Contenu du sommaire : Religions, identités et territoires
Revue | Revue d'études comparatives Est-Ouest |
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Numéro | vol 35, no 4, décembre 2004 |
Titre du numéro | Religions, identités et territoires |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Religions, identités et territoires
- Coordonnatrice : Kathy Rousselet- Avant-propos - p. 5
- Les transformations religieuses en Europe centrale et orientale - Miklos Tomka p. 11 Si, jusqu'à une période récente, les théories sociologiques sur la modernisation et la sécularisation partageaient le même point de vue d'une perte de sens de la religion, voire de sa disparition, la plupart opposent désormais à ce concept la thèse de l'individualisation du religieux et celle de la désinstitutionalisation ou, plus exactement, de la disparition des Églises ; elles défendent l'idée d'une transformation de la religion mais non de son effacement. Sur un plan empirique, la réactivation de l'islam, l'apparition de nouvelles formes de religiosité et de nouveaux mouvements religieux et, enfin, une restauration religieuse en Europe centrale et orientale semblent rendre discutable la thèse de la sécularisation. Après avoir réfléchi sur les relations entre sociétés et religions en Europe centrale et orientale dans la deuxième moitié du XX^ siècle et analysé les données récentes sur la situation religieuse et l'état des Églises dans cette région de l'Europe, l'auteur dresse un bilan qui tente de répondre à ces différentes questions théoriques.Till recently, sociological theories about modernization and secularization shared a single viewpoint, namely: religion was losing meaning or even disappearing. Nowadays, counterarguments are being raised about the individual- ization and deinstitutionalization of religion, about the disappearance of churches but not of religion. These arguments maintain that religion is not vanishing but undergoing change. Empirically, the revival of Islam, new forms of religious feelings, new religious movements and a "religious restoration" in central and eastern Europe are casting doubt on secularization theory. The relations between societies and religions in central and eastern Europe during the second half of the 20th century are examined; and recent data, analyzed about the state of religion and of churches there. This general assessment tries to reply to various theoretical questions.
- Religion(s) et identité(s) en Ukraine : existe-t-il une "identité des confins" ? - Natalka Boyko p. 37 Cet article analyse la place du religieux dans le processus identitaire national en Ukraine à partir du paradigme des confins, déjà utilisé par les historiens et les anthropologues ukrainiens pour l'étude des processus de construction de l'État-nation. L'auteur propose la notion de « religion des confins » pour la compréhension de la spécificité des identités religieuses construites à travers l'histoire et s'interroge sur sa pertinence en Ukraine post-soviétique et post-athée.How does religion take part in forming a national identity in Ukraine? This question is raised in relation to the "paradigm of the fringes" used by Ukranian historians and anthropologists to study the building of the nation- state. The notion of a "religion of the fringes" is proposed to understand specific religious identities constructed through history. How relevant is it in post-Soviet and post-atheistic Ukraine?
- Le facteur religieux dans le nationalisme ruthène - Oleksander Mayboroda et Natalia Rubliova p. 75 Parmi les Ruthènes d'Ukraine, un mouvement d'intellectuels vise à valoriser les spécificités culturelles des Ruthènes et exige une autonomie administrative accrue pour la région. Ce courant appelé « ruthénisme politique » accorde une grande importance au facteur religieux : le conflit entre l'Eglise orthodoxe et l'Église gréco-catholique y est au centre de la définition du groupe ethnique. Il s'emploie en particulier à conforter la thèse d'une « antériorité » du groupe ruthène en s'appuyant sur l'orthodoxie et en minorant le rôle de l'Église gréco- catholique dans la formation et la préservation de l'identité ruthène. Après avoir étudié le poids des différentes Églises dans l'éveil national, cet article analyse les processus actuels de relecture de l'histoire religieuse par ce mouvement politique.A movement among Ruthenian intellectuals in Ukraine is seeking to promote Ruthenian cultural traits and demanding broader administrative autonomy for the region. This movement, called "political Ruthenianism", stresses the religious factor. The definition of a Ruthenian ethnic group revolves around the conflict between the Orthodox and Greek Catholic churches. An argument about the "anteriority" of the Ruthenian group plays up the part of the Orthodox faith while playing down that of the Greek Catholic Church in shaping and preserving this group's indentity. The role of these churches in the national awakening is studied, as well as this political movement's reinterpretation of the history of religion.
- Une Église dissidente ? L'Église gréco-catholique roumaine pendant la période communiste (1948-1989) - Stéphanie Mahieu p. 93 En s'appuyant sur des témoignages oraux issus d'entretiens menés auprès de fidèles gréco-catholiques roumains, l'article tente de retracer le sort de l'Église gréco-catholique roumaine entre 1948, date à laquelle elle a été « réintégrée » de force dans l'Église orthodoxe, et 1989. Durant cette période, certains fidèles ont pratiqué le culte gréco-catholique de manière clandestine. Si l'Église gréco-catholique clandestine ne s'est pas érigée en espace de contestation face au pouvoir communiste comme certaines Églises romano-catholiques, des micropratiques individuelles de contestation de la part d'anciens fidèles gréco- catholiques ont existé. Pendant cette période, l'Église gréco-catholique est devenue, par la force des choses et des événements, l'Église de ses fidèles, sans appui institutionnel, ni en Roumanie ni en Occident. La relation entre les fidèles et l'entité divine, autrefois encadrée par l'Église, est devenue une relation directe, intense, en dehors d'une institution qui n'existait plus.Interviews with Romanian Greek Catholics underlie this focus on their denomination during the Communist era. After 1948, Communist government in Romania integrated the Greek Catholic Church into the official Romanian Orthodox Church. However, some believers continued secretly worshiping as Greek Catholics. Unlike some Roman Catholic establishments, the Romanian Greek Catholic Church was not a place of protest against Communist power, even though individual acts of opposition existed. Between 1948 and 1989, the Greek Catholic Church lacked institutional support from within Romania or from the West. The relation between God and the faithful was direct and intense, a relationship no longer within the institutional framework of the Church itself. It became the "Church of the faithful".
- Les confins dans la politique internationale du Vatican - François Mabille p. 127 L'Ostpolitik a longtemps symbolisé l'approche catholique des confins européens. Cette stratégie politique, qui intériorisait un rapport de force défavorable au Saint-Siège dans sa lutte contre l'Union soviétique, reléguait les impératifs de la pastorale religieuse au second rang dans la hiérarchie des priorités yaticanes. L'arrivée de Jean-Paul II a bouleversé cet ordonnancement. Issu de l'Église du silence, le nouveau pape privilégie une stratégie pastorale doublement frontale : à rencontre du régime soviétique et du communisme athée, mais également à rencontre des sociétés libérales moralement trop permissives selon lui. Il en découle une réaffirmation identitaire de l'Église catholique dans les confins, fondée sur une double politique de la mémoire : mémoire des fautes catholiques passées qui débouche sur des actes de repentance, notamment à l'égard des autres confessions ; mais mémoire également des martyrs catholiques, symboles de la résistance catholique face aux défis d'hier et d'aujourd'hui et expression de la primauté de la « vérité » sur la « liberté ».Based on the idea that the balance of power was not in favor of the Holy See in its struggle against the Soviet Union, the Vatican's Ostpolitik in eastern Europe did not set pastoral duties as a top priority. The coming of John Paul II upset this ranking of priorities. The Church broke its silence, and the new pope adopted a pastoral strategy on two fronts, not just against the Soviet government and atheistic Communism but also against morally permissive, liberal societies. As a consequence, the Catholic Church has reasserted its identity along the "fringes" This identity is based on the Church remembering its past faults with, as a consequence, acts of repentance (mainly in relation to other denominations) and, too, on its remembering its martyrs, who symbolize the Church's past and present resistance and the primacy of "truth" over "freedom".
- L'Église orthodoxe russe et le territoire - Kathy Rousselet p. 149 La disparition de l'Union soviétique et l'accélération des processus de globalisation ont lancé de nombreux défis à l'Église orthodoxe russe. Alors qu'elle s'organise depuis ses origines autour de l'État russe, elle est ébranlée par l'émergence des nouveaux États. Les migrations issues de la chute du Mur transforment elles aussi les équilibres et donnent aux appareils ecclésiastiques l'occasion de soulever de nouveau la question de l'organisation juridictionnelle des diasporas. Tandis que des conflits éclatent, au sein même du monde orthodoxe, entre le Patriarcat de Moscou et le Patriarcat de Constantinople, sur le territoire de la Russie, le marché des biens du salut devient de plus en plus concurrentiel malgré le soutien de l'État russe à l'Église orthodoxe. Sur les oppositions religieuses, se greffent d'importants enjeux politiques et économiques. Dans ce contexte, l'Église russe dessine de nouveaux espaces et développe un discours centré sur l'affirmation des identités collectives - construit autour des notions de « territoire canonique » et de « civilisation » - fort éloigné de la réalité d'un religieux de plus en plus fluide.The breakup of the Soviet Union and accelerated globalization raise several issues for the Russian Orthodox Church. Since this church was, from the start, organized around the Russian state, emergence of the new states has been unsettling. Migrations following the fall of the Berlin Wall have also shifted the equilibrium; and the ecclesiastical hierarchy has, once again, raised the question of jurisdiction over persons living outside Russia. Even as conflicts have arisen among the Orthodox (between the Moscow and Constantinople patriarchates), on Russian territory the salvation market is increasingly competitive despite the Russian state's support for the Church. Important political and economic issues have been grafted onto religious differences. In this context, the Russian Orthodox Church is designing new spaces and affirming collective identities around the notions of "canonical territory" and "civilization", which are far removed from an ever moving reality in the religious sphere.
Notes de recherche
- L'Église catholique romaine en Europe de l'Est : perceptions polonaises - Wojciech Lenarczyk p. 173 La reconstruction de l'Église catholique dans les États issus de l'Union soviétique n'aurait pas été possible sans un soutien de l'étranger, notamment de la Pologne. La participation active du clergé polonais à cette mission a été renforcée par la proximité géographique, linguistique et culturelle avec les États concernés. La présence en Russie de prêtres étrangers ainsi que la création en 2002 d'une province ecclésiastique latine ont provoqué de violentes protestations de la part du Patriarcat de Moscou et la recrudescence des tensions interreligieuses. De nombreux commentateurs polonais soulignent combien ces tensions sont liées à un fort courant anti-polonais. Malgré les efforts de l'Église catholique romaine, celle-ci est toujours perçue en Biélorussie et en Ukraine comme « polonaise » et, en Russie, comme « polono-allemande ».Without foreign support, in particular from Poland, it would not have been possible to reconstruct the Catholic Church in the countries that have gained independence from the Soviet Union. The Polish clergy has all the more actively participated in this reconstruction given its geographical, linguistic and cultural proximity with these new nation-states. The Moscow Patriarchate has vehemently objected to the presence of foreign priests in Russia and the creation of a Latin ecclesiastical province in 2002. Interdenominational strife has recrudesced. Several Polish observers have emphasized how much these tensions are rooted in strong anti-Polish feelings. Despite its efforts, the Catholic Church is still seen in Byelorussia and Ukraine as being "Polish" and in Russia as being "Polish- German".
- L'Église moldave entre les patriarcats de Moscou, Constantinople et Bucarest - Cristian Tiberiu Popescu p. 191 Dans la République de Moldavie, deux Églises orthodoxes métropolitaines, l'une relevant du Patriarcat de Moscou et l'autre de celui de Bucarest, cohabitent aujourd'hui difficilement. En 1992, un conflit a éclaté entre les deux institutions locales et les deux Patriarcats. L'intervention des autorités politiques moldaves, puis européennes, a renforcé les enjeux de cette crise ainsi que sa visibilité. Cet article expose les racines historiques du conflit et analyse les arguments des différents protagonistes.In the Republic of Moldavia, two Orthodox churches, the one under the Moscow Patriarchate and the other under Bucharest, co-exist but with difficulty nowadays. In 1992, a conflict broke out between these two local institutions and the two Patriarchates. The intervention of Moldavian and then European political authorities made the issues in this conflict even more important and visible. This conflict's roots in history are examined as well as the arguments used by various parties.
- L'Église catholique romaine en Europe de l'Est : perceptions polonaises - Wojciech Lenarczyk p. 173
Revue des livres
- Jacques Rupnik (dir.), Les Européens face à l'élargissement. Perceptions, acteurs, enjeux - Elsa Tulmets p. 201
- Jean-François Drevet, L'élargissement de l'Union européenne, jusqu'où ? - Elsa Tulmets p. 205
- Yann Richard, André-Louis Sanguin (dir.), L'Europe de l'Est quinze ans après la chute du mur. Des pays baltes à l'ex-Yougoslavie - Elsa Tulmets p. 207
- Petia Koleva, Système productif et système financier en Bulgarie - Assen Slim p. 210