Contenu du sommaire : Récits journalistiques et culture médiatique
Revue | A contrario |
---|---|
Numéro | no 12, 2009/2 |
Titre du numéro | Récits journalistiques et culture médiatique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Avant-Propos
- 3 = 2 = 1. Avant-propos à une parution gémellaire (A Contrario/Belphégor) - Artiaga Loïc p. 3-4
Introduction
- Lire le journal, du poétique au politique : perspectives et perplexités - Migozzi Jacques p. 5-12 Cette introduction rappelle que les récits imprimés de grande consommation méritent d'être étudiés sans sacrifier au dogmatisme de postures critiques héritées de l'École de Francfort mais sans pour autant sous-estimer la force de frappe du storytelling. Les six études rassemblées attestent d'abord que l'assomption de la culture médiatique instaure un nouvel espace public narratif symbolique, dont l'histoire longue, saisie dans ses métamorphoses et ses cassures, reste encore à écrire. Le récit journalistique, quel que soit son dosage d'information et de divertissement, s'avère par ailleurs un laboratoire du jugement moral, ce qui dissout la fausse opposition entre narration et argumentation. Quelques linéaments d'une « éthique du discours » émergent enfin, de même que des perplexités renouvelées vis-à-vis de la polyphonie médiatique, ou des ambiguïtés de la feuilletonisation et de la satire.This introduction aims at reminding that mass print stories deserve to be examined without conforming to the dogmatic critical postures inherited from the School of Frankfurt, but without under- estimating the significance of storytelling. The six studies gathered show that the assumption of media culture establishes a new symbolic narrative public space, the long history of which, trapped in its metamorphoses and cracks, is yet to be written. Journalistic narrative, whatever its information or entertainment dosage, reveals a laboratory of moral judgment, which discards the misleading opposition between narrative and argumentation. The outline of a « discourse ethics » finally emerges as well as renewed questionings as to media polyphony and as to the ambiguities of serial writing and satire.
- Lire le journal, du poétique au politique : perspectives et perplexités - Migozzi Jacques p. 5-12
Articles
- Enfants violés, quels enjeux pour la presse populaire fin de siècle ? - Ambroise-Rendu Anne-Claude p. 13-25 L'essor des récits d'abus sexuels commis sur des enfants dans les colonnes de faits divers des grands quotidiens de la deuxième moitié des années 1870 témoigne de deux innovations éditoriales assez différentes dans leurs finalités respectives. L'analyse des stratégies argumentatives développées avec plus ou moins de succès par les quotidiens populaires du XIXe siècle permet d'apercevoir ce que sont les modalités de ce dire narratif-argumentatif. L'argumentation, quoiqu'oblique, est clairement repérable qui, bien que limitée par la force de tabous persistants et formalisée par le recours recourant au pathos s'inscrit cependant résolument dans le registre de l'ethos. Il s'agit toujours de dénoncer des pratiques inacceptables et de condamner vigoureusement les violences sexuelles perpétrées contre les mineurs. Cette posture, qui s'accompagne d'un parti pris favorable systématique en faveur des plaignant·e·s – ce qui n'est pas toujours le cas dans l'espace judiciaire – rend compte de l'éveil d'une sensibilité nouvelle à la question de l'enfance, de sa vulnérabilité et de sa moralité : l'enfance, avenir de la nation, est devenue un des soucis majeurs de la IIIe République. Il semble néanmoins que cet argumentaire n'ait pas été véritablement entendu, et qu'il n'ait alimenté aucune réflexion durable puisqu'il demeure sans écho après la Grande guerre. Par ailleurs, cet écrit-ci n'échappe pas plus que d'autres aux manipulations idéologiques et aux récupérations politiques bien éloignées de ce qu'induisait mécaniquement le sujet. C'est ce dont témoigne la campagne de presse menée par le Petit Parisien au cours de l'année 1880 contre les enseignants-religieux, dans le cadre d'une « chronique cléricale » presque quotidienne dénonçant les attentats à la pudeur commis par des religieux séculiers ou réguliers sur des enfants. Le flot discursif en pleine expansion au cours de cette année, qui voit le vote de la loi sur les congrégations enseignantes, s'inscrit résolument dans une doxa de combat : celle de l'anticléricalisme. Ces deux innovations éditoriales, assez différentes dans leurs finalités respectives, transforment la nature de ces récits : ainsi agrégés ils perdent leur statut de poussière sociale insignifiante. Leur compacité nouvelle leur confère un poids et une signification : ils semblent appelés à devenir des révélateurs sociaux et moraux et à jouer un rôle central dans la sphère publique et politique.The increasing place of stories of abused children in the « news in brief » column, in the second part of the 1870's, shows two major editorial innovations, each of them rather different in their respective finality. The analysis of argument strategies, developed more or less successfully by popular daily newspapers in the 19th century, shows what the methods of this « telling/argueing » way of writing are. The argument, though oblique, is easily spotted and, although limited by persistent taboos, formalized by the recurrent recourse to pathos. It appears that it is always a denunciation of unacceptable practices and a vigourous condemnation of sexual violence perpetrated on children under the age of 18. This posture which comes with a systematic biais always favourable to the defendant – this is not always the case in the judiciary area – shows the awakening of a new sensibility to the issue of children, their vulnerability and their morality. Children, the future of the nation, have become one of the main concerns of the Third Republic. However it seems that this argument is not really heard then and that it does not fuel any enduring thinking since it meets with no response after WWI. Besides, this writing, just like others, does not escape ideological manipulation and political appropriation, and is far removed from the topic initially mechanically induced. This is shown in the press campaign launched in the course of the year 1880 by Le Petit Parisien, against the religious teachers as part of an almost daily « church » column, denouncing indecent assault committed on children by regular and secular religious. The discursive stream rapidly increases during that year – year the vote on the law on teaching congregations is passed – and is definitely in line with a doxa of struggle : an anticlerical campaign. These editorial innovations though respectively different in their finality, transform the nature of these accounts : thus aggregated, they lose their status of meaningless social « dust ». Their new density gives them weight and meaning : they should help to reveal social and moral aspects and play a major part in the public and political sphere.
- Le rire est une arme. L'humour et la satire dans la stratégie argumentative du Canard enchaîné - Martin Laurent p. 26-45 L'hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné est né en 1915. La persistance de ses caractères humoristiques et satiriques jusqu'à nos jours est tout à fait remarquable ; avec la stabilité apparente de la maquette et de la mise en page, elle explique le sentiment de familiarité que le lecteur de ce début de XXIe siècle peut avoir en feuilletant les premiers numéros de la collection, et fournit un argument majeur au discours sur la continuité du journal. Dès ses premiers numéros, Le Canard enchaîné s'affirme comme un journal démystificateur, frondeur, impertinent, mais toujours souriant. Comme armes contre la censure et la propagande guerrière, ses rédacteurs et dessinateurs choisissent l'ironie, l'humour, le rire. Plus tard, ils élargiront leurs cibles à tout ce que la France compte de pouvoirs et de puissants. Rire de ce qui fait pleurer, rire plutôt que pleurer, telle est la stratégie que le « Canard » s'est appliquée à suivre depuis presque 100 ans.The satirical weekly Le Canard enchaîné is born in 1915. It has always been a satirical and humorous newspaper ; with the stability of its layout, it explains the familiarity that we can feel when we flip through the first issues and it gives a strong argument to the discourse produced by the actual journalists on the tradition they have to endorse and keep on. Since its very beginning, Le Canard enchaîné establishes itself as a witty and impertinent newspaper. Its journalists and cartoonists use irony, humour, laugter as weapons for its battle against censorship and war propaganda. Later, they will aim at all kinds of powers and powerful in France. To laugh at what makes us cry, to laugh rather than to cry, here is the strategy the « Chained Duck » has been following for almost a century.
- Museler les toutous ? Le feuilleton d'une polémique mordante - Revaz Françoise, Pahud Stéphanie, Baroni Raphaël p. 46-65 Cette étude porte sur une affaire relayée par la presse romande concernant l'agression d'un enfant par un pitbull en août 2006 à Genève et ses conséquences politiques : l'application de mesures obligeant les propriétaires de chiens à faire porter une muselière à leur animal de compagnie dans les parcs publics. Cette affaire s'est présentée dans les médias comme un feuilleton dont la particularité était de mêler étroitement dimensions narrative et argumentative. La présente contribution entend mettre en lumière non seulement les modalités discursives, mais surtout les effets de sens de la « feuilletonisation » d'un débat de société dans lequel les médias ont été alternativement témoins, porte-parole et acteurs.This study is about the case of a young child molested by a pit-bull in August 2009 in Geneva and the political consequences of this drama : the application of a law forcing the dogs to wear a muzzle when being walked in public gardens. This case was related by the newspapers as a serialized narration having the particularity of mixing narrative and argumentative dimensions. This essay aims to describe not only the discursive modalities of this feuilleton, but also the effects and the significance of the serialization of a debate in which the medias were alternatively witnesses, spokesmen and actors.
- Le récit de chiffres : enjeux argumentatifs de la « narrativisation » des chiffres dans un corpus de presse écrite contemporain - Koren Roselyne p. 66-84 L'objet de cet article est la présentation des pratiques discursives et des enjeux argumentatifs d'un type de récit médiatique étroitement lié à la rhétorique des effets d'objectivité : le récit de chiffres. Les indications chiffrées, bilans de victimes de catastrophes naturelles, de conflits militaires ou d'attentats terroristes y changent de statut : elles n'y constituent plus de simples données techniques et y sont transformées en événements saillants qui jouent, à divers degrés et sous diverses formes, un rôle décisif dans la mise en intrigue. Il ne s'agit donc pas de proposer ici une définition inédite du concept de récit, mais d'explorer quelques procédures de « narrativisation » de bilans de victimes dans un corpus de plus de 80 articles publiés ces cinq dernières années dans Libération, Le Figaro, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Monde diplomatique et Manière de voir. Cette exploration devrait me permettre de démontrer que le récit de chiffres constitue un cadre discursif privilégié pour tout journaliste qui souhaite donner à des prises de position axiologiques les apparences quantitatives descriptives de la narration factuelle.The purpose of this paper is to present the discursive practices and the argumentative issues at stake for a type of media narrative closely related to the rhetoric of objectivity effects, i.e. the narrative of numbers. The numerical indications such as the counting of natural catastrophy victims, victims of military conflicts or terrorist attacks thus change status : they are no longer simple technical data as they become salient events which play, at various degrees and under diverse forms, a major role in the plot. It is not my purpose here to propose a new definition of the concept of narrative but rather to explore some of the procedures of « narrativization » of counting victims in a corpus extending over some 80 articles published during the last five years in Libération, Le Figaro, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Monde diplomatique and Manière de voir. This research will enable me to demonstrate how the narrative of numbers enables the journalist to provide an axiological stand, neatly stacked behind the quantitative and descriptive appearances of factual narration.
- La médiatisation du politique ou le passage d'un espace public délibératif à un espace public symbolique narratif - Lits Marc p. 85-100 En observant les déplacements qui s'opèrent actuellement dans le discours politique médiatisé, qui passe d'un modèle argumentatif à un dispositif narratif, on constate que les images des candidats, leurs ethos discursifs et visuels semblent plus déterminants que leurs programmes. Les enjeux sociaux, politiques et idéologiques de ces nouvelles mises en récit sont importants, et liés à l'accroissement du poids des médias et de l'image dans la communication politique. Le politique ne se dissout cependant pas dans le médiatique, il change de forme, mais cela transforme aussi radicalement le modèle habermassien de l'espace public.By observing the movements which take place in the mediatized political speech, which pass of an argumentative model in a narrative system, the images of the candidates, their speaking and visual ethos seems more determining than their programs. The social, political and ideological stakes in these new stories are important, and connected to the increase of the weight of the media and the image in the political communication. Politics does not however dissolve in the media, it changes shape, but it transforms also radically the habermassien model of the public sphere.
- Argumentation et récit médiatique. La mort, assumée ou non ? - Mundschau Laurence p. 101-117 Depuis l'après Seconde Guerre mondiale, chaque décennie, en Belgique francophone, mais pas seulement, connaît son lot de concentrations et de fermetures de titres, quels que soient leur périodicité, leur contenu, leur genre ou leur tendance politique. Au sein de ce corpus foisonnant, nous analysons plus particulièrement le dernier numéro d'une cinquantaine d'hebdomadaires d'information générale belges francophones à plus ou moins grand tirage, disparus entre 1950 et 2000. La grosse majorité de ces titres consacrent au moins quelques lignes, souvent l'une ou l'autre page, parfois aussi le numéro complet, à évoquer leur fermeture imminente. Ce discours autoréférentiel n'est pas seulement narratif – autobiographier l'histoire du média – ou publicitaire – aiguiller le lecteur vers une nouvelle formule éditoriale. Il s'engage parfois également dans une procédure argumentative destinée à éclairer les lecteurs (souvent mis en scène) sur les raisons d'une « mort annoncée ». C'est là l'occasion, sur cinquante ans, de voir quelles valeurs sont tour à tour convoquées pour asseoir cet argumentaire. Atteinte à la liberté de la presse ? Montée de l'industrialisation des entreprises éditrices ? Recherche du profit publicitaire au détriment de l'opinion et de l'information ? Évolutions inexorables des techniques ? Concurrence exacerbée des médias ? Ou simplement, recherche d'une formule éditoriale plus rentable ? Plus qu'une énumération, l'étude entend classer les raisons invoquées selon que les titres étudiés assument – ou pas – leur décès. En effet, là où pour certains il ne s'agit que d'une « interruption » (de vacances, avant reparution, avant nouvelle formule…), pour d'autres, le dernier numéro se présente véritablement comme un testament. L'intérêt de l'analyse consistera notamment à voir si les mêmes arguments peuvent servir tour à tour des conclusions différentes, et comment. Le tout éclairera sans nul doute sur la (ou les) vision·s du monde en général et du monde de la presse en particulier, au long d'un demi-siècle.Since after Second World War, every decade, in French-speaking Belgium newsmagazines, but not only, has its batch of concentrations and closings of titles, whatever their periodicity, their contents or their political leanings. In this abundant corpus, we more particularly analyze the last issue of about fifty French-speaking Belgian general newsmagazine of information closed between 1950 and 2000. The large majority of these titles dedicate at least some lines, often the frontpage, sometimes the complete issue, to evoke their imminent closure. This autoreference speech is not only narrative text (to tale the (hi)story of the media) or advertising text (to switch the reader to a new title). It sometimes also engages in an argumentative procedure intended to inform the readers on the reasons of a « announced death ». It is the opportunity there, over fifty years, to see which values are alternately convened to sit base this argument. To reach the freedom of the media ? To rise of the industrialization of the publishing companies ? To seek advertising profit with the detriment of the opinion and information ? Inexorable technological developments ? Competition with exacerbated media ? Or simply, search for a more profitable leading formula ? More than an enumeration, our analysis intends to classify the called reasons as the titles assume (or not) their death. Indeed, for some, it is only an « interruption » (of holidays, before republication, before new formula) ; for the others, the last issue really appears as a will. The interest of the analysis consists in particular in seeing whether the same arguments can serve in turn as the different conclusions, and how. The whole will inform without any doubt on the-vision·s of the world and the world of the press, with the length of a half century.
- Enfants violés, quels enjeux pour la presse populaire fin de siècle ? - Ambroise-Rendu Anne-Claude p. 13-25
Conclusions
- Populaire, idéologie, argumentation : un trio infernal - Lits Marc p. 118-123 Les relations qui se jouent entre les notions de populaire, d'idéologie et d'argumentation sont confrontées à nombre d'apories et d'idées reçues. Par exemple, le fait que les questionnements idéologiques seraient quasiment indissociables de la prise en compte des productions populaires, ou qu'il y aurait un lien quasi automatique entre l'idéologie, sur le plan des idées ou de l'intentionnalité, et sa transposition dans un dispositif de type argumentatif. Dès lors, on n'aborde souvent ces questions qu'indirectement, avec de nombreuses précautions, et sans se soucier trop des usages réels et des pratiques. Mais on peut repenser ces questions en sortant de la logique de la domination pour une prise en compte des polyphonies présentes dans les récits paralittéraires.The relations between the notions of popular, ideology and argumentation are confronted with many generally held beliefs. For example, the fact that the ideological questionings would be almost inseparable of the popular productions, or that there would be an almost automatic link between ideology and its translation in an argumentative system. So, we often approach these questions only indirectly, with numerous precautions, and without caring too much about real uses and practices. But we can rethink these questions by going out of the logic of the domination for a biggest interest in polyphonies present in popular stories.
- Populaire, idéologie, argumentation : un trio infernal - Lits Marc p. 118-123