Contenu du sommaire : L'anthropologie politique aujourd'hui

L'anthropologie politique a, pendant des années, décrit les institutions africaines à partir de l'observation, repeignant certaines données aux couleurs de l'Occident et livrant ce que Vansina a cru pouvoir appeler des « planches anatomiques ». Les appareils politico-administratifs et leurs fonctions ont été soigneusement présentés, leurs rapports avec la stratification sociale établis ; des figures royales ont été dessinées et les rites d'intronisation évoqués dans toute la mesure du possible. Est resté dans l'ombre ce à quoi n'a pas eu accès l'observateur : les instances en train de fonctionner permettant de saisir les mécanismes de prise de décision, les phases secrètes des rituels. Cette approche classique a été enrichie, à partir des années 1960, par les reconstitutions historiques qui permettent de saisir les enjeux politiques, les problèmes récurrents que les gouvernants ont dû tenter de résoudre, en particulier les rapports entre le roi, ses successeurs et les aristocraties lignagères. Quelques grandes particularités de la vie politique africaine se dégagent de ces travaux : la présence sous-jacente de la morphologie parentale, la spécificité du statut royal, l'orientation d'une politique qui doit essentiellement assurer la prospérité des populations, la fécondité des femmes, la fertilité des terres, l'imbrication du politique, du religieux et du judiciaire.

Un Etat « archaïque », malgré l'absence de formes institutionnalisées d'expression des opinions, est un champ politique de fait que structure un débat latent sur le meilleur régime de gouvernement. On peut montrer comment l'ancien royaume de Segu (Mali) doit pour une part sa puissance à la crise fondatrice qui, dans les années 1755-1765, oppose deux interprétations du système existant (rapport de quasi-servitude entre un roi et ses sujets ou association d'égaux ?) et deux modalités d'organisation du pouvoir (monopole dynastique ou partage isonomique ?).

Si, comme le veut Moses Finley, la politique se définit par l'intervention du débat, les royaumes de l'Afrique de l'Ouest précoloniale sont au plus haut point des sociétés politiques : en leur sein se déroulent de nombreux débats concernant l'organisation des pouvoirs publics, la nature des ressources de l'Etat, les rapports entre ce dernier et le commerce, la place qu'il convient de réserver à l'islam. Ces débats sont conduits selon les principes de la palabre africaine : décision en apparence au moins unanime, recherche systématique du consensus maximal, refus de la règle majoritaire et de la procédure de vote.

A propos de l'Afrique contemporaine, il est d'usage d'opposer la sphère des ethnies aux processus de transformations sociales provoqués par la colonisation et poursuivis par les Etats indépendants. Entre ces deux pôles, rien ou presque ne semble permettre d'appré­hender les entités nationales en tant que telles, comme si le poids des traditions et les insuffisances de la modernité avaient pour effet de les frapper d'inconsistance. La Côte-d'Ivoire fournit un contre-exemple à ce modèle courant de sociologie politique. Une identité ivoirienne peut être discernable, mais à la condition de prendre la mesure du rôle majeur qu'a joué l'Etat colonial dans la constitution du fait ethnique ; d'analyser celui-ci concomitamment aux transformations économiques et politiques de la société globale ; et de montrer ainsi, qu'informées par elles, les ethnies ont participé à la genèse d'une identité ivoirienne et de l'Etat qui en a la charge.

Des exemples précis choisis dans les régions rurales du Pérou et de l'Equateur, permettent d'appréhender trois dimensions de l'anthropologie politique : les rapports entre les commu­nautés indigènes et l'Etat, les formes de domination exprimées en termes de parenté et de réciprocité, et les spécificités culturelles de mouvements politiques contemporains.

Le Guatemala, pays où la population indienne représente les deux tiers de la population totale, a connu durant les dix dernières années des politiques de déstructuration sans précédent. L'Eglise catholique, les pouvoirs politiques et l'armée, en utilisant des sectes d'origine nord-américaine, ont joué un rôle primordial dans la déstructuration des systèmes des représentations traditionnelles et dans la mise en place de nouveaux systèmes de valeurs, de nouvelles représentations adaptées aux conditions d'existence sociale qui leur sont imposées.

Le patronage électoral est généralement envisagé d'un point de vue spécialisé et fonctionnel. Les analyses qui en sont faites privilégient l'échange de biens et de services entre patron et client et l'intérêt « objectif » que les deux parties en retirent. En Corse, la relation entre patron et client est traitée comme un phénomène culturel au sens anthropologique du terme, c'est-à-dire comme le produit d'une certaine manière, politique mais non politisée, de penser les rapports sociaux.

Abordée par l'intérieur, par ses acteurs, la révolution iranienne apparaît à l'ethnologue comme un phénomène irréductible à la logique de ses causes et de ses effets, et surtout comme un vécu, imbrication nécessaire de formes culturelles spécifiques et de processus communs à tous les mouvements révolutionnaires.

II existe déjà de nombreux travaux, aussi bien d'anthropologues que de politistes, qui ont tenté de pondérer la place et l'importance des facteurs traditionnels dans l'évolution politique de l'Inde contemporaine. On se propose plutôt ici de comprendre la culture politique de l'Inde d'aujourd'hui comme l'ethnologue le ferait de n'importe quel autre type de croyance, traditionnelle pu non, dans la société qu'il étudie, cherchant d'abord à cerner quelle en est la configuration spécifique et quels sont les ressorts fondamentaux dont il aura à entreprendre l'analyse.

Le développement d'une approche anthropologique du fait politique dans le domaine européen est une donnée récente : l'auteur met ici en évidence les obstacles qui ont pu freiner ce développement. Il s'interroge ensuite sur le concept d'espace politique qui forme l'objet de cette anthropologie. Ce concept doit s'entendre dans sa double acception : espace de la représentation politique, configuration en réseaux où l'on circule sans cesse par-delà les limites circonscrites par les collectivités locales ; espace de l'action politique où la référence à la territorialité, à l'opposition hiérarchique entre centre et périphérie commande les pratiques et les discours des élus. Le décalage entre ces deux espaces est au coeur de l'anthropologie politique des sociétés modernes.

Les écrits de Pierre Clastres ont contribué à diffuser l'idée qu'à l'exception de l'empire inca l'organisation politique des peuples aborigènes sud-américains était principalement caractérisée par l'institution de la chefferie sans pouvoir. Or le panorama des formes politiques sud-amérindiennes est en réalité beaucoup plus complexe : de nombreuses chefferies hiérarchisées en castes se sont autrefois développées dans les régions forestières et, inversement, beaucoup d'ethnies contemporaines sont complètement dépourvues de chefs, même formels. En outre, si certaines tribus sud-américaines ont privé leurs chefs de moyens effectifs de coercition, elles ont en revanche confié des pouvoirs exorbitants à leurs chamanes. Une réflexion sur le pouvoir dans ce type de société ne saurait donc faire l'économie du rôle qu'y jouent les spécialistes du monde surnaturel.