Contenu du sommaire : La représentation politique

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 50, mai 2013
Titre du numéro La représentation politique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Dossier

    • Les sens de la représentation politique : usages et mésusages d'une notion - Yves Sintomer p. 13-34 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Contre la tentation de proposer une définition de l'essence de la représentation, il s'agit de dégager différentes notions en partant des mots utilisés par les acteurs et en les soumettant à un processus d'abstraction. La prise de distance avec la trompeuse familiarité du mot, appuyée sur les travaux historiens, vise en retour à donner des instruments pour penser les transformations du présent au-delà de la représentation-mandat. Quatre couples conceptuels sont ainsi proposés : représentation symbolique vs. représentation juridico-politique, présentification d'un absent vs. exhibition d'une présence, représentation- mandat vs. représentation-incarnation, et représentation-distinction vs. représentation descriptive. Ils renvoient à des logiques idéal-typiques qu'il convient de distinguer analytiquement, même si elles peuvent et doivent être articulées pour comprendre les événements ou les dispositifs concrets.
      The meanings of political representation: uses and misuses of the notion
      Arguing against any attempt to define the essence of representation, the article proposes to distinguish several notions of representation starting with the words that actors use and filtering them through an abstraction process. The apparent familiarity of the word is rejected, especially in reference to historical works, with the aim of giving instruments that enable to think the present transformations beyond the mandate-representation. Four conceptual couples are proposed: symbolic representation v. juridical-political representation; making present the absent v. exhibition of a presence; mandate-representation v. incarnation-representation; representation as distinction v. descriptive representation. These different ideal-types should be analytically distinguished but have to be combined in empirical research on concrete events.
    • La représentation politique - Hanna F. Pitkin, Samuel Hayat p. 35-51 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Représenter de façon substantielle veut dire agir dans l'intérêt des représentés, d'une manière qui soit réactive à leurs souhaits. Ceci peut être pensé et fait de nombreuses manières, mais il ne faut jamais que le représentant soit un expert indépendant ou un simple commis. Au niveau politique, cette définition de la représentation a plusieurs implications. D'abord, le représentant n'est ni l'agent de sa circonscription, ni un gouvernant national sans ancrage local : c'est l'interaction entre représentants locaux qui permet la création de l'intérêt national. Ensuite, la représentation politique n'est pas une propriété individuelle, mais une propriété du système, qui doit permettre la réactivité. Enfin, la diversité des visions valides de la représentation ne signifie pas que n'importe quel gouvernement est représentatif : pour que l'on puisse parler de gouvernement représentatif, il faut qu'il y ait une institutionnalisation de la réactivité au peuple, en premier lieu par des élections libres. Cependant, cette institutionnalisation ne suffit pas : il faut aussi garder à l'esprit la représentation comme idéal, pour sans cesse juger et réformer les institutions de représentation.
      Political Representation
      Representing in the substantive sense means acting in the interest of the represented, in a manner responsive to their wishes. This can be thought and done in several ways, but the representative should never be an independent expert or a mere commissioner. At the political level, this definition of representation has several implications. First, the representative is neither his constituency's agent nor a national leader with no local link: it is the interaction between local representatives that allows the creation of a national interest. Second, political representation is not an individual characteristic, but a feature of the system, which has to allow responsiveness. Finally, the diversity of correct views about representation does not imply that any government is representative: in order to speak about a government as representative, it must institutionalize its responsiveness to the people, primarily through free elections. However, this institutionalization if not enough: one has also to keep in mind the ideal of representation, in order to judge and reform continuously the institutions of representation.
    • Les Noirs doivent-ils être représentés par des Noirs et les femmes par des femmes ? : Un oui mesuré - Jane Mansbridge, Marc Saint-Upéry p. 53-77 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les groupes désavantagés peuvent tirer bénéfice de la représentation descriptive dans au moins quatre contextes. Dans les contextes de méfiance discriminatoire à l'encontre d'un groupe et de faible cristallisation de ses intérêts, la compétence expérientielle et communicationnelle supérieure des représentants de type descriptif ouvre la voie à une meilleure représentation substantielle des intérêts dudit groupe en améliorant la qualité de la délibération. Dans les contextes de subordination politique historique et de faible légitimité empirique, la représentation descriptive contribue à engendrer une perception sociale de « compétence politique » du groupe et renforce l'attachement de ses membres au système politique et à ses institutions. Bien que la mise en oeuvre de la représentation descriptive implique des coûts sur le plan d'autres valeurs, ces externalités négatives s'avèrent toutefois plus acceptable dans ces contextes historiques spécifiques.
      Should Blacks Represent Blacks and Women Represent Women? A Contingent “Yes”Disadvantaged groups gain advantages from descriptive representation in at least four contexts. In contexts of group mistrust and uncrystallized interests, the better communication and experiential knowledge of descriptive representatives enhances their substantive representation of the group's interests by improving the quality of deliberation. In contexts of historical political subordination and low de facto legitimacy, descriptive representation helps create a social meaning of “ability to rule” and increases the attachment to the polity of members of the group. When the implementation of descriptive representation involves some costs in other values, paying those costs makes most sense in these specific historical contexts.
    • Le concept de représentation : un problème allemand ? - Hasso Hofmann, Gaëtan Pégny, Yves Sintomer p. 79-96 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La signification de la catégorie de représentation politique est fortement controversée. En particulier, là où les théoriciens anglo-saxons la lient intrinsèquement à l'élection, une certaine tradition allemande, séculaire mais dont la période de Weimar a sans doute représenté l'apogée, oppose la simple représentation-mandat ( die Vertretung) et ce qui serait l'essence de la représentation politique ( die Repräsentation). Dans cette perspective, cette essence repose sur un rapport existentiel par lequel le représentant rend présent une réalité supérieure absente, comme le Peuple, sans être juridiquement lié aux électeurs empiriques. Le représentant incarne l'unité du groupe en offrant une représentation publique du tout à travers sa personne. Cette tradition allemande, illustrée notamment par Carl Schmitt, a indéniablement des dimensions réactionnaires. Cependant, elle permet aussi de voir certains éléments que ne perçoivent pas les traditions libérales, comme le lien entre représentation et domination ou la multiplicité des sens de la représentation. C'est cette multiplicité qu'une histoire conceptuelle de la représentation doit mettre à jour.
      The concept of representation: a German issue?
      The meaning of political representation is highly controversial. In particular, whereas Anglo-Saxon theorists link it necessarily with election, a certain German tradition, age-old but which knew an height during the Weimar Republic, opposes representation as mandate (die Vertretung) and what would be the essence of political representation (die Repräsentation). From this perspective, this essence rests upon an existential relation by which the representative makes present a superior reality that is absent, such as the People, without being legally bounded by his actual constituency. The representative embodies the unity of the group by offering a public representation of the whole through his own person. This German tradition, most notably exemplified by Carl Schmitt, undoubtedly has some reactionary dimensions. Nevertheless, it also helps to see some elements that liberal traditions do not perceive, as the link between representation and domination or the multiplicity of meanings representation can have. A conceptual history of representation should bring this multiplicity to light.
    • La dimension affective de la démocratie : Réflexions sur la relation de la délibération et de la symbolicité - Gerhard Göhler, Gaëtan Pégny, Yves Sintomer p. 97-114 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les sentiments et les émotions n'ont semble-t-il rien à faire dans la délibération. Dans les conceptions de la démocratie délibérative inspirées par Habermas, seule compte la dimension cognitive de la rationalité. Ce rétrécissement est problématique. Si toute communauté et donc aussi toute forme de démocratie repose sur la représentation symbolique de ses valeurs (Eric Voegelin, Siegfried Landshut, Carl Schmitt), cette présence symbolique est toujours à la fois cognitive et affective, car les symboles sont toujours doublement connotés. Dans de telles conditions, perd-on la rationalité de la délibération ? Cette conclusion serait fâcheuse, mais elle ne semble pas obligatoire. Il s'agit bien plutôt de déterminer d'une nouvelle manière – plus réaliste – la délibération et sa rationalité, en prenant en compte sa symbolicité.
      The emotional dimension of democracy. A reflexion on the relation between deliberation and symbolicity. Seemingly, feelings and emotions have no place in deliberation. In the conceptions of deliberative democracy inspired by Habermas, the cognitive dimension of rationality solely matters. This narrowing is problematic. If every community and thus every form of democracy rests upon the symbolic representation of its values (Eric Voegelin, Siegfried Landshut, Carl Schmitt), then this symbolic presence is always both cognitive and emotional, because symbols always have these two sides. In such conditions, does deliberation loses its rationality? That would be an unwanted conclusion, but it does not seem like a necessary one. The issue at stake is more to define deliberation and its rationality in a new, more realistic way, by taking into account its symbolicity.
    • La représentation inclusive - Samuel Hayat p. 115-135 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'opposition traditionnelle entre représentation et participation directe repose sur une conception exclusive de la représentation. Or on peut mettre au jour, notamment par l'histoire de la représentation avant le triomphe du gouvernement représentatif, une autre conception, inclusive, où l'existence d'une relation de représentation stimule plutôt qu'empêche la participation directe des représentés. Cette inclusion par la représentation peut d'abord passer par la politisation des citoyens, au sein même des institutions du gouvernement représentatif, par la formulation d'un jugement sur l'action des représentants, ou à l'extérieur, par la construction de dispositifs alternatifs de représentation. La représentation inclusive peut aussi viser l'inclusion spécifique des groupes dominés, à l'intérieur ou à l'extérieur des institutions du gouvernement représentatif. Enfin, la représentation inclusive peut passer par des processus de subjectivation, par lesquels des groupes sociaux exclus deviennent des sujets politiques.
      Inclusive representation
      The usual opposition between representation and participation is based on an exclusive conception of representation. But we can bring to light an inclusive conception of representation, most notably through the history of representation before the triumph of representative government. According to inclusive representation, representation stimulates the direct participation of the represented instead of preventing it. This inclusion through representation can first consist in the politicization of the citizens, inside the institutions of representative government, through judging the action of representatives, or outside of them, though constructing alternative representative devices. Inclusive representation can also aim to specifically include dominated groups, inside or outside the institutions of representative government. Finally, inclusive representation can rest on processes of subjectivation, through which excluded social groups can become political subjects.
    • Du laboratoire scientifique à l'ordre constitutionnel : Analyser la représentation à la suite des études sociales des sciences - Brice Laurent p. 137-19 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les études sociales des sciences ( Science and Technology Studies, STS) ont profondément transformé l'analyse de la représentation scientifique. D'une opération désignant la visualisation plus ou moins exacte d'une réalité physique stable, la représentation scientifique devient le résultat de la construction de chaines de médiations. Dans cette optique, la représentation est un processus instrumenté, dont les effets ont trait à l'existence même des objets concernés, et dont la validité dépend des espaces où elle circule. Cette perspective peut être adoptée pour décrire la représentation politique comprise comme le processus permettant de choisir les représentants. L'exemple de situations hybrides montre que la description en termes de chaîne de médiations n'est pas vouée à qualifier soit la « science », soit la « politique ». Les situations hybrides ne sont pas à étudier pour elle-même, mais en tant que composantes d'ordres constitutionnels dont la description doit mettre au jour l'articulation entre dispositifs de représentation.
      From scientific laboratories to constitutional orders
      Science and Technology Studies (STS) have deeply transformed the analysis of scientific representation. From an STS perspective, scientific representation is less the more or less exact depiction of a stable physical reality than the outcome of the construction of chains of mediations. Following this approach, representation is understood as an instrumented process, the effects of which relate to the material existence itself, and the validity of which depends on the spaces where it travels. This approach can be adopted when describing political representation understood as the process by which representatives are chosen. The case of hybrid situations shows that the description in the terms of the chains of mediations does not have to qualify either “scientific” or “political” domains. Hybrid situations are not to study for their own sake, but as components of constitutional orders, which can be analyzed as articulations between devices of representation.
  • Varia

    • Démocratie radicale et tirage au sort : Au-delà du libéralisme - Manuel Cervera-Marzal, Yohan Dubigeon p. 157-176 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Longtemps ignoré par la science politique, le tirage au sort revient depuis quelques années sur le devant de la scène, apportant de ce fait un éclairage nouveau à la question démocratique. Il était traditionnellement admis, depuis Aristote et Montesquieu, que le tirage au sort comme méthode de désignation des représentants possédait des effets démocratiques et anti-oligarchiques. Pourtant, le regain d'intérêt des élites politiques et de certains théoriciens du gouvernement représentatif pour le tirage au sort, ainsi que sa récente utilisation expérimentale à Porto Alegre ou en Colombie britannique, ne constituent-ils pas un démenti factuel à la thèse aristotélo-montesquienne d'une antinomie fondamentale entre tirage au sort et libéralisme ? Tout en s'écartant de l'hypothèse essentialiste d'une nature du tirage au sort, cet article prend le contrepied d'un certain discours libéral qui, insistant exagérément sur la vertu neutralisantedu sort, en vient à occulter sa vertu égalitaire, sa portée subversive et son lien avec l'idée de démocratie radicale. L'hypothèse d'un tirage au sort libéral est mise à mal par les approches historiques, sociologiques et philosophiques du sujet.
      Radical democracy and sortition
      Long ignored by political science, sortition has recently came back on the front of the stage, bringing a new light on the question of democracy. Since Aristotle and Montesquieu, it was traditionally admitted that sortition was inherently democratic and anti-oligarchic. However, do the renewed interest for sortition from political elites and some theorists of representative government, and its recent experimental use in Porto Alegre and in British Columbia constitute a factual denial to the Aristotelian thesis of a fundamental contradiction between sortition and liberalism? While rejecting the essentialist assumption that there is a nature of sortition, this article takes the opposite of the liberal thought which, insisting too much on the neutralizing vitrue of sortition, came to overshadow its equalitarian virtue, its subversive logic and its link to the idea of radical democracy. The hypothesis of a liberal sortition is undermined by the historical, sociological and philosophical approaches of the subject.
  • Lecture critique