Contenu du sommaire : Le conseil de l'État (1). Expertise privée et réformes des services publics

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 193, juin 2012
Titre du numéro Le conseil de l'État (1). Expertise privée et réformes des services publics
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Le conseil de l'État (1)

    • Les consultants et la réforme des services publics - Odile Henry, Frédéric Pierru p. 4-15 accès libre
    • État, experts et savoirs néo-managériaux : Les producteurs et diffuseurs du New Public Management en France depuis les années 1970 - Philippe Bezes p. 16-37 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se propose d'analyser les processus de production, de diffusion et de légitimation des idées et techniques néo-managériales à l'œuvre en France depuis les années 1970. Il met l'accent sur les différents rôles joués par les experts (universitaires, consultants, hauts fonctionnaires, organisations internationales), en précisant leurs positions dans l'État, leur influence et la légitimité, fluctuante mais croissante sur le long terme, dont bénéficient leurs recettes inspirées du New Public Management. L'article identifie quatre périodes contrastées, de la Rationalisation des choix budgétaires (RCB) dans les années 1970 à la Révision générale des politiques publiques des années 2000, caractérisée par un rôle majeur et inédit des cabinets de consultants privés.
      The state, experts, and neo-managerial knowledge
      This article explores how New Public Management ideas and tools have been developed, diffused and legitimized in the French context since the 1970s. It emphasizes the changing roles played by experts (academic, consultants, top bureaucrats, international organizations) and specifies, for each different configuration, their positions within the state, their legitimacy and influence and the kind of instruments they promote. The article identifies four different patterns and periods, from the Rationalisation des choix budgétaires in the 1970s (the French version of the American PPBS, Planning, Programming and Budgeting System) to the Révision générale des politiques publiques in the 2000s (the General Review of Public Policies) during which consultancy firms have come to play a major role.
    • Un entrepreneur de réforme de l'État : Henri Fayol (1841-1925) - Odile Henry p. 38-55 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse la trajectoire globale d'Henri Fayol, entrepreneur de réforme de l'État lors de la Première Guerre mondiale, mais aussi concepteur d'outils de gestion industrielle, théoricien du commandement et de l'autorité et enfin promoteur infatigable des activités de conseil auprès des directions administratives des entreprises privées et de l'État. Il met en évidence les causes structurales du caractère limité des applications de la doctrine d'Henri Fayol à l'État et identifie les conditions qui permettent, vingt ans plus tard, aux ingénieurs et patrons spécialistes de rationalisation d'être admis en tant que conseils en réforme de l'État. L'individualisme libéral partagé par Fayol et ses disciples est une des dimensions explicatives de l'effacement, à la fin des années 1920, de ce courant. La dé-liaison entre critique libérale et critique gestionnaire de l'État apparaît ainsi comme une des conditions de l'intervention, au sein de l'État, d'experts issus de l'État et ensuite placés au service des intérêts privés.
      Henry Fayol (1841-1925): State Reform as Entrepreneurship
      This article analyzes the trajectory of Henry Fayol, who embarked on a project of state reform during the First World War, designed industrial management tools, theorized commandment and authority, and never ceased offering consulting services to the management of private and public companies alike. It explores the structural causes explaining the limited success that his suggestions for reform met when they were applied to the state, and it identifies the conditions that enabled engineers and rationalizing managers to be considered as reliable counsels for state reform twenty years later. The liberal individualism to which Fayol and his disciples subscribed is one of the reasons for the withering of this movement at the end of the 1920s. The disconnect between the liberal and the managerial critiques of the state seems to be one of the conditions for the intervention, within the state, of experts coming from the state but subsequently offering their services to the private sector.
    • Du grand soir au clair-obscur : Expertise économique et privatisation bureaucratique de l'assurance maladie - Daniel Benamouzig p. 56-73 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis quelques années, la prise en charge des dépenses de santé par la Sécurité sociale se réduit sous l'effet d'un transfert de charges vers les assurances complémentaires et les assurés sociaux. Cet article compare le contexte dans lequel est intervenu un recours accru aux acteurs privés en matière d'assurance maladie au cours de deux périodes, caractérisées par un débat controversé dans les années 1980 et par un débat plus discret dans les années 2000, alors même que le recours aux acteurs privés est alors plus net. Ce paradoxe est expliqué à partir des positions relatives des principaux acteurs impliqués dans ces débats, notamment les acteurs publics et privés de l'assurance maladie et les experts économiques, qu'ils soient administratifs ou académiques. Le rapprochement de ces différents acteurs dans un nouveau complexe institutionnel réduit l'espace des différends, auparavant moins circonscrit. Engagé par des acteurs administratifs et développé dans un cadre institutionnel à dominante publique, le recours aux acteurs privés apparaît en définitive sous la forme d'une privatisation bureaucratique, dont il reste à savoir si le caractère bureaucratique favorise ou contient au contraire les effets d'une privatisation en clair-obscur.
      From revolution to chiaroscuro
      The reimbursement of health care expenses by the Social Security is slightly dwindling down in France. In recent years, a significant level of health expenditures has been transferred to private insurance companies or to the patients. This article explores the increasing role of French private health insurance in two different contexts: In the 1980s, the putative role of insurance companies in this sector was highly topical, while their actual expansion in the 2000s remained unadvertised. This paradox is explained by the positions of key actors. Between these two periods, both public and private insurers on the one side, and the economic experts on the other, came closer together in a set of new institutions built for this purpose. The social proximity between these key actors limited the potential for controversy. Nurtured by administrative actors within a public institutional framework, the soaring role of private actors finally appears as a rather bureaucratic from of privatization, the effects of which remain unclear: would the bureaucratic aspect of such a privatization in chiaroscuro eventually ease or contain its consequences?
  • Note de recherche

    • Du militant au manager : La trajectoire d'un syndicaliste au sein d'une entreprise publique - Sylvain Thine p. 74-79 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le rapport qu'il consacre, en 1994, à la France de l'an 2000, Alain Minc défend l'idée de rationalisation des entreprises publiques non seulement pour maximiser leur productivité mais aussi pour contrôler les flux financiers liés au processus de privatisation. L'analyse de la trajectoire de Bernard D., ancien syndicaliste et élu local, cadre dans une entreprise publique, montre que si le rôle des agents externes à l'entreprise tels que les consultants – vecteurs de rationalisation –, est déterminant dans ces transformations, celui des agents locaux peut être tout aussi significatif. Ainsi, l'action des consultants doit notamment son efficacité et sa légitimité à l'aide d'agents qui incarnent la culture technique « maison ». Faisant carrière, Bernard D., qui réactive d'anciennes dispositions acquises lors de ses activités militantes et de ses mandats d'élu local, participe à la diffusion des préceptes techniques rationnalisant et de leurs conséquences sur l'organisation du travail dans l'entreprise.
      From activist to manager
      In the 1994 Report about France in the Future 2000, Alain Minc advocates the rationalization of public companies, in order to enable them to maximize their productivity, but also to control financial flows elicited from the privatization process. The analysis of the trajectory of Bernard D., a former trade unionist and elected local executive in a public company, shows that while the role of agents working outside the company, such as consultants, is crucial in these transformations, local agents play an equally significant role. Thus, external consulting draws its efficiency and legitimacy from the help of agents who embody the company's technical culture. When embarking on a career, Bernard D. reactivates the rules he has learned as an activist and local official. He thus participates in the spreading of technical rationalization concepts and contributes to a new productive organization of the company.
    • Expertise, politiques publiques et économie créative : le cas britannique - Philip Schlesinger, Frédéric Junqua p. 80-95 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse le rôle des experts dans le débat public sur les politiques de soutien aux industries créatives au Royaume Uni. La première section offre un panorama de l'émergence de cette expertise gouvernementale et du développement des think tanks, dans le contexte plus large d'une sociologie des intellectuels. Elle analyse le développement d'une expertise propre au New Labour qui s'opposait au conservatisme thatchérien dans la lutte pour le contrôle de l'ordre du jour des politiques publiques. La deuxième section illustre la croissance de la « génération politique » du New Labour et l'essor d'un groupe d'experts dans le champ des médias, de la communication et de la culture, et analyse les différentes trajectoires qui ont mené ces experts jusqu'au gouvernement. La dernière section, basée sur des entretiens, met en lumière les jeux de pouvoir qui se cachent derrière l'élaboration des politiques du New Labour en direction des industries créatives. Elle prend en considération l'impact des changements ministériels sur le processus politique, illustre la façon dont les rivalités entre administrations augmentent la complexité du processus, et montre comment une expertise liée au service public peut être mobilisée pour neutraliser une expertise extérieure. La conclusion passe en revue les implications de cette analyse.
      Expertise, public policies and the economics of creativity: the British case
      This article explores the role of expertise in public debate on creative industries policy in the United Kingdom. The first section gives an overview of the emergence of expertise in government and of the rise of think tanks, and locates it within a wider sociology of the intellectuals. It discusses the development of New Labour expertise in response to that of Thatcherite Conservatism in the battle to dominate public policy agendas. The second section illustrates the growth of the New Labour “policy generation” and the emergence of a cohort of experts in the fields of media, communications and culture, and discusses various trajectories that let these experts into government. The final section, based on interviews, discusses the power plays behind New Labour policy making in the field of creative industries. It considers the impact of ministerial changes on the policy process, illustrates how interdepartmental rivalries introduce complexity and demonstrates how civil service expertise may be mobilized to neutralize external experts. The conclusion addresses the implications of this analysis.
  • Hors thème

    • L'économie symbolique du capital social : Notes pour un programme de recherché - Bruno Cousin, Sébastien Chauvin p. 96-103 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir de plusieurs exemples portant sur la sociabilité des classes supérieures (notamment une étude sur les grands cercles milanais, dont les Rotary clubs), cet article développe une analyse relationnelle du capital social, attentive à la valeur distinctive de sa forme. En effet, les conditions inégales d'accumulation du capital social sont au principe d'une relation de domination symbolique entre les diverses manières de le mettre en œuvre, de l'entretenir et de se le représenter. Après avoir passé en revue les principales théories du capital social – qu'elles relèvent de la network analysis, d'une sociologie du « culturel », ou de tentatives d'articulation entre les deux – et montré comment elles ont négligé cette dimension relationnelle de leur objet, nous présentons les avantages heuristiques d'une approche sensible au fait que les manières de décrire (et de légitimer) le lien social sont elles-mêmes des armes symboliques dans l'accumulation et l'entretien du capital social.
      The Symbolic Economy of Social Capital
      Drawing on several studies dealing with upper-class sociability (in particular an investigation of Milan's traditional social clubs and Rotary clubs), this article develops a relational analysis of social capital, i.e. one that is attentive to the distinctive value of the forms taken by social capital. Indeed, unequal conditions of accumulation of social capital give rise to a relation of symbolic domination between the different ways of actualizing it, of maintaining it, and of representing it. We review the main theories of social capital – network analysis and cultural sociology – in an attempt at combining them. We show how they both neglect this relational dimension. Finally, we present the heuristic advantages of an approach sensitive to the fact that the different ways of describing (and legitimizing) social connections are themselves symbolic resources in the accumulation and preservation of social capital.