Contenu du sommaire : « Conflits au travail »
Revue | Politix |
---|---|
Numéro | vol. 22, no 86, 2009 |
Titre du numéro | « Conflits au travail » |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - p. 3-5
- Hommage à Jacques Lagroye (1936-2009) - p. 7-12
Dossier : « Conflits au travail »
- Des conflits du travail à la sociologie des mobilisations : les apports d'un décloisonnement empirique et théorique - Giraud Baptiste p. 13-29
- La lutte des classes en deux actes. Un cycle de grèves dans les plantations sucrières du Nordeste brésilien - Sigaud Lygia p. 31-49 L'article analyse un cycle de grèves qui s'est déroulé entre 1979 et 1985 dans l'État de Pernambuco, au Nord-Est du Brésil. Ces grèves ont impliqué 200 000 travailleurs des grandes plantations de canne à sucre et eurent pour conséquence l'établissement de contrats collectifs édictant des normes régulatrices des conditions de travail, notamment au sujet du salaire, du logement et de l'accès à un lopin de terre destiné à l'agriculture de subsistance. Le point de départ de l'analyse est la distinction entre deux moments constitutifs du cycle. La première partie de l'analyse aborde le moment de la grève, ses caractéristiques, les acteurs impliqués et ce qui est en jeu pour eux. La deuxième analyse l'intermède entre deux grèves, les conflits qui le caractérisent et la logique dans laquelle ils s'inscrivent. Une partie conclusive pointe les effets de ce cycle à différentes échelles.The text examines a cycle of strikes that occurred between 1979 and 1985 in the Pernambuco Zona da Mata, involving the 200,000 workers from the large sugarcane plantations and resulting in collective contracts that contained regulatory norms for living conditions and labour conditions on the plantations, such as wages, housing and access to land for planting subsistence crops. The starting point is the analytic distinction between the two constitutive moments of the cycle: the moment of the strike and the interregnum. The first part of the text focuses on the moment of the strike, its features, the actors involved and what was at stake for them. The second part analyzes the interregnum, the conflicts that characterize it and their underlying logic. The third and conclusive part highlights the effects of the cycle at different scales.
- Mesure des conflits, conflits de mesure. Retour sur l'histoire des outils de quantification des grèves - Penissat Étienne p. 51-72 Le renouveau des débats sur la conflictualité au travail est allé de pair avec un renouvellement des outils de sa mesure. Les enquêtes mises au point par les chargés d'études et les statisticiens du ministère du Travail dans les années 1990-2000 ont contribué à transformer les représentations associées aux conflits du travail en France, notamment en remettant en cause le constat de leur déclin. L'article se propose de revenir sur l'histoire longue de ces statistiques : des sources administratives aux enquêtes, d'une approche criminelle à une approche macro-économique puis micro-économique, d'une définition restrictive à une définition extensive. Si les outils de quantification ont évolué en même temps que les formes de conflits, on montre que la professionnalisation et l'autonomisation des structures de production des statistiques au sein de l'État ont permis à certains de ses agents de faire évoluer ces outils alors même que la conflictualité n'était pas au centre de l'agenda politique.The revival of debates concerning conflicts in the workplace has been accompanied by a renewal of its measurement tools. The surveys developed by the experts and statisticians from the Ministry of Labor in the years 1990 and 2000 have transformed representations associated with labor disputes in France, by questioning, in particular, the analysis of their decline. The article sheds light on the long-term history of these statistics: from registers to surveys, from a criminal approach to macro-economic and then micro-economic approaches, from a restrictive definition to a broad definition. If measurement tools have evolved along with the forms of conflicts, we show that the professionalization and the empowerment of State statisticians have allowed them to promote these tools even though social conflicts were not at the centre of political agenda.
- Judiciarisation ou juridicisation ? Usages et réappropriations du droit dans les conflits du travail - Pélisse Jérôme p. 73-96 Cet article se propose d'interroger les modalités par lesquelles le droit vient encadrer les relations professionnelles et structurer la conflictualité au travail. La juridicisation des relations sociales, désignant un recours accru au droit dans les interactions ordinaires des relations de travail, est en effet trop souvent confondue avec un phénomène de judiciarisation, entendue comme la saisie plus fréquente des tribunaux pour régler des conflits du travail. Ces deux processus sont pourtant à distinguer, tant se dressent entre eux les obstacles liés à l'activité de mobilisation du droit. Fondée sur des sources quantitatives (les enquêtes REPONSE) et qualitatives, l'analyse explore les conditions sociales qui président à ces processus de juridicisation et judiciarisation. Nous cherchons en particulier à montrer l'importance de la structuration des collectifs de travail pour comprendre la place et les usages du droit dans les transformations des formes de conflits du travail contemporains.This paper aimed at asking how the law enframes industrial relations and structures labor conflits. Indeed, juridicization, defined as the growing uses of law in ordinary interactions like workplace is very often confused with judicialization, as the process resulting of the more frequent complaining in court. The two processes have to be distinguished however, because there are many obstacles to the mobilization of law. Based both on REPONSE surveys (centered on labor relations at workplace) and qualitative datas, the paper investigates the social conditions necessary to these processes. It shows notably how the nature of the collectives of workers could explain the place and the uses of law in the transformation of contemporary labor conflits in France.
- Une mobilisation collective dans l'aide à domicile à la lumière des pratiques et des relations de travail - Avril Christelle p. 97-118 Les aides à domicile pour personnes âgées cumulent sur le marché du travail un certain nombre de handicaps. Elles apparaissent ainsi comme une population à faibles ressources pour l'action collective. Pourtant, au cours d'une enquête de terrain, nous avons assisté à la mobilisation collective d'aides à domicile contre le système de pointage téléphonique mis en place par leur direction. Nous entendons montrer ici que c'est notre connaissance approfondie de l'expérience laborieuse de ces femmes qui a rendu possible la mise au jour de ce conflit, de sa forme spécifique mais aussi de ses ressorts. En effet, tout d'abord, ces salariées s'efforcent de ne pas s'exposer au cours de leurs pratiques protestataires. Ensuite, leurs ressources sont collectives et indissociables des contextes professionnels dans lesquels elles sont mises en œuvre : c'est à l'occasion de leur travail que ces femmes mobilisent des ressources professionnelles et locales pour l'action collective.Population of female workers who provide homecare for the elderly, suffer from several handicaps on the labour market, and so appear to be a population with low (social and occupational) assets for collective action. However, we observed during our field work a collective action against the phone time clock promoted by the director of the organization. Therefore, in this article, we want to prove that it's our detailed knowledge of the work experience of these homecare workers that made us able to reveal the protest, its specific form and its causes. Indeed, first, these workers use very discreet protest practices in order to protect themselves. Besides, their assets are collective and related to precise occupational contexts: their occupational and local assets to mobilization are provided by the structure of social relations at work.
- Mobilisations improbables et apprentissage d'un répertoire syndical - Collovald Annie, Mathieu Lilian p. 119-143 Une série d'obstacles (précarité des statuts, fort turn-over, répression patronale, conditions d'emploi défavorables, faible implantation syndicale et absence de tradition de lutte, etc.) contribuent à rendre sociologiquement improbables la mobilisation et la syndicalisation des salariés des secteurs flexibles et précaires. L'étude de grèves survenues dans deux commerces de biens culturels (une librairie d'art et un supermarché de la culture) permet de cerner dans quelles conditions ces obstacles peuvent être surmontés. Si les motifs du mécontentement des salariés sont à rechercher dans leurs trajectoires et dans la déception de leurs espoirs de valorisation de soi dans le travail, les ressorts de leur engagement tiennent à des dynamiques et des solidarités internes au collectif de travail. L'expérience, même douloureuse, de la grève ouvre à un apprentissage pratique de la lutte qui peut se trouver au principe de carrières syndicales.Some obstacles (status precariousness, high turn over, employers' repression negative work conditions, union weakness and lack of contentious tradition...) explain that the mobilisation and the unionisation of workers are unlikely in precarious and flexible sectors. By studying strikes that happened in a bookshop specialised in art books and in a cultural supermarket, the authors show in what conditions these obstacles can be overcome. If the workers' motive of discontent are to be found in their trajectories and in the deception of their hopes of self-realisation in work, their commitment in the strikes are related to dynamics and solidarities internal to their work group. Even painful, the experience of the strike opens to a practical initiation of collective action, which can initiate trade unions careers.
- Régulariser ou non un imam étranger en France : droit au séjour et définition du « bon imam » en pays laïque - Jouanneau Solenne p. 147-166 En novembre 1990, le ministère de l'Intérieur, dans le but d'influer sur le profil des imams étrangers officiant sur le territoire français, favorise officieusement l'instauration d'une procédure particulière de surveillance des demandes de visas émises au titre de l'occupation des fonctions de « ministre du culte » musulman. Basée sur l'analyse systématique des trois cents dossiers d'imams constitués par les différents services concernés par cette procédure (entre 1991 et 1997), cette contribution se propose d'analyser le poids des différentes catégories d'entendement mobilisées le long de cette chaîne politico-administrative (RG, préfecture, BCC, DLPAJ, cabinet du ministre) afin de distinguer les « bons imams » des « mauvais ». Il s'agira ainsi d'interroger les décalages pouvant exister entre, d'une part, le discours médiatique des ministres de l'Intérieur sur les imams étrangers depuis une quinzaine d'années et, d'autre part, la réalité des pratiques administratives concernant les demandes de régularisation de cette catégorie de requérants.In November 1990, the French Department of the Interior unofficially promoted the creation of a particular surveillance procedure to check the visa applications of potential “Muslim clergymen” so as to influence the profile of foreign imams preaching in France. Based on the systematic analysis of the files of the 300 imams, completed by the different services engaged in that procedure (between 1991 and 1997), this article aims at analysing the significance of the different forms of classification to distinguish “good imams” from “bad imams” along this politico-administrative chain (RG, BCC, DLPAJ, Secretary's staff). This will lead us to examine the gap between the official discourse on the foreign imams in the last 15 years and the actual administrative practices as regards the regularization process of that category of applicants.
- Les manifestations paysannes polonaises de 1998-1999. Politisation, médiatisation et personnalisation d'une mobilisation contestataire - Pellen Cédric p. 167-188 La vague de grèves paysannes des années 1998 et 1999 constitue l'une des plus importantes mobilisations contestataires connues par la Pologne depuis le changement de régime. Elle a communément été interprétée comme le symptôme du malaise des campagnes polonaises, comme une poussée de fièvre protestataire d'une paysannerie incapable de s'adapter aux exigences nouvelles de l'économie de marché. Rompant avec ces lectures pathologiques et mécanicistes, l'article entend resituer l'étude de la mobilisation dans l'espace « normal » du politique en plaçant au cœur de l'analyse les stratégies de politisation et de mise en forme de la mobilisation développées par les entrepreneurs de cause. Loin d'être spontané, le mouvement de contestation apparaît dès lors comme le résultat relativement improbable du travail de politisation concurrentiel de la crise économique du secteur agricole mis en œuvre par les principales organisations prétendant à la représentation de la paysannerie dans les jeux politiques post-communistes. L'étude de la couverture médiatique des événements permet de prendre conscience de l'influence des médias sur la dynamique de la mobilisation et particulièrement sur son apparente radicalisation. En se focalisant sur les actions les plus spectaculaires, ils tendent à fournir une couverture privilégiée aux stratégies de scandalisation et de subversion des règles de la manifestation développées par le syndicat Samoobrona. Bien que marginale au début de la mobilisation, cette organisation parvient ainsi progressivement, par le biais de son président Andrzej Lepper, à s'imposer comme le principal bénéficiaire du mouvement contestataire.The wave of peasant demonstrations in 1998 and 1999 was one of the most important collective protests in Poland since the regime change. It was mainly interpreted as a symptom of the troubles of the Polish countryside, as a “protest fever” due to the inability of the peasantry to adapt to the market economy. Breaking with these interpretations in terms of pathology, this article aims to “normalise” the analysis of the demonstrations by taking into account the strategies of politisation and shaping of the mobilisation brought about by the organisations engaged in the movement. Far from being spontaneous, the protest movement appears to have been the relatively improbable result of the competitive action of politisation of the economic crisis of the agricultural sector produced by the main organisations pretending to represent the peasantry in the post-communist political arena. The study of the media coverage of events allows us to perceive the decisive impact of the media on the dynamics of mobilisation and on its apparent radicalisation. By concentrating their attention on the most spectacular actions, the media tended to provide particularly wide coverage of the strategies of scandalisation and of subversion of the rules of demonstration drawn up by the trade-union Samoobrona. Thus, even though it was marginal at the beginning of the mobilisation, this organisation managed to impose itself, via its leader Andrzej Lepper, as the main beneficiary of the protest movement.
- Portée et limites du dispositif « jury citoyen ». Réflexions à partir du cas de Saint-Brieuc - Barbier Rémi, Bedu Clémence, Buclet Nicolas p. 189-207 Cet article rend compte de la première expérience française de jury citoyen touchant l'organisation d'un service technique territorial, en l'occurrence de gestion des déchets. Après avoir brièvement procédé à une mise en perspective historique et conceptuelle du tirage au sort, nous décrivons le contexte controversé dans lequel s'est inscrite cette initiative, puis rendons compte de son déroulement. Nous avons été notamment attentifs à l'expérience des citoyens qui abandonnent le confort de la « liberté des modernes » – être libre de vaquer à ses affaires privées – et renouent (provisoirement) avec la « liberté des anciens » en devenant co-producteurs de la décision publique. Nous mettons en avant le « trouble de légitimité » et la « charge morale » que cet engagement civique est susceptible de provoquer chez les jurés. Ceux-ci semblent y avoir réagi en forgeant en situation une éthique collective de l'expérience citoyenne, mais aussi en ayant recours lors de la délibération finale à une certaine forme d'imaginaire ordinaire du « durable », peuplé de techniques douces et de gestes éco-citoyens.This paper deals with the first French experience of “citizen jury” applied to the organization of a local utilities (waste management). After giving an historical and conceptual background to the notion of random selection, we present the experience in itself and the controversial context in which it took place. The analysis focuses on this peculiar experience that implies for the citizen to put aside his private affairs in order to become co-producers of the public decision. More specifically, it shows how this civic involvement can provoke legitimacy trouble and a feeling of moral responsibility. The responses given have been, on one hand, to elaborate progressively a collective ethic of civic involvement, and on the other hand, to take into account a general ideal of ‘sustainability” by referring to soft techniques and pro-environmental behaviour.
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 209-228