Contenu du sommaire : Numéro spécial : Jeunes chercheurs
Revue |
Etudes anglaises ![]() |
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Numéro | vol. 76, no 4, octobre-décembre 2023 |
Titre du numéro | Numéro spécial : Jeunes chercheurs |
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Articles
- Un carrosse pour le harem : étude comparée des diplomaties anglo-ottomane et anglo-moghole entre les XVIe et XVIIe siècles - Mathilde Alazraki p. 385-403 Les XVIe et XVIIe siècles marquent le début de relations diplomatiques soutenues entre la Grande-Bretagne et l'Empire ottoman en Méditerranée d'une part, et l'Empire moghol dans le sous-continent indien d'autre part. La densification de ces relations se traduit notamment par l'envoi de cadeaux diplomatiques à ces deux empires musulmans. Par deux fois la Couronne britannique offre des carrosses pour renforcer les liens qui l'unissent à l'Empire ottoman et à l'Empire moghol, en 1599 et en 1615 respectivement. Le choix d'offrir un tel cadeau, coûteux et massif, est à cet égard symbolique car il est censé représenter l'ingéniosité des artisans britanniques. Ces carrosses seront à chaque fois entreposés au sein du harem impérial, par la sultane Safiye à Constantinople et par l'impératrice Nûr Jahân à Fatehpur Sikri. Dès lors, il convient d'étudier la nature matérielle du carrosse comme cadeau diplomatique pour tirer des conclusions plus larges sur les relations entre les ambassadeurs britanniques et les femmes du harem. Cette analyse, centrée sur la réception et l'assimilation du don au sein de l'espace diplomatique que représente le harem impérial, se tient à la croisée des études de genre, de l'histoire diplomatique et de la culture matérielle.The 16th and 17th centuries mark the beginning of sustained diplomatic relations between Britain, the Ottoman Empire in the Mediterranean, and the Mughal Empire in the Indian subcontinent. On two occasions, the British Crown offered a coach as a diplomatic gift to these Muslim empires: to Ottoman Turkey in 1599, and to Mughal India in 1615. This massive and costly object, meant to showcase the skills of British craftsmen, ended up in the imperial harem on both occasions, first when it was gifted to Sultana Safiye, and then when the Mughal Emperor Jahangir offered it to his wife Nur Jahan. The comparative case studies developed here shed light on the relations between British ambassadors and women from the harem through the materiality of the coach. The reception and assimilation of the gift within the diplomatic space constituted by the imperial harem is examined through the lens of gender studies, diplomatic history, and material culture.
- “Enough! or Too much”: William Blake's Intermedial Aesthetics of Excess - Camille Adnot p. 404-423 S'appuyant sur les recherches sur le vitalisme et les relations texte-image, cet article explore l'esthétique de l'excès dans les longues « Prophéties » de William Blake (The Four Zoas, Milton et Jerusalem). La conception blakienne de l'excès mêle les notions d'énergie, de vitalité et de puissance, en s'inspirant des recherches scientifiques du xviiie siècle sur les formes de vie et la taxinomie. Avec sa « bounding line », Blake repousse les limites de la catégorisation sémiotique et biologique. J'analyse des cas de débordement graphique, de synesthésie et de surcharge sensorielle, afin de souligner la façon dont Blake recourt à la multiplicité comme principe créatif. Ce mélange des sens et des catégories sémiotiques génère une hybridation entre les formes de vie, entraînant des effets sublimes et monstrueux. En abordant les trois poèmes comme une triade, compte tenu du chevauchement de leur réalisation et de leur matière commune, on peut les concevoir comme des formes hybrides. À travers cette étude, je soutiens que la tendance blakienne vers la disproportion découle d'une recherche de formes vivantes et harmonieuses, où les esthétiques de la limitation et du débordement sont interdépendantes.Drawing on vitalism and image-text studies, this article explores William Blake's aesthetics of excess in his long “Prophecies” (The Four Zoas, Milton,and Jerusalem). Blake's conception of excess combines notions of energy, vitality, and power, informed by 18th-century scientific investigations into life forms and taxonomy. With his “bounding line,” Blake pushes the boundaries of semiotic as well as biological categorization. I analyze cases of graphic overflow, synaesthesia, and sensory overload, to highlight how Blake uses multiplicity as a creative principle. This blending of senses and semiotic categories generates hybridization between life forms, resulting in sublime and monstrous effects. By approaching the three poems as a triad, given their overlapping realization and shared material, we may envision them as hybrid forms. Through this examination, I argue that Blake's drive towards disproportion stems from a search for living, harmonious forms, where the aesthetics of containment and overflow are interdependent.
- William Robinson (1838-1935), Garden Beauty and the Sublime - Aurélien Wasilewski p. 424-445 Cet article se penche sur les pratiques de jardinage prônées par William Robinson (1838-1935), un jardinier et rédacteur en chef de magazines consacrés au jardinage à la fin de l'époque victorienne. Il démontre que ces pratiques gagnent à être interprétées dans le contexte de la réception des théories esthétiques d'Arthur Schopenhauer, en particulier sa définition du sublime. Le propos montre comment les avancées des sciences naturelles et humaines, notamment la géologie et l'archéologie, ont transformé la perception et la représentation de l'espace et du temps, et qu'elles sous-tendent la compréhension qu'a Robinson du monde, de l'esthétique hortésienne et des pratiques de jardinage. L'article explique comment la fréquentation des plantes a conduit à une meilleure compréhension du règne végétal et à la prise de conscience d'une continuité entre les humains et le monde. L'expérience de ne faire qu'un avec le monde est celle du sublime, spécialement après que les sciences évolutionnistes en eurent révélé l'immensité dans l'espace comme dans le temps. En conséquence, le jardin et ses représentations s'en trouvèrent modifiés et intégrèrent le mélange de considérations spatiales et temporelles des théories de l'évolution dans le style plus « libre » de jardin que Robinson défendait.This article looks at the gardening practices of late Victorian gardener and magazine editor William Robinson (1838-1935). It shows that those practices can be interpreted within the intellectual context of the reception of Arthur Schopenhauer's aesthetic theory, mainly through his concept of the sublime. In particular, this paper demonstrates the extent to which the developments of natural and human sciences, in particular geology and archaeology, transformed the perception and representation of space and time, and how they underpin Robinson's understanding of the world, garden aesthetics and gardening practices. The article explains how the acquaintance with plants led to a deeper understanding of the vegetable kingdom and to the new awareness of a continuity between humankind and the world. This experience of being one with the world may be called sublime, especially with the knowledge of the world's vastness in space and immensity in time, as revealed by evolutionary sciences. The garden space and its representations were transformed accordingly, including the blend of temporal and spatial dimensions of evolutionary theory into the “freer” styles that Robinson advocated.
- Emersonian Intertext and Whitmanian Intimate Influence: Queering “Nature” in 19th-century New England Women's Writing - H.J.E. Champion p. 446-463 Cet article propose de lire les références aux plantes et paysages de Nouvelle-Angleterre comme moyen pour les autrices de cette région au xixe siècle de se réapproprier l'imagerie de R.W. Emerson et de W. Whitman dans le but de mettre en avant leur être « naturel » et de décrire les relations d'intimité féminine comme non seulement naturelles mais aussi foncièrement américaines. Ainsi la figure symbolique d'Emerson est-elle présente sous la suggestion d'une intimité féminine dans la nouvelle de Louisa May Alcott « Laurier des montagnes et cheveux de Vénus », tandis que le motif whitmanien du plaisir de la relation à la nature traverse les écrits d'autrices contemporaines d'Alcott, telles que Lucy Larcom, Sarah Orne Jewett et Alice Brown. L'article se clôt sur une lecture de la nouvelle d'Amy Lowell « Les lilas », suggérant que l'autrice s'y réapproprie le projet de citoyenneté queer de Whitman. À travers des références emersoniennes et whitmaniennes au monde naturel, ces autrices célèbrent leur propre personne et ancrent le plaisir queer au cœur de la Nouvelle Angleterre et de la jeune nation américaine. L'intertextualité emersonienne et les influences et inspirations whitmaniennes permettent en effet de faire des plaisirs queer un trait constitutif de la Nouvelle Angleterre et de la nouvelle nation, pour ainsi les légitimer.This article suggests that through the literary use of regional plants and landscapes 19th-century women writers from New England re-appropriated Emersonian and Whitmanian imagery in order to emphasize their own “nature” and to depict female intimacies as not just “natural” but fundamentally American. The symbolic figure of Emerson is, for example, imbricated in the suggestion of intimacy in Louisa May Alcott's 1887 short story “Mountain-Laurel and Maidenhair,” while the use of Whitmanian pleasure in nature can be traced in writing by Alcott's contemporaries: Lucy Larcom, Sarah Orne Jewett, and Alice Brown. The article concludes with a reading of “Lilacs” by Amy Lowell, in order to suggest a re-appropriation of Whitman's project of queer citizenship. Through the use of Emersonian and Whitmanian nature, I posit, these writers celebrate their selves and situate queer pleasure at the heart of New England and the new American nation. Emersonian intertextuality and Whitmanian influence and inspiration indeed allowed for queer pleasures to be “New-Englandized” and “nationalized,” and thus legitimized.
- War from the Margins: Metalepsis and Metonymy in Pat Barker's Toby's Room and Sarah Waters's The Night Watch - Katia Marcellin p. 464-478 Dans leurs romans de guerre historiques, Toby's Room et The Night Watch, Pat Barker et Sarah Waters posent la question de la fidélité de la représentation. Cet article entend montrer comment, par le biais de la métalepse et de la métonymie, les deux écrivaines proposent une appréhension de la guerre fondée sur l'expérience des destructions qu'elle entraîne plutôt que sur la conformité aux faits historiques. Barker et Waters interrogent ainsi nos perceptions et nos représentations de ce qui, dans un événement individuel, collectif ou historique, mérite d'être mis en lumière, et nous font percevoir les processus d'invisibilisation qui sont le corolaire de ces « coups de projecteur ». Leurs récits sont relatés depuis des points de vue marginaux, mettant ainsi en évidence la façon dont certaines vies sont disqualifiées, perçues comme indignes ou « ungrievable » (Butler 2004). La métalepse et la métonymie deviennent des moyens de repenser le pouvoir politique de la représentation et de proposer des récits des et depuis les marges, qui tentent de réhabiliter les histoires oubliées des guerres.In their historical war novels, Toby's Room and The Night Watch, Pat Barker and Sarah Waters raise the question of factual, representational and experiential faithfulness. This article intends to show how, through metalepsis and metonymy, the two writers propose an apprehension of war grounded in the experience of the destruction it causes rather than one that conforms to historical facts. Barker and Waters thus question our perceptions and representations of what matters in an individual, collective or historical event and shed light on the processes of invisibilization that accompany such moments of visibility. Their stories, told from marginal viewpoints, highlight the ways in which certain lives are disqualified, deemed unworthy or ungrievable (Butler 2004). Metalepsis and metonymy become means to rethink the political power of representation and offer narratives of and from the margins that strive to rehabilitate the forgotten stories of the wars.
- Un carrosse pour le harem : étude comparée des diplomaties anglo-ottomane et anglo-moghole entre les XVIe et XVIIe siècles - Mathilde Alazraki p. 385-403
Varia
- Gawain, une moralité visuelle - Claire Vial p. 479-497 Cette étude interroge l'effet des passages descriptifs du poème sur les spectateurs intra- et extradiégétiques, et leur efficacité dans la mise en œuvre de l'itinéraire moral parcouru par Gauvain, accessible, voire destiné, aux lecteurs-auditeurs. Il s'agit de démontrer, au sein du poème, la puissance transformative d'un cheminement visuel à visée morale, où le spectaculaire n'est jamais dissocié du spéculaire ; où toute vision, qu'elle soit perceptuelle ou mentale, débouche sur la possibilité d'une conscience accrue. S'entrelacent dans cette progression sentence et solaas, le sérieux et le divertissement typiques de nombreux genres littéraires médiévaux. Après avoir dressé un bilan des procédés descriptifs principaux et examiné leur empreinte sur la temporalité du récit, l'analyse met en évidence la dynamique à l'œuvre dans l'enchaînement des passages concernés : leur succession peut se déchiffrer selon les mêmes étapes structurelles communes à la moralité médiévale et aux romans de chevalerie. L'étude s'achève sur l'exploration d'un retournement, le point d'orgue offert par deux descriptions moins visibles dans le texte, qui échappent aux purple patches mais sont essentielles à la trajectoire d'humanisation de Gauvain/Gauvain et de ses auditoires.This study examines the impact of the poem's descriptive passages on internal and external spectators, and their efficiency in implementing Gawain's moral itinerary, which is also accessible, indeed intended, for the poem's audience. The aim is to demonstrate the transformative power of a visual journey endowed with a moral purpose, where the spectacular is never dissociated from the specular; where all visions, whether perceptual or mental, lead to the possibility of heightened awareness. Sentence and solaas, or seriousness and entertainment, typical of many medieval literary genres, are intertwined in this development. After taking stock of the main descriptive devices and examining their relationship with narrative temporality, the analysis highlights the dynamics at work in the succession of passages concerned: their sequence can be deciphered according to the same structural stages common to medieval morality and chivalric romances. The study concludes with an exploration of a turning point, the climax provided by two less visible descriptions which sidestep well-known descriptive purple patches but are essential to the humanizing trajectory of Gawain/Gawain and of the poem's audiences, both medieval and modern.
- Gawain, une moralité visuelle - Claire Vial p. 479-497