Contenu du sommaire : L'invention du politique en Afrique et en Asie
Revue | Revue Française de Science Politique |
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Numéro | 39e année, n°6, 1989 |
Titre du numéro | L'invention du politique en Afrique et en Asie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
L'invention du politique en Afrique et en Asie
- Avant-propos - Jean-François Bayart p. 789-792
- À la quête des OPNI (objets politiques non identifiés). Comment traiter l'invention du politique ? - Denis-Constant Martin p. 793-815 L'étude des sociétés politiques post-coloniales a soulevé un certain nombre de problèmes qui ont contraint, d'une part, à repenser les axiomes théoriques et méthodologiques de la science politique construite à partir des expériences européennes ou nord-américaines, d'autre part, à réévaluer la manière dont ces sociétés (« démocratiques développées ») étaient classiquement abordées. Elle a ainsi débouché sur la recherche de moyens pour analyser l'« invention » du politique. A l'aide d'outils élaborés dans toutes les disciplines des sciences sociales, il est possible de cerner des domaines où l'attention doit se concentrer en pistant des « objets politiques non identifiés » afin de déceler des manières inédites de concevoir et de faire de la politique : pour, finalement, mieux comprendre la perception du politique dans des sociétés différentes mais aussi dans les nôtres, donc ce qui modèle les attitudes des citoyens et les pousse éventuellement à agir.The study of post-colonial political societies has raised problems which have made it necessary to rethink the theoretical and methodological axioms constructed on the basis of European or North American experience and also to reevaluate the manner in which these societies ("developed democracies ") were approached classically. It has led to a search for means of analysing the "invention " of politics. With tools worked out in all the social sciences, it is possible to identify areas in which one needs to track " unidentified political objects " in order to discover unusual ways of conceiving of and acting in politics. This helps understand better the perception of politics in various societies as well as in ours ? thus, what fashions citizens' attitudes and eventually leads them to act.
- Sionisme et judaïsme : la difficile et fragile autonomie du politique - Alain Dieckhoff p. 816-828 La politique a eu, dès l'origine, un statut ambigu dans le monde juif. Reconnu comme une instance spécifique et nécessaire pour organiser la cité, le politique a pourtant, au niveau idéologique, un statut périphérique par rapport au spirituel, à l'éthique, au religieux. Cette mise à distance du politique, encore renforcée durant la période diasporique, explique les réticences profondes que le projet sioniste a rencontrées au sein même du judaïsme. Le sionisme s'est en effet proposé d'inscrire les Juifs au cœur même du politique moderne en les dotant d'un Etat. Cet objectif prioritaire de construction d'un Etat séculier a eu affaire à une critique d'essence religieuse qui a rejeté radicalement le sionisme ou s'en est accommodé, pragmatiquement d'abord, puis en le légitimant théologiquement (Rav Kook). Pour le sionisme religieux, un problème majeur subsiste néanmoins : l'extrême difficulté de reconnaître l'Etat d'Israël comme la matérialisation d'un projet avant tout politique.Politics has always had an ambiguous status in the Jewish world. Acknowledged as necessary and specific in the organization of the city, politics at the ideological level has nevertheless a peripheral status compared to the spiritual, ethical and religious fields. The distancing of politics, reinforced during the age of diaspora, explains the deep reluctance that Zionism has met with even within Judaism. Zionism aims to bring Jews directly into modern politics by providing them with a State. This primary objective of constructing a secular state met with religious criticism which either radically rejected Zionism or accommodated to it, pragmatically at first, and then legitimizing it theologically ( Rav Kook). For religious Zionism there remains one major problem : the extreme difficulty of recognizing the state of Israel as the materialization of a basically political project.
- La place de l'État dans l'idéologie nationaliste hindoue. Éléments pour l'étude de l'« invention de la tradition politique » - Christophe Jaffrelot p. 829-851 L'assimilation courante du nationalisme hindou à un mouvement fasciste, pertinente pour la Hindu Mahasabha, le principal parti hindou d'avant l'indépendance, l'est beaucoup moins dans le cas du RSS qui valorise davantage la « nation-société » que l'Etat et répond plus aux critères d'une « secte politique » qu'à ceux d'un parti-Etat. Ces deux concepts, tout comme celui d'un Etat décentralisé que le RSS tente de concilier avec son souci de l'unité nationale, sont toutefois les produits d'une « invention de la tradition », au sens de R. Kothari. Ce processus semble interdire toute analyse de la vision nationaliste hindoue de l'Etat au moyen de catégories indigènes traditionnelles, sauf lorsqu'il reproduit un jeu de relations structurelles, entre religion et politique par exemple : ainsi, l'intérêt des nationalistes hindous pour l'Etat, lors de leur participation au gouvernement en 1977-1979, ne s'est affirmé que lorsqu'il s'est agi de politique religieuse, conformément au modèle des royaumes anciens où le pouvoir temporel était soumis à l'autorité spirituellle.The place of the state in hindu nationalist ideology The common assimilation of Hindu nationalism and fascism, while relevant for Hindu Mahasabha, is much less valid in the case of the RSS which values the "nation-society " more than the State and corresponds more to the criteria of a "political sect " than to those of a State party. The two concepts, and that of a decentralized State that the RSS tries to reconcile with its emphasis on national unity, are nevertheless products of " the invention of tradition " (R. Kothari). The process seems to forbid any analysis of the Hindu nationalist vision of the State by means of traditional indigenous categories, except when it reproduces a set of structural relations, as between religion and politics. Thus, the interest of the Hindu nationalists in the State, when they participated to the government in 1977-1979, asserted itself only in the field of religious policy, in accordance with the pattern of the ancient kingdoms where temporal power was subjected to spiritual authority.
- Inventions de l'Indonésie - Françoise Cayrac-Blanchard, Jacques Leclerc p. 852-866 Comment s'est élaboré le concept d'Etat indonésien dans la pensée des nationalistes revendiquant l'indépendance dans la première moitié de ce siècle ? Quelques éléments de ce processus peuvent-ils être saisis à partir de la recherche du nom même du futur Etat ? Indonesia ?, de la définition de son territoire et de son système politique ? Encore faut-il souligner de quel groupe social émanait cet effort de conceptualisation : groupes d'étudiants, par définition socialement privilégiés, capables aussi d'assimiler et de réfléchir certaines idées des colonisateurs. Ces « dominés » qui, dans une certaine mesure, reproduisent un modèle inspiré par les « dominants », ne pourront tolérer, lorsqu'ils seront au pouvoir, que le « peuple », au nom de qui ils parlent, essaie de traduire dans les faits, par des révoltes spontanées contre des fonctionnaires compromis auprès des Hollandais puis des Japonais, la « Révolution » évoquée dans les discours. Contradiction initiale qui s'est prolongée sous le régime militaire en place depuis 1965.Inventing Indonesia How was the concept of an Indonesian state worked out in the thinking of the nationalists who demanded independence in the first half of this century ? Can a few elements of this process be grasped by research concerning the very name of the future State ? Indonesia ? the definitions of its territory and of its political system ? The social element in which this conceptual effort originated must be stressed: student groups, whose members were socially privileged, capable of assimilating the colonisers' ideas and of reflecting on them. The "ruled " who, in a sense, reproduced a model inspired by the "rulers ", would not prove able to tolerate, once in power, that the "people ", in whose name they spoke, attempt to put in practice, by spontaneous revolts against civil servants having collaborated with the Dutch and then the Japanese, the "Revolution " presented in their rhetoric. This contradiction has continued, even under the military regime after 1965.
- Ngaragba, « l'impossible prison » - Didier Bigo p. 867-886 L'étude de la prison de Ngaragba à l'époque de Bokassa permet de revenir sur la signification de la « prison » dans les cultures politiques, et de s'interroger sur cet espace de surveillance et d'enfermement qu'évoqué, pour nous, l'univers carcéral. Les archives du procès de Bokassa éclairent autrement l'institution carcérale. Celle-ci, loin d'être une instance de répression, apparaît plutôt comme le lieu d'une violence spectaculaire où les rapports clientélistes entre gardiens et prisonniers médiatisent l'horreur et font que la prison est en continuité avec les pratiques sociales du dehors. En effet, la transposition de schémas oscillant entre le modèle technologique du quartier de haute sécurité et le modèle tout aussi technologique de la rationalité de l'extermination, laisse échapper ce qui constitue peut-être la clé de la compréhension des prisons africaines : leur ouverture sur la société qui les met à distance du pouvoir ou, plus exactement, les soumet aux règles quotidiennes de l'arbitraire, du patrimonialisme, du clientélisme, de la violence, présents dans les rapports sociaux. Ngaragba est alors une prison « impossible », plus ouverte, moins surveillée mais plus violente, où les catégories pénales ne font pas sens et disparaissent devant l'arbitraire quotidien. Dans ces conditions, la prison est vécue comme un « enfer », une étape d'un parcours initiatique dont on sort transformé, mais qui mène à une vérité plus grande sur la société et le rapport politique.Ngaragba, " The impossible prison " The study of the Ngaragba prison during the Bokassa era (in the Central African Empire) leads to a consideration of the meaning of prison in political cultures and to a questioning of this place of surveillance and imprisonment which the prison universe brings to mind. The records of Bokassa's trial show the prison institution in a different light. Instead of a place of repression, prison appears as a place of spectacular violence, where client relations established between the guards and prisoners dilute the horror and make prison continuous with outside social practices. The transposition of patterns alternating between the technological high security model and technological rational extermination perhaps provides the key to an understanding of African prisons : they are open unto society, which puts them at a distance from the authorities or, more exactly, subjects them to the daily rules of arbitrariness, patrimonialism, clientelism and violence, all present in social relations. Ngaragba is therefore an " impossible " prison, more open, less watched, but more violent, where penal categories make no sense and disappear in the face of daily arbitrariness. Under such conditions, prison is experienced as "hell ", one step in as initiation path from which one comes out transformed, but which leads to a greater truth concerning society and political relations.
- Afghanistan : la guerre comme facteur du passage au politique - Olivier Roy p. 887-902 Une guerre de guérilla moderne suppose un espace « étatisé » : l'objectif stratégique est bien la conquête de l'Etat et la guérilla s'organise en contre-Etat. Or, dans la résistance afghane, les formes que prennent la guerre comme l'organisation de la société reposent précisément sur le mode traditionnel de l'évitement de l'Etat, ce qui explique comment la résistance a pu aussi vite contrôler les campagnes, tout en butant devant les villes. Pourtant, quelques modèles émergent dans la résistance, où l'on combine l'adaptation au mode de fonctionnement traditionnel et la mise en œuvre d'une organisation étatique. Mais c'est par le modèle militaire que cette évolution se fait et non par l'imposition d'un modèle idéologico-politique.Afghanistan: the war as a factor in the passage to politics A modem guerrilla war supposes a "state " space : the strategic objective is to conquer the state, and the guerrilla is organized as a counter-state. In the Afghan resistance, the forms that the war is taking in the organization of society rest precisely on the traditional mode of state-avoidance. This explains why the resistance succeeded so rapidly in controlling the countryside, while failing at the gates of the cities. A few models have emerged in the resistance, where adaptation to the traditional mode of functioning and building a state organization are combined. But the process relies on the military model, not on the imposition of an ideological-political one.
Notes bibliographiques
- Wieviorka (Michel) - Sociétés et terrorisme. - Rémy Leveau p. 903-905
- Lessay (Franck) - Souveraineté et légitimité chez Hobbes. - Lucien Jaume p. 905-906
- Arendt (Hannah) - La crise de la culture, Huit exercices de pensée politique. Traduit de l'anglais sous la dir. de Patrick Lévy. - Odile Rudelle p. 906-907
- Aron (Raymond) - Essais sur la condition juive contemporaine. Textes réunis et annotés par Perrine Simon-Nahum. - Alain Dieckhoff p. 907-909
- Adda (Jacques), Smouts (Marie-Claude) - La France face au Sud, Le miroir brisé. - Marcel Merle p. 909-911
- A propos des Mémoires de Joseph-Barthélémy. - Serge Hurtig p. 911
- Informations bibliographiques - p. 912-941
Tables. Volume XXXIX - 1989
- Sommaires - p. 3-5
- Index des auteurs - p. 6
- Table des compte rendus - p. 7