Contenu du sommaire : Les mots du développement
Revue | Revue Tiers-Monde |
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Numéro | no 200, octobre-décembre 2009 |
Titre du numéro | Les mots du développement |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Les mots du développement
- Introduction - Les mots du développement : trajectoires et pouvoirs - Jean Cartier-Bresson, Blandine Destremau, Bruno Lautier p. 725
- "Empowerment" : généalogie d'un concept clé du discours contemporain sur le développement - Anne-Emmanuèle Calvès p. 735 La notion d'« empowerment » occupe aujourd'hui une place de choix dans le discours en vogue des institutions internationales sur la « participation des pauvres » au développement. L'article retrace l'histoire du mot dans le champ du développement international : ses origines et ses sources d'influence, son émergence dans les théories des féministes du Sud et des activistes radicaux dans les années 1980, puis son institutionnalisation progressive dans le vocable politique des organismes internationaux de développement. L'article montre comment avec sa cooptation, l'empowerment passe d'un processus de conscientisation et de mobilisation politique venant de la base et visant la transformation radicale des structures de pouvoir inégalitaires, à un concept vague et faussement consensuel, qui assimile le pouvoir aux choix individuels et économiques, dépolitise le pouvoir collectif, et est instrumentalisé pour légitimer les politiques et les programmes de développement top-down existants.“Empowerment”: Genealogy of a Key Concept of Today's Development Discourse. Today the term empowerment has become a central piece of international development agencies' fashionable discourse on « participation of the poor in development». The paper retraces the history of the word in the field of international development. First, its origins and sources of influence, then its emergence in Third World feminists and radical activists' theories in the 80s, and finally its gradual institutionalisation in mainstream development discourse. The papers shows how the cooptation of the word by international development agencies has transformed a notion originally conceived as a bottom-up process of consciousness-raising and political mobilization for challenging unequal power structures, to an ill-defined and vaguely consensual buzzword, that narrowly assimilates power to individual and economic choices, depoliticizes collective power, and is manipulated to legitimate existing top-down policies and programmes.
- Du développement à l'humanitaire, ou le triomphe de la com' - Marc-Antoine Pérouse de Montclos p. 751 Cet article déconstruit de façon empirique le discours des ONG humanitaires internationales sur le développement. En premier lieu sont rappelés brièvement les débats qui, à partir des années 1980, ont opposé les « développementalistes » aux « urgentistes ». Dans une deuxième partie, est analysé le rôle des ONG dans les réflexions en cours sur les mots et usages du développement. De l'alerte au témoignage, les ONG du Nord sont indéniablement devenues des producteurs majeurs d'informations sur la gouvernance et la gestion des crises dans les pays du Sud. La difficulté est que leurs politiques de relations publiques visent aussi et surtout à satisfaire les donateurs, quitte à projeter des « images » et des représentations du sous-développement qui travestissent la réalité. Dans une troisième partie qui constitue le cœur de notre problématique, on étudie ainsi la marchandisation des stratégies de communication humanitaires, avec tous les aspects dérivés du phénomène : misérabilisme, paternalisme, exagération de l'impact des crises, gonflement des besoins chiffrés, fantasmes sur la toute puissance d'un Occident sauveur du Tiers-Monde...From Development to humanitarian Emergency: an Exercise in public Relations. This article analyses the way humanitarian international NGOs speak and communicate about development. It first examines how relief organisations specialised in emergencies eventually got involved in reconstruction and development after the end of the cold war. It then shows that humanitarian NGOs became major players in the media when it comes to third world countries. The problem is that their communication also aims at fundraising: the priority is to please the donor, not to analyse complex issues. Hence this article studies the political economy of humanitarian advocacy, with all its drawbacks, i.e. paternalism, bias, racial stereotypes, exaggeration of the crisis, idealism about the impact of international aid, etc.
- La construction sociale de la générosité et la politique de développement européenne - Natacha Nicaise p. 767 Ce texte s'intéresse aux processus de construction sociale de la valeur de la générosité dans la justification de la Politique de développement européenne, à l'époque contemporaine (2000-2005) et au moment de création de la première politique de développement européenne, la politique d'association (1957-1963). L'article aborde les conditions de production de campagnes et de supports d'information publique sur le thème du développement, leurs modalités de circulation, les institutions qui les produisent, les « professionnels de l'Europe » qui les inventent et leurs motivations, les savoirs et les pratiques en jeu, afin d'observer comment sont construites les structures de significations et d'attitudes qui contribuent à la création du champ de savoirs, de pratiques et de professionnels liés à la catégorie du développement au sein de l'Union européenne (UE).The social Construction of Generosity and the european Development Policy. This text examines the processes involved in the social construction of the value of generosity in campaigns promoting the European Development Policy, during a recent period (2000-2005) and when the first such initiative, the Policy of Association, was implemented (1957-1963). The production conditions of public information campaigns and support material on the theme of development, their modalities of circulation, the institutions that produce them, the « Europe professionals » who invent them and their motivations, and the kinds of knowledge and practices in play, are all explored in order to identify the construction of meanings and attitudes that contribute to the structured field of knowledge, practices and professionals linked to the category of EU Development.
- Quel genre? Résistances et mésententes autour du mot - genre - dans le développement - Christine Verschuur p. 785 Le genre n'apparaît pas toujours comme une catégorie d'analyse utile dans les études de développement malgré son apparition depuis près de 40 ans dans les sciences sociales. La richesse de la pensée féministe et l'hétérogénéité des femmes ont longtemps été méconnues dans les études de développement. Grâce aux apports des études féministes postcoloniales, le genre en tant que catégorie d'analyse, articulée avec les catégories de classe et de race, contribue à renouveler la pensée sur le développement.Which Gender ? Resistances and Misunderstandings in Relation to the Word “gender” in Development. Gender doesn't always appear to be a useful category of analysis in development studies, in spite of its existence since about 40 years in social sciences. Both the complexity of feminist thinking and women's heterogeneity were unrecognized for a long time in development studies. Thanks to the contributions of feminist postcolonial studies, gender, as a category of analysis, intertwined with class and race categories, contributes to renew the thinking in development studies.
- Le genre des mexicain-e-s - Mathieu Caulier p. 805 Le cycle de conférences onusiennes de la première moitié des années 1990 (Rio, Vienne, Le Caire et Pékin) imposa, dans les années suivant la fin de la Guerre froide, de nouvelles normes encadrant les politiques publiques destinées aux femmes. L'intégration de féministes dans le processus de constitution d'un « champ du genre » chargé de mettre aux normes – de genre – les anciennes politiques de population redessinées en politiques de santé reproductive au cours des années 1990 amena une prolifération d'ONG, créées par des féministes ou des experts pour gérer l'intégration du « genre » dans les politiques publiques mexicaines. Soutenues par les grandes fondations étasuniennes et devenues des partenaires de l'action publique, ces ONG et leurs dirigeantes devinrent d'importantes passeuses de la catégorie « genre » dans les discours politiques, de même que d'importantes entrepreneures du genre qui ont développé des organisations liées à la sous-traitance des politiques publiques tout en étant dans la critique de l'État.The Mexican's Gender. The United Nations World summits cycle of the 90's (Rio, Vienna, Cairo and Beijing) imposed, in the years following the end of the Cold War, new norms of government, regulating public policies designed for women. The integration of feminists in the making of a “gender field”, a social space built to install new gender norms and discourses upon ancient population policies. Population policies that were redesigned in Reproductive Health policies during the 90's caused a plethoric creation of new NGOs, created by feminists or population experts, to monitor the gendering of public policies and the compliance with International texts. Financed by American foundations and new partners of policy making, these NGOs and their leaders became important “gender category smugglers” in Mexico, notably within the political discourses. These leaders managed to build careers, organizations and new needs in relation to the State that made “gender entrepreneurs” of a new kind, engaged in subcontracting public policies and criticizing the State.
- Quand le régime du - changement - prône la - stabilité - - Samy Elbaz p. 821 Le discours politique du régime tunisien, initialement construit autour du mot d'ordre du « changement » a progressivement été recentré sur la « stabilité ». Cette évolution a été renforcée par la position des bailleurs de fonds qui ont évalué de façon positive cette primauté accordée à une « stabilité » qui demeure toutefois conçue en des termes flous et mal définis. Le postulat des uns et des autres était qu'elle représente une garantie indispensable au « développement ». Dès lors, la « stabilité » a fait l'objet d'un usage protéiforme et a légitimé des stratégies économiques diverses et non moins paradoxales. Cet article se propose d'analyser les usages de ce registre discursif en le plaçant au centre d'une pratique politique censée composer non seulement avec des contraintes extérieures liées à la libéralisation et à la globalisation de l'économie, mais aussi avec des conflits de redistribution et d'arbitrage incessants entre des groupes sociaux aux intérêts divergents.The Regime of “Change” Champion of “Stability”. Buzzwords and Development in Tunisia. According to analysts, “stability” represents the main feature of Tunisian model of development. International donors point out positively that concern without specifying its outlines. They postulate that stability is a fundamental factor to realize economic development. Consequently, “stability” can justify different economic strategies, even paradoxical ones. However, the use of “stability” by Tunisian authorities refers to a technique of government rather than to a trivial semantic shift from macroeconomic to socio-political « stability ». The Tunisian discourse translates a mode of government which ambition is to adapt its action to a liberalized and globalized economy. It also intends to manage social pressure and redistribution conflicts. As a result, « stability » in the Tunisian context reveals a kind of government practices which aim at coherently articulating the economic, social and political fields in order to make transformations easier to govern.
- Droit, foncier et développement : les enjeux de la notion de propriété - Etude de cas au Sénégal - Caroline Plançon p. 837 L'objectif de cette contribution est de souligner que la propriété individuelle absolue et exclusive n'est pas le seul montage juridique envisageable pour que la terre et les ressources naturelles soient mises en valeur par les populations locales. La propriété telle qu'elle est conçue par le système civiliste permet d'ailleurs différents montages que l'article rappelle avant d'identifier les pratiques liées à la terre au Sénégal. L'esprit du domaine national sénégalais et les pratiques qui lui sont associées suggèrent que le titre foncier n'est pas la seule voie envisageable pour valoriser les terres, en dépit du discours majoritaire. La relation étroite entre statut de la terre et type d'agriculture pose la question des choix politiques que les pays mettent en œuvre pour assurer la sécurité alimentaire. Les politiques foncières mises en œuvre sont-elles suggérées par l'intérêt général et le besoin des populations ou répondent-elles aux exigences de la gouvernance mondiale ?Law, Land Tenure System and Development : Stakes of Concepts of Ownership and use Right. Case Study in Senegal. This paper underlines that the individual and absolute ownership is not the only possible way to productive use of land and natural resources. Actually, the civil legal system allows different legal construction which article brings up. Then, paper identifies local land tenure practices in Senegal and shows that the “national land law” philosophy and the associated practices suggest that the land title is not the only possible manner to put the land in use, despite of the main stream of thinking. Tenure system and type of agriculture are linked and wonder about public policy choices to ensure food safety. Are implemented land policies influenced by general interest and peoples' needs or do they fulfill the global governance requirements ?
- Pourquoi s'intéresser à la notion d'"évidence-based policy" ? - Catherine Laurent et alii p. 853 Au début des années 1990, les approches d'« evidence-based medicine » ont commencé à être formalisées pour permettre l'usage le plus judicieux possible des connaissances disponibles par les praticiens, le mot « evidence » renvoyant à la fois aux idées de corroboration empirique et de preuve. Ces approches se sont étendues à d'autres sphères de la décision publique (lutte contre la pauvreté, éducation, justice, environnement...), donnant naissance à la notion d'« evidence-based policy » (EBP). Dans le monde francophone, ces approches sont souvent assimilées à un simple effet de rhétorique ou à une tentative de dépolitiser les débats. L'analyse de leur genèse invite à plus de nuances et montre plutôt la volonté de renouveler les démarches positives d'aide à la décision publique en proposant des méthodes ad hoc offrant une alternative au recours croissant à des modèles de connaissances reposant trop exclusivement sur des opinions ou des simulations qui s'exonèrent de tests de validation empiriques.Should we care about Evidence-based Approaches ? From the early 1990s “evidence-based medicine” (EBM) was formalized to promote the most judicious use possible of available knowledge by practitioners, the word “evidence” referring simultaneously to factual evidence, empirical corroboration, and proof. The tenets of EBM spread to other decision-making spheres (poverty-abatement policies, law, education, environment...) resulting in the notion of “evidence-based policy” (EBP). In the French-speaking world, increasing reference to EBP is often dismissed as an insignificant effect of rhetoric or an attempt to depoliticize debate. But an analysis of its origins suggests a more nuanced judgement. It rather shows the will to renew positive approaches to help public decision-making through an arsenal of ad hoc methodologies. In particular, EBP approaches contribute to counterbalance the increasing use of knowledge models based exclusively on opinions or simulations that relieve themselves from empirical validation.
Varia
- Les limites de la croissance chinoise - Mylène Gaulard p. 875 Le taux d'investissement de la Chine atteint en 2008 un record mondial, dépassant les 45 % du PIB. Cependant, ce processus d'accumulation risque d'être dangereux pour la poursuite de l'investissement. L'accent est souvent mis sur l'importance des phénomènes de surproduction : l'industrie chinoise ne fonctionne souvent qu'à 50 % de ses capacités de production, ce qui finit forcément par peser sur le niveau de la productivité. Il n'en reste pas moins que cette évolution de la productivité doit surtout être analysée au regard de la théorie sur la baisse tendancielle du taux de profit présentée par Karl Marx dans le troisième livre du Capital.The Limits to Growth in China. The Chinese investment rate reaches a world record in 2008, exceeding 45% of the GDP. However, this very strong accumulation process may be extremely dangerous for the continuation of the national investment. Most of the time, the emphasis is put on the importance of overproduction : Chinese industry often works at only 50% of its production capacities, what threatens the productivity growth. Nevertheless, this evolution of productivity has to be considered overall by the yardstick of the theory of the falling rate of profit, introduced by Karl Marx in the third book of Das Kapital.
- Les limites de la croissance chinoise - Mylène Gaulard p. 875