Contenu du sommaire : Ancrages politiques

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 23, no 92, 2010
Titre du numéro Ancrages politiques
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Dossier : Ancrages politiques

    • Les machines politiques aux États-Unis. Clientélisme et immigration entre 1870 et 1950 - François Bonnet p. 7-29 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les machines politiques sont un phénomène lié à l'immigration irlandaise aux États-Unis entre les années 1870 et 1950. Les machines sont des organisations conçues pour gagner les élections en mobilisant des clientèles dans le cadre de relations personnelles et de solidarités ethniques. La mobilisation des clientèles passe notamment par la distribution d'emplois publics. Le débat historiographique porte sur le rôle joué par les machines auprès des immigrés pauvres. Le cas des machines montre l'intérêt que revêt le clientélisme pour étudier les trajectoires spécifiques d'intégration des groupes immigrés dans la société américaine.
      Machine politics are a phenomenon tracing back to Irish immigration to the United States between 1870 and 1950. They were designed to win elections by mobilizing clients primarily through the distribution of public employment, as well as through personal relations and ethnic solidarity. The historiographical debate concerns the role played by political machine among poor immigrants. The case of machine politics underscores the usefulness of examining patronage to study specific trajectories for immigrant groups' interaction into American society.
    • Représenter les pauvres. Construction et gestion des clientèles politiques dans une métropole roumaine - Antoine Roger p. 31-51 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Selon les analyses les plus communes, les relations de clientèles servent à obtenir la loyauté politique des catégories défavorisées de la population sans avoir à leur adresser un discours mobilisateur ni à les convaincre de s'unir sous une même bannière partisane. Des enquêtes empiriques réalisées dans la métropole roumaine de Constanta amènent à des conclusions différentes. Pour s'attirer le soutien des électeurs les plus pauvres, le maire et son équipe se livrent à un travail d'unification symbolique : ils distribuent des avantages particularisés tout en les inscrivant dans des catégories politiques générales et en luttant pour que leur parti se pose en défenseur du groupe ainsi construit. Le dispositif local s'emboîte par conséquent dans les affrontements observés à l'échelle nationale et contribue à leur ancrage social.
      According to a standard analysis, patronage allows political leaders to get the loyalty of the most deprived sections of the population, without using any mobilising discourse or partisan watchword. Empirical research conducted in the Romanian city of Constanta leads to quite different conclusions. In order to get the support of the poorest voters, the mayor and his team engage in gathering them symbolically: they hand out individual advantages, and use general political categories, as well as attempting to cast their party as the advocate and defender of the poor and the needy. Then, the local maintenance of the political machine is embedded in national strives and contributes to their social anchorage.
    • Le factionnalisme comme mode d'ancrage social. Le Parti républicain du peuple à Adana (Turquie) - Élise Massicard p. 53-75 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article envisage le factionnalisme comme mode d'ancrage social des partis, à partir d'une étude localisée du Parti républicain du peuple (CHP) dans la métropole d'Adana (Sud de la Turquie). Les partis turcs sont souvent considérés comme coupés de la société. Pourtant au niveau local, le factionnalisme, omniprésent, permet d'éclairer les rapports soutenus, quoique instables, que le parti entretient avec les groupes sociaux et les intérêts collectifs. Ce factionnalisme recomposé ne correspond qu'en partie aux modèles développés dans les années 1970 sur d'autres terrains. Peu institutionnalisé, il s'appuie sur des bases sociales diverses et changeantes, dans un contexte de déstructuration des collectifs politisés. L'analyse de ce phénomène permet de mieux appréhender les formes du leadership politique ainsi que la nature des échanges qui se nouent entre dirigeants, militants et électeurs. Cette lecture permet également une compréhension renouvelée et incarnée du fonctionnement interne des partis, notamment des relations local-national.
      This article aims to provide a new understanding of factionalism as a form of social footing of political parties, based on the case study of the RPP (Republican People Party) in Adana metropolis (Southern Turkey). Turkish parties are generally considered as cut off from society. However, on the local scale, factionalism is omnipresent. Its analysis shows that the party maintains sustained but instable relationships with social groups and collective interests. This kind of factionalism only partially matches the theories developed in the 1970 on other countries. Poorly institutionalized, this version relies on diverse and changing social bases, in a context of dismantling of politicized groups. Analyzing this phenomenon provides a new understanding of the forms of political leadership as well as on the exchanges between leaders, activists and electors. This perspective also sheds new light on the internal working of parties, especially on the relationships between local and national scales.
    • Secret public, réseaux sociaux et morale politique. Les Frères musulmans et la société égyptienne - Marie Vannetzel p. 77-97 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse la manière dont l'organisation des Frères musulmans égyptiens, fondée en 1928 et perdurant aujourd'hui sur la scène politique égyptienne en dépit de son illégalité, envisage la question de ses relations à la société. Ces dernières, en raison tant de l'idéologie du mouvement que de la configuration du régime égyptien, ne constituent pas simplement le support des stratégies politiques fréristes, mais en deviennent l'enjeu même. Le cas du Shaykh al-Muhammadi ‘Abd al-Maqsud, député Frère de la circonscription d'Helwan, située dans la banlieue ouvrière sud du Caire, montre l'importance accordée par les acteurs au développement de réseaux locaux, tout en soulignant les contraintes que fait peser sur la construction de ces liens sociaux le statut semi-clandestin de l'organisation. Dans le contexte de réduction des fonctions sociales de l'État égyptien, le « secret public » auquel les Frères sont tenus apparaît comme la formule d'une coopération tacite avec les autorités, mais peut au final servir, plus qu'entraver, leur objectif politique de transformation sociale par la réforme morale individuelle.
      This article analyses how the organization of the Egyptian Muslim Brotherhood (MB), which was founded in 1928 and still is a major, albeit forbidden, actor of the Egyptian political scene, manages its relations to society. Far from serving as a mere support for the Brothers' political strategies, these relations represent a relevant issue as such, both because of the movement's ideology and because of the configuration of the Egyptian regime. The case of al-Shaykh al-Muhammadi ‘Abd al-Maqsud, MB member of parliament in the district of Helwan, located in the Cairo working-class southern suburb, illustrates the importance the MB place on developing local networks. However, it simultaneously emphasizes how the limitations of the organization's semi-legal status impede the building of social bonds. Taken in the context of the Egyptian state's reduction of social functions, the « public secrecy » binding the Brothers appears to be an expression of tacit cooperation with the authorities; however, this « public secrecy » may ultimately help fulfil rather than hinder the MB's political aim of social transformation through personal moral reform.
    • Mobilisations et luttes internes autour des questions homosexuelles à l'UMP : l'« affaire Vanneste » - Anne-Sophie Petitfils p. 99-124 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La littérature sur les grands partis de gouvernement en Europe est dominée par le modèle du parti entrepreneurial, qui met l'accent sur la professionnalisation, l'affaiblissement de leur ancrage social et la désidéologisation de leur compétition interne. À rebours de ces thèses, nous montrons qu'au sein d'un parti de gouvernement tourné vers la conquête du pouvoir présidentiel comme l'UMP, la compétition et les luttes internes ne sont pas seulement motivées par des stratégies individuelles de conquête électorale, mais peuvent aussi reposer sur des raisons idéelles et identitaires, liées à la socialisation et à l'ancrage social des membres. À partir de la mobilisation qu'ont suscitées les déclarations du député Christian Vanneste sur l'homosexualité, entre 2005 et 2008, nous analysons les logiques et mécanismes de formation et de politisation d'une configuration partisane conflictuelle mettant aux prises les partisans de C. Vanneste, issus de milieux catholiques conservateurs et familialistes, et ses opposants défenseurs des droits des personnes homosexuelles.
      The literature on the great European parties of government is dominated by a business firm model, which emphasizes professionalism, the weakening of social ties, and de-ideologization of the internal competition. Contrary to these approaches, this article indicates that internal competition and struggles in a political party organized for the conquest of presidential power, such as the UMP, are not only generated by individual and electoral strategies. They are also motivated by social representations and identities, and they relate to socio-cultural dispositions and networks of recruitment of its members. Using the case of a mobilization fuelled by the comments on homosexuality (2005-2008) by the UMP member of parliament Christian Vanneste, the article examines the formation and politicization mechanisms and the logical of a conflicting partisan configuration.
    • Usages politiques et appropriation « populaire » d'une tradition « réinventée » : la Fête des Ponts à Limoges - Cyrille Rougier p. 125-143 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Parmi les mécanismes de légitimation du personnel politique, la démonstration d'une proximité aux classes populaires demeure un élément central et doit régulièrement être réactivée par ces agents à travers différentes pratiques : serrage de mains, inaugurations, etc. La tentation est alors forte de ne voir ces « usages politiques du populaire » que sous un angle utilitariste. Élaborée à partir de l'étude d'une « fête populaire », cette contribution, mêlant démarches ethnographique et socio-historique, vise au contraire à démontrer la complexité des mécanismes à l'œuvre dans les échanges opérés entre personnel politique et membres des classes populaires. La prise en compte du contexte politique ainsi que des dispositions sociales des agents étudiés permet ainsi de mieux saisir les conditions dans lesquelles la référence au populaire peut constituer pour certains d'entre eux une ressource dans le champ politique tout en les contraignant à se conformer à un certain nombre d'attentes, liées au rôle endossé. De même, l'étude en pratique de ces mécanismes d'instrumentalisation du populaire amène à dépasser la vision de membres des classes populaires simplement « passifs ». On observe en effet des pratiques d'« engagement » très intenses de leur part qui, au-delà des formes de domination subies, constituent pour eux autant de marges d'autonomie symbolique.
      Among the mechanisms of legitimization of the political staff, showing closeness to the working classes is a key element which must be regularly reactivated through various practices: handshakes, inaugurations, etc. It is therefore tempting to consider such “political uses of the popular” from a strictly utilitarian point of view. Through the study of a popular festival (“Fête des Ponts”), on the basis of ethnographical and socio-historical approaches, this contribution attempts on the contrary to shed light on the complexity of the mechanisms involved in the exchanges between political staff and members of the working class. Taking into account the political context as well as the social dispositions of the agents, the study underlines the conditions in which the reference to the “popular” can represent for some of them a resource in the political field while forcing them to conform to a number of expectations related to the role they assume. The study of the actual ways in which the “popular” is instrumentalised also leads one to mitigate the vision of purely passive working class members. Indeed, very strong forms of ‘commitment' can be noted which provide them with some margin of symbolic autonomy transcending the forms of domination they encounter.
  • Varia

    • Appropriation et transgression d'une norme institutionnelle : Le cas de l'abstentionnisme électoral à la Fédération anarchiste - Simon Luck p. 145-164 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le refus des élections politiques est devenu avec le temps un principe fondamental du mouvement anarchiste, au point de constituer aujourd'hui un élément important de son identité. C'est le cas à la Fédération anarchiste, où l'abstentionnisme fait figure de norme. En étudiant l'organisation comme une institution, l'article s'intéresse à la façon dont cette norme est appropriée, pour faire partie intégrante du rôle militant. Devenir militant de l'organisation signifie dès lors devenir abstentionniste, et tout manquement à ce principe est sanctionné par la désapprobation du groupe. Bien que difficile, la transgression n'est cependant pas impossible, même si elle tend généralement à demeurer secrète. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que certains militants s'autorisent à contester publiquement la norme anti-électorale. Ils s'appliquent toutefois à le faire au nom des objectifs mêmes de l'institution et à affirmer le caractère ponctuel de la transgression, ce qui diminue la portée de leur dissidence.
      Through history, the refusal to participate in political elections has become a basic rule of the anarchist movement. It is now part of its identity and it is therefore a core principle of the French Anarchist federation. This article intends to study the organization as an institution by focusing on how activists roles are learnt and enacted. It shows that non-voting is considered as a part of the role of every member in the institution, and that failing to play it correctly exposes the individual to strong disapproval form the group. But this does not mean that it is impossible to infringe the rule, although deviance tends to remain hidden most of the time. Only in exceptional circumstances can the general rule be challenged, but in order to be heard, those who challenge it can only claim to do so on account of the institution's goals and in very specific conditions, which somehow weakens their undertaking.
  • En débat

    • Pourquoi il n'existe pas d'ethnographie de la citoyenneté - Nicolas Mariot p. 165-194 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article part du constat que les rapports ordinaires à la vie politique n'ont qu'exceptionnellement fait l'objet d'enquêtes ethnographiques dans les démocraties occidentales. Pourquoi est-ce le cas ? La principale réponse que l'on peut donner renvoie à la prégnance de l'image idéale du « bon citoyen » : un individu qui régulièrement forge en lui-même ses propres opinions et valeurs à partir de ce qu'il entend et voit. Cette norme explique à la fois qu'on considère naturel d'interroger chacun sur le stock d'idées qu'il aurait en tête, et l'absence d'observation directe : comment voir des pensées sans interroger celui qui les possède ? Au final, on s'efforce de monter en quoi une approche ethnographique permettrait de rompre avec cette perspective, c'est-à-dire de rendre leurs places effectives à l'indifférence pour la politique comme à l'encastrement social de la participation.
      The article starts with the following observation: in western democracies, ethnography of the place of politics in everyday life is unusual. Why is it the case? The given answer returns in the existence of the ideal picture of the “good citizen” in social science literature: an individual who regularly forges in himself his own opinions and values from what he hears and sees. This norm explains at the same time that political scientists consider to be natural to question the people about the supply of ideas which they are supposed to have in mind, and the absence of direct observation: how to see thoughts without questioning the one who has them? In finale, the article tries hard to go up in what an ethnographic approach would allow to break with this perspective, that is to say to return their real places in indifference for politics as in social embedding of political participation.
  • Notes de lecture