Contenu du sommaire : La fabrique européenne des politiques de réconciliation

Revue Revue d'études comparatives Est-Ouest Mir@bel
Numéro vol. 45, no 3-4, septembre-décembre 2014
Titre du numéro La fabrique européenne des politiques de réconciliation
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier: La fabrique européenne des politiques de réconciliation

    • Introduction - Cécile Jouhanneau, Laure Neumayer p. 5-19 accès libre
    • Portée et limites du concept de réconciliation : Une histoire à terminer - Valérie Rosoux p. 21-47 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Quelle est la portée des appels à la réconciliation au lendemain d'une guerre? Quelles sont les spécificités de la « politique de réconciliation » prônée par les instances européennes ? Il convient en effet de s'interroger sur un concept qui se révèle plus ambivalent qu'il n'y paraît de prime abord. La première partie de cet article dresse un panorama des diverses approches théoriques de la réconciliation. Elle montre que praticiens et chercheurs se situent sur un continuum entre, d'une part, une vision minimaliste selon laquelle la réconciliation renvoie à toute forme d'arrangement mutuel entre anciens ennemis et, de l'autre, une vision maximaliste qui considère la réconciliation comme un processus transcendantal impliquant vérité, justice et pardon. La deuxième partie s'attache aux ambitions européennes en la matière. Elle explique comment la réconciliation évoque tantôt l'origine de l'aventure commune, tantôt l'objectif à poursuivre inlassablement. La troisième partie s'interroge quant à elle sur les prémisses d'une telle ambition.

      What is the scope of post-war calls for reconciliation? What does the “policy of reconciliation” advocated by authorities stipulate? It is worthwhile inquiring into a concept that turns out to be more ambivalent than at first sight. First of all, a panorama of various theoretical approaches to reconciliation is sketched that places practitioners and researchers on a continuum ranging from a minimalist approach that considers reconciliation as a mutual arrangement between former enemies to a maximalist one that defines reconciliation as a transcendental process involving truth, justice and forgiveness. Focus then shifts to EU ambitions and an explanation of how reconciliation evokes either the origin of the joint adventure or an objective to be tirelessly pursued. The third part of this article questions the premises underlying these actions.
    • L'OSCE au Kosovo, une identité faible et une action entravée : Le cas du service de police du Kosovo - Nathalie Duclos p. 49-74 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article analyse le rôle de l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) dans le cadre de la Minuk (Mission des Nations Unies au Kosovo), la mission de paix qui a été établie au Kosovo en 1999. L'Omik (Mission de l'Osce au Kosovo) s'était vu confier la tâche d'y (r)établir des institutions, y compris en ce qui concerne le secteur de la sécurité, avec la constitution d'une nouvelle police locale, le Service de Police du Kosovo (SPK). Bien que s'étant efforcée de mettre en place une police démocratique et multiethnique supposée être vecteur de réconciliation, l'OSCE fut au Kosovo une institution faible dont l'action a été « brouillée » voire entravée par la Minuk, laquelle s'est montrée plus soucieuse d'atteindre une pacification à court terme qu'une réconciliation durable. L'article prend appui sur des sources diverses : entretiens, archives d'organisation, observations de terrain, documents officiels, et repose sur des séjours de terrains aussi bien au Kosovo qu'au siège de l'OSCE à Vienne.

      The role of the Organization for Security and Cooperation in Europe (OSCE) is analyzed in the framework of the UN Interim Administration Mission in Kosovo (UNMIK), the peace mission established in Kosovo in 1999. The OSCE Mission in Kosovo (OMIK) was asked to (re)establish institutions, including in the security sector through the creation of a new police force, the Kosovo Police Service. Although it tried to set up a democratic, multiethnic police force as part of the process of reconciliation, OMIK was a weak institution. Its actions were blurred, even impeded by UNMIK, which was concerned more with short-term pacification than with durable reconciliation. This article draws from interviews, OSCE archives, official documents, observations and field work carried out both in Kosovo and at OSCE headquarters in Vienna.
    • Une échelle européenne pour la justice internationale ? - Isabelle Delpla p. 75-106 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Que serait une échelle européenne de la justice (pénale) internationale ? Sa pertinence ne va pas de soi, les recherches anglo-saxonnes l'ignorant aussi exagérément que celles sur l'Union européenne la surestiment. Selon ce second point de vue, cette échelle vaudrait principalement par une politique de conditionnalité permettant un progrès vers l'Europe et ses idéaux dont le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) serait le marchepied. Cette représentation cache toutefois les divisions, les conflits et les paradoxes qui traversent la réception de cette justice et ses tensions internes : l'idée même de cette échelle européenne est ici analysée à partir de la réception du TPIY en Bosnie-Herzégovine.

      What would a European scale for international (criminal) justice be? The relevance of this question is far from obvious, since anglo-saxon research ignores it as much as research on the European Union overestimates it. According to the latter, this scale would take on significance through a policy of conditionality that leads to a progress toward Europe and its ideals, the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia (ICTY) being a stepping stone in this process. However this conception covers up the divisions, conflicts and paradoxes that permeate the reception of this justice and internal tensions. The very idea of a European scale of justice is analyzed through the reception of the ICTY in Bosnia-Herzegovina.
    • Reassessing the ‘Peace vs. Justice' Trade-Off : International Justice and Democratic Stability in Post-Milošević Serbia - Mladen Ostojić p. 107-148 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'impact du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a été principalement évalué en fonction de sa contribution à la paix et à la réconciliation dans la région. Cet article offre une perspective différente en explorant les effets des politiques de conditionnalité associées au TPIY sur la consolidation démocratique en Serbie. Dans son analyse, l'auteur avance que l'imposition du droit pénal international sur des États récalcitrants peut entraver la stabilité démocratique et saper les objectifs de la justice transitionnelle dans les pays concernés. Dans le contexte d'une transition fragile et incertaine, les autorités serbes ont dû concilier les exigences et les priorités du TPIY avec celles de différents groupes d'intérêts nationaux. En examinant les modes de coopération des autorités serbes avec le TPIY, cet article met en lumière les effets contradictoires des politiques de conditionnalité et montre comment les mises en œuvre de la justice internationale sont affectées par les développements politiques sur le terrain.

      The impact of the International Tribunal for the Former Yugoslavia (ICTY) on target states has been primarily assessed in terms of the Court's contribution to peace and reconciliation in the region. In contrast, this article explores the effects of ICTY conditionality on democratic consolidation in Serbia. It posits that the enforcement of international standards of accountability on recalcitrant states may hinder democratic stability and undermine the goals of transitional justice in the target countries. In the context of a fragile and uncertain transition, the Serbian authorities had to balance the demands and priorities of the ICTY with those of competing domestic groups. By examining the politics of state cooperation with the ICTY in Serbia, this article sheds light on the conflicting effects of the policies of conditionality and shows how the outcomes of externalized justice are affected by domestic political developments.
    • La réconciliation par l'histoire en Bosnie-Herzégovine : L'impossible réception d'un modèle multiculturel européen - Magali Bessone p. 149-175 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La réforme des systèmes d'éducation et, tout particulièrement, de l'enseignement de l'histoire est aujourd'hui perçue comme un moyen indispensable pour atteindre les objectifs élargis de la réconciliation. L'histoire enseignée, à la fois matrice et reflet des représentations sociales partagées sur l'identité collective d'une nation, doit contribuer à consolider la paix et à justifier les processus de justice distributive. Me centrant ici sur le cas de la Bosnie-Herzégovine, je mettrai l'accent sur l'ambiguïté conceptuelle et politique qui a été au cœur de l'écriture du passé par les « transitologues ». Les institutions européennes ont usé d'un modèle multi-perspectiviste et critique, hérité notamment de l'histoire de la réconciliation franco-allemande, peu adapté à la réalité institutionnelle de la BiH, échouant ainsi à produire un récit national commun.

      The reform of educational systems, in particular of the teaching of history, is deemed indispensable for attaining the broad goals of reconciliation. The history to be taught, as both the mold and reflection of shared cognitive representations about the nation's collective identity, should help consolidate peace and justify a distributive justice. Focusing on Bosnia-Herzegovina, this article draws attention to the conceptual and political ambiguity at the heart of the rewriting of the past by “transitologists”. EU institutions have used a critical, “multiperspective” model derived, in particular, from the history of French-German reconciliation after WW II, but it is not well adapted to the institutional reality in this Balkan land and thus fails to foster a joint national history.
    • La réconciliation par les ondes : De l'histoire franco-allemande à l'information europèenne - Aline Hartemann p. 177-204 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La chaîne de télévision culturelle européenne ARTE fait partie des dispositifs mis en place au début des années 1990 pour accompagner le processus de construction européenne et contribuer à rapprocher les adversaires d'hier. La volonté de réconciliation des peuples prend corps d'abord dans un magazine franco-allemand d'histoire dans l'émission Histoire parallèle, pour glisser au début des années 2000 vers l'émergence d'une émission d'information tournée vers le présent et l'avenir, Zoom Europa. Cette émission hebdomadaire met en lumière un changement de polarité avec le passage d'un horizon bilatéral, orienté vers une étude du passé, vers un traitement européen de l'information courante. Cette «vitrine de l'Europe institutionnelle», prise dans les contradictions que sont l'injonction à l'européanisation et le poids des contraintes locales, disparaît néanmoins après trois années de diffusion. Cette étude empirique du cas d'ARTE illustre en ce sens les difficultés d'émergence d'un «espace médiatique européen».

      The European television channel ARTE was designed in the early 1990s to foster the political process of European construction and reconcile erstwhile enemies. The objective of reconciliation was first implemented through a French-German program called “Parallel history”, which would, in the following decade, be replaced with a European-oriented news program, “Zoom Europa”. This change signa-led a shift from a bilateral, backward-looking perspective on history to a European one focused on current events. However “Zoom Europa”, designed as a “showcase of institutional Europe”, was caught between two contradictory demands : the Europeanization of information and strong local traditions for news broadcasts. The program was pulled three years after its launch. This case study empirically illustrates the difficulty of creating a “European information space”.
    • Un passé, deux assemblées. : L'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le Parlement européen et l'interprétation de l'histoire (2004-2009) - Philippe Perchoc p. 205-235 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis la Chute du Mur de Berlin et l'élargissement de l'Union européenne de 2004, l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) et le Parlement européen ont été de plus en plus les lieux d'un débat politique sur l'interprétation de l'histoire européenne. La Seconde Guerre mondiale, l'Holocauste, la lutte contre la domination soviétique en Europe centrale ou les crimes du communisme sont des thèmes récurrents d'un conflit symbolique qui oppose des États européens à l'héritage historique différent (Europe dite de l'Ouest ou de l'Est), mais aussi des préférences politiques (de droite ou de gauche). Bien que plus de la moitié des États membres du Conseil de l'Europe soient membres de l'Union européenne et partagent en grande partie un même passé historique européen au XXe siècle, force est de constater que ces débats et les résolutions qui en résultent ont une physionomie différente au Parlement européen et à l'APCE. Cet article démontre que c'est en grande partie en raison des logiques de fonctionnement et de socialisation des deux assemblées.

      Since the fall of the Berlin Wall and the EU's enlargement (2004), issues related to the interpretation of European history have increasingly come up for debate in the Parliamentary Assembly of the Council of Europe and the European Parliament. World War II, the Holocaust, the fight against Soviet domination in central Europe and the crimes of Communism have been recurrent themes in a conflict of symbols that sets at odds European nation-states with different historical heritages (West/East) and political lineups (right/left). Although more than half of the member states of the Council of Europe also belong to the EU and share much the same history during the 20th century, we are forced to admit that the debates and the the resolutions adopted by the European Parliament and the Parliamentary Assembly are quite different. This difference can largely be set down to the “logics of operation and socialization” in these two assemblies.
    • Commémorer et diviser en Europe : LE 70e anniversaire du sauvetage et des déportations juives depuis les terres sous administration bulgare - Nadège Ragaru p. 237-274 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se propose d'explorer les usages des ressources et normes européennes en matière de gouvernement de l'histoire en prenant pour site d'observation les controverses mémorielles sur la Shoah ayant opposé la Bulgarie (Etat membre de l'UE depuis 2007) à la Macédoine (pays candidat) à l'occasion du 70ème anniversaire des événements de mars 1943 (la déportation des Juifs de Macédoine, la non-déportation des Juifs bulgares). L'examen de cette controverse suggère en premier lieu que l'échelle européenne, loin de constituer une scène autonome, se dessine au croisement entre une variété d'acteurs internationaux (dont l'OSCE, les Nations unies, des réseaux privés d'entrepreneurs de mémoire, etc.) et d'espaces (en l'occurrence, les Etats-Unis et Israël). Il conduit en un second temps à relativiser l'hypothèse selon laquelle, dans les nouveaux Etats membres, la dénonciation des crimes du communisme aurait entretenu avec l'institutionnalisation de la mémoire de la Shoah des relations de concurrence, certains entrepreneurs de mémoire bulgares ayant conjointement investi ces deux enjeux. Enfin, l'étude du contentieux bulgaro-macédonien donne à voir une situation dans laquelle l'investissement du passé par les institutions européennes a paradoxalement conforté la revendication, par les acteurs publics bulgares, d'une légitimité à dire la vérité de l'histoire au moment où le champ historien cherchait à s'émanciper d'un rôle ancillaire au service de la nation.

      How do governments use EU legal standards and resources to deal with historical issues? This question is addressed by focusing on the controversy that sets at odds Bulgaria (an EU member state since 2007) and Macedonia (which has applied for EU membership) over the 70th anniversary of the events of March 1943, when Jews were deported from Macedonia but not from Bulgaria. In this controversy, the EU dimension, far from being autonomous, involves a variety of international stakeholders, including the Organization for Security and Cooperation in Europe, the United Nations, private networks of “entrepreneurs of memory”, the United States and Israel. Qualifications are placed on the hypothesis whereby, in new member states, the denunciation of the crimes of Communism competes with the institutionalization of commemorations of the Shoah, since some Bulgarian “entrepreneurs of memory” have stakes in both. The Bulgarian/Macedonia controversy surrounding the commemoration of the Shoah presents a situation wherein the appropriation of the past by EU institutions has paradoxically reinforced the claims by Bulgarian public officials to legitimacy, to telling the historical truth, even as historians are trying to emancipate their discipline from its ancillary role at the nation-state's service.
    • Les conflits autour des minorités en Lettonie et la circulation des normes européennes : Jeux d'échelles, ressources et contraintes - Pascal Bonnard p. 275-301 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La plupart des travaux scientifiques qui examinent les effets produits par le transfert de normes européennes sur les minorités en Lettonie restreignent leur analyse aux aspects juridiques de ce processus, se contentant de mesurer les changements de la législation. De fait, si la conditionnalité européenne a contribué à modifier les législations sur la citoyenneté ou sur la langue, elle a également eu d'autres conséquences. Ainsi, les luttes symboliques concernant les populations minoritaires, qui portent sur la définition de leur statut et de leur place dans la nation lettone, sont affectées. Les organisations européennes et le registre juridique sont en effet investis de manière croissante. Cependant, ces nouvelles arènes et procédures sont articulées avec les précédentes : des actions continuent à être entreprises en dehors des démarches juridiques et du cadre européen.

      Most academic writings on the effects of applying EU standards to minorities in Latvia merely analyze this process's legal aspects and only investigate the modifications made to legislation. Although European conditionality has contributed in Latvia to a liberalization in matters of citizenship and language, it has also had other consequences, in particular on the symbolic struggles of minority populations to define their status and position in the Latvian nation. Actions are namely increasingly taken at the European level and appeals are more often being made to courts. Groups and individuals nonetheless still target national institutions and pursue actions outside the formal judicial process.
  • Revue des livres