Contenu du sommaire : Etat et illégalismes

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 22, no 87, 2009
Titre du numéro Etat et illégalismes
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 3-6 accès libre
  • Dossier : État et illégalismes

    • L'État face aux illégalismes - Fischer Nicolas, Spire Alexis p. 7-20 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les contributions rassemblées dans ce numéro mettent en évidence la fécondité pour les sciences sociales de la notion de « gestion différentielle des illégalismes », proposée il y a trente ans par Michel Foucault. Elle est conçue ici avant tout comme une contribution aux sociologies contemporaines de l'action publique : dans un contexte d'accentuation de la contrainte étatique pesant sur certaines populations, elle invite à étudier l'application différentielle des normes juridiques par les fonctionnaires chargés de qualifier et de sanctionner l'illégalité, sans se cantonner aux acteurs de la seule sphère judiciaire. L'analyse de la mise en œuvre différenciée du droit suppose alors la prise en compte des dispositions et de l'ethos professionnel des agents de l'État. Mais elle implique également d'envisager la gestion des illégalismes comme un phénomène relationnel et collectif : l'action des fonctionnaires se déploie au sein d'arènes locales ou d'autres acteurs sont susceptibles de se saisir du droit pour en négocier l'application. Dans la même perspective, il est nécessaire de penser les pratiques de gestion des illégalismes et les pratiques illégales elles-mêmes comme mutuellement constitutives, en les analysant conjointement.
      State and Illegal Practices
      The contributions gathered in this special issue of Politix underline the interest of the notion of “differential management of illegal practices” formulated by Michel Foucault thirty years ago. The use of this notion in social sciences should be seen here as a contribution to government studies: in a context of tightening state control over certain populations, it focuses on the unequal enforcement of legal provisions by state agents in charge of qualifying and repressing illegality, without limiting the scope to the mere analysis of judicial actors. Studying the differential enforcement of the law first supposes to analyze the dispositions and the professional ethos of civil servants. But it also implies to see the management of illegality as a collective and relational phenomenon: state officials act out in local arenas where other actors are able to use the law and negotiate its implementation. In the same way, this study requires to think the management of illegality and illegal practices themselves as mutually constitutive, and to analyze them jointly.
    • Risque et confiance dans le contrôle des frontières américaines - McC. Heyman Josiah p. 21-46 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans un passage devenu célèbre, Foucault analyse le traitement différentiel des « illégalismes » et leur rôle dans le processus social. Le but de cet article est d'appliquer ce concept fondamental aux différences de traitement entre des individus qui font l'objet d'enquêtes et d'arrestations, quand d'autres ne sont pas du tout inquiétés. On s'efforcera ici de décrire la logique profondément inégale selon laquelle certains acteurs sont perçus comme des « risques » et sont étroitement surveillés (et le cas échéant arrêtés), tandis que d'autres sont jugés « dignes de confiance » et ne se font donc presque jamais contrôler. Ce jugement différentiel de risque ou de confiance au regard de la loi a des répercussions considérables sur la vie quotidienne, les subjectivités, les représentations sociales et les relations entre individus au sein de la société. On prendra comme base empirique l'étude de divers postes de contrôle et inspections ponctuelles dans les zones frontalières américaines à forte présence policière, le long et à proximité de la frontière mexicaine.
      Risk and Trust in U.S. Borderlands Enforcement
      In a powerful passage, Foucault explores differential illegalities at the moment of punishment and their role in social process. I seek to extend this key idea to the differentiation of detection and arrest versus non-detection and non-arrest. I do this by conceptualizing a profoundly unequal continuum, with some social actors viewed as “risks” and thus subject to continual attempts at detection (and thus facing the risk of arrest), and other social actors viewed as “trustworthy” and therefore mostly to entirely excused from police examination (and thus largely removed from the chance of being arrested for something). The differentiation of trust and risk positions vis-à-vis the law matters significantly to quotidian experiences, subjectivities, social representations, and collective social relations. My empirical ground is various inspections checkpoints and inspectorial encounters in the heavily policed borderlands of the United States at and near its boundary with Mexico.
    • En attendant les papiers. L'affiliation bridée des migrants irréguliers aux États-Unis? - Chauvin Sébastien p. 47-69 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Aux États-Unis comme ailleurs, l'absence de papiers légitimes joue un rôle-clé dans la précarité des migrants irréguliers. Les caractéristiques du régime d'illégalité étatsunien permettent toutefois aux sans-papiers d'y jouir de droits de citoyenneté qui tranchent avec les régimes plus répressifs d'Europe occidentale. Les immigrés illégaux ont été incorporés dans la société, l'État, et le marché du travail du pays d'une manière que l'on ne peut entièrement saisir en se contentant d'opposer exclusion formelle d'un côté, et intégration informelle ou légitimité subjective de l'autre. Inférieure, leur citoyenneté concrète inclut de nombreux éléments formels, aux niveaux local et national. Cette normalisation avancée de l'illégalité tend en retour à institutionnaliser davantage leur condition subordonnée : n'étant jamais réduits à l'état de « non-citoyens », ils forment tendantiellement une couche reconnue et stabilisée de « sous-citoyens », dont l'autodiscipline, la stabilité bureaucratique, et la participation fiscale ont été entretenues par des promesses d'amnistie sans cesse répétées mais, depuis 1986 en ce qui concerne les Mexicains, sans cesse repoussées. Dans ce contexte, l'illégalité n'apparaît pas comme un marqueur absolu d'illégitimité mais comme un obstacle de plus au sein d'un continuum de la mise à l'épreuve civique. Cependant, parce que les migrants irréguliers doivent parfois commettre plus d'infractions s'ils veulent bénéficier des attributs civiques les plus formels, la signification sociale de ces derniers demeure indéterminée, leurs détenteurs pouvant être représentés aussi bien comme « plus légaux » que comme « plus illégaux ».
      Waiting for Papers: Irregular Migrants in the United States beyond Formal vs. Informal Incorporation
      In the United States as elsewhere, having no valid visa or residence permit has played a key role in the long-term civic precariousness of unauthorized transnational migrants. However, the distinct U.S. regime of illegality has allowed undocumented residents there to enjoy a range of citizenship rights contrasting with Western Europe's more repressive regimes. Indeed, illegal immigrants have integrated U.S. society, bureaucratic system, and labor market in ways that cannot entirely be grasped by opposing formal exclusion on the one hand, and informal incorporation or subjective legitimacy on the other. Though inferior, their concrete citizenship condition includes many formal elements, at the local and national levels. Such an advanced normalization of illegality has increased the institutionalization of unauthorized migrants' inferior status: never being completely “non-citizens,” they have grown into a class of “sub-citizens,” whose self-discipline, bureaucratic stability, and fiscal participation, have been encouraged by reasonable promises of amnesty. These promises were regularly reiterated but, since 1986 in the case of Mexicans, repeatedly postponed. In this context, “illegality” has not come up as an absolute marker of illegitimacy, but rather as one more handicap within a continuum of probationary citizenship. However, as irregular migrants sometimes have to commit more infractions in order to reach the most formal of common civic attributes, the social meaning of the latter has proved ultimately undetermined, for their holders can be framed as “more illegal” as much as “more legal.”
    • Une frontière « négociée ». L'assistance juridique associative aux étrangers placés en rétention administrative - Fischer Nicolas p. 71-92 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une série d'observations ethnographiques, cette contribution vise à éclairer le rôle des « intervenants » de l'association CIMADE, qui assurent aujourd'hui une présence quotidienne dans les centres de rétention administrative français. Dans ces lieux d'enfermement réservés aux étrangers en instance d'éloignement du territoire, les militants associatifs effectuent notamment un travail d'assistance juridique, en recevant les « retenus » pour un examen de leur situation. Cette activité de conseil juridique suppose une maîtrise et un usage stratégique du droit des étrangers, conçus dans une perspective militante : il s'agit de mobiliser la règle de droit pour contester légalement les mesures d'éloignement. Par leur usage différencié du droit, les intervenants contribuent toutefois également à la gestion différentielle de l'immigration irrégulière : chacune de leurs interventions auprès d'un retenu vient en effet réexaminer, déplacer, mais aussi réinstituer la « frontière » juridique et physique séparant les étrangers irréguliers des étrangers « régularisables ».
      Negociating the Border. Independent Legal Counsel in a French Immigration Detention Centre
      Based on a series of ethnographical observations carried out in a French immigration detention centre where undocumented foreigners await their deportation, this contribution describes the work of lawyers from French Human Rights organisation CIMADE who daily provide detained foreigners with legal counsel. The article first shows how these lawyers master immigration law, and use it as a strategic resource in order to legally challenge the detainees' deportation orders. It then draws to the contribution of this legal activism to the differential management of illegal immigration. Each intervention of the CIMADE lawyers indeed supposes to re-examine the judicial and physical “border” separating deportable foreigners from those who may be legalized – but it re-produces and re-enacts it at the same time.
    • Le droit emprisonné ? Sociologie des usages sociaux du droit en prison - Salle Grégory, Chantraine Gilles p. 93-117 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'enjeu théorique d'une sociologie empirique des usages du droit en prison est de récuser le juridisme, sans épouser pour autant la critique univoque qui consiste à discréditer toute progression juridique comme nécessairement promise à l'échec ou inéluctablement vouée à renforcer, en les masquant, les rapports de domination. Après une mise en perspective historique des conditions d'imposition de la problématique des droits en prison après 1968 en France, cet article s'appuie sur plusieurs enquêtes nourries de sources diverses (archives, entretiens, observations, documents administratifs) pour décrire la pluralité et l'ambivalence des effets sociologiques de l'introduction du droit en détention. Plus que sur l'ineffectivité juridique, il met en relief les contradictions résultant de l'application des normes, en signalant par exemple la dévalorisation de certains savoir-faire pratiques. Une analyse de la gestion différentielle des illégalismes transposée en détention permet, entre autres, d'esquiver l'opposition convenue entre droit et non-droit pour rendre compte au contraire de leur entrelacement. Ni panacée, ni piège, les conquêtes juridiques sont pragmatiquement déterminées par la valeur d'usage des ressources qu'elles offrent en situation.
      Law in Prison or Law Imprisoned? Towards a Sociology of Law in Prison
      Not only can an empirical sociology of law in prison deeply challenge legalism, but it can do so while avoiding the univocal critical reading that see the inmates rights claiming activities as being promised to fail, or else as surreptitiously strengthening the domination. In contradistinction, this article describes the plural and ambivalent effects of the mobilization of law in prison. After a historical flashback on the context of which rights issue was shape in post-1968 France, our contribution relies on numerous investigations and sources (archives, interviews, observations, document analysis), which allows us to focus less on the well-known inefficiency than on highlighting a series of contradictions resulting from the application of the norms. For example we show the depreciation of certain practical know-how. The analysis of the differential management of illegalisms within prison shows the limits of reading prison life through a simplistic opposition between “rule of law” and “zone of lawlessness”. Neither panacea nor trap, law's progression in prison is shown to be pragmatically structured in situations by practical possibilities opened up by it.
    • Violences illégitimes et publicité de l'action policière - de Bellaing Cédric Moreau p. 119-141 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une enquête sociologique inédite sur l'Inspection générale des services (IGS), une instance de contrôle interne de la Police nationale, cet article réinterroge les relations entre violence légitime et institution policière. La force policière est saisie par l'intermédiaire des accusations de violences illégitimes portées à l'encontre des agents de la force publique. L'article montre d'abord qu'il existe un écart important entre la quantité de dossiers ouverts pour des faits de violence et le nombre de sanctions prises pour les mêmes motifs, puis en isole les causes à partir d'une analyse du déroulement des enquêtes. Il examine les motifs faisant l'objet des sanctions les plus lourdes, et montre qu'il s'agit majoritairement de faits portant atteinte au caractère public de l'institution policière. Ces résultats mettent alors en évidence la nécessité pour les sciences sociales traitant des institutions coercitives démocratiques, d'adjoindre à l'interrogation classique sur l'habilitation à l'utilisation de la violence légitime un autre questionnement, prenant au sérieux la contrainte de publicité qui porte sur l'activité policière.
      Illegitimate Violence and the Public Nature of Police Action
      This article aims at exploring again the relationship between legitimate violence and the police. Based on an original sociological investigation of the General Inspection of Services (IGS, also called “the police of the police services”), it deals with the police force through the study of the accusations of illegitimate violence made against police officers. The reasons why few of these accusations lead to administrative sanctions are linked to the way investigations are conducted. Actually, the police acts which are the most severely condemned are the ones which undermine the public nature of police action. This paper shows that sociological studies of the police have not only to examine the classical issue of the legitimate violence uses, but also to seriously question the way the public nature of police action constraints it.
    • Échapper à l'impôt ? La gestion différentielle des illégalismes fiscaux - Spire Alexis p. 143-165 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'objectif de cet article est de montrer les formes quotidiennes prises par la gestion des illégalismes fiscaux, à partir d'une enquête de terrain sur les interactions entre contribuables et agents des impôts. Les différences de traitement découlent d'abord de l'évolution des dispositifs de sanctions : le développement des fichiers informatiques a permis d'intensifier le contrôle des illégalismes des catégories populaires ; en revanche, les informations concernant les contribuables plus aisés restent plus difficilement accessibles, ce qui leur laisse d'importantes possibilités de fraudes. À ces inégalités instituées s'ajoutent des consignes venues de la hiérarchie : au nom de la conciliation, les hauts fonctionnaires préconisent une mansuétude qui, le plus souvent, bénéficie aux contribuables les mieux dotés. De telles entorses au principe d'égalité devant l'impôt suscitent néanmoins d'importantes résistances de la part des fonctionnaires chargés d'instruire les contrôles au quotidien.
      This article aims at showing the various daily sets of tax illegalities management. The study was made after an on-the-spot enquiry based on relations between taxpayers and tax officers. On the one hand, distinct control measures stem from the evolution of the sets of penalties. The development of data files has allowed intensifying control over illegalities among the working classes. On the other hand, information about better-off taxpayers remains uneasy to reach which gives them a large access to fraud. In addition to these instituted inequalities, one has to add instructions from the top hierarchy: in the name of conciliation, high-ranking civil servants advocate leniency, a favour often enjoyed by the wealthiest. However, such infringements of the tax equality principle arouse strong resistance from civil servants responsible for conducting controls on a daily basis.
  • Varia

    • L'histoire sociale du Hezbollah à travers ses médias. Système de représentation et inscription territoriale - Lamloum Olfa p. 169-187 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au cours de ses 24 ans d'existence, le Hezbollah libanais a développé un des dispositifs médiatiques les plus complexes de la sphère islamiste arabe. En revenant sur l'évolution cognitive et sociologique des quatre médias qui lui sont officiellement affiliés, cet article se propose de restituer l'histoire sociale de ce parti. Il s'agit non seulement d'appréhender les mutations de son répertoire de mobilisation et de son inscription territoriale, mais également de saisir les tensions qui le traversent, inhérentes à sa nature duale d'organisation à la fois confessionnelle et transnationale.
      The Social History of Hezbollah through its Media. System of Representation and Territorial Inscription
      During its 24 years of existence, the Lebanese Hezbollah has developed one of the most complex media machines in the Arab Islamic world. Examining the cognitive and sociological evolution of the four mass media officially affiliated to the movement, this article aims to reconstruct the social history of the party, focusing on the development of its action directories and its territorial inscription but also on the tensions inherent in its dual nature as both a confessional and transnational organisation.