Contenu du sommaire : Organisation et sciences de gestion à l'épreuve de l'Anthropocène
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Numéro | vol. 50, 315, mars-avril 2024 |
Titre du numéro | Organisation et sciences de gestion à l'épreuve de l'Anthropocène |
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- Ont contribué à ce numéro - p. 7-10
- Introduction. Anthropocène, limites planétaires et nouvelles frontières des sciences de gestion - Aurélien Acquier, Julie Mayer, Bertrand Valiorgue p. 11-36 À l'heure de l'accélération des déstabilisations globales des écosystèmes naturels, les sciences de gestion sont directement interpellées et elles n'ont pas pleinement pris la mesure des phénomènes en cours. En préambule des dix articles de ce dossier spécial, dédié aux bouleversements organisationnels et gestionnaires induits par l'Anthropocène et le franchissement des limites planétaires, cette introduction dresse un constat et un agenda de recherche. Quatre points de bascule disciplinaires majeurs sont identifiés, dessinant de nouvelles frontières pour les sciences de gestion : la raréfaction des ressources naturelles, la non-linéarité et l'irréversibilité des risques, la conception naturaliste de l'action collective, et l'identité des enseignants-chercheurs.At a time when the global destabilization of natural ecosystems is accelerating, the management sciences are being directly challenged, since they have not taken the full measure of the phenomena underway. As a preamble to the ten articles in this special issue, which examines the organizational and managerial upheavals brought about by the Anthropocene and the crossing of planetary boundaries, this introduction provides an overview of the current state of affairs and outlines our research agenda. We identify four major disciplinary shifts, outlining new frontiers for the management sciences: the increasing scarcity of natural resources, the non-linearity and irreversibility of risks, the naturalistic conception of collective action, and the identity of teacher-researchers.
- Cité naturelle et régimes de justification dans l'Anthropocène : Une analyse à partir de la controverse sur les animaux dans les cirques - Benoît Demil, Xavier Lecocq, Vanessa Warnier p. 37-59 Le terme « Anthropocène » rend compte de la responsabilité de l'humanité dans les transformations de la planète et interroge la légitimité de certaines activités humaines. Dans ce contexte les auteurs étudient les argumentations échangées lors d'une controverse sur la présence d'animaux sauvages dans les cirques en France. La théorie des économies de la grandeur permet de repérer un type de justification issue d'un registre non anthropocentré dans lequel la nature doit être préservée pour elle-même. Cette « cité naturelle » permet la critique de certaines activités humaines et de leur impact sur le système Terre.The term "Anthropocene" is used to refer to the most recent period in Earth's history, evoking humanity's share of responsibility for the planet's transformations and calling into question the legitimacy of certain human activities. In this context, we study the arguments used during a controversy about the presence of wild animals in French circuses. The "order of worth" theory sheds light on a type of justification stemming from a non-anthropocentric discourse, according to which nature must be preserved for its own sake. This "natural order of worth" enables actors to criticize certain human activities and their impact on the Earth system.
- Les imaginaires des éco-entrepreneurs de filières agricoles locales à l'heure de l'Anthropocène : Changer au moins son monde - Anna Cournac, Anne-Laurence Lafont p. 61-79 Face au défi de l'Anthropocène, l'agriculture doit se réinventer. Cet article examine les imaginaires de 28 éco-entrepreneurs de filières agricoles territorialisées afin de saisir ce qui sous-tend leurs pratiques et qui pourrait inspirer de nouvelles façons de faire. L'analyse des discours fait ressortir un imaginaire commun et des imaginaires différenciés donnant forme à deux types de filières. L'article apporte une contribution aux imaginaires sociaux et laisse entrevoir une réponse optimiste à l'Anthropocène : l'action, à sa propre échelle, sans attendre que le monde change.Faced with the challenge of the Anthropocene, agriculture must reinvent itself. This article examines the imaginaries of twenty-eight ecopreneurs operating in local agricultural sectors to understand what underpins their practices and what lessons we might learn from them. An analysis of their personal accounts helps uncover common themes as well as differentiated perspectives, resulting in the emergence of two types of local sectors. The article makes a contribution to current social imaginaries and holds out hope for an optimistic response to the Anthropocene: taking action, at our own scale, without waiting for the world to change.
- La mise en récit de l'Anthropocène : Donner une valeur sociale aux dégradations écologiques - Clara Roussey, Nicolas Balas p. 81-100 Cet article analyse la construction d'un récit de l'Anthropocène par les entreprises responsables de dégradations écologiques. L'étude de l'implantation d'un projet extractif en Indonésie permet d'identifier le rôle central joué par les commensurations RSE dans cette mise en récit afin de donner une valeur sociale aux impacts environnementaux et ainsi maintenir la légitimité du projet. Les résultats de l'article soulignent que les pratiques RSE de l'entreprise (analyse d'impacts, management des parties prenantes, reporting ) rendent possible une mise en équivalence entre ses impacts écologiques négatifs et ses promesses de développement aux membres de la communauté locale.This article analyzes the ways in which companies responsible for ecological degradation are constructing a narrative around the Anthropocene. By studying the implementation of an extractive project in Indonesia, we identify the central role played by CSR management in this narrative, which assigns a social value to environmental impacts and thus maintains the project's legitimacy. Our results show that the company's CSR practices (impact analysis, stakeholder management, reporting) make it possible to offset its negative ecological impacts with its promises of development for local residents.
- Marcher sur des lignes de crête : Collectifs de salariés pour le climat et transformation de leur entreprise - Stéphan Pezé, Christelle Théron p. 101-123 Depuis quelques années, des salariés soucieux des enjeux de l'Anthropocène s'organisent volontairement sous la forme de collectifs pour transformer leurs organisations de l'intérieur. Ce phénomène, peu étudié, est à la croisée des micro-fondations de la responsabilité sociale de l'entreprise et de l'activisme interne. L'analyse de sources secondaires révèle que ces collectifs parviennent à initier des changements en construisant des lignes de crêtes, des relations délicates avec différentes parties prenantes internes.In recent years, a number of employees concerned about the challenges of the Anthropocene Era have decided to organize themselves into collectives to transform their organizations from within. This phenomenon, little explored in the literature, is at the crossroads of the microfoundations of corporate social responsibility and internal activism. Analysis of secondary sources reveals that these collectives succeed in bringing about change by establishing "ridgelines," that is, delicate relationships with different internal stakeholders.
- Les organisations sentinelles : Penser le devenir stratégique des organisations dans l'Anthropocène - Emmanuel Bonnet, Diégo Landivar p. 125-142 Cet article s'intéresse aux organisations confrontées, de façon précoce, aux effets de l'Anthropocène. Pour ce faire les auteurs empruntent le concept de « sentinelle », issu de l'écologie scientifique et des sciences sociales, pour conceptualiser le devenir stratégique des organisations dans l'Anthropocène. Ils adoptent une perspective pragmatiste en examinant les processus d'enquête propres à deux exemples d'organisation – des stations de ski de moyenne montagne – à l'épreuve du changement climatique. En distinguant différentes réponses stratégiques dans lesquelles ces organisations s'engagent, ils proposent une définition d'une organisation sentinelle.This paper looks at organizations already facing the effects of the Anthropocene epoch. To this end, we borrow the concept of “sentinel,” as used in the context of scientific ecology and the social sciences, to conceptualize the strategic future of organizations in the Anthropocene. We adopt a pragmatic perspective, examining the investigative processes employed by two mid-mountain ski resorts in the face of climate change. Based on the different strategic responses identified within these organizations, we propose a definition of a "sentinel organization."
- L'hévéa qui gâche la forêt : Ce que la diffusion des prix de revient fait à la forêt coloniale - Pierre Labardin, Justine Loizeau, Antoine Fabre, Clément Boyer p. 143-164 Cette recherche historique interroge le rôle du prix de revient dans la généralisation des plantations d'hévéas, une des sources principales de déforestation en Asie de l'Est au début du XXe siècle à partir d'un corpus d'archives de presse. En faisant dialoguer le concept de cheapisation des vivants avec celui de commensuration, les auteurs montrent que la diffusion du prix de revient dans la presse tend à favoriser certaines formes d'exploitation du vivant, conduisant à la destruction des forêts primaires dans l'Empire colonial français. L'article permet de comprendre les effets structurels de cette période sur l'évolution des modes production du caoutchouc.This historical study examines the role of cost pricing in the spread of rubber plantations, one of the leading sources of deforestation in Southeast Asia at the beginning of the twentieth century, using a corpus of press archives. By linking the concept of the "cheapization" of living organisms with that of commensuration, we show that the widespread use of cost prices in the press was often conducive to certain forms of exploitation of living beings, leading to the destruction of primary forests in the French colonial empire. Our work sheds light on the structural effects of this period on rubber production methods.
- Quand l'institution comptable semble inébranlable face à l'Anthropocène : Une enquête auprès des professionnels comptables français - Christelle Chaplais-Chouvier, Sophie Marmorat, Maxence Postaire p. 165-187 Cet article s'intéresse aux pratiques quotidiennes des professionnels comptables susceptibles de faire évoluer la comptabilité face à l'Anthropocène. Les auteurs identifient des pratiques de travail institutionnel associées à un travail d'une part, de maintien de l'institution comptable et d'autre part, de création via le développement de nouveaux modèles comptables. Cette recherche contribue à enrichir la compréhension des freins et limites associés à ces pratiques et explore le rôle que pourraient jouer d'autres acteurs dans l'évolution de l'institution comptable.This article looks at the day-to-day practices of professional accountants that could help accounting evolve in the face of the Anthropocene. The authors identify the institutional work practices responsible, on the one hand, for upholding the existing accounting framework and, on the other hand, for creating and developing new accounting models. This research contributes to our understanding of the obstacles and limits associated with these practices, and explores the role that other actors could play in the evolution of accounting practices.
- Management de l'innovation, Anthropocène et transition écologique : L'impasse du naturalisme - Sylvain Lenfle p. 189-206 Le présent essai se propose de revisiter le management de l'innovation à la lumière des travaux de l'anthropologue Philippe Descola. Il montre comment l'ontologie naturaliste typique de nos sociétés occidentales, qui instaure une séparation claire entre nature et culture, trouve sa traduction dans le concept schumpetérien de destruction créatrice. L'analyse montre ensuite comment ce cadre général se traduit dans le champ du management de l'innovation par un biais pro-innovation qui rejette de facto la question des fins du processus et des limites écologiques hors du champ de l'analyse, ce qui constitue un obstacle ontologique pour penser la transition écologique. Les évolutions en cours sont par la suite discutées et quelques perspectives de recherche tracées.This essay offers a critical analysis of innovation management research in light of the theoretical framework proposed by the French anthropologist Philippe Descola. It demonstrates how occidental societies are characterized by a “naturalist” ontology that establishes a clear separation between nature and culture. We show how this ontology translates into the Schumpeterian concept of creative destruction, which constitutes the theoretical background of the discipline. This leads to a pro-innovation bias that excludes from the scope of analysis both the question of the ends of innovation and that of ecological limits. This, we argue, constitutes an ontological obstacle to conceptualizing the ecological transition. We conclude with current evolutions and propose some perspectives for future research.
- Enseigner l'Anthropocène par les imaginaires : Le cas d'une pédagogie fondée sur la création artistique - Justine Buriller, Sylvain Bureau p. 207-225 Face aux défis de l'Anthropocène, des formations en gestion détaillent les relations causales entre activités économiques et impacts écologiques. Cet article mobilise le concept d'imaginaire social de Castoriadis pour explorer une approche pédagogique complémentaire : un séminaire basé sur l'art. L'analyse visuelle des œuvres créées par des étudiants identifie quatre archétypes : révéler, amplifier, réformer et jouer. Ceux-ci caractérisent des manières de critiquer les imaginaires de l'Anthropocène ou de proposer des imaginaires alternatifs, soulignant le potentiel de l'art pour appréhender les enjeux idéologiques de l'Anthropocène en gestion.Faced with the challenges of the Anthropocene, management programs are focusing on the causal relationships between economic activities and ecological impacts. This article draws on Castoriadis' concept of the social imaginary to explore a different pedagogical approach: an art-based seminar. A visual analysis of the artworks produced by students yields four archetypes: reveal, amplify, reform, and play. Each of these archetypes describes a way of criticizing the imaginaries of the Anthropocene, or offering alternative ones. This research paper highlights the potential of art to grasp the ideological challenges of the Anthropocene in management curricula.
- Le canoé : Une lecture fictionnelle des archétypes de l'Anthropocène - Valentina Carbone, Christine Roussat p. 227-250 Cet article est né d'une rencontre entre les archétypes théoriques1 de l'Anthropocène d'Hoffman et Jennings (2018) et un texte de fiction, Odds against tomorrow, de Nathaniel Rich (2014). Il s'aventure à mêler les registres académiques et fictionnels dans un texte polyphonique construit autour de quatre variations. Faire dialoguer les registres académiques et fictionnels par un procédé de creative writing permet de dépasser le rôle des fictions comme simple matériau de recherche et de questionner les apports de cette « écriture fictionnelle sous contrainte théorique ».This article is the result of an encounter between the theoretical archetypes of the Anthropocene (Hoffman and Jennings, 2018) and a fictional text, Odds Against Tomorrow, by Nathaniel Rich (2014). It attempts to combine academic and fictional registers in a polyphonic text built around four variations. Bringing academic and fictional registers into dialogue through a process of creative writing makes it possible to go beyond the role of fiction as mere research material and to examine the potential value of such "fictional writing under theoretical constraints".