Contenu du sommaire : L'économie de la culture
Revue | Revue d'économie politique |
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Numéro | volume 120, janvier-février 2010 |
Titre du numéro | L'économie de la culture |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction : L'économie de la culture est-elle particulière ? - Xavier Greffe p. 1-34 Existe-t-il des paradigmes justifiant un traitement économique particulier des activités culturelles ? Un premier paradigme serait celui dit de la maladie des coûts : faute de gains de productivité, les activités culturelles font l'objet d'une dérive vers le haut de leurs coûts de production et de leurs prix, ce qui pose d'emblée les questions d'accessibilité des consommateurs, de subventions des entreprises et de soutien de revenu des artistes. Mieux adapté aux transformations de l'économie contemporaine, un second paradigme part de l'incertitude pesant sur de telles activités et découlant logiquement des logiques de créativité et de nouveauté des biens artistiques. Il permet de renouveler les analyses des comportements de demande et d'offre de ces biens-paris, de spécifier les problèmes des industries culturelles et de prendre en considération les effets de la numérisation et Internet. Enfin, cette introduction analyse les plaidoyers faisant du développement culturel un levier du développement soutenable, présente les différents articles de ce numéro et la logique de leur enchaînement.Introduction : Are Cultural Economics Exceptional Ones ? This contribution considers the main paradigms of cultural economics, and their consequences in terms of research results and policies recommendations. The “cost disease” is the first one analyzed. More relevant in the context of globalization and digitalization, the second paradigm deals with the structural uncertainty of the cultural goods resulting directly from their intrinsic creativity and novelty. The third part of this contribution analyzes the current arguments underlining the contribution of cultural activities to sustainable development. Finally, we present the logic of this special Issue and the contents of the corresponding contributions.
- On the Influence of Cultural Value on Economic Value - Michael Hutter, Bruno S. Frey p. 35-46 Valeur culturelle et valeur économique: quelles relations? Cette contribution analyse la dynamique relative de la valeur artistique ou culturelle et de la valeur économique des œuvres d'art, notamment la manière dont l'évolution de la valeur culturelle d'une œuvre influence ou non dans le temps sa valeur économique. Dans certains domaines, la valeur culturelle est relativement ignorée par les économistes parce qu'elle ne semble guère influencer les prix de vente correspondants. Mais de manière générale, il existe des raisons pour considérer que ces deux types de valeur évoluent de manière liée. Pour cela l'histoire économique de trois tableaux célèbres est examinée, ce qui montre le rôle important de l'évolution de la valeur culturelle pour expliquer celui de la valeur culturelle. La « Vierge des roses » de Raphaël montre comment l'augmentation de la valeur culturelle a ici entrainé l'augmentation de sa valeur économique. « L'homme au casque d'or » de Rembrandt témoigne de l'évolution inverse. Enfin, « Numéro 12, 1949 » de Jason Pollock illustre leur codétermination progressive. De tels exemples doivent être considérés comme une première analyse empirique d'un nouveau territoire scientifique.
- Economic analysis of artists' behaviour: some current issues - David Throsby p. 47-56 Le comportement économique des artistes: de nouvelles questions L'activité artistique présente des caractéristiques qui peuvent opposer le profil de l'artiste à celui des autres travailleurs. Son activité s'organise en fait autour de la création de deux types de valeurs: une valeur économique liée au revenu monétaire qu'il peut escompter retirer de son activité à des fins de consommation; et une valeur culturelle identifiable en termes de critères artistiques ou encore, esthétiques, spirituels ou symboliques. Selon les pondérations accordées à ces deux types de valeurs dans sa fonction-objectif, on peut expliciter le rôle relatif des motivations économiques et artistiques dans son offre de travail. Il existe alors deux cas extrêmes, celui où le comportement répond exclusivement à des motivations artistiques, et celui où son comportement s'explique exclusivement par la maximisation de son revenu monétaire. En fait, la majorité des artistes se situe entre ces deux extrêmes: s'ils sont motivés par une vision créative, ils savent qu'il leur faut aussi satisfaire des contraintes en termes de revenu monétaire.
- Les entreprises culturelles sont-elles soutenables ? - Xavier Greffe, Véronique Simonnet p. 57-86 Lorsque l'on souligne le rôle des activités culturelles pour enrichir la croissance, il est pertinent de s'interroger sur la capacité des entreprises culturelles à se développer et survivre. A partir de la base de données sur les nouvelles entreprises de l'Insee [SINE, 1998-2003], trois résultats sont proposés. Le taux moyen de disparition annuel des nouvelles entreprises culturelles est comparable à celui des autres entreprises : mais alors que les entreprises du secteur des arts et du spectacle vivant connaissent des débuts difficiles dus à une forte exposition au risque artisanal (ou de notoriété), celles relevant des industries culturelles (livres et cinéma) semblent moins exposées. Passé la troisième année, si les premières semblent relativement plus performantes, les secondes restent fragilisées par la permanence du risque industriel (ou d'organisation). Si les banques donnent un signe positif sur le potentiel des entreprises culturelles, elles peuvent aussi en aggraver leur situation en leur accordant des prêts. Enfin, la survie des entreprises culturelles dépend de la nature de leur environnement : proches d'entreprises culturelles de même nature, elles en subissent un effet de concurrence négatif ; proches des entreprises culturelles de toute nature, elles bénéficient d'un effet de synergie positif largement supérieur.Are Cultural Enterprises Sustainable ? When we wonder about the ability of cultural activities to sustain economic development, it looks relevant to assess the ability of cultural enterprises to develop and survive. Considering the INSEE data base on New Enterprises [SINE, 1998-2003], this contribution demonstrates three results. The rate of survival of new cultural enterprises is not actually different from the mainstream enterprise one : But some differences appear in terms of cultural subsectors. Whereas visual and live arts enterprises face difficult beginnings – due to the artisan or notoriety risk – audiovisual enterprises face better prospect. The opposite will appear after the three years when they face the industrial risk or the ability to change their own structure according to the need to satisfy new wants and design new organizations. A second important result deals with the role of the banks : When they look able to assess the potential prospect of any cultural enterprises, their financial support can discriminate against their survival due to the corresponding financial burden. Finally, cultural enterprises survival relies on the nature of their environment : linked to similar enterprises, they face an important competition effect ; connected with other types of cultural enterprises they benefit from an important synergy effect. These conclusions support the case for new cultural policies designs.
- L'impact économique d'une activité culturelle comme motif au soutien public : définition et conditions de validité - Yann Nicolas p. 87-116 De nombreux acteurs culturels demandent régulièrement à disposer de résultats d'analyses d'impact économique d'un équipement ou d'un événement culturel pour un territoire environnant donné. Ils le font en particulier pour motiver économiquement une demande de soutien public. La définition et les conditions de validité de l'argument de l'« impact économique » sont toutefois peu connues de ces acteurs. Cet article propose un rappel de cette définition et de ces conditions en recourant aux outils de l'analyse économique et aux résultats de la recherche théorique et empirique. La décomposition de l'impact économique d'une activité culturelle pour une zone considérée, isolant ses cinq éléments constituants, permet de montrer que plusieurs d'entre eux peuvent potentiellement fournir trois motifs économiques distincts qui peuvent être invoqués pour justifier une demande de soutien public. Reposant chacun sur des hypothèses différentes, le premier motif vise un objectif de stabilisation, les deuxième et troisième un objectif d'allocation. Les principes d'estimation des composants en question sont alors rappelés en vue de fournir les éléments informatifs permettant d'avoir idée du caractère plus ou moins solide de résultats d'impact utilisés à des fins de justification.The Economic Impact of a Cultural Activity as a Public-Support Argument : Definition and Validity Conditions. Many cultural players regularly ask for results from studies of the economic impact of a cultural facility or event for a given area. They do it in particular in order to justify public support. However, the definition and validity conditions of the “economic-impact” rationale are little-known among these players. This article offers a reminder of these definition and conditions by using tools from economic analysis and findings from theoretical and empirical research. Breaking down the economic impact of a cultural activity for a given area into its five constituents enables to show that several constituents potentially may provide three distinct economic arguments which can be put forward to justify public support. Each being based on different assumptions, the first argument pursues a stabilization objective, the second and third ones an allocation objective. The principles of estimating the constituents in question are then reminded, in order to provide the information elements allowing to have an idea of the more or less sound nature of impact results used for justification purposes.
- Le cinéma est-il devenu un loisir de luxe ? Une étude économétrique de la demande Française - Sophie Ragot p. 117-140 Cet article analyse la demande française de films en salle entre 1975 et 2004. L'article étudie le rôle de chacune de ces variables explicatives dans cette évolution (prix des places, revenu des consommateurs, concurrence du petit écran et de la vidéo), et mesure la sensibilité de la demande de cinéma à leurs variations de court et long terme. L'élasticité-prix obtenue montre que le cinéma est relativement proche des « higher performing arts » de Throsby [1994]. Les élasticité-revenu du modèle viennent confirmer ce point de vue, puisqu'elles classent le cinéma parmi les biens de luxe. Pour ce qui est de l'impact de la télévision et de la vidéo, les résultats significatifs à long terme confortent leur impact négatif sur la consommation de films en salle. Regarder un film à la télévision ou avec la vidéo est devenu, semble-t-il, un moyen plus populaire que d'aller le voir dans les salles de cinéma. Le cinéma serait devenu un bien de luxe, perdant le statut de bien « forain » puis populaire qui fut jusqu'ici son apanage.Did Cinema Become a Luxury Good ? An Econometric Study of the French Demand This paper aims at studying the cinema demand in France from 1975 to 2004. The relative weight of the explanatory variables is examined (price, income, competition coming form both television and video), which enables to see how cinema's perception changed in people's mind. The obtained price elasticity made us consider cinema as pretty close to the “higher performing arts” of Throsby [1994]. The income elasticity of demand reinforces this point of view, as it classifies cinema as a luxury good. Regarding television and video recording, we obtain significant results in the long run. They both have a negative impact on cinema attendance. They might have become more popular ways to watch a movie, making the cinema only available for some sections of population. Finally, it's seems that cinema became a luxury good. It lost the popular status it had kept for many years.
- Marché Internet et réseaux physiques : comparaison des ventes de livres en France - David Bounie, Bora Eang, Patrick Waelbroeck p. 141-162 Dans cet article, nous comparons les ventes de livres en ligne aux ventes en magasin (hors-ligne) en France sur la période de mars-août 2006. Ce travail est le premier à caractériser les lois de distribution des ventes de livres en France et à s'interroger sur la dynamique des interactions entre les marchés physiques et en ligne de livres neufs. Nos analyses montrent premièrement que les distributions des ventes de livre sur les marchés physiques et en ligne sont différentes. Il existe notamment une longue traîne, pas uniquement en terme de catalogue, mais également en termes de ventes. Deuxièmement, pour 58 % des 20 % de livres communs aux deux plates-formes, nous observons des décalages temporels d'entrée des livres dans les listes respectives des meilleures ventes. Enfin, nous montrons que les ventes en librairies ont un effet positif sur les ventes en ligne alors que les ventes en ligne n'ont qu'un effet très marginal sur les ventes réalisées dans les réseaux physiques. L'effet de prescription d'Internet sur les ventes physiques semble encore limité.Internet and physical stores : comparison of book sales in France In this article, we compare online sales of books to sales in physical stores in France during the period March-August 2006. This is the first work that characterizes the distribution of book sales in France and that analyzes the dynamic interactions between physical and online sales of books in new state. We first show that the distributions of sales are different between online and physical sales. The is evidence of a long tail for online sales, not only in terms of catalogues, but also in terms of volume of sales. Secondly, for 58% of the 20% of books that belong to the best selling list on both platforms, we observe temporal shifts between the time a given book enters the best selling list in physical stores and online. Finally, we show that sales in independent bookstores have a positive effect on online sales, while online sales only have a marginal effect on sales in physical stores. Prescription of online purchases seems limited.
- Four models of the creative industries - Jason Potts, Stuart Cunningham p. 163-180 Quatre modèles d'industries créatives. Les activités et industries culturelles sont aujourd'hui englobées dans une nouvelle approche, celle d'industries créatives. Dans ce contexte, les interrogations sur les contributions de la culture au développement économique peuvent être repensées de manière élargie. La contribution examine les différentes réponses possibles à cette question, et quatre modèles sont ainsi distingués: l'approche du bien être; l'approche concurrentielle; l'approche de la croissance; l'approche de l'innovation. A chacun de ces modèles correspond une interprétation du lien entre activités créatives et économie. Ce sont ces interprétations dont la pertinence est appréciée à l'aide de données statistiques simples.
- Creative cities: The role of culture - Allen J. Scott p. 181-204 Le rôle de la culture pour les villes créatives On a assisté au cours des deniers années à la multiplication de plaidoyers en faveur de la mise en place de nouvelles activités culturelles pour rendre les villes plus soutenables et plus créatives. Sans doute les villes témoignent-elles de capacités de créativité peu connues jusqu'ici, mais ce sont aussi des lieux où des inégalités économiques sociales et culturelles se développent, ce qui conduit à penser que les résultats attendus de cette créativité ne se réaliseront pas en l'absence de solution à ces problèmes. Ce n'est pas là seulement un problème de redistribution mais aussi de citoyenneté et de démocratie, de telle sorte que le potentiel de créativité soit porté par toute la collectivité. La créativité ne peut pas seulement être importée dans la ville par des hackers impénitents ou des bohémiens au goût du jour; elle doit être sécrétée par les relations et les réseaux de production et de vie en société. Dans cette perspective, les activités culturelles apparaissent comme un levier pour créer à la fois de nouveaux espaces de production et de consommation.
- Les artistes en quantités. Ce que sociologues et économistes s'apprennent sur le travail et les professions artistiques - Pierre-Michel Menger p. 205-236 Cette contribution finale montre comment économie et sociologie s'enrichissent mutuellement de leurs apports possibles. Le temps n'est certainement plus celui des confrontations, même si pendant longtemps, les sociologues ont eu l'avantage de proposer des données d'enquête originales et cumulatives sur les comportements et les inégalités de consommation et d'en ordonner l'analyse à partir de modèles puissants de stratification sociale, et si l'analyse économique bénéficiait de son appareil d'analyse des propriétés informationnelles des transactions et des imperfections de la concurrence marchande. En partant d'une analyse de l'offre et des marchés du travail et en en explorant trois questions fondamentales (composition évolutive de la catégorie des professions artistiques, critères de professionnalité et explication du niveau et de la distribution des rémunérations, P.M. Menger montre au contraire que les deux disciplines se situent dans un rapport de coopération mutuellement profitable. Sans doute le concept d'incertitude joue-t-il ici un rôle central, fédérant les recherches d'un coté comme de l'autre.
Artists in numbers. What sociologists and economists have taught each other about artistic labor and occupations
This final contribution shows that the relationship between economics and sociology has been largely changing during the last period. During a long time, we attended an opposition between a sociology that benefited from exhaustive empirical studies on the demand side, producing important debates about cultural stratification ; and economics that benefited from very seminal analysis tools stressing the importance of market competition and information.
This contribution takes as an example of new reciprocate exchanges the domain of artistic labor supply and three related issues (the evolution of the artistic occupations' categorization ; the relevant criteria of professionalization ; the distribution of the corresponding incomes). Then, P.M. Menger shows that sociology and economics are cross-fertilizing and mutually benefit from their specific researches programs. Very likely, the polarization of such disciplinary perspectives on the seminal concept of uncertainty has contributed to this mutual enrichment.