Contenu du sommaire : La culture économique des hommes politiques à l'épreuve du pouvoir
Revue | Histoire@Politique |
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Numéro | no 16, janvier 2012 |
Titre du numéro | La culture économique des hommes politiques à l'épreuve du pouvoir |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Albert Kéchichian p. 1-2
La culture économique des hommes politiques à l'épreuve du pouvoir
- Alexandre Ribot, des principes libéraux au pragmatisme de guerre - Jean Garrigues p. 3-14 Alexandre Ribot, qui fut plusieurs fois ministre dans les années 1890, est revenu au pouvoir pendant la Grande Guerre, à la présidence du Conseil et au ministère des Finances, une charge qu'il a exercée de 1914 à 1917. Comment ce septuagénaire libéral s'est-il confronté aux impératifs de l'interventionnisme suscité par l'économie de guerre ? Qui sont les conseillers, les experts, qui ont l'ont orienté dans ses arbitrages financiers ? Quel regard a-t-il porté sur sa propre activité au ministère des Finances ? Peut-on trouver une cohérence entre son héritage, sa culture économique et les options pragmatiques qu'il a été amené à prendre face à la guerre ? Ces questions constituent le fil conducteur de cette étude sur un personnage méconnu de notre histoire politique.Alexandre Ribot, who was several times a Minister in the 1890s, returned to the power during the Great War, to the presidency of the Council and to the Ministry of Finance, a responsibility which he exercised from 1914 till 1917. How did this liberal septuagenarian confront with the imperatives of the interventionism aroused by the war economy? Who are the advisers, the experts, who go directed him in the financial arbitrations? What glance did he concern its own activity to the Ministry of Finance? Can we find a coherence between its inheritance, its economic culture and the pragmatic options that he was brought to set in front of the war? These questions constitute the vital lead of this study on a character underestimated by our political history.
- Le ministre à l'école du boutiquier : Charles de Lasteyrie - Albert Kéchichian p. 15-39 Lors de son passage au ministère des Finances de 1922 à 1924, Charles de Lasteyrie ne parvint pas à enrayer la spéculation contre le franc, fomentée par des opérateurs financiers méfiants envers la dette publique se montant à 168 % du produit intérieur brut, creusé par le coût ertigineux des armements et de la logistique pendant la Grande Guerre de 1914-1918 ainsi que par la nécessité de reconstruire l'infrastructure des territoires dévastés par les combats. Les gouvernements successifs avaient eu davantage recours aux emprunts qu'aux impôts, dans l'espoir de tout rembourser grâce aux réparations de guerre imposées à l'Allemagne par le traité de Versailles. Lasteyrie récusa catégoriquement toute consolidation forcée de la dette publique, par crainte de spolier l'épargne des rentiers. Sous la IIIe République, un très large consensus alorisait l'épargne comme gage d'une méritocratie fondée sur le labeur et la prévoyance. Élus et citoyens, dans leur grande majorité, redoutaient qu'une banqueroute ou une dévaluation ne sape les fondements des compromis républicains entre progrès social pour les humbles et préservation du patrimoine pour les nantis. Charles de Lasteyrie était persuadé que sa connivence professionnelle d'ancien banquier avec les manieurs d'argent suffirait à assurer le renouvellement de la dette flottante à des taux d'intérêt avantageux pour le Trésor public, sans avoir à décaisser des fortunes à chaque échéance ni dépasser le plafond de la circulation fiduciaire, imposé par la convention de 1920 avec la Banque de France. Lors de l'occupation de la Ruhr en 1923 pour contraindre l'Allemagne à payer les réparations, Lasteyrie priva Poincaré des moyens financiers de gérer l'économie rhénane, au nom du refus de toute mesure d'exception attentatoire aux règles de gestion comptable.When Minister or Finance from 1922 to 1924, Charles de Lasteyrie failed to bridle traders gambling on French currency. Foreign traders were wary about the national debt reaching 168 % of the gross domestic product. During World War One, France run into titanic debt in order to buy weapons and supplies. Fighting had also laid waste many areas in need of rebuilding. French cabinets got used to borrowing rather than to taxing, hopeful about guaranteeing pay back thanks to German war damage laid down by the Versailles Treaty. Lasteyrie spurned debt consolidation for fear of despoiling warrantees' savings. During the Third Republic the great mass of people were praising personal savings and foresight. Most politicians and citizens dreaded that bankruptcy or devaluation would wreck the republican compromise between social progress for the needy and property safety for the affluent. Charles de Lasteyrie was quite sure that his wide circle of banking acquaintances would secure reinvestments in the national debt at a rate profitable for the Treasory. Routine reinvestments would stave off huge pay out when due as well as exceeding the lending limit negociated in 1920 with the Bank of France. In 1923 when France occupied the Ruhr in order to compel Germany to pay war damage, Lasteyrie won Poincaré over that the French government could not afford managing the Ruhr economy. Lasteyrie repelled deviating from established policies.
- De la pensée à l'action économique : Étienne Clémentel (1864-1936), un ministre visionnaire - Clotilde Druelle-Korn p. 40-54 La découverte dans les archives Clémentel de deux manuscrits initialement mal datés, révèle que dès 1900, ce notable radical d'Auvergne avait, à partir de lectures dans lesquelles le rôle de Charles Gide apparaît essentiel, analysé avec finesse l'histoire et les ressorts de l'économie politique de son temps. Influencé par le Solidarisme et pourvu d'une doctrine économique, Clémentel la met en pratique dans le cadre de l'économie de guerre à partir de 1915. Jusqu'au milieu des années 1930 il est un acteur majeur de la modernisation économique au sens le plus moderne du terme. Il est à l'origine de nombreuses institutions économiques, parmi lesquelles la Chambre de Commerce Internationale.The discovery in his personal Archives of two initially misdated manuscripts, reveals that, already since 1900, Étienne Clémentel who was a well established French Radical, had, on the basis of self-education – particularly of Charles Gide's publications – cleverly analyzed the mechanisms and the structure of his time economics. Influenced by the Solidarism and applying his own economic doctrine, Clémentel put the latter in practice starting in 1915 during the World War I. He remains a leading player of economic modernization until the mid-thirties, he is the father of numerous economic institutions, such as for instance the International Chamber of Commerce.
- Poincaré avait-il besoin de connaissances économiques pour sauver le franc ? - Kenneth Mouré p. 55-70 "Did Poincaré need economic knowledge to save the franc?" Raymond Poincaré saved the franc in 1926, returning it to the gold standard in 1928.This article examines Poincaré's economic training and political experience to understand the role of economic knowledge in the stabilization of the franc Poincaré.
- Aristide Briand: defending the Republic through economic appeasement - Robert Boyce p. 71-93 Aristide Briand fut pendant trente ans homme politique de premier plan de la Troisième République. Il montra peu d'intérêt pour les questions économiques, mais il était prêt à préconiser l'innovation économique, y compris des changements radicaux dans les choix politiques nationaux et internationaux, lorsque cela semblait nécessaire à la sauvegarde de la République.Aristide Briand, for thirty years a leading politician in the Third Republic, had little direct interest in economics, but he was prepared to advocate economic innovation, including radical changes in domestic and international policy, where this seemed necessary to safeguard the Republic.
- André Tardieu, les Modérés and the Politics of Prosperity: 1929-1932 - Gareth Davies p. 94-110 Cet essai historique a pour but d'examiner les idées économiques d'André Tardieu, l'un des dirigeants des modérés, président du Conseil de 1929 à 1932. Tardieu développe une critique et lance un défi au modèle républicain en place que beaucoup jugeaient inadéquat et en grand besoin de réformes. Le développement d'un certain type d'économie expansionniste est au centre de la critique qui, elle-même, fait partie d'un débat plus large lié à la réforme de l'État. Rejeté de son vivant, l'essentiel de la critique de Tardieu s'intégrera au programme des nouveaux républicains développé à la fin du XXe siècle, prouvant ainsi sa propre contribution et celle du libéralisme à la France contemporaine.The essay examines the economic ideas of André Tardieu, a leading modéré and président du Conseil between 1929-1932, who developed a critique of and challenge to the existing republican model which many deemed inadequate and in need of revision. Central to this critique, which was part of the wider debate relating to réforme de l'État, was the development of a particular brand of expansionist economics. Rejected during his lifetime, much of Tardieu's critique would become accepted as part of the new republican consensus that had developed by the end of the twentieth century, demonstrating the contribution that he and political liberalism have made to contemporary France.
- La culture économique de Léon Blum : entre libéralisme juridique et socialisme - Nicolas Roussellier p. 111-120 Si Léon Blum semble être éloigné du concept de « culture économique », son itinéraire politique l'amène à s'en rapprocher petit à petit. Par sa formation juridique et par son activité au Conseil d'État, il alorise la notion de « service public ». Dans sa pratique des joutes parlementaires au cours des années 1920 et au début des années 1930, il est amené à multiplier au nom du groupe socialiste les propositions et contre-projets en matière de politique financière et fiscale. Aussi, quand il aborde la crise des années 1930, on peut considérer qu'il a finalement constitué une éritable « culture économique ». Cette culture reste cependant marquée par un certain attachement au libéralisme à la fois politique et juridique. Blum occupe ainsi une position ambiguë et critique à l'égard du concept nouveau de politique économique, synonyme d'une emprise de l'État sur la marche de l'économie et qui séduit pourtant la nouvelle génération socialiste.Although Léon Blum seems remote from the concept of economic culture, it can be shown that his political trajectory drew him progressively towards it. His legal training and work in the Conseil d'État shaped his notion of public service. In addition, his engagement in parliamentary debate in the 920s and early 1930s led him, as Socialist leader, to formulate numerous proposals and counter-proposals on financial and fiscal policy. Thus by the time of the crisis of the 1930s he had evolved a considerable economic culture. However, this culture displayed a continued attachment to political and legal liberalism. Blum thus occupies an ambiguous and critical position vis-à-vis the new concept of political economy by which the State assumed control over the working of the economy and which appealed to the subsequent generation of socialists.
- Alexandre Ribot, des principes libéraux au pragmatisme de guerre - Jean Garrigues p. 3-14
Vari@rticles
- La vertu des institutions : l'héritage méconnu de Sieyès et de Constant - Marie-Hélène Caitucoli-Wirth p. 121-139 Le renouveau du discours sur la ertu en politique, en se développant au moment d'une crise de confiance is-à-vis de nos démocraties, invite à s'interroger sur les principes ertueux initiaux du gouvernement représentatif. Revenir à la genèse de ce dernier à travers deux de ses défenseurs libéraux et républicains que sont Emmanuel-Joseph Sieyès et Benjamin Constant relève d'une double ambition : comprendre les théories politico-constitutionnelles de ces deux auteurs dans le contexte historique des débats de 1789-1791 et de 1794-1795 et au-delà, en dégageant le concept de pouvoir neutre qui rend compte de leur proximité autant que de leurs nuances, tout en ouvrant la oie d'une contribution modeste à une réflexion éventuellement actualisable de la notion de ertu institutionnelle.The revival of the concept of virtue at the very same time when we are losing trust into our democracies, leads us to questioning the initial virtuous ambition of the representative government. Coming back to the genesis of the latter through two of its advocates, Emmanuel-Joseph Sieyès and Benjamin Constant, both liberal and republican, relies on a two-fold ambition: understand the political and constitutional theories of those two authors within the historical background of the debates of the years 1789-1791 and 1794-1795 and beyond, through bringing out the concept of neutral power as it reveals the proximity between both thinkers as well as their relevant shading, while opening the way to a slight contribution to a possibly updatable thinking about the idea of institutional virtue.
- Une affinité intellectuelle, une proximité politique. Lelio Basso, Gilles Martinet et la « deuxième gauche » - Roberto Colozza p. 140-153 « Une affinité culturelle, une proximité politique. Lelio Basso, Gilles Martinet et la "deuxième gauche" »« A Cultural Affinity, a Political Nearness. Lelio Basso, Gilles Martinet and the French "deuxième gauche" » This article deals with the friendly and collaborative relationship between the Italian socialist Lelio Basso and Gilles Martinet, who was an exponent of the French ‘deuxième gauche'. Basso and Martinet were both politicians, theoreticians and intellectuals and they were in contact over thirty years. Their heterogeneous biographies show the different values of the after-war anti-conformist Left: from the national and institutional engagement, which was Martinet's main goal, to the international Third-worldism, whose Basso was an important actor.
- De la victoire de la gauche à la percée de l'extrême droite : l'ethnicisation du jeu électoral français - Alec G. Hargreaves p. 154-165 La proximité dans le temps entre l'avènement au pouvoir de la gauche en 1981 et la percée électorale de l'extrême droite en 1983 est-elle une pure coïncidence ou serait-on fondé à y oir une relation causale ? Sans chercher à lire la montée du Front national à travers une grille mono-causale, l'analyse proposée ici souligne la sensibilisation croissante de l'électorat à la question de l'immigration sur fond de crise économique à partir de la seconde moitié des années 1970 et affirme que le rapide échec de la politique de relance menée par la gauche à partir de 1981 semble avoir servi de catalyseur à l'émergence électorale de l'extrême droite deux ans plus tard.Is there a connection between the Left's return to power in 1981 and the electoral breakthrough of the extreme right two years later or is the proximity of these events in time merely coincidental? Without seeking to read the rise of the Front National in terms of a mono-causal interpretation, the analysis proposed here notes the growing importance of ethnically defined issues among the electorate from the late 1970s onwards against a background of economic downturn and suggests that the rapid failure of the economic recovery programme introduced by the Left in 1981 appears to have served as a catalyst for the electoral rise of the extreme right in 1983.
- « Johnny », un lieu de mémoire ? - Jean-François Sirinelli p. 166-174 Pourquoi le rayonnement du rocker français Johnny Hallyday s'est-il poursuivi un demi-siècle durant ? En premier lieu, s'il existe un symptôme de l'effet de résilience des goûts des baby-boomers, c'est bien celui de cette étoile apparemment morte ers 1970-1975 qui continuera, en fait, à luire un demi-siècle durant. Mais, si le lieu de mémoire « Johnny » existe ainsi, en fait, ce n'est pas seulement comme caisse de résonance et comme chambre d'écho d'un segment chronologique relevant du temps court, décennal ou même semi-décennal. Le processus d'écho et de résonance doit aussi s'analyser dans le temps long des grandes mutations anthropologiques. Johnny Hallyday, à cet égard, est une butte-témoin, celle du « monde d'avant » le basculement anthropologique de la période 1965-1985.How can we account for the never ending success story and long lasting influence of the French rock star Johnny Hallyday who has been singing for more than 50 years ? The first explanation lies in the fact that he is the spokesman of a generation: he embodies the tastes of his fellows Baby Boomers. But this “short term” or “mid-term” explanation proved unsatisfactory. His fame and popularity are to be related to the “long term” perspective, to the historical time of anthropological mutations: Johnny Hallyday is a “national site of memory” (Lieux de mémoire / Realms of Memory), a living testimony of a vanished and lost world, namely the pre-1968, the pre-1965-85 transition world.
- La vertu des institutions : l'héritage méconnu de Sieyès et de Constant - Marie-Hélène Caitucoli-Wirth p. 121-139
Sources
- Les papiers de Jean Zay. Nouvelles sources d'archives pour l'histoire du début du XXe siècle - Caroline Piketty p. 175-186 Les Archives nationales ont été honorées d'accueillir les papiers de Jean Zay plus de soixante ans après son assassinat par des miliciens. Elles gardent déjà en dépôt les papiers de nombreux contemporains de Jean Zay, ainsi ceux de Léon Blum, Vincent Auriol, Georges Mandel ou Édouard Daladier, et elle ient de recevoir ceux de Jacques Chevalier et de Georges Bonnet qui éclaireront l'histoire de la première moitié du XXe siècle.The National Archives have acquired and made public the papers of Jean-Zay (1904-1944), which form an important source for deepening our understanding of the political and cultural history of France in the first half of the twentieth century. Half Jewish, half Protestant, Jean Zay was a deeply cultured man, a lawyer, who as a very young Radical deputy from the Loiret, helped launch the Popular Front. A target of the extreme right from 1934, he joined the government in January 1936. In June of that year, Blum nominated him to be Minister of National Education and Fine Arts, thereby placing him in the centre of the politics of French cultural life. Arrested in August 1940 by the French police on his arrival in Morocco of the Massilia, he was imprisoned, and on 4 October 1940, convicted on blatantly political grounds of having deserted in the face of the enemy. His sentence was incarceration in perpetuity. Throughout the 47 months of his imprisonment, Jean Zay wrote letters, stories, notes on his work as minister, reflections on his memory and his solitude. On 20 June 1944, he was transferred into the hands of the para-military Milice, who murdered him. Jean Zay loved literature, theatre, music and sports. His tastes and passions grew out of a strong family life. His unique papers reveal his mode of work, his humanism, and throw considerable light on the period of the 1930s and early 1940s in France.
- Les papiers de Jean Zay. Nouvelles sources d'archives pour l'histoire du début du XXe siècle - Caroline Piketty p. 175-186
Pistes & débats
- Les prémisses d'une restauration ? L'histoire enseignée saisie par le politique - Vincent Chambarlhac p. 187-202 La polémique de 1979 ouverte par l'Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG) et par Alain Decaux sur l'enseignement de l'histoire est, à bien des égards, matricielle. Une lecture politique de celle-ci questionne l'épistémologie de la discipline dans son rapport aux années 1968, dans la manière dont elle peut constituer une forme d'introduction à la nouvelle configuration historiographique qu'établissent Les Lieux de mémoire. Trois temps ordonnent la saisie de cette polémique inaugurale : le tempo du politique, le temps rétrospectif du procès des années 68, l'après-coup de l'épistémologie.The controversy of 1979 launched by the APHG (Association des professeurs d'histoire et de géographie) and Alain Decaux on the teaching of history is in many respects a matrix. A political interpretation of this debate questioned the epistemology of the discipline in relation to 1968. It can also be seen as anintroduction to a new configuration of the historiography, as exemplified by the famous book Les Lieux de mémoire. The tempo of the controversy is diverse: the political debate moment, the retrospective trial of the years 1968, and the long lasting epistemological effect.
- Les prémisses d'une restauration ? L'histoire enseignée saisie par le politique - Vincent Chambarlhac p. 187-202
Portraits & témoignages
- Entretien avec Jean-Bernard Raimond - Jean-Bernard Raimond, Anne Dulphy, Christine Manigand p. 203-222