Contenu du sommaire : Culture de la terreur

Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales Mir@bel
Numéro vol. 57, no 4, septembre 2002
Titre du numéro Culture de la terreur
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Culture de la terreur

    • Apprivoiser une histoire déchaînée : Dix ans de travaux historiques sur la Terreur (1992-2002) - Antoine de Baecque p. 851-865 accès libre
    • Le caractère national et l'imaginaire républicain au XVIIIe siècle - David A. Bell p. 867-888 accès libre avec résumé
      L'article traite de la conception du caractère national que l'on avait au XVIIIe siècle, et de ses implications sur la Révolution française. Il soutient d'abord que la rhétorique révolutionnaire relative à l'« homme nouveau » était souvent centrée sur le concept d'un « peuple neuf », présenté en opposition avec un « ancien peuple » spécifiquement français. Ces vues se fondaient sur une science, née au siècle des Lumières, qui attribuait le caractère national au climat, à la législation et à l'évolution historique, et définissait les Français comme un peuple particulièrement sociable, poli et léger. À la fin de l'Ancien Régime et pendant les premières années de la Révolution, ces traits furent de plus en plus considérés comme des défauts à corriger et, durant la phase radicale de la Révolution, le caractère national français fut jugé totalement corrompu et nécessitant une « régénération » complète. L'article se termine sur une interrogation : le rejet révolutionnaire de la science du caractère national ne correspondrait-il pas à un rejet de la conception scientifique sociale moderne de l'humanité ?
    • De l'économie émotive de la Terreur - Sophie Wahnich p. 889-913 accès libre avec résumé
      Une approche anthropologique de la Terreur, en particulier l'analyse des notions réflexives de vengeance et de sacré, conduit à proposer une interprétation en termes d'économie émotive et de fondation symbolique. Si le tribunal révolutionnaire créé le 10 mars 1793 vise à ne pas répéter les massacres de septembre 1792, il convient de revisiter ce dossier pour réinterpréter la Terreur. Les acteurs de septembre 1792 reprennent le « glaive de la loi ». Or, dès le 20 juin 1792, dans un contexte d'effroi et de rupture du sacré, des porte-parole populaires expriment la crainte d'avoir à le faire. Si les législateurs, à l'image du roi parjure, rompaient leurs serments de défense indéfectible de la souveraineté du peuple, celui-ci pourrait légalement « résister à l'oppression ». Le 10 août, l'Assemblée, qui a largement désavoué ces porte-parole, n'est plus sollicitée. Du 10 août au 2 septembre, la « juste vengeance du peuple » pour les crimes commis lors du 10 août est réclamée en vain. Elle s'effectue lors des massacres dans un hors lieu institutionnel. En 1793, « la vengeance nationale est toujours aussi juste que sacrée, et peut-être plus indispensable que l'insurrection elle-même. » Le système vindicatoire de la Terreur met alors face-à-face le peuple souverain et ceux qui lui dénient cette souveraineté. Cependant, à travers la vengeance instituée, se redéfinit l'ordre symbolique, et la vengeance fonde des valeurs : égalité, justice, liberté, bonheur. On comprend alors que la Terreur ait été perçue à la fois comme farouche et sublime.
    • La logique culturelle de la loi révolutionnaire - Carla Hesse p. 915-933 accès libre avec résumé
      L'article examine la façon dont le concept monarchique de « justice extraordinaire » fut transformé en concept républicain de « loi révolutionnaire » après la chute de la monarchie le 10 août 1792. L'auteur démontre que même si les révolutionnaires ont emprunté à l'Ancien Régime cette idée de justice extraordinaire, c'était pour en faire un usage nouveau : au lieu de chercher à préserver un régime, ils utilisèrent une loi existante pour en créer une nouvelle. La loi révolutionnaire a, ce faisant, marqué une rupture radicale avec la conception d'Ancien Régime de la loi d'urgence. En l'absence d'une constitution qui définisse la souveraineté du peuple, les législateurs révolutionnaires entre 1792-1795 ont été confrontés au problème de la répression de l'opposition à un régime dont les paramètres avaient encore à être définis. La loi pénale offrait une piste en permettant aux députés de la Convention de définir les crimes envers la nouvelle souveraineté à travers une rhétorique en trois points : négation, abstraction et particularisation. L'article examine un ample corpus de 80 lois pénales enregistrées devant le tribunal révolutionnaire entre le 10 mars 1793 et le 12 prairial an III, pour conclure que toutes ont échoué à construire une notion stable de l'identité républicaine.
    • Qu'est-ce qui fait un père ? : Illégitimité et paternité de l'an II au Code civil - Suzanne Desan p. 935-964 accès libre avec résumé
      À l'automne 1793, la Convention a essayé d'accorder aux enfants illégitimes, lorsqu'ils étaient reconnus par leurs parents, des droits successoraux égaux à ceux des enfants légitimes. Cet article explore le combat judiciaire sur cette politique familiale controversée et examine comment la négociation des pratiques sociales était imbriquée dans la convalescence politique consécutive à la Terreur. Les enfants naturels avaient du mal à faire valoir leurs droits au tribunal, non seulement en raison des pratiques d'Ancien Régime, mais aussi parce que la Terreur s'est efforcée plus encore de rétablir le pouvoir et la définition de la famille comme institution. Les descendants illégitimes ont, pour soutenir leurs demandes d'héritages, proposé le modèle d'une famille inclusive et perméable, unie par l'affection et les liens naturels. À l'inverse, leurs adversaires ont entretenu des angoisses d'après-Terreur sur les familles divisées, les émotions instables, la fragilité des pères et l'incertitude de la propriété. Dans ce climat conservateur, les juges, de plus en plus exigeants dans la recherche des preuves de la paternité, ont affaibli l'application de la loi de l'an II. Ces négociations populaires et judiciaires sur la paternité ont influencé les législateurs au moment où ils se dirigeaient vers le Code civil de 1804 et soutenaient un modèle familial fondé sur une paternité autoritaire, le droit positif et la propriété sûre et certaine.
  • Variations sur la musique

    • Le génie et sa sociologie : Controverses interprétatives sur le cas Beethoven - Pierre-Michel Menger p. 967-999 accès libre avec résumé
      La carrière et les défis artistiques de Beethoven apparaissent dans nombre de travaux de sociologie et d'histoire sociale de l'art comme le paradigme des changements en cascade qui transforment la position sociale des compositeurs et la portée de leurs innovations à l'aube du XIXe siècle. L'article discute d'abord les deux principales postures d'analyse du créateur d'exception. L'interprétation déterministe fait du grand artiste le producteur de la vérité historique d'une société dominée par l'émancipation bourgeoise et par la force grandissante du marché, mais, pour qualifier sa valeur, doit doter le créateur d'une mystérieuse capacité réflexive qui le place en surplomb du jeu social dont il n'est pourtant qu'un agent. L'analyse constructionniste identifie le style beethovenien à une catégorie, la grande musique, dont l'utilisation, voire l'invention, puis le succès, sont le fait de la haute aristocratie viennoise des mécènes du compositeur, mais au prix d'une réduction fonctionnaliste de la teneur des ?uvres et de la réalité du talent à des variables instrumentales sous le contrôle stratégique d'un macro-acteur social. Les impasses théoriques et les lacunes empiriques rencontrées dans ces deux types de travaux suggèrent une troisième voie d'analyse : l'organisation concurrentielle des activités professionnelles et l'indétermination durable du cours du travail novateur inscrivent le cheminement de la carrière du créateur dans un monde segmenté, mais non figé, de réseaux d'activité que structure la logique inégalitaire des appariements sélectifs.
    • Le chef d'orchestre : pratiques de l'autorité et métaphores politiques - Esteban Buch p. 1001-1028 accès libre avec résumé
      Le « chef-dictateur », dont Toscanini demeure le représentant par excellence, n'est que le cas limite d'une série de métaphores politiques qui ont accompagné toute l'histoire moderne de la direction d'orchestre. Cette pratique invitait déjà, par définition, à réfléchir à l'autorité d'un individu sur un groupe, à l'efficacité et à la légitimité de ses décisions; l'attribution d'une valeur morale aux interprétations esthétiquement convaincantes des ?uvres du répertoire acheva par la suite de donner à la figure du chef un statut symbolique. Soit une surenchère dans le domaine des représentations, qui toutefois ne correspond pas nécessairement à une accumulation des pouvoirs réels du chef au sein des institutions musicales, la tendance historique dans ce domaine allant plutôt vers une réglementation accrue de ses compétences. Ce parcours historique de la direction d'orchestre en tant que forme de commandement se déploie du début du XIXe siècle, moment où la baguette s'impose comme outil et emblème du chef, jusqu'aux suites de la Seconde Guerre mondiale, où la mise en cause de l'autoritarisme conduit à une critique du modèle traditionnel.
  • La ville et son espace

    • Variations sur le territoire : Analyse comparée de projets urbains : Le Havre 1789-1894 - Nicolas Verdier p. 1031-1065 accès libre avec résumé
      Cet article analyse une série de projets urbains concernant la ville du Havre tout au long du XIXe siècle dans le dessein d'en tirer des informations sur les conceptions territoriales de cette époque. À l'étude, c'est l'évolution qui domine. De la diversité du début du siècle, on passe dans le deuxième tiers du siècle à un discours complexe partagé par la très grande majorité des acteurs. En revanche, la dernière partie du siècle est marquée par un resserrement des descriptions territoriales dans la sphère technique dominée par les ingénieurs des Ponts et Chaussées. Ailleurs, les chiffres de population se sont le plus souvent imposés pour dire les lieux. La méthode comparative employée procède par expérimentations raisonnées, en insistant sur les différences plutôt que sur les ressemblances. Elle rend possible la composition d'un espace de variations des conceptions qui permet de produire une définition du territoire en insistant sur le rôle des acteurs plus que sur la morphologie.
  • Temps croisés, mondes mêlés