Contenu du sommaire : France-Afrique. Sortir du pacte colonial
Revue | Politique africaine |
---|---|
Numéro | no 105, mars 2007 |
Titre du numéro | France-Afrique. Sortir du pacte colonial |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Le dossier : France-Afrique. Sortir du pacte colonial
- La fin du pacte colonial ? - Richard Banégas, Roland Marchal et Julien Meimon p. 7
- Que reste-t-il de la Coopération française ? - Julien Meimon p. 27 En 1998, la « réforme de la Coopération » a ouvert une phase de recomposition dans ce secteur d'action publique. Cette décision politique ambiguë – supprimant le ministère mais conservant un ministre de la Coopération – est l'aboutissement d'un processus ancien autant qu'elle se déclenche à la faveur d'une configuration politique spécifique – la cohabitation de 1997 –, dans un contexte de délégitimation forte de la politique africaine de la France. Le meccano institutionnel ainsi créé, maintenant une sorte d'équilibre entre différents acteurs majeurs (Affaires étrangères et Finances notamment), sera progressivement remis en cause, dans la pratique, au profit de l'Agence française de développement. Le mandat chiraquien marque ainsi la fin d'une époque, politiquement et institutionnellement, en matière de coopération au développement.What remains of French « Cooperation » ?
In 1998, a reform of the French « Coopération » (Aid) paved the way for significant changes. The reforms were however ambiguous. The Cooperation Ministry itself was disbanded whilst the post of Minister of Cooperation remained in place. This ambiguity must be understood as both the result of a long-standing process and as the product of a specific political state of affairs – the cohabitation between parties that came into being in 1997. All of this took place in a context in which France's interventionist approach to Africa was undergoing a crisis of legitimacy. The institutional mish mash which was an attempt at a delicate balancing act between a range of key players – the Ministry of Foreign Affairs and the Ministry of Finance –, was to finally crumble in practice, to the benefit of the French Development Agency. As far as development cooperation is concerned, the Chirac years mark the end of an epoch, politically and institutionally. - La politique économique de la France en Afrique. La fin des rentes coloniales ? - Philippe Hugon p. 54 Les relations économiques entre la France et l'Afrique sont caractérisées par une pluralité de facteurs liés à l'évolution des économies française et africaine mais également au passé historique colonial et postcolonial. Elles tendent à se relâcher en relation avec la marginalisation économique de l'Afrique et la concurrence des nouvelles puissances asiatiques, et avec la réorientation de la France vers l'espace européen et mondial. En même temps, la France reste au cœur de l'Afrique par sa présence militaire, culturelle, géopolitique mais également par ses intérêts économiques et le rôle des réseaux. On observe également un certain découplage entre les intérêts économiques et les enjeux géopolitiques dans la tradition de l'époque coloniale où dominait un capitalisme rentier bénéficiant des protections alors que le capitalisme dynamique s'investissait ailleurs.France's economic policies in Africa.
The economic links between France and Africa are structured by a multiplicity of factors, some related to changes in the economies of both countries but others to the colonial and postcolonial past. On the one hand, these links are being loosened by the economic marginalisation of Africa in the face of competition from emergent Asian economies and France's reorientation toward Europe and other parts of the world. Yet on the other hand, France remains at the heart of Africa by way of its military, cultural and geopolitical presence, a s well as through its economic interests and long-established networks. Of note too is the decoupling of economic interests from geopolitical ones, in a way not too dissimilar to that of the colonial period : at the time, rentier capitalism backed by state protectionism operated in Africa while the most dynamic segments of French capitalism invested elsewhere. - Politique monétaire et servitude volontaire : la gestion du franc CFA par la BCEAO - Kako Nobukpo p. 70 Le franc CFA est l'une des instances de la perpétuation du lien (post)colonial entre la France et ses anciennes colonies d'Afrique. La BCEAO, qui gère le franc CFA en Afrique de l'Ouest, conduit une politique monétaire peu efficace, au regard de l'absence de liaisons existant entre l'objectif de lutte contre l'inflation fixée par l'UEMOA et les instruments dont elle dispose, ses taux d'intérêt directeurs. Elle détient également des réserves de changes excessives auprès du Trésor français ; bien qu'elle soit la banque centrale de pays en développement qui comptent parmi les plus pauvres du monde, elle n'a pas pour objectif la croissance économique ; enfin, elle ne semble pas mener de réflexion sur l'opportunité du maintien d'un ancrage rigide du franc CFA à l'Euro dans un contexte de faible compétitivité à l'export des économies de l'UEMOA et d'un Euro « fort ». La structure et le fonctionnement de l'UEMOA sont fortement extravertis et cette extraversion explique les faiblesses de la politique monétaire de la BCEAO.Monetary policy and voluntary serfdom
The CFA franc is one example of the perpetuation of the (post)colonial link between France and its former African colonies. The BCEAO, which manages the CFA franc in West Africa runs an inefficient monetary policy, in which there are few linkages between the fight against inflation – a policy established by the WAEMU – and the instruments at its disposal, notably its ability to set interest rate ceilings. It also holds in reserve too much exchange with the French Treasury, and although it is the main bank for the poorest developing countries in the world, its objective is not economic growth. Finally, within the bank, there is currently no debate taking place about the opportunity costs of rigidly pegging the CFA to the Euro in a context of weak export competitiveness amongst the WAEMU economies and a « strong » Euro. The structure and functioning of WAEMU are highly externally driven. This explains the weakness of monetary policy within the BCEAO. - La crise ivoirienne, une intrique franco-française - Laurent d'Ersu p. 85 La crise qui sévit en Côte d'Ivoire depuis septembre 2002 a suscité un fort engagement diplomatique et militaire de la France, mobilisant principalement la présidence de la République et les ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Tiré d'un suivi journalistique sur la durée de la crise et de sa gestion par l'appareil d'État français, cet article dépeint le déplacement du centre de gravité décisionnel d'une institution à l'autre ou d'un groupe de décideurs à l'autre aux différentes étapes de la crise. Il dresse le constat de la dispersion et de la personnalisation du pouvoir, dont les acteurs ivoiriens ont su tirer parti.The Ivorian crisis, a Franco-French intrigue
The crisis which shook Côte d'Ivoire in September 2002 spearheaded an important diplomatic and military effort on the part of France, which involved mainly the Presidency, the Ministry of Foreign Affairs and the Ministry of Defence. Based on journalistic coverage since the beginning of the crisis and of its management by the French state, this article paints a picture of a shift in the decision-making centre of gravity from one institution to another or from one group of decision makers to another during the different stages of the crisis. It highlights the dispersal and personalisation of power which Ivorian political players were able to take advantage of. - Affinités électives et délégation des compétences : la politique congolaise de Jacques Chirac - Patrice Yengo p. 105 Structurée par les réseaux du gaullisme et alimentée par les rapports personnels entre l'Élysée et les dirigeants africains, la politique africaine de la France est vouée à se réformer. Désormais la France délègue ses compétences diplomatiques et militaires à des puissances régionales, à défaut de les assumer elle-même autrement que sous un mandat international. Pourtant la tradition des affinités personnelles demeure : sous le primat de l'amitié, Jacques Chirac a favorisé le retour à la tête du Congo-Brazzaville de Denis Sassou Nguesso et couvre aujourd'hui les méfaits de son régime autoritaire.Elective affinities and the delegation of powers
Structured by the Gaullist networks and nourished by the personal relations between the French Presidency and many African heads of state, France's African policy has had to reform itself. In the absence of international mandates, France transfers its diplomatic and military powers to regional players. The tradition of elective affinities nevertheless persists : it is out of friendship that Jacques Chirac has favoured the return to power in Congo-Brazzaville of Denis Sassou Nguesso and still covers up the misdeeds of his authoritarian regime. - La Françafrique fait de la résistance. Communicants, journalistes et juristes français à l'heure de la deuxième décolonisation - Vincent Hugeux p. 126 L'Afrique rend fou. Elle procure encore les honneurs et les égards tarifés qui se font rares sous nos frimas, au risque d'affoler la boussole politique et morale de quelques-unes des « tribus » de l'élite française. Sur ce registre, les conseillers en communication, les journalistes ou patrons de presse et les juristes rompus aux secrets du bricolage constitutionnel méritent une attention particulière. Alors que l'épilogue de l'ère Chirac annonce la fin d'un cycle, ces conservateurs du musée de la Françafrique perpétuent, en tentant de l'adapter à l'air du temps, un lien archaïque de dépendance, dont la plupart des despotes de l'ancien « pré carré », élus ou pas, redoutent la dilution. Mantra du lexique sarkozyste, la « rupture » tient, sur l'échiquier africain, du vœu pieux.The resilience of Françafrique
Africa does go to the head : honours and salaried advantages hard to access in France can be gained there, and somes of the « tribes » of the French elite seem to be easily lured. On this count, media advisors, journalists, press barons and lawyers with a keen sense of constitutional bricolage deserve particular attention. While the end of the Chirac era closes a cycle, these relics of the Françafrique museum perpetuate – and try to adapt to the new zeitgeist – an archaic link of dependency, in collaboration with most of the autocrats of the pré carré, elected or not, who fear its dilution. Sarkozy's mantra of « rupture » is little more than wishful thinking. - Document. Pour une autre politique de la France en Afrique. Interpellations et engaements de campagne électorale - p. 140
- Témoignage. Le militant, la France et l'Afrique - Un entretien avec Guy Labertit par Roland Marchal p. 154 Guy Labertit a été un observateur privilégié des transformations récentes de la politique africaine de la France. Formé au militantisme dans la gauche tiers-mondiste de l'après-1968, il a suivi la montée de la gauche au pouvoir. Rallié au Parti socialiste en 1991, il en a été le Délégué national à l'Afrique de 1993 à 2006. Témoin de la fin de la présidence Mitterrand puis de la présidence Chirac, il expose ici sa vision des tentatives de réforme initiées depuis Matignon par Lionel Jospin. Guy Labertit a aussi été un témoin engagé : ami personnel du président ivoirien Laurent Gbagbo, il a suivi de près le conflit ivoirien et sa dimension franco-ivoirienne. Il a démissionné de ses fonctions en octobre 2006. L'entretien dont des extraits sont présentés ci-dessous a été réalisé en mars 2007 par Roland Marchal ; Sylvie Causse-Fowler en a assuré la transcription.
Conjoncture
- Les stratégies chinoises en Afrique : du pétrole aux bassines en plastique - Antoine Kernen p. 163 Cet article aborde la question du renforcement des liens économiques et politiques entre la Chine et l'Afrique. Il tente de prendre le contre-pied d'une littérature dominée par des internationalistes, qui posent une approche très classique des relations internationales, centrée exclusivement sur les relations interétatiques. On propose ici d'élargir la perception « des stratégies chinoises en Afrique » en s'intéressant au développement de multiples réseaux commerciaux nourris par la croissance économique chinoise et donnant naissance à d'innombrables activités commerciales de dimensions très diverses. Les acteurs qui y participent bénéficient, pour les plus importants d'entre eux, d'un certain soutien de l'État, mais à l'évidence leurs actions ne s'inscrivent pas dans la stratégie gouvernementale chinoise à l'égard de l'Afrique.Chinese strategies in Africa : from oil to plastic hardware
This paper focuses on the strengthening of the economic and political links between China and Africa. While the bulk of the literature, inspired by international relations specialists, proposes a rather classical vision, centered on inter-state relations, it is proposed that one should broaden the perception of the many Chinese strategies in Africa by looking at the multiplicity of trade networks born from the growth of the Chinese economy, the innumerable businesses they stimulate and their variety in scale. The most significant actors involved do benefit from some support on the part of the Chinese state, but this complex array of businesses does not form part of the Africa strategy of the Chinese government.
- Les stratégies chinoises en Afrique : du pétrole aux bassines en plastique - Antoine Kernen p. 163
Pistes de recherche
- Colonialim Now : Contemporary Anticolonialism and the "Facture coloniale" - Gregory Mann p. 181 L'article traite des discours politiques contemporains sur la colonisation en Afrique et sur l'historiographie qui les informe. Deux métaphores étroitement liées jouent un rôle central dans l'analyse : la dette, souvent décrite comme une « dette de sang » et la « facture », qu'on oppose ici au diagnostic d'une « fracture » sociale coloniale. En partant d'une question d'une simplicité trompeuse – la controverse autour de la dette de sang et des pensions payées aux anciens combattants africains de l'armée coloniale française – on étudiera le rôle donné à l'histoire coloniale dans les discours politiques contemporains en Côte d'Ivoire et en France, avant de revenir sur la pratique de l'écriture de l'histoire, à partir du cas du Mali contemporain. Les évocations du passé colonial – qui variant de la réconciliation à la recolonisation, et de la « fracture » à la « facture » – ont acquis une efficacité nouvelle dans le présent postcolonial parce qu'elles résonnent avec des angoisses vives autour du politique, de la communauté et de la souveraineté.« Colonialism Now » examines current political discourse on colonialism in Africa and the historiography that enables it. Two closely linked metaphors are central to the analysis : the debt, often characterized as a « blood debt » ; and the bill (or facture), which is contrasted with the diagnosis of a postcolonial social division (or fracture). Beginning in an area of deceptive clarity – the controversy over the blood debt and pensions paid to African veterans of the French colonial military – the essay looks into the role accorded to colonial history in current political discourse in Côte d'Ivoire and France. It then returns to the practice of history writing, drawing on examples from contemporary Mali. The paper argues that evocations of the colonial past – ranging from reconciliation to « recolonization », and from the fracture to the facture – have become increasingly effective in the postcolonial present because they resonate with profound anxieties around politics, community, and sovereignty.
- Les chemins de traverse de l'hégémonie coloniale en Afrique de l'Ouest francophone : anciens esclaves, anciens combattants, nouveaux musulmans - Jean-François Bayart p. 201 La reproduction de l'« hégémonie coloniale » est inhérente à l'ontologie de la colonisation, aux yeux des « études postcoloniales ». Pour la sociologie historique, elle participe d'un engendrement contingent : la concaténation du colonial au postcolonial procède moins d'une causalité que du hasard des contextes historiques. La gestion conservatoire de l'esclavagisme, l'itinéraire des anciens combattants, le compromis entre l'islam confrérique et l'État colonial en AOF présentent un tel enchaînement de transactions hégémoniques impériales qui demeurent sous-jacentes à l'État postcolonial.The meandering of colonial hegemony in French-speaking West Africa
In the eyes of the « postcolonial studies », the reproduction of colonial hegemony is part and parcel of the ontology of colonisation. As for historical sociology, hegemony is more of a contingent phenomenon : the concatenation of events from colonial to postcolonial has less to do with causality than with random historical contexts. In French West Africa, the cautious nature of the colonial policy on slavery, the itinerary of African veterans, the compromise between sufi Islam and the colonial state are one such set of a chain of imperial hegemonic transactions – and play a founding role for the postcolonial state.
- Colonialim Now : Contemporary Anticolonialism and the "Facture coloniale" - Gregory Mann p. 181
Lectures
- Autour d'un livre. Colonialism in Question. Theory, Knowledge, History, de Frederick Cooper - discuté par Pierre Boilley, Emmanuelle Saada et Romain Bertrand p. 241
- La revue des livres - p. 258
- La revue des revues - p. 267
- Abstracts - p. 273