sunday working in the retail sector on five occasions between 1993 and 2015. To explain the ability of dominant groups to challenge court decisions that run counter to their interests, the author proposes to import into France the notion of “backlash” developed in American critical legal sociology. This concept sheds light on how court rulings in favour of employees' trade unions have encouraged the management of major retailers to take action to obtain the legalisation of their Sunday openings. Trade unionists are renewing their investment in the legal arena, as their many successes in this area have increased their credibility and their audience among employees.
- Hacker l'État de l'intérieur. Éléments pour une sociologie du travail de réforme à l'ère numérique - Sébastien Shulz Depuis une quinzaine d'années, des entrepreneurs de réforme tentent de moderniser l'État en s'inspirant de mouvements issus du monde Internet qui, paradoxalement, portent une critique radicale des bureaucraties publiques. En décrivant la manière dont ces réformateurs essaient d'acclimater les normes et les pratiques de ces mouvements au sein de l'administration, nous élaborons dans cet article une sociologie du travail de réforme à l'ère numérique. Notre enquête s'appuie sur l'étude de cas des entrepreneurs de réforme qui se mobilisent en France pour transformer l'État par les communs numériques, à partir d'entretiens semi-directifs, d'observations ethnographiques en ligne et d'un corpus de littérature grise (notes, rapports, textes législatifs). L'article permet d'enrichir la littérature sur les réformes d'État en mettant au jour les modalités singulières du travail de réforme en régime numérique, consistant à problématiser, instrumenter, trouver des prises sur l'institution et constituer des soutiens. Nos résultats montrent que ce modus operandi, inspiré de l'éthos des mouvements critiques du monde Internet, est difficilement compatible avec une institutionnalisation forte, mais parvient néanmoins à une institutionnalisation faible de ces projets réformateurs.For the past fifteen years, reform entrepreneurs have sought to modernize the state by drawing inspiration from Internet-based movements that, paradoxically, embody a radical critique of the state bureaucracy. This article describes how they are trying to acclimatize the norms and practices of these movements within the administration, elaborating a sociology of reform work in the digital age. The article draws on semi-directive interviews, online ethnographic observations, and a corpus of documentary and grey literature (memos, reports, legislative texts) to study the reform entrepreneurs who are mobilizing to transform the French administration through digital commons. The article contributes to the literature on state reform by highlighting the specific modalities of reform work in the digital regime, including problematisation, instrumentalization, institutionalisation, and support building. It concludes by showing that this modus operandi, itself inspired by the ethos of the critical movements of the Internet world, is hardly compatible with a strong institutionalisation, but achieves a weak institutionalisation of these reform projects.
- Des professions dans l'ascenseur social ? Reconversions et requalifications dans l'artisanat - Antoine Dain Cet article s'appuie sur une enquête portant sur les reconversions professionnelles d'individus qui, cadres, professions intellectuelles supérieures ou diplômés d'un bac+5, ont bifurqué vers un métier artisanal. Partant du constat que ces mobilités professionnelles semblent se doubler d'une mobilité sociale, il analyse la manière dont les stratégies de reclassement mises en œuvre par les reconverti·es se répercutent sur le métier de reconversion, de sorte que ce dernier pourrait également être reclassé. Articulant sociologie du travail et des professions et sociologie de la mobilité sociale, l'article propose ainsi de déterminer si les reconverti·es, en s'appropriant un métier artisanal, contribuent à une forme d'ascension sociale de celui-ci. Après avoir identifié plusieurs registres de requalification des métiers artisanaux par les reconverti·es, l'article expose le « travail de requalification » que ces dernier·es mettent en œuvre pour faire valoir, concrètement, leur conception du métier et ses qualités auprès de la clientèle — ou du moins, d'une clientèle susceptible de partager leurs valeurs et leurs goûts. Dès lors, ce serait une forme spécifique du métier de reconversion qui serait requalifiée, et non le métier dans son ensemble. L'article examine alors où se positionne cette forme spécifique dans l'espace professionnel d'arrivée, et dans quelle mesure elle peut être considérée comme un segment professionnel émergent.This paper focuses on the professional reorientations of highly qualified workers who switched jobs and moved into craft trades. Since these occupational changes appear to coincide with downward social mobility, the paper examines the strategies employed by these workers to mitigate this effect. It assesses how these strategies might impact their new occupation, potentially moving it up the occupational hierarchy. Combining insights from the sociology of work and occupations and the sociology of social mobility, this paper aims to determine whether these career switchers ply their trade in a way that contributes to an upward social mobility of their new profession. After identifying the value they find in craft trades, the paper goes on to describe the “requalification work” they undertake to promote their conception of the job among customers — and, in particular, among customers likely to share their values and tastes. It is not therefore the profession as a whole that is revalued, one of its specific forms. This paper then examines the position of this specific form in the professional space and discusses to what extent it can be considered an emerging professional segment.
- Médecine et dépendances : comment la « pathologie professionnelle » a trouvé sa place à l'hôpital (1930-2020) - Sylvain Brunier, Jean-Noël Jouzel, Giovanni Prete La médecine du travail se situe en bas de la hiérarchie symbolique des professions médicales. En son sein, le sous-segment hospitalo-universitaire n'est cependant pas dénué d'un certain prestige. Dans une perspective attentive à l'évolution des liens entre les groupes professionnels et leur environnement institutionnel, nous éclairons le processus socio-historique de constitution de ce sous-segment depuis près d'un siècle. À partir d'une enquête réalisée auprès de praticiens de Centres de consultation de pathologie professionnelle, nous montrons que, par contraste avec leurs collègues travaillant pour les entreprises, ils sont parvenus à se détacher de leurs liens fonctionnels avec les intérêts patronaux. Nous mettons cependant en évidence d'autres dépendances, plus discrètes, qui lient ces praticiens à une série d'acteurs institutionnels : les directions d'hôpitaux, les agences sanitaires ou les ministères de tutelle. Nous soulignons comment ces dépendances ont contribué à l'évolution des activités de ces médecins, de plus en plus marquées par un investissement dans la recherche et l'attention aux facteurs environnementaux. Nous pointons également que ces dépendances pèsent sur leur capacité à développer une offre de consultation pour la reconnaissance des maladies professionnelles.Occupational medicine is at the bottom of the symbolic hierarchy of medical professions. Within this field, however, the university hospital sub-segment is not without a certain prestige. From the perspective of the changing relationships between professional groups and their institutional environment, we highlight the socio-historical process by which this sub-segment has been constituted over almost a century. Based on a survey of practitioners in occupational pathology clinics, we show that, unlike their corporate counterparts, they have managed to disengage from their functional ties to employers' interests. However, we also highlight other, more subtle dependencies that link them to a range of institutional actors: hospital management, health agencies and the relevant ministries. We show how these dependencies have contributed to the development of their activities, which are increasingly characterised by investment in research and attention to environmental factors. We also point out that they have an impact on their ability to develop a consultation service for the recognition of occupational diseases.
- L'essor des dérogations au repos dominical dans le commerce : un « retour de bâton » des victoires juridiques des syndicats ? - Pauline Grimaud
Comptes rendus
- Vincent Dubois, Contrôler les assistés. Genèses et usages d'un mot d'ordre - Anne-Cécile Douillet
- Alizée Delpierre, Servir les riches. Les domestiques chez les grandes fortunes - Thibaut Menoux
- Cyrine Gardes, Essentiel·les et invisibles ? Classes populaires au travail en temps de pandémie - Marie Cartier
- Michael Gibson-Light, Orange-Collar Labor: Work and Inequality in Prison - Anaïs Lefèvre
- Alexis Louvion, Des salariés sans patrons ? - Émilie Aunis
- Laurent Gayer, Le capitalisme à main armée. Caïds et patrons à Karachi - Pauline Barraud de Lagerie
- Émilien Ruiz, Trop de fonctionnaires ? Histoire d'une obsession française (XIXe-XXIe siècle) - Anne Marchand, Renaud Bécot
- Manuella Roupnel-Fuentes, Simon Heichette et Dominique Glaymann (dir.), L'injonction à se former. Nouvel avatar de l'adaptation des individus au marché ? - Stéphane Lembré
- Camille Dupuy et François Sarfati, Gouverner par l'emploi. Une histoire de l'école 42 - Mathilde Krill
- Charles Gadea et Roland Lardinois (dir.), Les Mondes de l'ingénieur en Inde (XIXe-XXIe siècle) - Konstantinos Chatzis
- Gwenaëlle Perrier, Genre et politiques d'emploi. Une comparaison France-Allemagne - Anne Eydoux
- Marion Charpenel, Marion Demonteil, Reguina Hatzipetrou-Andronikou, Alban Jacquemart et Catherine Marry, Le genre des carrières. Inégalités dans l'administration culturelle - Muriel Mille
- Charles Bosvieux-Onyekwelu et Véronique Mottier (dir.), Genre, droit et politique - Amélie Corbel
- Isabelle Thireau, Des lieux en commun. Une ethnographie des rassemblements publics en Chine - Éric Florence
- Anne Bellon, L'État et la toile. Des politiques de l'internet à la numérisation de l'action publique - Simon Cottin-Marx
- Catherine Négroni et Marc Bessin (dir.), Parcours de vie. Logiques individuelles, collectives et institutionnelles - Sandrine Nicourd
- Leonora Dugonjic-Rodwin, Le privilège d'une éducation transnationale. Sociologie historique du baccalauréat international - Caroline Bertron
- Ghislain Leroy, Sociologie des pédagogies alternatives - Pauline Proboeuf
- Vincent Chabault, Le Livre d'occasion. Sociologie d'un commerce en transition - Kevin Mellet