Contenu du sommaire : Mutations des gauches latino-américaines
Revue | Problèmes d'Amérique Latine |
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Numéro | No 71, hiver 2008-2009 |
Titre du numéro | Mutations des gauches latino-américaines |
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Mutations des gauches latino-américaines
- Dossier coordonné par Gilles Bataillon et Marie-France Prévôt-Schapira- Les gauches latino-américaines - Gilles Bataillon p. 7
- Populisme et démocratie en Amérique latine. Notes et rélfexions - Roger Bartra p. 11 Le populisme a été une des thématiques de prédilection des sciences sociales latino-américaines, aussi dispose-t-on d'un important corpus de réflexions (Germani, Torcuato S. Di Tella, Ianni et Laclau) sur ces expériences politiques des années 1930 aux années 1960. Plus qu'une idéologie portée par un groupe social, le populisme a été une culture politique qui a marqué l'ensemble des pays latino-américains et plus spécifiquement, et ce de façon très durable, l'Argentine et le Mexique. Et l'on assiste aujourd'hui à la remise à l'honneur de cette culture politique, bien évidemment au Mexique et en Argentine mais aussi au Venezuela, en Bolivie, en Équateur et au Nicaragua. La remise à l'honneur de cette culture politique marque moins un « virage à gauche » de l'Amérique latine que la fragilité de schémas démocratiques, la persistance de désarticulations sociales accentuées par les effets de la mondialisation.Populism has been a popular theme of Latin American social sciences. There is a large body of thought (Germani, Torcuato S. di Tella, Ianni and Laclau) on the political experiences from the 1930's-1960's. It was more than an ideology for one social group. Populism was a political culture that left its mark on the ensemble of Latin American countries, but more specifically, and in a very lasting way, Argentina and Mexico. Today, the “remise a l'honneur” of this political culture that we are witnessing signals less Latin America's “turning toward the left” and more the fragility of the democratic schema – the persistence of social disarticulation that is accentuated by the effects of globalization.
- De la Révolution bolivarienne au socialisme du XXIe siècle. Héritage prétorien et populisme au Vénézuela - Frédéric Langue p. 27 Cet essai tente de dépasser la dichotomie autoritarisme/démocratie en reconsidérant d'une part les définitions du populisme dans ses acceptions latino-américaines et vénézuélienne, et en insistant d'autre part sur un les recompositions internes au système politique vénézuélien. Il souligne le rôle continental joué par la Révolution bolivarienne de Hugo Chávez et l'émergence de ce que l'on peut considérer comme un néo-populisme pragmatique et revendicatif, qui s'appuie, se différenciant en cela du paradigme populiste classique, sur deux éléments-clefs de la géopolitique régionale – les forces armées et le pétrole – et vise à l'instauration d'un « socialisme du XXIe siècle » dans un pays caractérisé par une forte tradition présidentialiste et un « personnalisme » récurrent.This article tries to overcome the opposition between authoritarism and democracy by reconsidering, on te one hand, the definitions of populism as it is understood in Latin America and Venezuela, and by insisting on the other hand on the intern recompositions of the political venezuelian system. It underlines on the continental role played by the Bolivarian Revolution led by Hugo Chavez, and the rise of what could be called a claiming and pragmatic neopopulism, which relies on two key elements of the area geopolitics – army forces and petroleum –, therefore distinguing itself from the classic neopopulism paradigm; it also aims the establishment of a “XXIst century socialism” in a country characterized by a strong presidentialism tradition and a recurent personalism.
- Battre campagne avec le "président légitime" du Mexique. Carnet de terrain - Hélène Combes p. 47 À travers une chronique de terrain, l'auteur décrit un répertoire d'action spécifique et original mis en place par le mouvement post-électoral de 2006 après la contestation des résultats de l'élection présidentielle par le candidat de la coalition de gauche, Andrès Manuel López Obrador : la constitution d'un gouvernement fantôme. Plus précisément, cet article s'attache à décrire l'une des activités de ce « gouvernement légitime » à travers une analyse ethnographique de la tournée nationale du « président légitime », municipalité par municipalité. À travers l'analyse de ce répertoire, il s'agit de comprendre les logiques de concurrence entre le leadership de López Obrador et le Parti de la révolution démocratique dont il est issu.In this article, the author shows how a peculiar repertoire of political action was designed by the 2006 “post-electoral movement” that emerged following the refusal of the left-wing presidential candidate, Manuel Lopes Obrador, to acknowledge the official results of the election. This repertoire entailed the setting up of a “shadow government” (called “the legitimate one” by its members). Through a detailed ethnographic analysis of one of the national touring of the “legitimate President”, that led him from one “municipio” to the other in a seemingly endless political journey, the author tries to decipher the sharp rivalry that now sets up Lopez Obrador's personal leadership against the institutional machinery of his own party – the Democratic Revolution Party.
- Désarticulation du système politique argentin et kirchnerisme - Ricardo Sidicaro p. 69 Après la grande crise institutionnelle de 2001, le système politique argentin a été profondément bouleversé. Lors des élections présidentielles de 2003, Nestor Kirchner a fait part de son souhait de changer les pratiques du vieux péronisme, et une fois installé au gouvernement, a cherché à satisfaire les exigences économiques de tous les secteurs sociaux. Les discours idéologiques des kirchneristes ont mêlé des idées progressistes, particulièrement la défense des droits de l'homme, à celles de tradition péroniste. Mais, si dans un premier temps la situation de précarité et d'incertitude a permis la coexistence d'attentes matérielles et symboliques très variées, l'harmonie initiale s'est par la suite détériorée. Dès la fin 2007, les faits ont montré le déclin de la coalition politique sui generis dirigée de façon personnelle par Kirchner. La course aux postes politiques qui avantageait les péronistes traditionnels a largement déçu ceux qui attendaient le plus des promesses progressistes. De moins en moins capable d'apporter des réponses positives aux exigences sociales qu'ils avaient objectivement stimulées, les dirigeants kirchneristes ont alors souffert de ce qui leur était jadis favorable : le fait de ne pas constituer une force politique organisée. De plus, la désarticulation du système politique et la peur du chaos économique dont ils avaient bénéficié auparavant, rendaient difficile la gestion des conflits politiques et sociaux. Le gouvernement s'est dès lors retrouvé face à de nouvelles exigences de la société. Au début de l'année 2008, les protestations des entrepreneurs ruraux ont révélé non seulement leur pouvoir de contestation de la politique économique nationale, mais furent également à l'origine d'un grand malaise chez de vastes secteurs de la population. C'est alors qu'a débuté l'étape actuellement en cours, caractérisée par l'apparition de multiples courants qui remettent en question la légitimité du kirchnerisme.After the great institutional crisis of 2001, the political Argentinean system remained strongly dismantled. In the presidential elections of 2003, Néstor Kirchner announced the decision to change the practices of the old Peronism and from the government, sought to satisfy economic requirements of all the social sectors: businessmen, workers, unemployed persons and middle classes. The ideological speeches of the kirchneristas mixed progressive ideas, and especially the defense of human rights, with other ideas linked to traditional peronism. Even though, in a fist stage, the situation of precariousness and of uncertainty allowed the coexistence of very diverse material and symbolic expectations, the initial harmony then deteriorated. Since the end of 2007, the facts showed the decline of the political coalition sui generis personally led by Néstor Kirchner. The competition for the political positions that was favorable to the traditional Peronists was disappointing to those that had the highest expectations in the progressive promises. With less aptitude to give positive answers to the material and symbolic claims that they had objectively stimulated, the kirchneristas leaders realized that the initial advantages of not constituting an organized political force was turning against them. Besides, the breaking up of the political system and the fear of economic chaos, which had benefitted to the kirchneristas in the past, was making more and more difficult the control and the negotiation of the political and social conflicts. The government was then facing new claims from the society. At the beginning of 2008, the protests of the rural entrepreneurs not only showed their capacity to question the national economic policy, but, besides, created a great discomfort in wide sectors of the population. It is then when the current stage started, mainly characterized by the emergence of multiple trends questioning the legitimacy of the kirchnerismo.
- Le "pouvoir citoyen" d'Ortega au Nicaragua, démocratie participative ou populisme autoritaire ? - Carlos F. Chamorro p. 89 Élu par une minorité – 38 % des votants – en vertu d'un pacte politique destiné à favoriser sa propre candidature et à organiser le partage de l'appareil d'État entre deux partis politiques, Daniel Ortega commence son quinquennat par une tentative de refonte complète des pouvoirs publics nicaraguayens. Sa priorité était de s'affranchir de l'interdiction constitutionnelle de réélection d'un président sortant. Mais son partenaire, Arnoldo Aleman, ancien président condamné à 20 ans de prison pour corruption, n'a pas réussi à rallier son Parti libéral constitutionnaliste à l'idée de cette réforme. Ortega a choisi d'attendre et de consolider d'abord ses Comités du pouvoir citoyen (CPC), organisation partisane essentielle pour son projet de se perpétuer au pouvoir. L'atout majeur de ces comités de quartier modernisés – et convertis de facto par le président en organe para-étatique – est la coopération financière versée par Hugo Chavez directement à Ortega en dehors de tout contrôle institutionnel nicaraguayen. Ce pouvoir discrétionnaire sur des centaines de millions de dollars annuels est un avantage électoral qui pourrait s'avérer décisif dans un pays où une forte proportion de la population vit dans la misère. L'emprise de l'exécutif sur les autres pouvoirs de l'État et la répression croissante complètent le dispositif.After being elected by a minority (38% of voters) by virtue of a political pact intended to favor his own candidacy and to organize the division of the state apparatus between two political parties, Daniel Ortega began his five-year term with an attempt at completely overhauling the Nicaraguan public power. His first priority was to break free from the constitutional prohibition on re-election of outgoing presidents. However, his partner, Arnaldo Aleman, the former president who was sentenced to twenty years in prison for corruption, was not able to rally his Liberal Constitutional Party around the idea of this reform. Ortega chose to wait and to first consolidate his partisan organizations, “Committees of Civic Power,” which were essential in order for his project to perpetuate its power. The biggest advantage of these modernized neighborhood associations, which the president converted in de facto parastatal organs, is the financial control that Hugo Chavez paid directly to Ortega free from any Nicaraguan institutional control. This discretionary control over hundreds of millions of dollars a year is an electoral advantage that could prove decisive in country where a large proportion of the population lives in misery. The executive's stranglehold on the other powers of the state and growing repression complete the plan.
- Le vote de la constitution bolivienne - Jean-Pierre Lavaud p. 101 Le texte de la nouvelle Constitution bolivienne a été approuvé le 25 janvier dernier par 61,4 % des voix. Il consacre l'existence d'un État plurinational accordant des droits spécifiques aux indigènes et une orientation économique étatique. L'analyse du scrutin confirme l'opposition entre les départements occidentaux du pays (La Paz, Oruro, Potosi) qui lui sont amplement favorables, et les départements orientaux majoritairement défavorables (Pando, Beni, Santa Cruz, Tarija). Le oui rencontre aussi un terrain propice dans les campagnes, parmi les indigènes, et dans les zones de plus grande pauvreté. Ces différentes coupures, qui s'ajustent plus ou moins, présagent de fortes tensions lors des changements institutionnels à venir, d'autant que ce vote favorable a été acquis au moyen de pressions et de fraudes.The new Bolivian constitution was approved on January 25th, with 61.4% of votes. It implements a plurinational State, that grants specific rights to natives and sets an state economic orientation. The analysis of the ballot confirms the opposition between western counties of the country (La Paz, Oruro, Potosi) which are largely in favor of the constitution, and eastern counties (Pando, Beni, Santa Cruz, Tarija) that are opposed to it. The “Yes” is also more supported in the countryside, among the natives, and in the poorest areas of Bolivia. These different cleavages, more or less adjusted, let think that serious tensions will occur during the institutional changes to come, since the favorable vote was won by means of pressures and fraud.
- La rive gauche de l'Uruguay. De l'arrivée du Frente Amplio au pouvoir et des difficultés de son gouvernement (2005-2009) - Octavio Correa et Denis Merklen p. 109 L'arrivée de la gauche au pouvoir transforma profondément l'Uruguay. Le système de deux partis traditionnels (blancos et colorados) est mort. Mais ce n'est peut-être pas là l'essentiel. Une génération formée depuis les années 1960 au sein de la gauche (des Tupamaros aux « progressistes » en passant par les socialistes et les communistes) est maintenant en position de gouverner. C'est un changement majeur qui met fin aux rêves de révolution. Trois questions sont explorées. Dans une première partie, on essaie de rendre compte de cette émotion politique qui met fin à un projet générationnel. Cette conjoncture s'ouvrira-t-elle sur un nouveau rêve politique ? Nous explorons ensuite les caractéristiques de cette gauche réunie autour du Front élargi (Frente amplio). Il s'agit ici de donner quelques éléments pour comprendre l'évolution du système politique uruguayen. Enfin, nous essayons de faire un bref bilan du gouvernement de Tabaré Vázquez, confronté à la lourde tâche de sortir ce pays de 3,2 millions d'habitants de la pire crise de son histoire.The political victory of the left-wing coalition deeply transformed Uruguay. The former bipartisan system (blancos and colorados) disappeared. However, maybe the essential point is not there. A generation trained since the 1960s amongst the left (from the Tupumaros to the “progressive” trends, to socialists and communists) is now likely to govern. This is a major change that ends wide revolutionary dreams. Three questions are hereby analyzed. In a first part, we translate the “political emotion” that ends a whole generational project. Will this situation lead to a new political dream? Then, we will explore the main characteristics of this left gathered around the Widened Front (Frente Amplio). It will mainly consist in bringing elements that will help understand the evolution of the Uruguayan political system. Finally, we will try to introduce a short balance of the Tabaré Vázquez government, faced to the heavy task of lifting 3.2 million inhabitants out of the worst crisis the country has ever experienced.