Contenu du sommaire : Récit et toponymie
Revue |
Rives méditerranéennes Titre à cette date : Rives nord-méditerranéennes |
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Numéro | no 11, 2002/2 |
Titre du numéro | Récit et toponymie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Récit et toponymie, Introduction - p. 1
- Toponymie rurale et mémoire narrative (Vallée d'Aoste) - p. 2 In 1987, a large-scale, systematic investigation was launched across the Aoste valley in Italy which brought to light more than 60 000 toponyms in 74 vicinities. The present article underlines the major findings of this research, only part of which having as yet been processed (28 000 toponyms in 25 vicinities). While toponyms do not automatically have a tale to tell, the vast scope of the study does reveal a fair number of toponymic narratives. In a number of cases, the narrative emerges from overlapping consonants in the toponym and frequently used words in the local tongue or dialect. More frequently, there is no apparent link, and the stories linked to the place-names seem to derive from the impact of fantastic tales or historic accounts, as well as from the principal daily concerns in a rural community. In this way, the devil, fairies, the Wandering Jew, the Saracens, Gargantua and Napoleon emerge as the outstanding figures in narrative memory inscribed in the landscape. On the other hand, in terms of daily life, this memory is marked by dramatic events, epidemics, natural catastrophes or by colossal feats such as extensive irrigation works.
- Entre légendaire fantastique et légendaire toponymique : la Vieille Morte en Cévennes - p. 3 Très populaire en Cévennes, la Vieille Morte est un récit légendaire tout à la fois fantastique et fondateur de l'Histoire. Il propose, autour de l'itinérance d'un personnage principal, « la Vieille », figure riche de la tradition populaire, l'interprétation d'une série de toponymes et d'éléments du paysage. La persistance d'une réception contemporaine forte de ce récit, malgré les mutations sociologiques, peut surprendre. Elle paraît résider à la fois dans sa forme de « légende contée » et dans sa composition, qui permet, par l'énonciation même de la légende, une identification immédiate au territoire concerné et une appropriation symbolique de ce dernier.In the Cévennes, the very popular tale, “la Vieille Morte”, is a legendary story that is both fantastic and engrained in History. Centering on the peregrinations of the main character, the old woman or “la Vieille”, a character steeped in popular tradition, it offers interpretations of a series of toponyms and features of the landscape. The lasting, enthusiastic reception of the tale today, despite vast sociological changes, can be something of a surprise. It would seem to derive from its form that of a story delivered orally and its composition which, in the very telling of the tale, enables the listener to identify with the lands in question and to appropriate them symbolically.
- Les toponymes dans quelques microrécits de la tradition orale - p. 4 Les toponymes sont nombreux dans l'ensemble des récits de tradition orale et plus particulièrement dans les microrécits chantés ou psalmodiés tels que les chants pour la petite enfance chants pour endormir ou pour éveiller , les incantations ou invocations diverses, les airs de danse enfin. En examinant des exemples de ces trois catégories empruntés au domaine occitan, mais aussi français, on se rend compte que dans ces productions le choix des toponymes, qui apparaissent le plus souvent à la rime, n'est pas pour autant arbitraire. Il traduit d'abord un besoin de jouer avec les mots et sur les mots: par exemple: le nom de Sault dans le Vaucluse induit par la présence de la formule anam a la sau « nous allons au sel » ; Marseille choisi dans les formules sur les giboulées en raison de l'existence du verbe marseiar, marsejar « faire un temps du mois de mars »… Mais, ces toponymes, qui, par la mise en relation avec les noms communs les plus usuels, se trouvent ainsi intégrés à l'expérience linguistique générale, ont surtout pour fonction d'exprimer un sentiment d'appartenance à des espaces, proches ou plus lointains, qui s'emboîtent et s'entrecroisent, et qui peuvent être perçus comme emblématiques, voire conflictuels.Frequent use is made of toponyms throughout tales transmitted orally, and particularly in micro-narratives that are sung or chanted as in nursery rhymes, lullabies, incantations and invocations as well as in dance airs. By examining cases in these three categories taken from the Occitan region as well as elsewhere in the French area, it becomes clear that there is nothing arbitrary about the choice of toponyms, which occur mostly in rhyming patterns. First, they display the need to play with words and on words: for instance the name Sault in the Vaucluse derived from the expression anam a la sau, “we're going for salt”; Marseille chosen from expressions about sudden downpours, because of the verb marsejar, marseiar “to be having March weather”. By being employed with the most frequently used common nouns, such toponyms gradually become part of everyday linguistic experience; as a result they function above all as a means to express a sense of belonging to a particular space, whether near or far, to spaces that cross and overlap so that their usage becomes emblematic or even conflictual.
- Les étymologies de messieurs Meynier et Saurel ou l'antiquité du terroir marseillais dévoilée par les érudits du XIXe s. - p. 5 Ces auteurs ont été les premiers à tenter assez systématiquement de proposer des étymologies des toponymes du terroir marseillais, Meynier en 1866, Saurel en 1877-1878. La méthode du premier est fondée sur des analogies scripturaires ou phoniques entre les noms de lieux et des mots latins ou grecs; elle sont parfois confortées par une référence érudite mais aussi des légendaires oraux. Le second est davantage soucieux de l'évolution historique des toponymes et des traces archéologiques. Ces deux auteurs semblent illustrer deux étapes de la toponymie débutante. Meynier propose une reconstitution de la marque des grands épisodes du passé antique et de l'occupation du terroir à travers ses toponymes qui relève d'un imaginaire historique; Saurel se livre à une première expertise d'ensemble des vestiges patrimoniaux mais ne dispose pas encore des méthodes qui lui permettraient d'élucider vraiment nombre d'étymologies.These authors were the first to try and propose systematic etymologies of toponyms from the Marseille region, Meynier in 1866 and Saurel in 1877-1878. The former worked from written or phonic analogies between place names and Latin or Greek terms; these are sometimes backed up by learned references or folk legends. The latter was more concerned with the historical evolution of toponyms and archaeological traces. The two authors would seem to illustrate two stages in the early years of toponymy. Meynier traces the marks left by important events in antiquity and by the occupation of land through toponyms pointing to a sense of history in the collective imagination. Saurel undertakes the first general assessment of vestiges of the past but without having at his disposal the methodological tools that might have enabled him to shed light on a number of etymologies.
- Récits de la rue et de la ville:Aix-en-Provence - p. 6 La toponymie des espaces agglomérés se partage entre les désignations traditionnelles et les dénominations de décision, créées par les autorités locales. A Aix-en-Provence, ces dernières apparaissent au XVIIe siècle, puis sous la Révolution, mais c'est la IIIe République qui les généralise. Le domaine des dénominations urbaines, initialement populaire et spontané, est progressivement organisé en un système qui va dépendre étroitement du pouvoir local en place. L'examen de la répartition topographique et de l'évolution des toponymes urbains au cours de l'histoire et jusqu'à nos jours permet de lire une sorte de récit de ville spatialisé, dans lequel s'inscrivent les vécus de l'histoire, les choix de mémoire et de célébration opérés par les municipalités successives, ainsi qu'une représentation de la ville elle-même.Toponymy in built-up areas depends sometimes on traditional names, sometimes on decreed titles, created by local authorities. In Aix-en-Provence, such authorities first appeared in the 17th century and then during the Revolution before becoming widespread during the third Republic. Urban denominations were first a popular, spontaneous matter but progressively fell under the sway of the local administration. Examining the topographical redistribution and toponymic evolution of towns during the course of history up to the present day brings to light a sort of spatialised town narrative in which are inscribed the meanders of history, choices retained by popular memory or by successive municipal rulings and the town's own self-representation.
- Motivation et remotivation des noms de lieux: réflexions sur la nature linguistique du nom propre - Andres Max Kristol p. 7 Qu'est-ce qu'un nom propre? Dans une tradition qui remonte à Saussure, le nom propre est pratiquement évacué du discours linguistique, sous le prétexte qu'il n'aurait pas de sens, ce que l'analyse infirme. Une seconde approche propose que le nom propre se distingue du nom commun en ce que ce dernier nous aide à regrouper des objets, tandis que le nom propre nous aide à isoler des entités uniques et spécifiques, qu'il nomme sans les décrire. Au moment de l'acte de dénomination, le nom propre apparaît toutefois comme généralement motivé, selon une motivation sémantique, métaphorique, ou associative. Malgré cela, étant donné qu'il a pour fonction de nommer avant que de décrire, le nom propre subit en général un processus de désémantisation. Les fréquentes remotivations dont il est alors l'objet, soit par paronymie, soit par traduction, peuvent donner lieu aux légendes onomastiques qui expliquent, après coup, le pourquoi de tel nom, et soulignent, aux yeux du linguiste, la nécessité de la motivation. Celle-ci est alors repérée pour sa fonction ancillaire par rapport aux fonctions cognitives, facilitant la mémorisation du nom propre et son identification avec l'objet désigné.What is a proper noun? A tradition dating back to Saussure practically drops the proper noun from linguistic discourse, on the premise that it is without meaning. Analysis proves the contrary. A second approach holds that the proper noun can be distinguished from the common noun by the fact that the latter enables us to group objects whereas the former lets us isolate unique, specific entities by naming but not describing them. Yet at the naming act, the proper noun usually appears motivated, by a semantic, metaphoric or associative motivation. However, its main function being naming, not describing, the proper noun undergoes generally a desemanticising process. It is then subject to frequent remotivations, either by paronymy or by translation, that may give rise to onomastic legends. These explain, after the event, how a given noun came about, underlining from a linguistic point of view the necessity of motivation. At this point, the motivation is discerned in terms of its ancillary function in relation to cognitive functions, helping the proper noun to be committed to memory and identified with the designated object.