Contenu du sommaire : Israël : contradictions d'une démocratie coloniale

Revue Confluences Méditerranée Mir@bel
Numéro no 119, hiver 2021
Titre du numéro Israël : contradictions d'une démocratie coloniale
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  • Israël : contradictions d'une démocratie coloniale

    • En guise d'introduction - p. 9-10 accès réservé
    • Israël, du « socialisme » à l'ultra-capitalisme via l'occupation - Gadi Algazi, Dominique Vidal, Manon Moulin p. 11-26 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Professeur d'histoire à l'Université de Tel-Aviv et directeur de l'Institut Minerva pour l'histoire allemande, Gadi Algazi fut aussi un des premiers refuzniks israéliens et le co-fondateur de plusieurs mouvements de solidarité judéo-arabe, notamment « Taayush » et « Tarabut ». C'est à ces différents titres qu'il répond à l'une des questions les plus débattues : comment Israël est-il passé d'une forme de « socialisme » dans les années 1950 à l'ultra-capitalisme qu'il connaît aujourd'hui et quel rôle a joué, dans cette évolution, l'occupation et la colonisation des Territoires palestiniens conquis en 1967 ?
      Professor of history at Tel-Aviv's University and director of the Minerva Institute for German history, Gadi Algazi was one of the first Israeli refuzniks and a co-founder of various Jewish-Arab solidarity movements, particularly “Taayush” and “Tarabut”. He answers hereby to one of the most disputed questions: how Israel evolved from a form of “socialism” in the 1950s to the “ultra-capitalism” it experiments today, and which role in this evolution played the occupation and colonization of the Palestinians territories it conquered in 1967.
    • De la Shoah à la Nakba, un travail de mémoire en souffrance - Sylvain Cypel p. 27-41 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Deux tragédies monopolisent les enjeux mémoriels en Israël. La première est évidemment le génocide nazi des Juifs d'Europe, qui a précédé la création de l'État. Le regard porté sur ce crime exceptionnel a évolué avec le temps, mais la volonté d'Israël de se constituer en unique héritier juif légitime de cette tragédie n'a jamais cessé. Mais, paradoxalement, la société israélienne voit dans la Shoah un événement quasi anhistorique, tout en usant abusivement de sa mémoire à tout propos. Le second enjeu est la volonté acharnée d'évacuer de la mémoire collective l'expulsion, entre 1947 et 1950, de plus de 85 % de la population palestinienne qui résidait sur le territoire de ce qui allait devenir Israël. Mais le regard porté sur cette événement a, lui aussi, évolué avec le temps. Du déni étatique initial, de l'épuration ethnique alors mise en œuvre, une partie de l'opinion israélienne a basculé dans l'aval assumé du crime.
      Two tragedies monopolize the memorial issues in Israel. The first one is the Nazi genocide of European Jews, which preceded the creation of the State. The view of this exceptional crime has evolved over time, but Israel's desire to be the sole legitimate Jewish heir to this tragedy has never ceased. But paradoxically, Israeli society sees the Shoah as an almost a-historical event, while abusing its memory in every respect. The second issue is the relentless desire to erase from the collective memory the expulsion, between 1947 and 1950, of more than 85 % of the Palestinian population that resided on the territory of what was to become Israel. However, the way this event is viewed has also evolved over time. From the initial State denial of the ethnic cleansing that was then carried out, part of Israeli opinion has shifted to an endorsement of the crime.
    • Israël, meilleur élève de la classe néolibérale - Dominique Vidal p. 43-53 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      « Ce qui est le plus troublant, a écrit le professeur Alon Ben Meir, c'est que les gouvernements israéliens successifs ont complètement négligé le sort de ceux qui vivent dans la pauvreté, comme s'il s'agissait d'un phénomène naturel contre lequel on ne peut pas faire grand-chose. Alors qu'Israël dépense des centaines de millions pour la construction de colonies et autant pour sa défense, il a laissé de nombreuses communautés pourrir sur place. Des centaines de milliers d'Israéliens frappés par la pauvreté vivent au jour le jour et vont souvent dormir affamés » (The Jerusalem Post, 3 mai 2021).
      “What is most troubling, wrote Professor Alon Ben Meir, is that successive Israeli governments have completely neglected the plight of those living in poverty, as if it were a natural phenomenon about which not much can be done. Whereas Israel is spending hundreds of millions on the building of settlements and as much for their defense, it has left many poor communities to rot in place. Hundreds of thousands of poverty-stricken Israelis are living hand to mouth and frequently go to sleep hungry” (The Jerusalem Post, May 3rd, 2021).
    • Nation "start-up", la fin d'une ère ? - Jacques Bendelac p. 55-65 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les Israéliens sont fiers d'avoir été à l'origine d'inventions qui ont profité au monde entier, comme la clé USB et l'irrigation au goutte-à-goutte, sans compter de nombreuses applications qui équipent le téléphone mobile, l'ordinateur portable ou la maison intelligente. En revanche, si le secteur des hautes technologies doit son essor au soutien actif de l'État, il a commencé à montrer des signes d'essoufflement avec le passage accéléré au libéralisme au début des années 2000. Désormais, la fin de l'ère de la « nation start-up » semble se dessiner à l'horizon : les créations de start-up se raréfient, la main d'œuvre spécialisée manque et l'État n'investit presque plus.
      The Israelis are proud to have created inventions for the benefit of the world as a whole, like the memory stick or the drip irrigation, but also applications which equip mobile phone, laptop or smart home. However, if the rise of the high-tech sector owes its growth to the active support of the State's, it shows signs of breathlessness with the fast-tracking to liberalism in the beginning of the years 2000. Now it seems we approach the end of the “start-up nation” era: their creations become scarce, the skilled workforce is lacking, and the State hardly invest anymore.
    • L'agriculture israélienne, entre innovations et dépossession - Pierre Blanc p. 67-81 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'agriculture n'échappe pas aux analyses géopolitiques, particulièrement quand il s'agit du Moyen-Orient. Comme tous les pays de la région, l'agriculture israélienne mérite ainsi d'être regardée avec ce prisme : elle a été centrale dans la construction territoriale du Yishouv puis d'Israël ; elle a le réceptacle d'une idéologie socialiste et en dernière instance nationaliste ; elle a été portée par un investissement technologique inégalé qui constitue désormais un soft power pour le pays. Cet usage de la technologie dans la projection internationale d'Israël est d'autant plus important que ce pays a vu son image se dégrader, du fait de la politique de dépossession des Palestiniens qui est poussée toujours plus loin et à laquelle l'agriculture israélienne participe. Si pour Israël, l'agriculture a donc été un vecteur d'émancipation sociale et par rapport à la nature, elle constitue aussi un outil d'emprise coloniale. C'est à cette contradiction que se consacre cet article.
      Agriculture cannot escape a geopolitical analysis, particularly when it comes to the Middle East. Like all countries in the region, Israeli agriculture deserves to be viewed through this prism: it was central to the territorial construction of the Yishuv and then of Israel; it was the receptacle of a socialist and ultimately nationalist ideology; it was supported by an unparalleled technological investment that now constitutes a soft power for the country. This use of technology in Israel's international projection is all the more important as the country's image has deteriorated as a result of the policy of dispossession of the Palestinians, which is being pushed ever further and to which Israeli agriculture is participating. If for Israel, agriculture has thus been a vector of social emancipation and in relation to natural constraints, it is also a tool of colonial control. It is to this contradiction that this article is dedicated.
    • L'armée israélienne : au service de l'État ou de Dieu ? - René Backmann p. 83-94 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Lorsqu'il a signé le document fondant l'armée israélienne en mai 1948, David Ben Gourion, premier chef du gouvernement du nouvel État, entendait créer une force de défense sans sectarisme, respectueuse des lois religieuses de base mais loyale à l'État, au gouvernement, à l'état-major et sans lien avec les partis politiques ou les autorités religieuses. Trente ans plus tard, après l'arrivée au pouvoir de Menahem Begin, la « religion de la rédemption » a commencé à se substituer au sein de l'armée à l'ancienne « religion de la sécurité nationale ». Avec l'assentiment et les encouragements du pouvoir politique, les colons et les religieux nationalistes ont été de plus en plus nombreux à se porter volontaires pour les unités de combat, les forces spéciales et les écoles de formation d'officiers. À l'école d'officiers de l'infanterie, le pourcentage d'officiers religieux est passé de 2,5 % dans les années 1990 à plus de 25 % dans les années 2000. Le résultat est qu'aujourd'hui les militaires, avec ou sans ordres, participent à la création des « colonies sauvages » ou aux attaques des colons contre des villageois palestiniens. C'est aussi qu'un général, commandant l'une des plus célèbres unités de l'infanterie israélienne, peut appeler ses soldats à combattre, à Gaza, « l'ennemi qui profère des blasphèmes contre le Dieu d'Israël ».
      On May 26th, 1948, when David Ben Gourion, first Prime minister of the newborn State of Israel, signed the document establishing the Israel Defense forces, the officers' oath stated that they “commit to maintain allegiance to the State of Israel, its laws and its authorities” and to devote all their energies for the “protection of the homeland and the liberty of Israel”. The new army was supposed to be respectful of religious convictions and laws without any link with political parties or religious authorities. Thirty years later, after the raise in power of Menahem Begin, the settlers and supporters of the nationalist-religious right began to receive incentives and encouragements from the political power to serve in the combat units, the special forces and enlist in officer schools. The percentage of religious soldiers in the infantry officer school grew between the 1990s and the 2010s from 2,5 % to 25 %. The result is that since many years, as the State gives settlers free rein to commit violent acts against Palestinians, the military does not confront the perpetrators or prevent their violence, and in some cases, soldiers even take part. It is also that a general, commander of a famous brigade sent a letter to its unit officers during the fighting in the Gaza strip, in 2014, in which he wrote that they were fighting “a blasphemous enemy that defiles the God or Israel”.
    • Discours anti-arabe et hypocrisie de la coexistence - Nitzan Perelman p. 95-105 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Jamais les villes dites « mixtes » d'Israël n'avaient connu d'affrontements judéo-arabes aussi violents qu'en mai 2021. Ces événements ont libéré la parole raciste, qui s'est donné libre cours du sommet de l'État à la base, notamment dans le discours politique et médiatique. En voici une analyse, sourcée, circonstanciée et commentée. Vingt ans après le massacre de treize Arabes israéliens qui manifestaient leur solidarité avec la Seconde Intifada naissante, cette réaffirmation de la supériorité des Juifs israéliens sur leurs « concitoyens » arabes a fait voler en éclats le discours convenu sur la « coexistence » et l'« égalité ». Conformément à sa nouvelle Loi fondamentale, Israël est bien l'« État-nation du peuple juif », le seul à y jouir du « droit à l'autodétermination ».
      Never before have the so-called “mixed” cities of Israel seen such violent Jewish-Arab clashes as in May 2021. These events have unleashed racist speech, which has been given free rein from the top of the State to the bottom, and particularly in the political and media discourse. Here is an analysis, sourced, detailed, and commented. Twenty years after the massacre of thirteen Israeli Arabs in solidarity with the nascent Second Intifada, this reaffirmation of the superiority of Israeli Jews over their Arab “fellow citizens” has shattered the agreed-upon discourse of “coexistence” and “equality”. According to its new Basic Law, Israel is indeed the “nation-State of the Jewish people”, the only one with the “right to self-determination”.
    • L'État, entre démocratie et occupation - Jean-Paul Chagnollaud p. 107-121 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Démocratie parlementaire et occupation militaire sont deux univers radicalement différents. Le premier est pétri de liberté, tandis que le second est fondé sur l'arbitraire. Le citoyen choisit ses représentants, tandis que l'occupé est soumis à une autorité étrangère. L'un ne peut accepter que la violence légitime de son État, tandis que l'autre doit subir la violence illégitime de la puissance occupante… Force est donc de constater que ces deux systèmes sont absolument inconciliables. Et si l'occupation ne peut en aucune façon être transformée par la démocratie, à l'inverse la démocratie peut être profondément dévitalisée par l'occupation.
      Parliamentary democracy and military occupation are two radically different worlds. The former is based on freedom, while the latter is based on arbitrariness. The citizen chooses his representatives, while the occupied is subjected to a foreign authority. One can only accept the legitimate violence of his State, while the other must suffer the illegitimate violence of the occupying power... It is therefore clear that these two systems are absolutely irreconcilable. And if occupation cannot in any way be transformed by democracy, democracy can be deeply devitalized by occupation.
    • Une aspiration croissante à la laïcité - Dominique Vidal p. 123-134 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      La défaite de Benyamin Netanyahou n'est pas le seul résultat historique des élections législatives du 23 mars 2021 : l'autre, c'est l'exclusion des partis ultra-orthodoxes du gouvernement, où ils siégeaient presque sans interruption depuis 1981. Au-delà des péripéties politiciennes, ce changement reflète un renversement dans le « Kulturkampf » – cette guerre civile rampante entre laïcs et religieux qui fait rage depuis dans les années 1990. Si la minorité ultra-orthodoxe croît et se radicalise, la majorité laïque ou traditionniste entend se libérer des contraintes religieuses : l'aspiration à une forme spécifique de laïcité s'affirme.
      Benjamin Netanyahu's defeat is not the only historic result of the legislative elections of March 23rd, 2021: the other result is the exclusion of the ultra-orthodox parties from the government, where they have sat almost continuously since 1981 (except in 1995 and 2013). Beyond the political maneuvers, this change reflects a reversal in the “Kulturkampf” - this rampant civil war between secular and religious people which has been raging since the 1990s. If the ultra-orthodox minority is growing and radicalizing, the secular majority wants to get free from religious constraints: the aspiration to a specific form of secularism becomes evident.
    • Le cinéma israélien, entre courage et alibi ? - Jérôme Bourdon p. 135-146 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis les années 2000, Israël exporte avec succès un nouveau cinéma, donnant place au destin de groupes jusque-là peu ou pas représentés sur l'écran : femmes, juifs mizrahim (orientaux), minorité palestinienne d'Israël. Ce cinéma plus critique n'est-il pas aussi utilisé comme « soft diplomacy » par un État particulièrement soucieux de son image ? Fondée principalement sur une analyse des critiques de films en France, États-Unis, Grande-Bretagne et Israël, cet article propose une réponse nuancée. La pratique du financement et la production de ces films n'obéit pas à un souci politique. Bien reçus à l'étranger, et très minoritaires, les films critiques de l'armée et de l'occupation suscitent l'ire des représentants de l'État israélien, qui, sous Netanyahou, sont allés jusqu'à l'appel à l'autocensure. Au-delà de toute intention politique, les films font l'objet de réinterprétations et de malentendus qui peuvent provoquer des effets imprévisibles, par exemple sur la compréhension du statut des femmes, juives ou arabes, en Israël. Chaque pays met l'accent sur des aspects différents : l'Angleterre est la plus critique et la plus politique, les critiques français écrivent dans le contexte de leur culture cinéphilique, les Américains sont les plus prudents à l'instar de leurs journalistes. À l'exception de certains cinéastes palestiniens d'Israël, les créateurs ne s'exilent pas ou très peu, et continuent de porter un discours critique, par ailleurs rare dans les médias israéliens.
      Since the 2000s, Israel has successfully exported a new cinema, showing groups hitherto little or not represented on the big screen: women, Mizrahi Jews, the Palestinian minority in Israel. Can this more critical cinema also be used as a “soft power” by an Israeli State particularly concerned about its image? Mainly based on an analysis of the discourse of reviewers in France, the United States, Britain and Israel, this article offers a multifaceted answer. The practice of financing and production is not based on any strategy of “soft power”. The small minority of films directly critical of the military and the occupation, well received outside, have angered some Israeli politicians, with calls for self-censorship during Netanyahu's terms of office. Beyond any political intention, the films are subject to reinterpretations and misunderstandings that can have unpredictable effects, for example on the understanding of the status of women, Jewish or Arab. Each country proposes a different emphasis: more critical and political in the U.K., more cinephilic in France, more “balanced” and cautious (like their journalists) in the USA. Only a small minority of directors, mainly Palestinian Israeli citizens, have chosen exile, while Israeli cinema continues to propose a critical, discourse on their society, which is rare in the mainstream media.
    • Pourquoi le judaïsme américain se distancie d'Israël - Sylvain Cypel p. 147-161 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      C'est un thème sur lequel les institutions juives françaises entretiennent un silence assourdissant. La communauté juive américaine, de loin la principale diaspora juive dans le monde, tourne de plus en plus le dos à Israël, à sa politique vis-à-vis des Palestiniens et à sa politique « identitaire » en général, qui placent l'État juif dans le camp des régimes rétrogrades. Certes, cette distanciation vis-à-vis d'Israël est récente. Elle reste minoritaire. Mais le fossé semble s'approfondir à une vitesse croissante. En juillet 2021, un sondage du Jewish Electorate Institute concluait que 25 % des Juifs américains approuvent l'idée qu'« Israël est un État d'apartheid ». La relation fusionnelle Trump-Netanyahou, puis la récente guerre à Gaza, ont accéléré ce processus, que Joe Biden ne peut plus ignorer.
      It is a topic on which French Jewish institutions maintain a deafening silence. The American Jewish community, the main Jewish diaspora in the world, is increasingly turning its back on Israel, its policy towards the Palestinians and its “identity” politics, which place the Jewish State alongside retrograde regimes. This distancing from Israel is recent. It remains in the minority. But the gap seems to be deepening at an increasing rate. In July 2021, a poll conducted for the Jewish Electorate Institute concluded that 25 % of American Jews agree that “Israel is an apartheid State”. The Trump-Netanyahu fusion relationship, and then the recent war in Gaza, have accelerated this process. And Joe Biden cannot ignore it now.
  • Notes de lecture