Contenu du sommaire : L'expérience soviétique à son apogée. Culture et société des années Brežnev I
Revue | Cahiers du monde russe |
---|---|
Numéro | volume 54, no 1, janvier-mars 2013 |
Titre du numéro | L'expérience soviétique à son apogée. Culture et société des années Brežnev I |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Marc Elie, Isabelle Ohayon p. 11-28
- Foreword - Marc Elie, Isabelle Ohayon p. 29-45
Mobiliser le passé : encadrement de la mémoire collective vs. pratiques sociales de conservation
- Iurii Trifonov's Fireglow and the "mnemonic communities" of the Brezhnev era - Polly Jones p. 47-72 Cet article étudie les réseaux de partage des Mémoires et de l'information historique du début de la période soviétique qui ont fait suite aux recherches de l'écrivain Jurij Trifonov et à la publication, par celui-ci, de la biographie de son père, Otblesk kostra [Le Reflet du brasier] (1965 ; version augmentée en 1966). Il analyse ces « communautés mnémoniques » des vétérans de la guerre civile et des historiens amateurs locaux non pas comme une forme de dissidence mais davantage comme une illustration de l'instabilité des frontières de la mémoire publique soviétique et de l'historiographie dans les premières années de l'ère brejnévienne. Plus largement, ces échanges de l'écrivain avec ses lecteurs sont pénétrés d'une croyance en l'accumulation de la vérité historique, plutôt qu'en sa déconstruction. En conclusion, l'auteur examine les similitudes, mais aussi les différences cruciales, entre le texte de Trifonov, progressivement augmenté des contributions des lecteurs, et d'autres projets contemporains de reconstruction mnémonique et historique de la fin des années 1960 et des années 1970, tels que L'Archipel du Gulag d'Aleksandr Solženicyn.This article examines the networks of sharing of historical information and memories of the early Soviet period, which formed as a result of the writer Iurii Trifonov's research and publication of his biography of his father, “Fireglow” (1965; second, expanded edition, 1966). It analyses these “mnemonic communities” of Civil war veterans and local and amateur historians not as a form of dissidence, but rather as an illustration of the unstable boundaries of Soviet public memory and historiography in the early years of the Brezhnev era. More broadly, these exchanges between a writer and his readers were permeated by a belief in the accumulation, rather than deconstruction, of historical truth. In concluding, the article considers the similarities, yet also the crucial differences, between Trifonov's expanding text and other, contemporary projects of historical and mnemonic reconstruction in the late 1960s and 1970s, such as Aleksandr Solzhenitsyn's “Gulag Archipelago.”
- Dans la matrice discursive du socialisme tardif : Les « Mémoires » de Leonid Il'ič Brežnev - Nikolaus Katzer, Martine Sgard, Marc Elie p. 73-101 Cette contribution se propose d'analyser comment Brežnev a été fait « écrivain ». En se fondant sur la genèse de l'écriture, la publication et la réception de ses « Mémoires », elle montre comment l'appareil culturel soviétique a été mobilisé pour placer le Secrétaire général au centre d'une rétrospective historique et canonisée de la Grande Guerre patriotique et de la décennie qui suivit. Les réminiscences de biographie conventionnelle indiquent un assouplissement de la culture officielle du souvenir, jusque-là très rigide. Les expériences et perceptions subjectives ne sont plus entièrement occultées mais rédigées dans un récit exemplaire. L'alternance d'héroïsme et de médiocrité vise le citoyen moyen de la société de consommation soviétique des années 1970 qui, après les privations du passé, doit savourer les fruits du « socialisme développé ». La jeune génération qui n'a pas vécu la guerre se voit proposer comme modèles le « soldat », « l'ouvrier » et le « kolkhozien » sous les traits, respectivement, du vétéran, de l'ingénieur et du technicien agricole. Ces figures constituent la trinité intégrative du système paternaliste brežnevien. Texte et contexte des « Mémoires » renvoient à la genèse complexe des autobiographies et de la rédaction de Mémoires en Union soviétique. La valeur historique des « Mémoires » de Brežnev est appréciée à l'aune du contexte de leur conception, de la composition des parties, des sujets, motifs, métaphores et concepts utilisés.The discurse matrix of late socialism: Leonid Il'ich Brezhnev's “Memoirs”The present paper aims to analyze how Brezhnev was made to pass as a “writer.” The author examines the publication and public reception of these “memoirs” and shows how the Soviet cultural apparatus mobilized in order to place the General Secretary at the center of a historical, canonized retrospective of the Great Patriotic War and the subsequent decade. Several elements of the “memoirs” reminiscent of conventional biography point to a relaxation in the hitherto hidebound official memory culture. Subjective experience and perceptions are no longer subject to concealment but put into words in an exemplary narrative. The interplay of heroism and mediocrity is aimed at the average citizen of the Soviet consumer society of the 1970s who must savor the fruits of “developed socialism” after years of deprivations. The portrayals of the (by then) veteran, the engineer, and farm technician present the “soldier,” the “worker,” and the “kolkhoznik” as role models for the younger generation who had not experienced the war. These figures constitute the integrative trinity of the Brezhnevian paternalistic system. The text and context of the “memoirs” refer to the complex genesis of autobiography and memoir writing in the Soviet Union. The author assesses their historical significance in the light of their conception and the way in which their parts, topics, metaphors, and concepts have been assembled.
- Time and tide : The Remembrance Ritual of "Beskozyrka" in Novorossiisk - Vicky Davis p. 103-129 Cet article retrace l'histoire d'un rituel mémoriel inventé en 1968 par un petit groupe de jeunes afin de perpétuer le souvenir des troupes soviétiques embarquées perdues en mer au large de Novorossijsk. Cette tradition annuelle de la « Beskozyrka » (du nom d'une coiffe de marin) a connu diverses fortunes mais a traversé les ans, résistant aux profonds changements politiques, économiques et sociaux de la fin du xxe siècle pour s'affirmer aujourd'hui avec davantage de succès que pendant la période brejnévienne. L'auteur fait valoir que, grâce aux conditions locales et nationales qui rendent florissante la mémoire collective de la guerre, l'empathie croissante à l'endroit des troupes est telle que ce legs de la jeunesse de 1968, loin d'avoir été désavoué à la mort de Brežnev, est aujourd'hui de plus en plus en adéquation avec l'identité de la ville héros de Novorossijsk.This article traces the development of a ritual of remembrance invented in 1968 by a small group of young people to perpetuate the memory of Soviet landing troops lost at sea off Novorossiisk. With a series of changes, this annual tradition of “Beskozyrka” (a sailor's cap) has flourished over the years, resisting sweeping political, economic and social changes towards the end of the twentieth century to become even more successful today than in the Brezhnev era. It is argued that, thanks to national and local conditions under which collective war memory is thriving, increasing empathy with the troops is demonstrated such that this continuing legacy of the youth of 1968, far from being discarded after Brezhnev's death, is increasingly relevant to the identity of the hero-city of Novorossiisk today.
- From "counter-revolutionary monuments" to "national heritage" : The Preservation of Leningrad Churches, 1964-1982 - Catriona Kelly p. 131-164 L'auteur étudie l'évolution de la signification des édifices religieux dans le système interprétatif et l'échelle des valeurs de la fin de l'époque soviétique. Son étude porte sur Leningrad, une ville à l'importance architecturale certes reconnue mais qui a été érigée dans un passé relativement récent : en effet, la plupart de ses bâtiments majeurs sont postérieurs à 1760. La date, relativement tardive, de construction des églises de Leningrad ne les inscrivait pas nécessairement dans l'échelle des valeurs en cours pendant et après la Seconde Guerre mondiale (Grande Guerre patriotique), qui plaçait au pinacle les églises de l'époque médiévale. Nombre d'églises de la ville ne s'inscrivaient pas davantage dans l'échelle des valeurs architecturales admises par la ville elle-même depuis le début du XXe siècle quand, traditionnellement, elle mettait en avant les bâtiments néo-classiques construits entre 1780 et 1820. À l'époque brejnévienne, l'attitude envers l'architecture religieuse est devenue beaucoup plus favorable en partie du fait de l'évolution à l'échelle nationale des comportements envers l'Église orthodoxe russe et, dans les années 1960, de l'évaluation de l'héritage (fondation de la Société pour la protection des monuments d'histoire et de la culture de la Russie en 1965, et attitude de plus en plus accommodante envers l'évidence de la pratique orthodoxe depuis la fin des années 1970). Cette circonstance a radicalement modifié la perception qu'on avait d'une planification urbaine appropriée, de telle sorte que les églises, qui autrefois constituaient une gêne, ont commencé à être perçues comme essentielles au panorama urbain. Ce processus est significatif dans le cadre du propre développement de Leningrad en tant que ville mais aussi dans celui de l'histoire de la ville à la fin de l'époque soviétique dans la mesure où la présence accrue d'églises ne représentait ni une « normalisation » sur le plan international ni une contribution à la spécificité de la ville socialiste, qui a été si souvent discutée dans les rapports occidentaux sur cette période.This article addresses the shifting meaning of ecclesiastical buildings in the late Soviet interpretive system and hierarchy of values. The focus is on Leningrad, a city of acknowledged architectural importance, but also one constructed in the relatively recent past, with most important buildings dating from the 1760s and later. The relatively late date at which Leningrad's churches were constructed meant that they did not fit automatically into the hierarchy of values established during and after the Second World War (Great Patriotic War), which placed at the pinnacle churches from the medieval era. Many of the city's churches also did not fit into the hierarchy of architectural values recognised in the city itself from the early twentieth century onwards, which had traditionally emphasised neo-classical buildings created in the period 1780-1820. In the Brezhnev era, partly as a result of the nationwide shifts in attitudes to the Russian Orthodox Church and the evaluation of heritage taking place in the 1960s (marked by the foundation of the All-Russian Society for the Preservation of Monuments of Heritage and Culture in 1965, and the increasingly accommodating attitude to Orthodox practice evident from the late 1970s), attitudes to church architecture became much more favourable, a circumstance that radically changed the understanding of appropriate city planning, so that churches, once an embarrassment, began to be perceived as crucial to the city's panoramas. This process is significant not only in terms of Leningrad's own development as a city, but in terms of the history of the late socialist city, since the enhanced presence of churches represented neither a “normalisation,” internationally speaking, nor a contribution to the specificity of the socialist city that has been so often discussed in Western accounts of the era.
- V.V. Pokhlëbkin and the search for culinary roots in late Soviet Russia - Adrianne K. Jacobs p. 165-186 Cet article s'appuie sur les écrits de V.V. Pohlëbkin (1923-2000), influent expert soviétique en gastronomie, pour explorer les interconnections de la culture alimentaire avec l'identité nationale et les conceptions de l'autorité en Russie à la fin de l'époque soviétique. Dans les années Brežnev, Pohlëbkin a commencé à détacher la culture alimentaire russe de certains des grands principes de la pratique culinaire soviétique. Prenant ses distances avec les modèles « scientifiques » de repas approuvés par les médecins et nutritionnistes soviétiques, Pohlëbkin a insisté pour inscrire les décisions culinaires de base dans la tradition et les coutumes historiques. Son travail a ainsi représenté le volet gastronomique d'un « tournant historique » plus important qui marqua alors la culture à la fin de l'époque soviétique. Cette quête de continuité historique exprimait un désir de racines culturelles et nationales stables et une réaction aux bouleversements survenus pendant la première moitié du siècle. Après 1991, Pohlëbkin s'est engagé davantage encore dans les visions nationalistes du renouveau culturel de la Russie. Cet « historicisme gastronomique » n'a pas été le fait des seules années Brežnev, il a perduré au cours des décennies, passant au travers des ruptures de la perestroïka et de l'effondrement. Plus globalement, les vues de Pohlëbkin avaient leurs parallèles dans les discours publics contemporains sur l'alimentation aux États-Unis et partout en Europe. Ceci laisse à penser qu'à la fin du XXe siècle, la Russie partageait avec d'autres sociétés industrialisées un malaise postmoderne qui trouvait partiellement son expression dans la quête de cultures alimentaires traditionnelles nationales historiquement stables.This article uses the writings of influential Soviet food expert V.
V. Pokhlëbkin (1923-2000) to explore the intersection of food culture, national identity, and conceptions of authority in late Soviet Russia. Pokhlëbkin began in the Brezhnev years to push Russian food culture away from some of the central conventions of accepted Soviet culinary practice. Eschewing “scientific” modes of dining approved by Soviet nutritional and medical experts, Pokhlëbkin insisted on rooting culinary decisions in historical tradition and custom. His work thus represented the gastronomic side of a larger “historical turn” taking place in late Soviet culture. This search for historical continuity embodied a desire for stable national and cultural roots, and a reaction against the upheavals of the previous half-century. After 1991, Pokhlëbkin committed more fully to nationalist visions for Russia's cultural renewal. Not solely a product of the Brezhnev years, then, this gastronomic historicism persisted through the decades, cutting across the ruptures of perestroika and collapse. More broadly, Pokhlëbkin's views found parallels in contemporaneous public discourses about food in the US and across Europe. These commonalities suggest that, in the late twentieth century, Russia shared with other industrialized societies a late-modern malaise that expressed itself in part through a search for historically stable, nationally rooted food cultures.
- Iurii Trifonov's Fireglow and the "mnemonic communities" of the Brezhnev era - Polly Jones p. 47-72
De nouveaux fronts pour la mission civilisatrice
- Faites tomber les murs ! : La politique civilisatrice de l'ère Bre?nev dans les villages kirghiz - Moritz Florin, Geneviève Begou p. 187-211 La vie quotidienne, la construction de logements et la consommation pendant la période brejnévienne ont fait l'objet d'une abondante littérature. L'attention des chercheurs s'est surtout portée, jusqu'à présent, sur les grandes villes de la partie occidentale de l'URSS. Certains observateurs parlent même d'une véritable révolution consumériste sous Brežnev. Par opposition, l'histoire des zones rurales ne relate généralement que déclin et délabrement. L'exemple de l'Asie centrale montre néanmoins que l'État était prêt à investir dans des régions sans grand intérêt sur le plan économique ou celui de la politique, intérieure et extérieure. Cet article présente une vaste campagne de restructuration des villages en République kirghize, dans des régions rurales considérées comme particulièrement arriérées. Il ressort clairement de cette étude que le but recherché était non seulement une efficacité accrue, mais aussi une modernisation culturelle des villages. Ouverture, contrôle social mutuel et consommation devinrent des instruments de civilisation. Les populations rurales élaborèrent à leur tour leurs propres stratégies face à la modernité soviétique ainsi proposée, sinon imposée. Elles intégrèrent les offres étatiques de modernisation à leur quotidien pour les exploiter de la manière la plus judicieuse possible.Tear down the walls! Civilizing Kyrgyz villages Brezhnev way
There is abundant literature about daily life, housing construction, and consumption during the Brezhnev era. So far, scholars have primarily focused on the larger towns of the Soviet Union's western part. Some observers even speak of a genuine Brezhnev-era consumerist revolution. In contrast, the history of rural areas generally tells of decline and decay. However, the case of Central Asia shows that the State was willing to invest in regions showing no interest in economic terms or in terms of internal or external policy. This article presents a sweeping village restructuration campaign in rural areas of the Kyrgyz Republic considered as particularly backward. It shows that the purpose was not only to improve efficiency but also to modernize villages culturally. Openness, mutual social control and consumption became civilizing tools. In turn, rural populations devised their own strategies in the face of this suggested, not to say imposed, Soviet modernity. They integrated the State's modernization scheme into their daily lives in such a way as to use it most judiciously. - À fleurets mouchetés : L'architecture soviétique sous le glacis brejnévien - Fabien Bellat p. 213-237 Parmi les phases de l'architecture soviétique, celles du constructivisme et de l'époque stalinienne restent assez bien connues et étudiées. Toutefois, celle de la période brejnévienne ne suscite que depuis peu un réel intérêt scientifique et public. Jusqu'ici, cette architecture avait donné lieu à un universel rejet d'ordre à la fois affectif et politique, la disqualifiant d'un trait de plume comme sans qualité et produit servile d'une stagnation idéologique. Or l'examen de cette production bâtie révèle bien plus de diversité qu'attendu et fait état de premiers signes de contestation. Si sous Brežnev les recherches stylistiques restèrent minoritaires, les architectes avaient depuis longtemps appris à agir dans les cadres d'une URSS aux instances aussi nombreuses que souvent incertaines sur leurs propres marges de manœuvres. Les archives (moscovites ou des métropoles régionales) laissent apparaître l'utilisation de ce contexte défavorable par les bâtisseurs pour affiner la technologie de la préfabrication, créer des plans d'urbanisme ambitieux (dont celui de la cité neuve de Tol'jatti en 1967), ou tenter d'utiliser les failles de l'encadrement pour promouvoir des projets hors normes, voire de s'émanciper de la tutelle d'État en envoyant à titre privé des propositions aux concours internationaux. Additionnés, ces réflexes démentent le monolithisme qu'on supposait à l'architecture brejnévienne : sous le visage de marbre du régime, le corps créatif bougeait encore.Muffled moves: Soviet architecture during Brezhnev's “Ice Age”Among the phases of Soviet architecture, those of constructivism and of the Stalin Era are fairly well known and studied. However, the architecture of the Brezhnev era has only recently aroused real scientific and public interest. So far, this architecture has been universally dismissed – for both emotional and political reasons – as lacking quality and being a servile product of ideological stagnation. However, more careful analysis of this architectural production reveals much greater diversity than expected as well as first signs of protest. Even though stylistic researches remained minority under Brezhnev, architects had long ago learnt to act within the boundaries of a system marked by a plethora of administrative bodies unsure of their latitude in decision-making. Archives (from Moscow or regional cities) reveal how these builders used this unfavorable context to refine the technology of prefabrication, to create ambitious urban plans (including the new city of Tol'iatti in 1967), to attempt to promote unconventional projects, and even to free themselves from State control by privately sending proposals to international competitions. All put together, these reflexes belie the supposed monolithism of Brezhnevian architecture: behind the marble façade of the regime, there was still creative life.
- Science, development and modernization in the brezhnev time : The Water Development in the Lake Balkhash Basin - Tetsuro Chida p. 239-264 Le concept de « transformation de la nature » a été élaboré après la Seconde Guerre mondiale dans le cadre du Grand Plan pour la transformation de la nature proposé par Stalin. Après 1960, les géographes soviétiques ont renouvelé le concept en apportant une modification significative : la nature devait être transformée avec précaution afin d'éviter les effets négatifs de cette transformation. En fait, les preuves économiques et scientifiques des impacts négatifs faisant défaut, cette modification conceptuelle a eu des effets restrictifs sur le développement concret du système d'irrigation dans le bassin du lac Balhaš. Le régime brejnévien n'a jamais soutenu politiquement les projets de ce type non validés scientifiquement. Ainsi, le manque d'efficacité du régime, assorti de « l'indécision politique » caractérisant la période, a invalidé la légitimité de la modernisation socialiste et, finalement, celle de l'idéologie socialiste.The concept of “transformation of nature” was elaborated after World War II during Stalin's Great Plan for the Transformation of Nature. After 1960, Soviet geographers renewed the concept with a significant modification: nature should be transformed with precautions against the negative effects of this transformation. However, in reality, this conceptual modification had restrictive effects on actual irrigational developments in the Lake Balkhash basin because they lacked scientific and economic substantiations of their negative impacts. The Brezhnev regime never gave political endorsement to scientifically unverified projects of that type. Thus, deprivation of its effectiveness, accompanied by the “political indecisiveness” of the Brezhnev era, nullified the legitimacy of socialist modernization, and, eventually, of the socialist ideology.
- «Марафон гостеприимства» : Олимпиада-80 и попытка модернизации советского сервиса - Aleksej D. Popov p. 265-295 L'article analyse l'influence des XXIIe Jeux olympiques d'été sur le développement du secteur soviétique des services, qualifié par l'auteur de modernisation conservatrice. La nécessité de garantir un service de première qualité aux invités étrangers à ces J.O. de 1980 a obligé le gouvernement soviétique, pour la première fois, à accorder la plus grande attention au développement de l'industrie d'accueil, particulièrement celui des hôtels et des entreprises de restauration collective. Le service olympique devait établir dans ce secteur le plus haut niveau de « record stakhanoviste » et faire preuve d'une dynamique positive à long terme. Certes, il s'agissait de construire de nouveaux projets mais aussi de moderniser les équipements existants, de former les employés du secteur des services, et même, partiellement, d'emprunter certaines technologies mises en œuvre en Occident dans ce domaine.Ces processus ont touché Moscou ainsi qu'une grande partie du territoire de l'Union soviétique. De plus, les autorités ont dépensé un montant considérable de devises pour importer des équipements spécialisés et des denrées alimentaires que l'industrie soviétique ne produisait pas. Cependant, en réalité, l'amélioration de la qualité du service pour les invités des J.O. de 1980 et la maîtrise du manque de produits alimentaires ne furent que locales et de courte durée. La modernisation du secteur des services avait été réalisée sur la base des méthodes de l'économie planifiée centralisée et n'avait pas prévu l'introduction des principes de marché libéraux de l'industrie d'accueil occidentale. C'est précisément pour cette raison, et en dépit de son « marathon olympique », que le secteur soviétique des services ne connut pas de transformation révolutionnaire.The Soviet “marathon” for hospitality development: 1980 Summer Olympics and the country's attempt at modernizing its service sector. This article analyzes the impact of the 1980 Summer Olympics on the development of the Soviet service sector – which the author sees as conservative modernization. The necessity of providing excellent service to the foreign visitors to the 1980 Summer Olympics compelled Soviet authorities to address the development of the hospitality sector, especially hotels and catering companies, for the first time in its history. Olympic service was supposed to set the highest “Stakhanovite records” in the Soviet service sector and have long-term positive dynamics. The aim was not only to build new projects, but also to update equipment, to train workers in the service professions, and even to borrow certain western technologies of service. These processes affected both Moscow and a considerable part of the Soviet territory. In addition, the authorities spent considerable amounts of foreign currency on importing specialized equipment and foodstuffs not produced by Soviet industry. However, in reality, the improvements in service quality and efforts towards plugging the gaps in food availability triggered by the 1980 Summer Olympics were of short duration and local extent. The modernization of Soviet services was carried out using the methods of centralized planned economy and did not envisage the introduction of the liberal market principles on which the Western hospitality industry was based. For this reason, the “Olympic marathon” of the Soviet service sector had no revolutionary consequences.
- Faites tomber les murs ! : La politique civilisatrice de l'ère Bre?nev dans les villages kirghiz - Moritz Florin, Geneviève Begou p. 187-211
Rencontres avec les mondes étrangers : l'impact des expériences vécues
- "Academic détente" : IREX Files, Academic Reports, and "American" Adventures of Soviet Americanists during the Brezhnev Era - Sergei I. Zhuk p. 297-328 En 1959, les programmes d'échanges universitaires soviéto-américains ont débuté avec trois Soviétiques américanistes. Dans les années 1980, ce sont 600 experts soviétiques en études américaines qui se sont rendus régulièrement aux États-Unis. Ces universitaires ont participé à l'instauration d'un important dialogue culturel entre les sociétés soviétique et américaine, « ouvrant » chacune d'entre elles à l'autre et élargissant leurs horizons culturels et intellectuels. Dans le même temps, l'activité des universitaires soviétiques était surveillée par les services soviétiques de renseignement et les représentants de différentes agences fédérales américaines. En exposant les deux points de vue, la comparaison des informations recueillies par les services de renseignement soviétiques et américains offre un tableau unique du dialogue culturel qui s'est établi par le biais des échanges universitaires soviéto-américains durant cette période de l'ère brejnévienne dite de « détente académique ».L'article explore l'évolution de ce dialogue. Il s'appuie sur les documents du Bureau des échanges et de la recherche internationale (IREX) conservés à la division des manuscrits de la bibliothèque du Congrès, sur les rapports de voyage des services soviétiques de renseignement, sur des Mémoires, des journaux intimes, de la correspondance, et sur plus de 70 entretiens. Il accorde une attention toute particulière aux récits d'américanistes soviétiques, notamment celui de Nikolaj Bolhovitinov.Starting with three Soviet Americanists in 1959, the Soviet-American academic exchange programs counted 600 Soviet experts in American studies traveling to the US on a regular basis by the 1980s. These scholars became participants in the important cultural dialogue between Soviet and American societies, “opening” both societies to each other and widening their intellectual and cultural horizons. At the same time the Soviet scholars' moves were monitored by both Soviet intelligence and representatives of various US federal agencies. Comparison of the two different perspectives of Soviet and American intelligence information gives a unique picture of cultural dialogue during academic exchanges in the era of détente. This article explores the development of the cultural dialogue between Soviet and American scholars during the Brezhnev era, the so-called academic détente. It draws on documents of the International Research and Exchanges Board (IREX) housed in the Library of Congress Manuscript Division, Soviet intelligence travel reports, personal memoirs, diaries, correspondence, and more than 70 interviews, and concentrates on personal stories of Soviet Americanists such as Nikolai Bolkhovitinov.
- Между советской гордостью, политической бдительностью и культурным шоком : Американские гастроли народного ансамбля танцев «Самоцветы» в 1979 году - Igor' Narskij p. 329-351 L'article étudie les tournées de l'ensemble de danse amateur « Samocvety » de Čeljabinsk et prend pour exemple le voyage effectué aux États-Unis d'Amérique en 1979 par un petit groupe de ses danseurs. Il analyse les constantes du discours des danseurs sur leurs tournées à l'étranger, constantes que l'on retrouve aussi dans la description de la tournée américaine. Même s'ils en avaient une perception personnelle, les artistes interprétaient le quotidien occidental à l'aune des critères soviétiques de la propagande et lui opposaient les réalisations sociales soviétiques. Pourtant la supériorité de cet Occident dans l'organisation du quotidien était appréhendée avec vénération et un léger sentiment d'infériorité. Il suffisait que les clichés soviétiques n'aient plus de prise ou que le comportement de leurs hôtes capitalistes les défient pour que les danseurs subissent un choc culturel.Between Soviet pride, political vigilance, and cultural shock: American tour of the folk dance band “Samotsvety” in 1979The article deals with Cheliabinsk amateur dance band “Samocvety” and focuses on the 1979 United States tour by a small group of its dancers. It analyzes the constants in the Cheliabinsk dancers' descriptions of their international tours including the tour in the US. Even though they perceived Western daily life as individuals, they interpreted it in terms of Soviet propaganda categories, contrasting it with Soviet social accomplishments. However, they apprehended the West's superiority in the organization of daily life with veneration and a slight feeling of inferiority. Setting themselves free from their Soviet preconceived ideas or having them challenged by their capitalist hosts was a cause for culture shock.
- Au-delà des étoiles : Stars Wars et l'histoire culturelle du socialisme tardif en Bulgarie - Nadège Ragaru p. 353-382 L'article envisage les vies sociales de Star Wars en Bulgarie en tant que fenêtres sur l'histoire culturelle du socialisme tardif. À travers l'étude des appropriations d'une œuvre-culte, placée en regard de la politique du répertoire des responsables de la culture, il s'agit d'éclairer certaines facettes des quotidiens socialistes, ainsi que les imaginaires spatio-temporels auxquels ils s'adossent. Fondée sur un travail d'archives et d'entretiens, l'enquête se démarque d'interprétations de la consommation de films occidentaux en tant que formes de résistance et/ou comme quête d'un Ailleurs ancré à l'Ouest. Elle prend également ses distances avec le postulat selon lequel la distribution de biens occidentaux rares aurait contribué à l'érosion du socialisme. L'examen des réceptions de Star Wars éclaire par contraste la pluralité des circulations culturelles (lesquelles dessinent, au-delà du seul clivage Est-Ouest, une notion d'héritage culturel européen partagé), l'existence d'un « moment » 1970-1980 (marqué par un épuisement du croire dans le projet socialiste et un ressourcement dans une science[-fiction] abordée à travers ses « mystères »), ainsi que la stratification sociale et générationnelle des expériences du socialisme tardif. La consommation de biens culturels et produits dérivés occidentaux, investis comme marqueurs sociaux, s'y inscrit dans des stratégies de distinction venant conforter les hiérarchies sociales du socialisme plutôt que les subvertir.Beyond stars: Star Wars and the cultural history of late socialism in Bulgaria
The present article examines the social lives of Star Wars in Bulgaria as a window onto the cultural history of late socialism. Through an exploration of the appropriations of this cult film – set against the repertoire policies of cultural officials – the purpose is to highlight some facets of daily life during socialism, as well as the spatial and temporal imaginings that underpin them. Based on archival research as well as on interviews, the investigation breaks with an understanding of the screening of Western movies as practices of resistance or as evidences of a longing for a Western alternative. The study also departs from the assumption that the circulation of (shortage) Western goods would have contributed to the demise of socialism. By contrast the examination of Star Wars' cultural biography suggests the existence of patterns of global cultural circulation – beyond the East-West cleavage – that drew upon a shared European heritage. The selection of this case study also allows us to capture a specific moment in the history of socialism, characterized with a loss of belief in the socialist project and a correlative investment in the “mysteries” of science (fiction). Finally, setting light on the increasingly socially and generationally stratified experiences of socialism, the article argues that, far from undermining the social hierarchies of late socialism, the use of Western cultural goods and merchandising products as social markers did paradoxically comfort the prevailing moral economy.
- "Academic détente" : IREX Files, Academic Reports, and "American" Adventures of Soviet Americanists during the Brezhnev Era - Sergei I. Zhuk p. 297-328