Contenu du sommaire : Engagements intellectuels

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 176-177, mars 2009
Titre du numéro Engagements intellectuels
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • L'engagement des intellectuels : nouvelles perspectives - Matonti Frédérique, Sapiro Gisèle p. 4-7 accès libre
  • Modèles d'intervention politique des intellectuels. Le cas français - Sapiro Gisèle p. 8-31 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article traite des formes et des modalités d'intervention politique des intellectuels, à travers le cas français. Celles-ci tendent à se différencier selon trois facteurs qui structurent le champ intellectuel : le capital symbolique ; l'autonomie à l'égard de la demande politique ; le degré de spécialisation. De la combinaison de ces trois facteurs se dégagent huit modèles d'intervention construits de façon idéal typique, et qui sont analysés dans une perspective socio-historique : l'intellectuel critique universaliste, l'intellectuel critique spécialisé (ou « intellectuel spécifique » selon Foucault), le gardien de l'ordre moralisateur, le spécialiste consulté par les dirigeants (« l'expert »), le groupement intellectuel contestataire universaliste (souvent représenté par « l'avant-garde », mais aussi par des groupements pour la défense d'une cause universelle), le groupement contestataires spécialisé (baptisé par Bourdieu « l'intellectuel collectif »), l'intellectuel d'institution généraliste, l'intellectuel d'institution spécialisé.
    The article addresses the forms and modes of political intervention by intellectuals by focusing on the French case. Such interventions vary according to three factors that structure the intellectual field: symbolic capital, the autonomy vis-à-vis political demand, and the degree of specialization. The different combinations between these three factors generate eight ideal-typical models of intervention, that are analyzed in a social and historical perspective: the universalistic critical intellectual, the specialized critical intellectual (what Foucault called the “specific intellectual”), the moralizing defender of the established order, the specialist advising the government (the “expert”), the universalistic critical intellectual collective (often represented by the “vanguard,” but also by collectives defending a universal cause), the specialized critical collective (that Bourdieu called the “collective intellectual”), the generalist institutional intellectual, and the specialized institutional intellectual.
  • L'avant-garde totale. La forme d'engagement de l'Internationale situationniste - Brun Éric p. 32-51 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Alors que la figure de l'« expert », qui accompagne la prise de décision politique au nom d'une compétence certifiée sur un domaine spécialisé, se développe fortement à partir de 1945, d'autres agents produisent des formes d'engagement intellectuel dans la politique bien différentes. Mené notamment par Guy Debord, le groupe d'avant-garde « Internationale situationniste » (1957-1971) intervient dans la politique au titre d'une maîtrise autoproclamée du « qualitatif », c'est-à-dire d'une connaissance de la pauvreté « qualitative » de la vie quotidienne et de la réalité des désirs qui viseraient à la libérer. Son intervention dans la politique se fait alors contre la « politique spécialisée », et dans le cadre d'une tentative de synchronisation des principes de création, connaissance et action. L'article tentera de comprendre les pressions sociales et symboliques au fondement de l'adoption d'une stratégie d'« avant-garde totale », dont cette forme singulière d'engagement intellectuel dans la politique est une expression.
    While the role of the “expert” who assists political decision making on the basis of a certified skill related to a specialized field becomes increasingly important after 1945, other actors generate very different forms of intellectual involvement in politics. Led in particular by Guy Debord, the avant-gard group of the “Situationist International” (1957-1971) intervenes in politics in the name of a self-proclaimed mastery of the “qualitative,” i.e. of a knowledge of the “qualitative” poverty of everyday life and of the reality of the desires that aim at liberating it. Its intervention in political life opposes “specialized politics” and is framed as an attempt to synchronize the principles of creation, knowledge and action. This article seeks to understand the social and symbolic pressures that led the group to adopt a strategy of “total avant-garde”, of which this specific form of intellectual involvement in politics is an expression.
  • L'anneau de Moebius. La réception en France des formalistes russes - Matonti Frédérique p. 52-67 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    En janvier 1966, paraît aux Éditions du Seuil, dans la collection « Tel Quel », Théorie de la littérature : un recueil de textes, pour la plupart inédits, des formalistes russes. L'ouvrage, traduit par Tzvetan Todorov et préfacé par Roman Jakobson, est d'abord reçu comme l'une des généalogies fondatrices de la linguistique structurale. Et, en effet, la construction complexe de ce recueil, sa « mise en texte », et sa réception dans la presse et dans les revues participent de la production d'une généalogie officielle du structuralisme, alors au cœur de ce moment intellectuel. Pourtant, dans le même temps, s'organise une autre réception, politique cette fois, de ces mêmes formalistes. Organisée autour d'Aragon, mais aussi de Jakobson, elle participe des luttes internes au monde communiste international. Il s'agit alors pour ces passeurs à la fois de se débarrasser de toute tentation d'art de parti, de réhabiliter les avant-gardes littéraires et artistiques, mais aussi de protéger les survivants et les continuateurs de cette histoire née dans la Russie des débuts de la Révolution.
    Théorie de la littérature, a collection of texts by Russian formalists that, for the most part, were previously unpublished, was released in January 1966 by the Editions du Seuil, in the collection called « Tel Quel ». Translated by Tzvetan Todorov with a foreword by Roman Jakobson, this book was first considered as one of the foundational genealogies of structural linguistics. Indeed, the complex assembly of this reader, its “textualization” and its reviews contributed to producing an official genealogy of structuralism, then in full swing. Yet, another reception of formalist writings was taking place at the same time – a political reception. Organized around Aragon but also Jakobson, this reception was shaped by the struggles internal to the international communist movement. These intellectual brokers aimed at getting rid of any temptation of developing “party art”, at rehabilitating literary and artistic avant-gardes, but also at protecting the survivors and the heirs of this tradition that had started in revolutionary Russia.
  • Les habits neufs du biologisme en France - Lemerle Sébastien p. 68-81 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Depuis une quarantaine d'années, de nombreux chercheurs et praticiens issus des sciences bio-médicales ont fait une apparition remarquée sur la scène intellectuelle française, quelquefois présentée comme la manifestation d'une « révolution » intellectuelle en marche, consécutive aux progrès de la génétique ou des neurosciences. Bien que s'inscrivant dans une certaine continuité historique, les modes d'engagement de ces nouveaux porteurs de discours biologisants présentent sans doute des traits spécifiques, où l'expertise occupe une place centrale. L'explication de cette émergence passe par l'analyse des profils de ces « savants », dont les figures principales peuvent être repérées à l'aide des listes de succès de librairie parus entre 1970 et 2000, combinée à celle des conditions de visibilité de ces derniers dans l'espace public, c'est-à-dire ici dans l'espace éditorial.
    In the last four decades, many researchers and practitioners in the bio-medical sciences have made a noticeable entry on the French intellectual scene. Their being in the limelight was sometimes presented as the result of an ongoing intellectual “revolution”, fueled by recent advances in genetics and in the neurosciences. Although this form of public involvement has historical precedents, it also displays some attributes that are specific to these exponents of a biologizing discourse and that are characterized by the central role of expertise. Its emergence can be explained by analyzing the profiles of these scientists (the most prominent of whom can be identified in the lists of bestsellers published between 1970 and 2000) as well as the conditions of their visibility in the public sphere, which in this case is the editorial field.
  • Les think tanks aux États-Unis. L'émergence d'un sous-espace de production des savoirs - Medvetz Thomas p. 82-93 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article retrace l'histoire singulière des centres de recherches sur les politiques publiques aux États-Unis, ou « think tanks ». L'histoire de ces institutions fait office de baromètre du rôle des intellectuels et des relations au sein de l'élite américaine. Les institutions préfigurant les think tanks d'aujourd'hui ont vu le jour au début du XXe siècle, à partir de l'alliance précaire entre des élites politiques, économiques et culturelles, qui ont mis de côté leurs différences afin de poursuivre des intérêts politiques communs. Mais loin de représenter un partenariat équitable, ce projet a requis les services de producteurs de savoirs prêts à adapter leur production intellectuelle aux règles en vigueur dans le champ politique. La subordination des intellectuels orientés vers la politique aux tenants du pouvoir politique et économique s'est accrue après 1970, lorsque les think tanks sont devenus l'outil privilégié d'élites désireuses d'augmenter leur capacité de production intellectuelle et de contrôler les conditions du débat public. La prolifération des think tanks éclaire ainsi plusieurs thèmes de l'histoire récente des États-Unis : i) les processus de lutte et de différenciation au sein de l'intelligentsia américaine ; II) la colonisation de l'espace de production intellectuelle par les champs politiques et économique ; et III) la création de barrières structurelles à la participation politique des intellectuels, qui doivent de plus en plus adapter leurs recherches aux formes convenues, aux contenus et aux cycles temporels du débat public.
    This paper traces the peculiar history of American public policy research centers, or “think tanks”, as a barometer of the role of intellectuals in the US and the relations among elites. The forerunners of think tanks emerged in the early 20th century out of a precarious alliance among political, economic, and cultural elites, who put aside differences of outlook and style to pursue common political interests. Yet, far from an equal partnership, this project required a set of knowledge producers willing to adapt their intellectual output to the established rules of the political field. The subordination of policy-oriented intellectuals to holders of political and economic power grew further after 1970, as think tanks became the preferred instrument of elites wishing to bolster their machinery of intellectual production and control the conditions of public debate. The proliferation of think tanks thus sheds light on several themes in recent American history: i) differentiation and struggle within the American intelligentsia; ii) the invasion of the space of intellectual production by the political and economic fields; and, iii) the creation of structural barriers to the political participation of intellectuals, who must increasingly adapt their research to fit the established form, content, and temporal cycles of public debate.
  • Le « professeur Rawls » et le « Nobel des pauvres ». La politisation différenciée des théories de la justice de John Rawls et d'Amartya Sen dans les années 1990 en France - Hauchecorne Mathieu p. 94-113 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Bien qu'ils occupent des positions proches au sein du champ intellectuel anglophone et que leurs théories de la justice y soient souvent perçues comme comparables, le philosophe John Rawls et l'économiste Amartya Sen font l'objet d'appropriations antagoniques au sein du champ de production idéologique français au cours des années 1990. Au milieu des années 1990, l'équité rawlsienne constitue ainsi un marqueur de droite au sein du débat public français (et plus particulièrement dans la presse de gauche) alors que, suite à l'obtention du prix Nobel d'économie en 1998, Sen est perçu comme un économiste de gauche voire comme un penseur critique. On montre ici que ces politisations antagoniques tiennent en grande partie à la position occupée par les médiateurs de Rawls et de Sen au sein du champ intellectuel français et aux formes d'engagement auxquels ils recourent (expertise d'État pour Rawls, critique sociale pour Sen). Non seulement celles-ci orientent l'usage fait de ces auteurs, mais elles créent en outre les horizons d'attentes spécifiques en fonction desquels Rawls et Sen sont lus par un public plus large.
    Although they occupy proximate positions within the English-speaking intellectual field and their theories of justice are often seen as being comparable, the philosopher John Rawls and the economist Amartya Sen were used for antagonistic purposes in the French field of ideological production during the 1990s. In the mid 1990s, Rawls' principle of fairness tends to flag out a position on the right wing of the French public debate (in particular in the left wing printed media) while, after he was awarded the Nobel prize in economics in 1998, Sen was considered as a left wing economist if not as a critical thinker. The article shows that these antagonistic politicizations are largely the result of the position occupied within the French intellectual field by those who introduced Rawls and Sen and by the way they participate in public debate (policy expertise in the case of Rawls, social critique in the case of Sen). Not only do these modes of participation influence the way these authors are used, but they also generate specific expectations that inform the way Rawls and Sen are read by the wider public.
  • Dossier « sociologie politique »

    • (Que) faire de la sociologie publique ? - Ollion Étienne p. 114-120 accès libre
    • Pour la sociologie publique - Burawoy Michael p. 121-144 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'écart croissant entre l'ethos sociologique et le monde social constitue un défi auquel la sociologie publique tente de répondre en entrant en dialogue, de façons multiples, avec des publics variés. Il existe une pluralité de sociologies publiques. Celles-ci ne doivent pas être laissées dans l'ombre, mais doivent être au contraire pleinement intégrées au sein de la discipline, ce qui contribuerait à la fois à faire de la sociologie publique une entreprise visible et légitime, et à revigorer la sociologie dans son ensemble. La topographie de la sociologie esquissée ici indique des relations d'interdépendance antagonistes entre quatre types de savoirs : académique, critique, expert, et public. Dans le meilleur des mondes, l'épanouissement de chacun de ces types est la condition du bon développement de tous. Mais chacun d'entre eux peut tout aussi bien prendre des formes pathologiques, et l'un d'eux peut se retrouver exclu, ou subordonné à un autre. La sociologie est ainsi un champ de forces, et il faut explorer les relations entre les quatre types de sociologie dans leurs variations historiques et nationales et en fonction des modèles de carrières divergents qu'ils représentent. Enfin, la comparaison entre les disciplines met en lumière le cordon ombilical qui relie la sociologie au monde des publics, et souligne par là l'investissement particulier de la sociologie en faveur d'une société civile en proie aux assauts du marché et de l'État.
      Responding to the growing gap between the sociological ethos and the world we study, the challenge of public sociology is to engage multiple publics in multiple ways. These public sociologies should not be left out in the cold, but brought into the framework of our discipline. In this way we make public sociology a visible and legitimate enterprise, and, thereby, invigorate the discipline as a whole. Accordingly, if we map out the division of sociological labor, we discover antagonistic interdependence among four types of knowledge: professional, critical, policy, and public. In the best of all worlds the flourishing of each type of sociology is a condition for the flourishing of all, but they can just as easily assume pathological forms or become victims of exclusion and subordination. This field of power beckons us to explore the relations among the four types of sociology as they vary historically and nationally, and as they provide the template for divergent individual careers. Finally, comparing disciplines points to the umbilical chord that connects sociology to the world of publics, underlining sociology's particular investment in the defense of civil society, itself beleaguered by the encroachment of markets and states.
    • Pour une véritable politique en faveur des revues de SHS - p. 145 à 147 accès libre