Contenu du sommaire : Décider à la majorité. Pourquoi ?
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 53, mars 2014 |
Titre du numéro | Décider à la majorité. Pourquoi ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Les justifications de la règle de majorité - Philippe Urfalino p. 5
Dossier
- Sur la frustration de la majoritépar l'accomplissementde la volonté majoritaire - Elizabeth Anscombe, Philippe Urfalino p. 13-21 Le point de départ des remarques d'Elizabeth Anscombe est une double observation : l'usage de la règle de majorité est étroitement associé à la démocratie et jouit de la même valorisation incontestée. Essayant de saisir la logique de l'idée selon laquelle une décision conforme à la volonté majoritaire est supérieure à toute autre, elle envisage plusieurs justifications de cette supériorité. Elle examine plus longuement celle qui lui paraît prédominer : la décision étant pensée en termes de satisfaction des désirs ou des souhaits des votants, l'équité semble commander l'usage d'une règle qui, à défaut de satisfaire tout le monde, satisfait le plus grand nombre. Anscombe montre alors que cette justification est mise à mal par un paradoxe : il peut arriver que sur une série de décisions, une majorité d'électeurs soient plus souvent minoritaires que majoritaires.On the Frustration of the Majority by Fulfilment of the Majority's Will Elizabeth Anscombe's remarks start with a double observation. First, the use of the majority rule is closely linked with democracy and has the same undebatable prestige. On trying to grasp the rationale of the idea that decision according to the will of the majority is superior to any other, she gives several justifications of this superiority. She thoroughly examines the one which seems to prevail: the decision is thought in terms of satisfaction of the voters 'wishes. Equity seems to impose a rule which if it does not satisfy everyone, it satisfies the largest number of people. On the other hand, she puts forward a paradox that shows it is not always true. Out of a series of decisions, a majority of voters can turn out to be more often a minority group than a majority group.
- Les fondations de la démocratie : Extraits sur la règle de majorité - Hans Kelsen, Philippe Urfalino p. 23-36 Hans Kelsen examine le principe majoritaire à partir de la transformation de la liberté naturelle en liberté civile chez Rousseau. Il apparaît que la règle de majorité permet une approximation de l'autogouvernement, dans la mesure où mieux que l'unanimité ou la majorité qualifiée, la règle de majorité maximise le nombre de ceux dont la volonté individuelle coïncide avec la volonté collective. Ce faisant, elle est la règle de décision qui satisfait le mieux et conjointement les idéaux de liberté et d'égalité. Par ailleurs, l'usage de la règle de majorité est consonant avec un type de personnalité recherchant le compromis et respectant la minorité. Enfin, la démocratie suppose, comme la règle de majorité, une philosophie que Kelsen qualifie de « relativiste » : c'est parce que nous pensons ne pas avoir accès à des vérités ou des valeurs absolues que nous acceptons de nous soumettre à la décision majoritaire.Foundations of Democracy (excerpts on the majority principle) Hans Kelsen examines the majority principle from the transformation of the natural freedom into civil freedom according to Rousseau. The majority rule turns out to give an estimate of self-government, insofar as the majority rule maximizes the number of those whose individual will coincides with the collective will. It is even better than unanimity or super majority. The majority decision satisfies best both the ideals of freedom and equality. Furthermore, the use of the majority rule fits a type of personality seeking compromise and respect for the minority. Eventually, behind democracy and the majority decision, relativistics can be understood. In other words, this philosophy by Kelsen explains that as access to truths or absolute values seem to be out of reach, people accept the majority decision quite easily.
- Justifier la règle de majorité - Mathias Risse, Christopher Hamel, Juliette Roussin p. 37-62 Cet article s'attaque au statut de règle de décision par défaut dont jouit la règle de majorité en mettant en évidence certaines insuffisances des arguments habituels en faveur de celle-ci. Il se propose notamment de montrer que ces arguments sont, ou bien « trop limités » pour pouvoir justifier pleinement la règle de majorité, ou bien au contraire « trop larges » pour ne justifier qu'elle (à l'exclusion de tout autre règle). L'article s'appuie pour ce faire sur l'analyse critique de l'une des justifications récentes les plus intéressantes de la règle de majorité, celle que propose J. Waldron dans The Dignity of Legislation à partir d'un argument tiré du Second traité du gouvernement civil de John Locke et du théorème de May. L'article se conclut par quelques propositions en vue de produire un argument plus convaincant à l'appui de la règle de majorité.Arguing for Majority Rule This paper questions majority rule's default status by demonstrating some general deficiencies of classical arguments for majority rule. The paper shows that these arguments are either “too narrow” to fully defend majority rule or, on the contrary, “too broad” to justify it without justifying other decision rules as well. To do so, the paper offers a criticism of the most interesting recent defense of majority rule, Jeremy Waldron's original reinterpretation of Locke's argument in the Second Treatise coupled with his reading of May Theorem. The article concludes with an attempt to provide the beginnings of the work needed to offer a more compelling case for majority rule.
- Rawls et la justification de la règle de majorité - Luc Foisneau p. 63-79 La Théorie de la justice fait une place à la règle de majorité : cette règle étant à la fois une source de légitimité en régime démocratique et une source d'erreurs, Rawls lui fait l'honneur ambigu de justifier un devoir d'obéissance à des lois injustes. Il ne suffit pas, en effet, qu'une loi soit contraire à notre sens de la justice pour qu'aussitôt elle perde toute force d'obligation : nous avons aussi un « devoir de civilité » qui nous impose d'accepter, dans une certaine mesure, les défauts de nos institutions. Cette thèse pose une série de problèmes, dont nous partirons pour proposer une réflexion sur les relations entre théorie de la justice et gouvernement par la majorité.Rawls and the Justification of Majority Rule A Theory of Justice makes room for majority rule: since the latter is at the same time a source of legitimacy in a democracy and a source of errors, Rawls uses it to explain that citizens in a well-ordered society have a duty to obey unjust laws. It is not enough, indeed, that a law opposes our sense of justice to make it loose its force of obligation: one has also a “duty of civility” that imposes on us to accept, to a certain extent, the drawbacks of our institutions. That idea raises special problems that we shall be dealing with in order to better understand the relations between a theory of justice and majority rule.
- L'injustifiable majorité ? Loi naturelle et logiques majoritaires dans la pensée politique de John Locke Christopher Hamel et Juliette Roussin - Christopher Hamel, Juliette Roussin p. 81 Le présent article se propose d'analyser la justification de la règle de majorité dans les quelques paragraphes qu'y consacre John Locke dans le Second traité du gouvernement civil. Partant de l'interprétation ingénieuse qu'en a récemment donnée Jeremy Waldron, nous montrons que le pouvoir de la majorité ne doit sa légitimité que dans les conditions morales définies par la loi de nature dans l'univers lockéen, et suggérons que le concept contemporain de « circonstances de la politique » sur lequel Waldron entend fonder sa reconstruction ne parvient pas à saisir la spécificité, et indissociablement la limite, de la justification de la règle de majorité dans ces paragraphes du Second traité. L'étude détaillée du texte nous permet en effet d'établir que les différents arguments qu'y développe Locke ne fournissent pas de justification véritablement satisfaisante de la règle de majorité. Nous examinons enfin le sens de la mention de la majorité du peuple dans le contexte de la résistance, pour montrer que la logique majoritaire qui s'affirme au moment de la dissolution du gouvernement et de l'entrée des individus en résistance ne saurait être identifiée à celle qui opère lors de la création de la société politique.The Unjustifiable Majority? Natural law and majority rule in John Locke's political thought This article considers the justification of majority rule found in John Locke's Second Treatise on Civil Government. We first consider Jeremy Waldron's recent interpretation, showing that, in Locke's thought, the power of the majority owes its legitimacy only to moral conditions defined by natural law. We then suggest that the contemporary notion of “circumstances of politics”, upon which Waldron grounds his reconstruction, fails to grasp the specificity and, inextricably, the limits of the defense of majority rule in these sections of the Second treatise. Detailed analysis of the text shows that the different arguments Locke develops do not provide a genuinely satisfactory justification of majority rule. Finally, we consider the reasons Locke makes mention of the majority of the people in the context of resistance, and show that the majoritarian scheme which takes place when the governement is dissolved and individuals go into resistance should not be identified with the scheme that operates when a political society is created.
- La règle de majorité en démocratie : équité ou vérité ? - Charles Girard p. 107-137 Les procédures de prise de décision peuvent être justifiées en démocratie en invoquant soit leur caractère équitable, soit leur aptitude à produire de bonnes décisions. La théorie politique contemporaine tend à privilégier la première voie, car elle n'oblige pas à distinguer entre bonnes et mauvaises décisions, et donc à départager les opinions politiques en fonction de leur justesse ou de leur fausseté. La principale vertu de la règle de majorité serait ainsi de donner un poids égal à toutes les opinions exprimées dans le vote, indépendamment de leur contenu. Contre cette thèse, cet article montre qu'une justification démocratique cohérente du recours à la règle de majorité ne peut pas faire l'économie de considérations épistémiques. Si le vote majoritaire doit être préféré aux autres modes de prise de décision disponibles, c'est parce qu'il permet seul de satisfaire en même temps, autant qu'ils peuvent l'être, le souci de l'équité et le souci de la vérité. Le vote à la majorité est plus équitable que la négociation, le concours ou d'autres règles de vote, mais il ne l'est pas autant que le tirage au sort pondéré par le vote. Il est toutefois plus sensible que cette procédure à la valeur assignée par les électeurs aux options en présence. Ces deux soucis, en outre, ne sont pas contradictoires, car le traitement égal des opinions individuelles ne présuppose pas une épistémologie politique relativiste, mais plutôt faillibiliste.Majority rule in democracy: truth or fairness? Decision-making procedures can be justified in democracy by invoking either their fairness or their ability to produce good outcomes. Recent political theory has often favored the first approach, since it does not require to discriminate between good and bad decisions, and thus to decide between political opinions. In such a view, the main advantage of majority rule is that it treats all expressed opinions fairly by giving each an equal weight, without any regard for their content. Against such a claim, this article contends that one cannot justify the use of majority rule without referring to epistemic considerations. If majority rule is to be favored over other available procedures, it is because it alone can meet simultaneously – as much as this is possible – concerns for fairness and for truth. It is fairer than decision-making via bargaining or contest, but it is also more responsive than lottery voting to the value assigned to the competing options. Furthermore, concerns for fairness and for truth are not incompatible, since the principle of equal treatment of all opinions does not rest on relativism, but on faillibilism.
- Les conditions de l'obligation majoritaire : Règle de majorité et corps délibérant - Philippe Urfalino p. 139-169 Partant d'une interrogation de Georg Simmel, l'article examine ce qui, dans une situation de décision collective, contribue à conférer une autorité à une supériorité numérique. Les conditions de l'obligation majoritaire pour les décisions d'une assemblée d'égaux s'avèrent être au nombre de trois. Il faut que cette assemblée ne soit pas une simple collection d'individus mais un corps délibérant, soit une entité collective. Il faut ensuite que l'enjeu de la décision ne mette pas en cause l'attachement des sociétaires à cette entité collective ; enfin, l'agrégation des préférences ne suffit pas à dégager une majorité légitime, encore faut-il que ces préférences soient issues d'une délibération et que, à ce titre, on puisse penser qu'elles auraient pu être autres. Si les préférences sont figées ou ne résultent pas d'une délibération relative aux fins du corps délibérant, la décision collective s'apparente alors à un partage, que l'on peut souhaiter équitable, et la règle de majorité n'est plus pertinente.The conditions of the majority obligation Considering one of Georg Simmel's questions, the article examines what gives an authority to an outnumbering superiority in a situation of a collective decision. Actually there are three conditions in that matter. First, the majority obligation for a collection of individuals' decisions is possible only if this body is a deliberative body that is to say a collective entity but not a mere collection of individuals. Second, the stake of the decision must not challenge the members' liking for this collective entity. Finally, to have a legitimate majority, the aggregation of preferences must be reached after a deliberation, thus stressing there might have been other preferences. If the preferences are the same or do not result from the deliberative body's deliberation, the collective decision looks like a shared decision, a fair one is wished. The rule of the majority is not relevant any longer.
- Sur la frustration de la majoritépar l'accomplissementde la volonté majoritaire - Elizabeth Anscombe, Philippe Urfalino p. 13-21
Varia
- Sur le principe de majorité (1913) Otto von Gierke - Otto von Giercke, Otto von Busekist p. 171-185 L'auteur décrit et analyse l'évolution historique du principe de majorité, du Moyen Âge aux temps modernes, en mettant l'accent sur le droit et les coutumes du droit germanique. Il traite également de la doctrine des légistes et du droit canonique, de l'enseignement des juristes du droit naturel, ainsi que des associations et sociétés coopératives. Il conclut que la valeur du principe de majorité ne peut être justifié rationnellement mais seulement historiquement ; que sa valeur ne peut être définie de façon absolue, mais exclusivement selon son fonctionnement dans la vie organique des communautés.On the majority principle (1913) The author describes and analyses the historic development of the majority principle, with emphasis on Germanic law and customs, from the Middle Ages to modern times. Giercke explains his take on the doctrines of the Legists and canonical law, the teachings of natural law scholars, and co-operative associations and societies. He concludes that the majority principle cannot be justified rationally but only historically; its value cannot be defined absolutely but only according to its function in the organic life of communities.
- Sur le principe de majorité (1913) Otto von Gierke - Otto von Giercke, Otto von Busekist p. 171-185
Lecture critique