Contenu du sommaire : Philosophie politique des multitudes (2)
Revue | Multitudes |
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Numéro | no 22, automne 2005 |
Titre du numéro | Philosophie politique des multitudes (2) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Icônes off
- Icônes off - p. 1-254
En Tête
- L'Europe vivante - Yann Moulier-Boutang p. 5-19
Majeure
- “Des problèmes qu'il faudra bien appeler d'un autre nom et peut-être politique” : Althusser et l'insituabilité de la politique - François Matheron p. 21-35 Au moment précis où, critiquant sa « déviation théoriciste », Althusser procède à une repolitisation de la philosophie, il écrit en 1967 qu'il ne sait finalement pas ce qu'est la politique. En 1978, dans Marx dans ses limites, il affirme encore que jamais les classiques du marxisme « ne nous ont donné... le commencement d'une analyse répondant à la question : qu'est-ce que peut bien être la politique ? ». Cet article cherche à reconstruire la positivité de ces remarques désabusées d'Althusser, à partir d'une ébauche consacrée en 1961 à la « conception marxiste de la politique ». En se posant la question de ce que pourra bien être la politique dans un régime communiste, Althusser, au moment où il entre dans sa « maturité », en arrive à saper toutes les conceptions marxistes de la politique, et d'abord celle de la lutte de classes pour le pouvoir d'État — et même de la lutte de classes tout court. Bien plus, il fait subir comme un vacillement à l'althussérisme au moment précis où il commence à l'élaborer. En évoquant « toute une zone qui n'est pas située dans les concepts théoriques, et qui justement sera la zone libérée par la fin du politique conçu classiquement », Althusser nous montre magistralement que la politique ne peut avoir lieu qu'à la condition exprès de n'être située en aucun lieu prédéterminé. Insituabilité de la politique qui acquiert sa dimension positive lorsqu'elle est travaillée par l'analyse althussérienne de l'« étrange vacillement de la théorie » effectué dans l'œuvre de Machiavel.Precisely as he was repoliticizing his philosophy and criticizing his « theorist deviation », Althusser wrote in 1967 that he did not know, after all, what was politics. In 1978, in Marx in his limits, he wrote that the classic Marxism « has never yet provided the beginning of an analysis answering the question : what can politics be about ? ». This article attempts to reconstruct the positivity of such remarks, on the basis of a sketch devoted in 1961 to the « Marxist conception of politics ». In asking the question of what politics would look like in a communist regime, the « mature » Althusser undermines all Marxist conceptions of politics, starting with that of class struggles aiming at seizing State power — and even of class struggle per se. Moreover, he shakes Althusserianism even as it is barely taking shape. In his mention of « a zone which is not located in theoretical concepts, and which will be precisely the zone liberated by the end of classically conceived politics », Althusser shows that politics can only take place when it is not located in any predetermined space. This non-situationability of politics takes its positive dimension when Althusser studies the « strange shaking of theory » operated in Machiavelli's work.
- La politique du dehors : Une lecture des cours de Foucault au Collège de France (1977-1979) - Bruno Karsenti p. 37-50 Les derniers cours publiés de Foucault incitent à aborder la question de l'État, et plus généralement du politique, sous l'angle privilégié du gouvernement et de la gouvernementalité. À travers ces concepts s'exprime une exigence de méthode, constamment à l'œuvre : passer par le dehors, ne se donner pour objet que des multiplicités, des « connexions de l'hétérogène », des configurations historiques où des éléments disparates se mêlent tout en demeurant disparates. C'est encore la même approche qui vaut pour l'appréhension de notre gouvernementalité qui s'incarne sous le nom de libéralisme. Et pour la voir apparaître, l'immense détour était nécessaire qui rejoigne le pastorat chrétien, dans la connexion de l'hétérogène en politique qu'il inaugure en Occident.The courses by Michel Foucault recently published invite us to approach the question of the State, and more generally that of politics, from the point of view of governing and « governmentality ». Through such concepts surfaces a constant methodological urge to approach things from the outside, to study multiplicities, « connexions with the heterogeneous », historical configurations where disparate elements interact while remaining disparate. The same approach structures the understanding of this form of governmentality known as liberalism. In order to understand its nature, a long detour was needed into the realm of the Christian pastorate, and into the connection of the heterogeneous in politics that was thus brought about in the West.
- Biopolitique / bioéconomie - Maurizio Lazzarato p. 51-62 La généalogie du capitalisme amorcée par Foucault à la fin des années 70 ébranle ce que nous croyons savoir du libéralisme. Le constat d'Adam Smith conserve toute sa force : le politique (droits) et l'économie (intérêts) ne sont ni superposables, ni réconciliables. Le gouvernement libéral se propose d'y répondre. Englober et « passer par l'extérieur », telles sont ses tâches, et elles connaissent deux modalités d'application depuis lors, qui sont aussi deux techniques de normalisation. La première, prédominante, s'occupe du gros : la discipline. La seconde, active et souterraine, s'occupe des détails : la sécurité. Elle cerne de plus près les multiplicités, la vie, les conduites. Une véritable politique des multiplicités supposerait, bien davantage encore, de passer « par l'extérieur » des agents que nous tenons pour naturels ou spontanés, mais qui sont l'objet d'un souci et d'une ré-institution constants : le marché, l'entreprise, le travailleur.The genealogy of capitalism sketched by Foucault at the end of the 1970s shakes up whatever we thought we knew about liberalism. Adam Smith's observation retains all its relevance : politics (rights) and the economy (interests) are neither to be superposed nor to be reconciled. Liberal governance attempts to face this fact. Its tasks of circumventing, encircling, reaching from the outside are mediated by two modalities of application, which correspond to two techniques of normalisation : the first one (discipline), predominant, deals with the bigger items ; the second one (security), active in the underground, deals with the details. It corners more closely the multiplicities, life and the conducts. A true politics of multiplicities would suppose an intervention « from the outside of » the agents we take for natural or spontaneous, but which are the objects of a constant care and re-institution : market, firms, workers.
- Politique : “j'entends par là une vie humaine” : Démocratie et orthodoxie chez Spinoza - Laurent Bove p. 63-76 Le texte de L. Bove (suite à l'article de M. Vatter dans le numéro 9 de Multitudes) examine à son tour le trinôme libéralisme, orthodoxie, démocratie, mais à partir de la philosophie de Spinoza. Celle-ci pense en effet une radicalité de l'orthodoxie et une radicalité démocratique en dehors d'une juridication du politique. Mais la perspective spinoziste nous conduit plutôt à penser que si la démocratie est le véritable adversaire asymétrique de la politique de l'État moderne, cette politique se construit cependant, dans sa vérité effective, en symétrie parfaite avec un modèle d'orthodoxie. L'avantage de mettre à jour une telle équivalence nous permet de lire aujourd'hui l'inquiétante possibilité qu'a le libéralisme d'une voie explicite d'éradication historique (ou post-historique) radicale de son adversaire démocratique. Cette voie lui est offerte par un modèle d'orthodoxie qui a su déjà répondre au problème de la revendication démocratique. Ce modèle parfait de l'obéissance, c'est celui que Spinoza a découvert et étudié dans la théocratie hébraïque ancienne, modèle d'orthodoxie (an-historique) dont l'État monarchique hobbesien (auquel nous sommes aujourd'hui confrontés sous la figure juridico-politique de la démocratie libérale) pourrait n'être que l'expression moderne (post-historique). Ce sont les soubassements théoriques de cette inquiétante configuration, quant aux funestes perspectives qu'elle éclaire, qui sont examinés ici. Ce que nous apprend ainsi Spinoza c'est que ce que nous devons appeler « politique » s'identifie inéluctablement, pour nous, avec la question même de l'anthropogenèse.L. Bove's text (in continuation of M. Vatter's in Multitudes Nr 9) addresses the triangle formed by liberalism, orthodoxy and democracy, but from the point of view of Spinoza's philosophy, which reflects upon a radicality of orthodoxy and a radicality of democracy outside of the jurisdiction of politics. The Spinozist perspective suggests that if democracy is the true asymetrical opponent to the politics of the modern State, the latter is built, in its effective truth, in perfect symmetry with a model of orthodoxy. This allows us to consider the worrying possibility for today's liberalism explicitly to eradicate its democratic opponent. This possibility has been opened by a model of orthodoxy which has already managed to respond to the problem of democratic claims. It so happens that this perfect model of obedience has been described by Spinoza in the Ancient Hebrew theocracy, a model of (a-historical) orthodoxy of which the Hobbesian monarchic State (nowadays reappearing in the shape of liberal democracies) provides its modern (post-historic) expression. The article explores the theoretical underpinnings of this worrying configuration and its implications. Spinoza's reflection shows that politics is to be identified with the question of anthropogenesis.
- À la recherche d'une voix perdue : Réinventer l'individualisme ? - Sandra Laugier p. 77-89 L'auteure souhaite ici réhabiliter une forme d'individualisme, qui serait définie par la capacité de prendre la parole, par la possession d'une voix subjective, et par la confiance en soi au sens du philosophe américain R.W. Emerson (Self-Reliance). Dans cette approche, on peut définir la démocratie radicale en termes linguistiques, ceux de l'expression et de l'action individuelle, rendus possibles par mon consentement : mais aussi par la possibilité du dissentiment, de la désobéissance à la règle donnée. C'est alors la difficulté de l'expression et l'obscurité à soi et aux autres, non l'évidence et la clarté, qui permettront de redéfinir l'individu.The author wishes to rehabilitate a form of individualism which would be defined by a capacity to speak out, by the possession of a subjective voice and by what R. W. Emerson called self-reliance. In this approach, radical democracy can be defined in linguistic terms, those of expression and individual action, made possible by consent, as well as by the possibility of dissent and disobedience to the rule. Individuality can then be redefined in terms of difficulty of expression and obscurity to oneself and to others, rather than in terms of evidence and clarity.
- Les aventures de la Verkehrung : À propos de l'ontologie politique de Jacques Rancière - Yoshihiko Ichida p. 91-101 Par rapport au « renversement » qui, comme dans la dialectique, s'opère entre deux choses ayant le même niveau de substantialité, l'« inversion » fonde une ontologie paradoxale où les choses à inverser ne préexistent pas à l'inversion elle-même. Tel est le sens d'une thèse ontologique largement partagée dans le marxisme d'aujourd'hui : le primat de la lutte de classes sur les classes. Tout en discernant nettement la différence du renversement et de l'inversion dans Le Capital, Jacques Rancière ne cesse de poser la question de savoir si le clivage des deux opérations est possible sans recours au « kautskisme » qui l'introduit dans la lutte de l'extérieur de la lutte, ce qui dénie purement et simplement le primat ontologique de la lutte. La solution donnée par lui est inouïe : radicalisant d'un côté l'inversion en tant que politique identique à la subjectivation, dans laquelle il n'y a plus de « constitué », et restituant de l'autre le renversement en tant qu'activité de l'imagination qui se différencie perpétuellement de soi comme dans le « rêve ouvrier » ou la « parole hérétique », il fait de ces deux opérations les conditions réciproques pour que l'une et l'autre viennent au jour.« Reversal », in dialectics, takes place between two things located on the same level of substantiality, while « inversion » participates in a paradoxical ontology where the things to be inverted do not pre-exist the inversion itself. Such is the meaning of an ontological thesis largely shared by today's Marxism : the primacy of class struggle over classes. While making a clear distinction between the two in The Capital, Jacques Rancière insistently asks whether these two operations can be separated without resorting to « kautskism », which introduces it within the struggle from the exterior of the struggle, thus denying the ontological primacy of struggle. The solution he provides is unheard of : on the one hand, he radicalises inversion as a politics of subjectivation within which there no longer is any « constituted » ; on the other hand, he reconfigures the reversal as an activity of the imagination which perpetually differs from itself, as in « labor's dream » or in « heretical speech ». He thus presents these two operations as mutually conditioning and producing each other.
- Un pragmatisme des puissances - Didier Debaise p. 103-110 Le pragmatisme se présente comme une pensée technique de l'expérience. Cette technique a deux formes : évaluation des propositions, énoncés, idées par leurs effets ; construction et invention de nouvelles propositions devant permettre de rendre compte de l'expérience comme un mouvement continu de changements et de transformations. Cet article a pour principal objet de tenter de reprendre cette approche technique et de construire à partir d'elle une pensée des puissances. Celle-ci devra se dégager de toute définition qui lierait la puissance à la conservation, à la domination, à la maîtrise, au profit d'une pensée des effets et des transformations.Pragmatism presents itself as a technical reflection upon experimentation. This technique takes two forms : the evaluation of the propositions, utterances, and ideas through their effects ; the construction and invention of new propositions in charge of accounting for experimentation as a continuous movement of changes and transformations. This article attempts to reclaim this technical approach and to build on its basis a reflection on power (and empowerment). Such a reflection must break free from any definition which would link power to conservation, domination or mastery, and favour an approach attentive to effects and transformations.
- “Des problèmes qu'il faudra bien appeler d'un autre nom et peut-être politique” : Althusser et l'insituabilité de la politique - François Matheron p. 21-35
Hors champs
- Réponse à Pierre Macherey - Antonio Negri p. 111-117 Ce texte est une réponse de Toni Negri à trois objections proposées par Pierre Macherey à la notion de « multitude », telle que la développe le second livre de Hardt-Negri. L'auteur précise d'abord que l'importance mise sur les nouveautés du travail immatériel ne nie nullement l'inertie, voire l'exacerbation, des rapports d'exploitation, soulignés à juste titre par la pensée critique. Il invite ensuite à considérer la communication, non comme un principe de circulation vide, mais comme un terrain, effectif et efficace, de constitution matérialiste de la singularité productive. Enfin, il reconnaît que la transformation de la multitude de chair en corps n'a aucune solution magique à proposer aux dilemmes politiques, mais a bien plutôt le statut d'une question ouverte. Avec pour premier élément de réponse un principe directeur : la multitude n'a pas pour ambition de prendre le pouvoir, mais de gérer le commun.This article allows Toni Negri to respond to three objections proposed by Pierre Macherey to the notion of « multitude », as it is sketched in Negri & Hardt's second book. The author first stresses that the emphasis put on immaterial labor in no way denies the inertia, or even the exacerbation, of the relations of exploitation accurately denounced by critical thought for more than a century. He then invites us to consider communication, not as empty circulation, but as the effective ground where the materialist constitution of productive singularities takes place. Finally, he acknowledges that the transformation of the multitude from flesh to body offers no magical solution to political dilemmas, but stands rather as an open question, providing only a guiding principle in the search ahead of us : the multitude does not have the ambition of seizing power, but of managing the common.
- Réponse à Pierre Macherey - Antonio Negri p. 111-117
Icônes in
- Peter Weibel - p. 119-143
- Le protocole Weibel - Éric Alliez p. 145-148
- Images de pensée - Boris Groys p. 149-158 L'artiste Peter Weibel s'inscrit dans un prolongement paradoxal des avant-gardes du vingtième siècle. Les institutions de l'art sont mortes ? Il propose le devenir-institution des artistes. Le regardeur s'est émancipé ? Il s'efforce de le contrôler. Les techniques traditionnelles sont périmées ? Il recourt à l'art numérique, seul à même de figurer les processus de pensée.Peter Weibel pursues the paradoxical course of the 20th-century avant-gardes. Are the institutions of Art all dead? He proposes for artists to become institutions. Did the gaze find its emancipation ? He attempts to control it. Are traditional techniques outdated ? He calls digital art to the rescue, as the only mean to express thought-processes.
- Peter Weibel, les “Télé-actions” - Hans Belting p. 159-164 Peter Weibel a produit, entre 1969 et la fin des années 70, une série de performances et d'installations vidéo qui cherchaient à redonner vie aux images de télévision. Il s'agissait, suivant les cas, de perturber les émissions existantes, d'inventer de nouveaux dispositifs de projection, de transformer les relations acteurs / spectateurs ou de produire de la pensée à partir de ces images.Peter Weibel has produced between 1969 and the 1970s, a series of performances et video-installations which attempted to infuse life into TV images. He did so by interfering with pre-existing programs, by inventing new arrangements of projection, by transforming the relation between actors and viewers, or by generating thought out of images.
Mineure
- La parole du créole qui ne se dit pas “créole” en créole - Jean-Yves Mondon p. 167-178 Dans cet article je m'efforce de tirer autant de conséquences que possible de ce fait : dans les îles des Mascareignes, l'usage du mot « créole » est réglé par des critères qui en restreignent l'application à des sous-ensembles du monde créole. L'usage du mot n'est pas « cognitif », il ne désigne pas nécessairement l'habitant des îles, le « natif », il est plutôt destiné à marquer ce dont il importe de se distinguer dans la langue créole elle-même, en prenant éventuellement appui sur des arrière-langues, des usages, des croyances et des attitudes, hérités d'ailleurs. Ce qui apparaît alors comme un caractère important de la vie créole c'est la distance entre des formes d'expérience coexistantes mais qui se veulent aussi étanches que possible, distance au repérage de laquelle les sensibilités sont dressées et qui donne au métissage (ou à certaines formes de métissage) la valeur d'une soustraction aux normes héritées des temps coloniaux. Distance et métissage sont les termes dans lesquels j'ai voulu décrire le monde créole des Mascareignes. Mais j'ai voulu le décrire « à distance » en me rappelant l'esprit dans lequel Derek Walcott a décrit les fragments d'épopée des Antilles.In this article, I attempt to draw as many possible consequences from this fact : in the Mascareignes islands, the use of the word « Creole » is regulated by criteria that limit its application to subgroups of the Creole world. The use of this word is not « cognitive », it does not refer to the inhabitant of the islands, the « native » : it marks that from which one must separate oneself within the Creole language itself, possibly through the evocation of back-languages, of customs, beliefs and attitudes inherited from somewhere else. A crucial defining feature of Creole life thus appears to consist in a distance between forms of experience that coexist but that strive to be as separated and watertight as possible. Sensitivities are deeply trained in measuring this distance, which leads (certain forms of) hybridization to be conceived as subtractions to the norms inherited from colonial times. Distance and hybridization are the main terms through which I have attempted to describe the Creole world in the Mascareignes ; but I tried to do so « from a distance », in the spirit with which Derek Walcott described fragments of epics in the Caribbean.
- La créolité contre l'enfermement identitaire - Raphaël Confiant p. 179-185 Depuis deux décennies, le mouvement dit de la « Créolité » a réussi à s'imposer dans le débat franco-européen, américain, puis mondial, en particulier au plan de la littérature et de la musique. Raphaël Confiant explique ici les tenants et aboutissants historiques de cette réflexion nouvelle qui ne vise rien moins qu'à redéfinir la notion d'identité culturelle dans un monde marqué par les crispations nationalistes d'une part et la mondialisation, largement sous contrôle étasunien, de l'autre.For two decades, the movement of Creolity has pushed itself into the Franco-European, American, and finally world debate, when it comes to discussing literature or music. In this article, Raphaël Confiant explores the historical implications of this new reflection which attempts to redefine cultural identities in a world characterized by nationalist backlashes on one hand, and by globalization under US control, on the other.
- Le migrant nu : “Le déporté sur des frontières” - Alexandre Alaric p. 187-202 Il s'agit ici de contribuer à la réception théorique et philosophique de l'œuvre d'Édouard Glissant, à travers la question de la « venue au monde », de l'accès à la Parole, d'un Nous et d'un écrivant, ainsi qu'à travers une pensée de la trace, résultante de la double expérience historique de la colonisation (de la Traite) et langagière de la créolisation. On cherche à montrer comment les notions inaugurales de la Relation, du chaos-monde, du Tout-Monde sont les matrices d'une anthropologie poétique et d'une poétique philosophique, ainsi que les voies d'accès à une pensée de la migration mondiale, et de la multitude.This article is a contribution to the theoretical and philosophical reception of Édouard Glissant's work. It focuses on the « coming to the world », on the access to Speech of a « We » and of the writing subject, as well as on a reflection on the trace which results from the double experience of historical colonization (and slave-trade) and linguistic creolization. Fundamental notions of Relation, world-chaos and Whole-World appear as the matrix of a poetical anthropology and of a philosophical poetics, as they pave the way for a reflection on world migrations and the multitude.
- Créolectures et politiques membraniques - Yves Citton p. 203-211 Le sens commun tend parfois à identifier créolisation avec hybridation, faisant du mélange et de l'abaissement des frontières l'alpha et l'oméga de la création créolisante. En prenant appui sur des théories de la lecture, cet article essaie de situer la puissance du créole dans le travail de sélection qu'opère la frontière, en tant qu'elle fonctionne comme une membrane. Une politique du filtrage et de la poussée s'esquisse ainsi à partir de la série lectio, élection, sélection, intellection.Common sense often tends to identify Creolization with hybridization, as if tearing down boundaries and mixing up the heterogeneous were the defining features of Creolity. Drawing from recent theories of reading, this article attempts to locate the power of the Creole in the work of selection performed by boundaries conceived as membranes. A politics of filters and thrusts is thus sketched, along a series going from lectio to election, selection and intellection.
- Kreyol pale, kreyol konprann - Madison Smartt Bell p. 213-221 Cet article discute de quelques aspects de la créolisation dans le contexte éthique, racial et linguistique qui s'est déployé à partir de certains événements de la révolution haïtienne.This paper discusses some aspects of Creolization in ethnic, racial, and linguistic contexts, as they evolve from certain events of the Haitian Revolution.
- La parole du créole qui ne se dit pas “créole” en créole - Jean-Yves Mondon p. 167-178
Insert
- Cybernétique et “théorie française” : faux alliés, vrais ennemis - François Cusset p. 223-231 En réponse à des publications récentes de Céline Lafontaine, François Cusset démonte les leurres du lien, aujourd'hui fréquemment invoqué, entre le programme idéologico-scientifique de la cybernétique américaine et la French Theory des Foucault, Derrida, Lyotard ou Deleuze. Ceux qui s'autorisent de quelques échos de surface pour affirmer une complicité historique entre ces deux mouvements « anti-humanistes » passent à côté de la nature fondamentalement critique de la mal-nommée « pensée 68 » à l'égard du capitalisme. Et c'est plutôt leur propre humanisme technophobe qui fait aujourd'hui le lit d'un renouveau français du libéralisme bien-pensant.Responding to recent publications by Céline Lafontaine, François Cusset unties the illusions of the supposed knot between the US ideology of cybernetics and the « French Theory » represented by thinkers like Foucault, Derrida, Lyotard or Deleuze. Those who denounce a historical complicity between these two « anti-Humanist » movements in the name of a few superficial analogies miss the profoundly critical nature of French Theory towards capitalism. It is rather on the side of those technophobic Humanists so eager to denounce the Pensée 68 that one finds today the most active accomplices of the liberalisation of French society.
- Cybernétique et “théorie française” : faux alliés, vrais ennemis - François Cusset p. 223-231
Liens
- “La Russie a peut-être Plus besoin de la guerre en Tchétchénie que de la Tchétchénie elle-même” : À propos du livre Tchétchénie : une affaire intérieure ? - Giselle Donnard p. 233-238 Cet ouvrage d'A. Le Huérou, A. Merlin, A. Regamey et S. Serrano resitue le conflit tchétchène dans la continuité de la colonisation russe (avec ses préjugés ethniques), dans celle d'une soviétisation sur laquelle s'est appuyé le mouvement nationaliste lui-même, dans les besoins immanents au nouvel appareil d'État poutinien et dans la complexité des échanges qui se produisent entre Islam, résistance, solidarité, identité et crainte d'extermination. Il met particulièrement en lumière le rôle des femmes dans ce conflit, y compris celui de ces femmes « kamikazes » qui illustrent tragiquement le changement de nature de la résistance. Le livre paraît à un moment où il est urgent que l'Europe cesse de reproduire en Tchétchénie son inconséquence notoire dans les guerres de l'ex-Yougoslavie.This book by Anne Le Huérou, Aude Merlin, Amandine Regamey and Silvia Serrano reinscribes the Chechen conflict within the continuity of Russian colonization (and its ethnic prejudices), within that of a Sovietization out of which the nationalist movement originally grew, within the immanent needs of the Putinian regime and within the complexity of the interactions between Islam, resistance, solidarity, identity and the fear of extermination. It focuses in particular on the role of women, including of the « kamikaze » women who tragically illustrate the change in nature of the resistance. The book is published at a moment when it is urgent for Europe not to repeat in Chechnya the inconsequent reflexes it adopted during the wars in the ex-Yugoslavia.
- “La Russie a peut-être Plus besoin de la guerre en Tchétchénie que de la Tchétchénie elle-même” : À propos du livre Tchétchénie : une affaire intérieure ? - Giselle Donnard p. 233-238