Contenu du sommaire : Paroles spoliées. Itinéraires de la littérature orale
Revue |
Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie ![]() |
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Numéro | no 38, 2024 |
Titre du numéro | Paroles spoliées. Itinéraires de la littérature orale |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Introduction
- Appropriation, provenance, restitution. Le cas des arts verbaux - Irene Albers, Éléonore Devevey p. 10-27
- Appropriation, provenance, restitution. Le cas des arts verbaux - Irene Albers, Éléonore Devevey p. 10-27
Dossier
- Recels et passerelles littéraires. Circulations de contes créoles entre la Martinique et l'Hexagone - Soraya de Brégeas p. 28-45 Au sein de l'espace (post)colonial francophone, les oralités autochtones ont souvent été placées au cœur d'entreprises d'affirmation culturelle et politique, dans une optique de décolonisation littéraire. En Martinique, de tels projets ont cependant pu susciter un sentiment de dépossession chez les conteurs locaux. Les écrivains de la créolité, comme Raphaël Confiant ou Patrick Chamoiseau, se sont en effet souvent dispensés de mentionner les noms des conteurs dont ils reprenaient les créations ou de solliciter leur autorisation préalable. Écrit à partir d'entretiens avec les conteurs, cet article, qui vise à leur rendre leur « part d'auteur », montre la nécessité de les citer lorsque l'oralité entre dans le régime de la propriété intellectuelle. Dans ce contexte, la figure littéraire du traducteur peut constituer une ressource pour repenser l'auctorialité en situation (post)coloniale.In the French-speaking (post-)colonial world, indigenous oral traditions have often been placed at the heart of cultural and political affirmation, with a view to literary decolonization. In Martinique, however, such projects may have given rise to a feeling of dispossession among local storytellers. Writers from the so-called Creole school, such as Raphaël Confiant and Patrick Chamoiseau, have often refrained from mentioning the names of the storytellers whose creations they were using, or from seeking their prior authorization. Based on interviews with storytellers, this paper aims to give them back their “part of authorship”, emphasizing the need to cite them when orality enters the regime of intellectual property. In such a context, the literary figure of the translator can be a resource for rethinking auctoriality in a (post-)colonial situation.
- Sur les traces du « Gambadeur-de-la-plaine ». Trajectoire d'un conte ronga - Andreas Schmid p. 46-67 Retraçant la trajectoire d'un conte ronga intitulé « Matlangu-wa-libala » (« Le Gambadeur-de-la-Plaine »), cet article montre comment recherche de provenance et critique philologique peuvent être conjuguées. Il existe de ce conte des versions très différentes : dans le roman de Simone Schwarz-Bart Ti Jean L'horizon (1979), dans des anthologies de contes populaires éditées entre autres par les écrivains d'avant-garde Carl Einstein (1925) et Blaise Cendrars (1921), ou encore par le linguiste Carl Meinhof (1917). La première version écrite du récit, qui figure dans les travaux du missionnaire Henri Junod (1898), mérite une attention particulière : elle nous renseigne sur Chiguyane, la conteuse dont le nom et l'identité, mais aussi la théorie littéraire, ont disparu dans les versions résultant des pratiques d'appropriation et de circulation qui se sont imposées.This paper traces the trajectory of the Ronga tale “Matlangu-wa-libala” (“Le Gambadeur-de-la-Plaine”) to showcase the uses of philological provenance research as a new approach in literary and media studies. The tale featured in very different versions in Simone Schwarz-Bart's novel Ti Jean L'horizon (1979), in folktale anthologies, edited among others by avant-garde authors Carl Einstein (1925) and Blaise Cendrars (1921) and by the linguist Carl Meinhof (1917). The first written version in the works of the missionary Henri Junod (1898) will allow to uncover details about the conteuse, Chiguyane, whose name and identity, but also whose literary theory disappeared in the purifying practices of appropriation and circulation.
- Itinéraire d'un « chant de guerre » baoulé. De la violence coloniale aux négritudes - Vincent Debaene p. 68-89 De tous les livres de Maurice Delafosse, L'Âme nègre (1922) est sans aucun doute celui qui a été le plus largement diffusé et lu, à la fois en Europe et en Afrique. Signe de cette influence, de nombreux textes issus de ce recueil de « littérature orale » ont reparu, cités ou adaptés, dans d'autres contextes. Aucun cependant n'a autant circulé qu'un « chant de guerre » baoulé qui, après la guerre, se trouve repris par deux des pères fondateurs de la négritude, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas, dans une logique de promotion et de réappropriation de la « littérature orale africaine ». Mais dans quelles circonstances ce « texte » a-t-il été initialement collecté ? S'agissait-il d'ailleurs vraiment d'un « chant de guerre » ? Et la notion de « réappropriation » permet-elle réellement de comprendre le geste par lequel Senghor et Damas, à la veille des décolonisations, transforment en poème un tel écrit, prélevé dans la « bibliothèque coloniale » ?Among Maurice Delafosse's books, L'Âme nègre (1922) was undoubtedly the most widely read, both in Europe and in Africa. Notably, many texts from this collection of “oral literature” were quoted, republished or adapted in other contexts in the subsequent years. None circulated as much, though, as a Baoulé “war song” which, after Second World War, was reappropriated by two founding fathers of the Négritude movement, Léopold Sédar Senghor and Léon-Gontran Damas, as part of their quest to dignify and promote “African oral literature”. But when and in what circumstances was this “text” originally collected? Was it really a “war song” in the first place? And is “reappropriation” the accurate concept to describe Damas's and Senghor's gesture, when they decided to turn into a “poem” a text harvested from the “colonial library”?
- Poème sonore/ chant māori. Enquête sur le « Toto-vaca » de Tristan Tzara - Stefan Schawe p. 90-109 À partir d'une recherche philologique de provenance, cet article retrace l'histoire de « Toto-vaca », un chant māori qui circule encore aujourd'hui en tant que poème sonore attribué à Tristan Tzara. Au-delà des différentes tentatives d'appropriation, de décontextualisation et de réinterprétation dont il a été l'objet, notre attention s'est portée surtout sur la genèse du texte, dont les premières traces remontent au carnet de notes d'un ethnologue. Afin de mettre sur un pied d'égalité la circulation occidentale des oratures transcrites par des Européens et les interprétations autochtones du texte, la collaboration avec des acteurs locaux issus des communautés sources s'est imposée. Exposant les résultats de cette enquête collaborative, l'article met en évidence les apports de la recherche philologique de provenance pour l'édition de littératures orales qui ont fait l'objet d'une appropriation littéraire.Using philological provenance research, this article traces the trajectories of “Toto-vaca”, a Māori song still circulating today as a supposed sound poem and alleged creation of Tristan Tzara. Alongside Tzara's and others' various attempts at appropriation, decontextualization, and reinterpretation, the focus is on the origin of the text, which can be traced back to an ethnographer's notebook. To confront the Western circulation of recorded oratures with indigenous textual approaches on an equal footing, cooperation with local actors from the source communities is essential. This article reports on the results of such collaborative research on “Toto-vaca” and outlines what the findings of philological provenance research can mean for the edition of recorded oral literature.
- Faux, usages de faux et « vol de voix ». Circulations du Walam Olum - Éléonore Devevey p. 110-131 En 1988, Florence Delay et Jacques Roubaud publient Partition rouge, sous-titré Poèmes et chants des Indiens d'Amérique du Nord. Le « texte » qui donne son titre à ce volume est un manuscrit attribué aux Lenapes, connu sous le nom de Walam Olum (ou Red Score), qui retrace la genèse et les migrations de ce peuple algonquin, et rend compte de son point de vue sur l'arrivée des colons blancs. Édité et traduit à plusieurs reprises au cours des xixe et xxe siècles, le Walam Olum a cependant été reconnu comme faux dans les années 1990 – ce qui ne l'a pas empêché de poursuivre sa vie éditoriale. Comment comprendre une telle persistance ? Plus généralement, que faire des multiples cas de faux qui jalonnent l'histoire de la littérarisation des traditions orales ? Un tel « vol de voix » permet de mesurer la montée en puissance de l'exigence, inséparablement épistémologique et politique, de revalorisation de l'expertise autochtone.In 1988, Florence Delay and Jacques Roubaud published the collection Partition rouge, subtitled Poèmes et chants des Indiens d'Amérique du Nord. The “text” that gives this volume its title is a manuscript attributed to the Lenapes, known as the Walam Olum (or “Red Score”), which traces the genesis and migrations of this Algonquin people, as well as their views on the arrival of white settlers. Published and translated several times during the 19th and 20th centuries, the Walam Olum was recognized as a forgery in the 1990s –but this has not put an end to its republications and circulation. How can we explain such persistence? More generally, what is to be made of the many cases of forgery that punctuate the history of the textualization of oral traditions? Such “theft of voice” is a measure of the growing demand, both epistemological and political, of revaluing indigenous expertise.
- Recels et passerelles littéraires. Circulations de contes créoles entre la Martinique et l'Hexagone - Soraya de Brégeas p. 28-45
Archives
- La Mission romande et l'invention d'une littératie tsonga - Jehanne Denogent p. 133-150 L'ensemble de documents d'archives présentés dans cet article, tous liés aux activités de la Mission romande en Afrique, vise à mettre en lumière le rôle des missionnaires suisses dans la transcription de la langue et de l'« orature » (Ngugi 1998) tsongas au tournant du xxe siècle. Ils décrivent un double mouvement, du français au tsonga, et inversement, lié à la littératie et à la culture de l'imprimé. À partir de cet ensemble, il s'agira de réfléchir aux conditions matérielles de circulations textuelles.
- La Mission romande et l'invention d'une littératie tsonga - Jehanne Denogent p. 133-150
Traduction
- Sur la définition du primitivisme littéraire - Erhard Schüttpelz, Irene Albers, Andreas Schmid p. 154-167
- Sur la définition du primitivisme littéraire - Erhard Schüttpelz, Irene Albers, Andreas Schmid p. 154-167
Archives sonores
- Archives sonores. Introduction - Christine Guillebaud p. 170-174
- Les défis du partage des archives sonores (coloniales) au Rwanda - Rémy Jadinon p. 176-179
- Les archives sonores dahoméennes de l'Exposition coloniale de Paris (1931). Chronique d'un projet de recherche-création - Cécile Van den Avenne p. 180-183
- L'atelier « Voix de nos aïeux ». Les premiers enregistrements togolais en contexte colonial allemand - Mèhèza Kalibani p. 184-187
- Enregistrements sur cylindre de cire du Sud-Cameroun, 1907-1909. Restitutions multiples et vie propre d'une publication d'archives sonores coloniales - Susanne Fürniss p. 188-191
- Archives sonores. Introduction - Christine Guillebaud p. 170-174
Varia
- Petite histoire musicale d'une relation d'oisellerie. Variations autour d'un chant d'oiseau brésilien - Laurie Vandevelde p. 194-210 L'organisation de compétitions de chants d'oiseaux, un loisir répandu au Brésil, est au cœur d'une tradition d'oisellerie ancienne qui met à l'honneur le sporophile curio. Modifié par des générations d'oiseleurs et enseigné par eux au sein des élevages, le chant de ce passereau imbrique une expressivité animale et un projet esthétique humain. En mobilisant un matériau sonore qui échappe aux catégories du naturel et de l'artificiel, cet article a pour objectif de montrer comment une forme mélodique signifiante peut enclore, dans sa matérialité sonore, l'empreinte d'un lien interspécifique qu'elle rend tangible pour l'auditeur. Plus précisément, le récit de la musicalisation du dialecte d'oiseau, dit Praia Grande, nous permet de retracer l'histoire d'une relation singulière entre humains et oiseaux, et d'en penser l'évolution. Réciproquement, l'analyse des étapes de la transformation d'une communication animale en « œuvre » institutionnalisée permet de mesurer l'impact de ce processus sur les rapports entre les éleveurs et leurs curiós, et de montrer que ce chant d'oiseau est l'agent de leur restructuration.Bird song competitions, a widespread pastime in Brazil, is at the heart of an ancient birding tradition that honours the sporophile curio. Modified by generations of birders and taught by them to those passerine birds, the song of the curió combines animal expressiveness with a human aesthetic project. By mobilising a sound material that eludes the categorisations of natural and artificial, this article aims to show how a meaningful melodic form can enclose, in its sound materiality, the imprint of an interspecific bond that is made tangible for the listener. More specifically, the story of the musicalisation of the bird dialect known as Praia Grande enables us to retrace the history of a unique relationship between humans and birds, and to consider its evolution. Conversely, an analysis of the transformation stages of an animal communication into an institutionalised “work” enables us to measure the impact of this process on the relationship between the birders and their curiós, and to show that this bird song is the agent of their (re)composition.
- Petite histoire musicale d'une relation d'oisellerie. Variations autour d'un chant d'oiseau brésilien - Laurie Vandevelde p. 194-210
Chroniques cinéma
- Transformations du cinéma guarani - Ernesto de Carvalho, Beatriz Rodovalho p. 212-216
- Le legs d'un ethnologue en partage. Collection, films, photographies et archives de Bohumil Holas - Élise Sobkow-Lorec p. 218-221
- Transformations du cinéma guarani - Ernesto de Carvalho, Beatriz Rodovalho p. 212-216