Contenu du sommaire : L'internationalisme en question
Revue | Matériaux pour l'histoire de notre temps |
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Numéro | n° 84, octobre-décembre 2006 |
Titre du numéro | L'internationalisme en question |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- L'internationalisme en question(s) - Claudie Weill p. 1
- Judaïsme allemand et cosmopolitisme - Enzo Traverso p. 5 L'une des composantes de l'internationalisme socialiste allemand à son apogée, le cosmopolitisme juif, s'alimente à la figure du juif errant. Par ailleurs, la Haskalah (Lumières juives) et la science du judaïsme se diffractent différemment au XIXe siècle dans les deux foyers du judaïsme, l'Europe centrale dont la lingua franca est l'allemand et la yiddishkeit de l'empire des tsars : confessionnalisation occidentale et nationalisation orientale. La culture (Bildung) urbaine est investie par les juifs cosmopolites servant de repoussoir aux nationalistes et antisémites allemands se réclamant du terroir. Sous la République de Weimar, la quête d'une identité post-nationale qu'incarne le socialisme se double de la redécouverte d'une identité juive. Puis c'est à la préservation de la culture allemande que se consacrent les exilés juifs aux États-Unis chassés par le nazisme, en tentant d'inaugurer une nouvelle symbiose entre Bildung et Bill of rights.Jewish cosmopolitanism, one of the ingredients of German socialist internationalism at its height, was inspired by the figure of the wandering Jew. During the 19th century, the Haskalah (Jewish Enlightenment) and Judaic science developed differently in the two main seats of Judaism: into religious ideology in Central and Eastern Europe, where German was the lingua franca, and into nationalism in the yiddishkeit of the Tsarist Empire. In Germany, the urban culture (Bildung), to which the cosmopolitan Jews contributed, served as a target for the nationalist and anti-Semitic Germans who saw their roots as being in the land. Under the Weimar Republic, the quest for the post-national identity embodied by socialism was compounded by the rediscovery of a Jewish identity. Those Jews that were exiled to the United States under Nazi persecution dedicated themselves to the preservation of their German culture, creating a new symbiosis between Bildung and the Bill of Rights.
- Pèlerins et missionnaires : les militants itinérants - Robert Paris et Claudie Weill p. 12 L'internationalisme s'incarne dans deux figures complémentaires de militants itinérants exilés : les pèlerins et les missionnaires. Les premiers sont attirés vers l'épicentre du socialisme international, principalement l'Allemagne à l'époque de la IIe Internationale, puis la Russie au lendemain de la Révolution, où ils sont souvent amenés à jouer un rôle de tout premier plan. Les seconds importent et adaptent l'anarchisme, le socialisme ou le syndicalisme européens dans le Nouveau monde où ils rencontrent les immigrés du travail formant l'embryon des mouvements ouvriers émergents. L'étude de leurs itinéraires permet de souligner l'importance de l'exil et de la migration dans la diffusion de l'internationalisme « prolétarien ».Two complementary figures of the militant in exile embody the concept of internationalism: the pilgrim and the missionary. The former was drawn towards the epicentre of international socialism, principally Germany at the time of the Second International, then to Russia after the Revolution, where he often came to play a leading role. The latter took European anarchism, socialism and trade-unionism with him to the New World. There, he encountered immigrant workers and together they formed the embryo of the emerging local labour movement. A study of these journeys highlights the importance of exile and migration in the diffusion of “proletarian” internationalism.
- Le Club de lecture des sociaux-démocrates allemands de Paris : de l'exil à l'immigration (1877-1914) - Gaël Cheptou p. 18 Organisation d'exilés constituée peu avant la promulgation des lois d'exception contre les socialistes, le Club de lecture des sociaux-démocrates allemands de Paris perd de son importance au sein du SPD après le retour à la légalité. Foyer de sociabilité pour de jeunes travailleurs qualifiés à forte mobilité, le Club tente alors de bénéficier de l'aura du parti dans le socialisme international. L'internationalisme est dès lors vécu sous deux aspects : des actions communes avec les autres groupes socialistes étrangers présents dans la capitale française, et la tentative pour fédérer les groupes sociaux-démocrates allemands à l'étranger, voire susciter leur émergence.An organisation of exiles established shortly before the passing of the laws banning socialism in Germany, the Club lost part of its importance at the heart of the SPD once the party became legal again. A meeting place for young professionally mobile workers, the Club tried to benefit from the standing of the SPD in international socialism. Internationalism among the members of the Club was represented in two ways: shared activities with other foreign socialist groups present in Paris; and the attempt to join with other social-democrat German groups in exile, or to foster their creation.
- Jalons pour une histoire des Internationales socialistes et l'exil de l'entre-deux-guerres - Ursula Langkau-Alex p. 26 La proportion des partis en exil dans l'Internationale ouvrière socialiste (IOS), reconstituée en 1923, n'a cessé de croître pendant l'entre-deux-guerres. Les critères de représentativité furent reconsidérés à plusieurs reprises, sous l'impulsion principalement des travaillistes anglais, amenant à une réduction drastique du nombre de voix des formations exilées aux congrès. La Fédération syndicale internationale (FSI) préconisa d'abord les organisations clandestines dans les « pays sans démocratie » où les syndicats de branche, regroupés dans des SPI qui ne cessaient d'ailleurs de revendiquer une réorganisation de la FSI, jouissaient d'une meilleure marge de manœuvre, avant de se focaliser sur l'avenir et d'accorder une attention accrue aux organisations en exil. Partie prenante dans les organismes internationaux, Société des nations et Bureau international du travail, l'IOS et la FSI privilégièrent, avec la montée du fascisme/nazisme et la guerre d'Espagne, l'aide aux réfugiés, la définition d'un droit d'asile, butant sur les réticences des États nationaux. Les difficiles relations avec les communistes furent un élément supplémentaire où mesurer l'impact de l'internationalisme institutionnel.The Labour and Socialist International (LSI) was reformed in 1 923, and the proportion of its constituent parties that were in exile increased steadily during the inter-war period. The criteria for representation were reconsidered several times, mainly through the impetus of the English Labour Party. This led to a drastic reduction in the number of votes in congresses for exiled organisations. During the same period, the International Federation of Trade Unions (IFTU) was initially in favour of supporting clandestine organisations in “countries without democracy”, where those trade-unions that were affiliated to the International Trade Secretariats (ITS) benefited from room to manœuvre, whilst the ITS sought a reorganisation of IFTU. Later, the IFTU began to focus on the future and gave more attention to organisations in exile. The LSI and IFTU were both active within international organisations such as the League of Nations and the International Labour Organisation. At the time of the rise of fascism and Nazism and the Spanish Civil War, they concentrated primarily on aiding refugees and campaigning amongst reluctant national governments for an international right of asylum. A difficult relationship with the communists was another element by which the impact of institutional internationalism may be measured.
- Solidarité internationale et fermeture professionnelle : les horizons multiples des dockers français - Michel Pigenet p. 38 Lieux cosmopolites par excellence, les ports et ceux qui y travaillent, les dockers, permettent d'étudier la complexité de la mise en œuvre de stratégies internationales. À la concurrence entre les sites s'ajoute celle entre habitués et occasionnels à travers le souci de la professionnalisation et du contrôle de l'embauche qui amène à distinguer intermittence et précarité. Depuis la fin du XIXe siècle, l'organisation du travail suscite la résistance aux ententes patronales internationales auxquelles s'est opposé l'un des plus importants SPI, l'International Transport Federation. La difficile cohabitation, voire l'affrontement, avec les fédérations d'obédience moscovite se résout dans un antifascisme partagé. Offensif sur le plan politique — boycotts orchestrés —, l'internationalisme syndical accuse cependant toujours un temps de retard sur celui des entrepreneurs, ce dont témoigne la naissance tardive de l'E(European)TF, dont la résistance à la déréglementation a toutefois été tout récemment couronnée de succès.As particularly cosmopolitan places, harbours, and the dockers who work within them, provide a good example for a study of the difficulties of implementing international strategies amongst workers. Added to the competition between the harbours, there is also the competition between the workers themselves, especially between regular and casual labourers. This explains the introduction of closed shops and the regularisation of employment, which hardened to the distinction between different categories of labour. From the end of the 19th century, this system was the basis of the resistance led by the International Transport Federation (ITF) to international policies of employers. An uneasy coexistence, and occasional disputes amongst the federations, some of which looked towards Moscow, was eventually resolved in the common struggle against fascism. Even when it was politically aggressive — cf. the organised boycotts — the internationalism of the dockers' trade unions remained one step behind that of the employers, as the late foundation of the European Transport Federation (whose recent resistance against European deregulation was nevertheless successful) illustrates.
- Le mouvement syndical en Afrique occidentale francophone. De la tutelle des centrales métropolitaines à celle des partis nationaux uniques, ou la difficile quête d'une personnalité (1900-1968) - Babacar Fall p. 49 Introduits dans un contexte colonial, les syndicats en AOF ont émergé grâce aux échanges entre migrants de part et d'autre, grâce en particulier aux marins influencés par la CGT, et ont été longtemps entravés par l'absence de droit d'association. De grandes grèves, surtout dans les chemins de fer, ont émaillé le parcours du mouvement ouvrier d'AOF, fait de tensions raciales mais aussi de coopérations entre Européens et Africains. Devenues au lendemain de la Seconde Guerre mondiale le prolongement des grandes centrales syndicales françaises, les organisations africaines ont rapidement cherché à s'autonomiser, faisant éclater le paradoxe de l'internationalisme en situation coloniale. La rupture avec la classe ouvrière française, dénoncée par la CGT, et avec les fédérations internationales a accompagné la création, en 1957, de l'UGTAN (Union générale des travailleurs africains), organisation transétatique en butte aux partis uniques qui se sont mis en place dans les nouveaux Etats indépendants.Introduced in a colonial context, the trade-unions of French West Africa first emerged as a result of exchanges between migrants, particularly seamen, influenced by the CGT. Their development was, however, for a long time constrained by the local absence of the right of association. The history of the AOF labour movement is characterised by some long strikes (in the field of railway transport particularly), marked by racial tensions but also by co-operation between Europeans and Africans. After the Second World War, the African tradeunions become extensions of the main French trade-unions before attempting to find their autonomy. This highlights the paradox of internationalism in a colonial context. A double rupture, firstly with the French working class, which was denounced by the CGT, and then with the international federations, accompanied the creation in 1957 of the UGTAN (General Union of the African Workers). This was a transnational organisation that went on to fight against the ruling parties of the newly independent single-party states.
- A propos de l'histoire de notre internationalisme - Klaus Meschkat p. 59 L'internationalisme de la Nouvelle Gauche allemande, celui d'une génération, fut fait avant tout de manifestations de solidarité, déclenchées par la guerre d'Algérie. Elles ont connu une virulence accrue dans les luttes anti-impérialistes contre la guerre du Vietnam, qui ont emprunté les formes d'intervention des militants américains. Tiers-mondiste, cette solidarité n'a pas toujours procédé d'une bonne connaissance du terrain, d'où des erreurs d'appréciation et des incompréhensions. Sélective, elle a quelque peu déserté l'Europe. Un internationalisme renouvelé devrait, pour les altermondialistes, se fonder sur les traditions remontant à la Première Internationale et innover à partir d'une connaissance réciproque des enjeux locaux et régionaux, du Nord au Sud et d'Est en Ouest.The internationalism of the German New Left — the internationalism of a generation — was based principally on solidarity activities that began at the time of the Algerian war. These became more virulent during the anti-imperialist struggles against the war in Vietnam, using forms of intervention that were borrowed from American activists. Based on a third world ideology, this solidarity was not always the result of a sound comprehension of the local situation, and this may explain some mistakes and misunderstandings. Neither did it focus on Eastern Europe. As regards the current anti-globalization movement, a renewed internationalism should be founded on the traditions of the First International. It should base its activities on a thorough knowledge of what is at stake, on both sides.
- L'altermondialisme : un internationalisme d'emprunt - Jean-Pierre Garnier p. 67 Les mouvements contestataires en lutte contre « la globalisation néo-libérale » constituent-ils la relève du défunt mouvement ouvrier ? Désireux d'évacuer un héritage encombrant, les altermondialistes ont franchi le cap en renonçant à l'antimon-dialisation pour promouvoir en fait un altercapitalisme fait de retour au keynesianisme et à l'État-providence. Aux affrontements violents ont succédé les manifestations festives dûment encadrées, processus correspondant à l'émergence d'un intellectuel collectif dont l'expertise est reconnue par l'adversaire présumé, qui va jusqu'à sponsoriser les grands rassemblements. Fondé sur les mobilisations citoyennes, l'altermondialisme ne se réfère plus aux classes sociales dans un mouvement atomisé, en mal d'élargissement social tandis qu'un retour du bon vieux tiers-mondisme teinté de culte de la personnalité se dessine dans la vénération de chefs d'État d'Amérique latine.Do the movements protesting against neo-liberal globalization constitute a revival of the traditional labour movement? Anxious to rid themselves of this very heritage, the alter-globalists crossed a boundary when they gave up the anti-globalization struggle in order to promote an alter-capitalism based on a return to Keynesianism and the Welfare State. Violent street fights have now given place to tightly organised festive demonstrations. This process is linked to the emergence of a “collective intellectual” whose expertise is acknowledged by its supposed enemies, who now sometimes themselves sponsor “anti-globalization” meetings. Based on citizen mobilisation, this movement is increasingly atomised, though willing to enlarge its base. It has ceased to make references to social class. It also venerates some Latin American Leaders and this gives it a flavour of traditional third world ideology, including some aspects of the cult of personality.
- Maximilien Rubel, éditeur de Marx, une utopie éditoriale. Première plongée dans le fonds Rubel de la BDCI - Richard Figuier p. 78 L'originalité de la démarche de Maximilien Rubel, éditeur de Karl Marx dans la Pléiade, réside dans le fait qu'il ne s'est pas contenté de traduire des textes déjà publiés, mais a puisé dans les archives de nombreux inédits pour rendre compte d'une pensée en marche, arrachée aux interprétations partisanes, voire partidaires. Il n'a pas prétendu offrir à lui tout seul au lecteur des oeuvres complètes comme celles qui sont en cours actuellement pour la nouvelle MEGA. Quatre des six volumes prévus par Rubel ont paru.The originality of Maximilien Rubel, editor of the works of Karl Marx for the famous Pleiade series, rests on the fact that he was not satisfied merely with translating those texts that had already been published. Instead, he also drew on a significant quantity of unpublished material from the archives, in order to illustrate a system of thought not restricted by partisan (or even party political) interpretations. He never claimed to offer to the reader the complete works of Marx, as did the MEGA programs. Only four out of six volumes planned by Maximilien Rubel were published.