Contenu du sommaire : Les espaces de l'entre-soi
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 204, septembre 2014 |
Titre du numéro | Les espaces de l'entre-soi |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Entre soi et les autres - Sylvie Tissot p. 4-9
- Que nul n'entre si... : Les usages sociaux de la sécurité dans les « copropriétés fermées » de Buenos Aires - Eleonora Elguezabal p. 10-23 La ville contemporaine est-elle une ville d'enclaves ? Jusqu'où l'entre-soi des classes aisées peut-il être concrétisé ? Dans une démarche ethnographique, cet article explore la production d'espaces d'entre-soi à partir de l'analyse d'un cas extrême : l'usage de dispositifs de sécurité dans les nouveaux immeubles issus de la promotion privée à Buenos Aires. L'article montre que les dispositifs de sécurité ne se limitent pas à marquer des frontières territoriales définies en amont par les dynamiques de ségrégation, comme le soutiennent les études sur les gated communities : ils sont utilisés à l'intérieur même des espaces « fermés » pour marquer des frontières entre les habitants eux-mêmes, originaires de différents milieux, et, surtout, entre les habitants et leurs employés. Plutôt qu'un fait établi, l'entre-soi est une catégorie de l'action qui opère des distinctions et des classements en situation d'interdépendance.Do not trespass
Are today's cities mere aggregates of discrete enclaves? Up to what point can the upper classes enforce a form of exclusive socialization? This article adopts an ethnographic perspective to explore the production of spaces of exclusive socialization on the basis of an extreme case: the use of security protocols in new private real estate developments in Buenos Aires. The paper shows that these protocols not only delineate territorial boundaries defined by an upstream logic of segregation, as the studies of gated communities suggest: they are also used within these “closed” spaces to create boundaries between their inhabitants, who come from different backgrounds, and, chiefly, between the inhabitants and their employees. Rather than a hard fact, in-group sociability is a category of social action that makes distinctions and categorizations in situations of interdependency. - Le « Neuilly caennais » en campagne municipale - Jean Rivière p. 24-45 Cet article procède à l'analyse du déroulement de l'élection municipale de 2008 dans une commune périurbaine des classes supérieures. Conduite en « conjoncture chaude », l'enquête de terrain s'attache d'abord à mettre en évidence quelles sont les fractions des classes moyennes et supérieures localement en présence, et quelles sont leurs attentes en matière de stratégie de développement communal. La production de l'offre électorale est ensuite envisagée, en mettant l'accent sur la manière dont les modalités de l'urbanisation sont construites comme l'enjeu central du scrutin. Entre désir affiché de « mixité sociale et intergénérationnelle » et volonté de préservation du « cadre résidentiel et rural », la question de l'entre-soi est au cœur des mobilisations électorales mais l'issue du scrutin invite à relativiser les analyses qui construisent les mondes périurbains comme le théâtre privilégié de la sécession sociale et urbaine.“Caen's Neuilly” during its electoral campaign
This paper analyzes the unfolding of the 2008 municipal election in a wealthy suburban community. Conducted in the “heat of the moment,” the survey seeks first to outline the different fractions of the middle and upper classes locally represented, as well as their expectations in terms of the strategies of urban development. It then considers the electoral offer and emphasizes the way in which these different strategies have been presented as the key issue of the election. Oscillating between the explicit demand for “social and intergenerational diversity” and the determination to safeguard the “rural and residential habitat,” the question of in-group sociability is key to electoral mobilizations. Yet, the results of the election suggest that the vision of suburban spaces as the main theater of social and urban secession must be relativized. - Un peuplement au-dessus de tout soupçon ? : Le périurbain des classes populaires blanches - Violaine Girard p. 46-69 Depuis les années 1980, les espaces périurbains accueillent de nombreux ménages populaires qui accèdent à la propriété. Mais si ces espaces sont couramment opposés aux quartiers d'habitat social, on connaît mal les politiques qui y sont menées. À partir du cas d'une commune périurbaine, cet article retrace les logiques qui ont conduit les élus locaux à privilégier une urbanisation pavillonnaire d'initiative individuelle. Il s'attache ensuite aux modalités de contrôle du peuplement, institutionnalisées pour certaines, plus informelles pour d'autres. Refus des logements sociaux et soutien aux réseaux d'interconnaissance locaux se traduisent alors par le rejet de catégories sociales stigmatisées parce qu'appartenant à des groupes racisés ou précaires. Au final, ces pratiques conduisent à la formation d'un entre-soi résidentiel partagé par de nombreux ménages des classes populaires blanches en quête de respectabilité sociale.A settlement above suspicion ?
In the 1980s, suburban spaces became the destination of many lower middle class households becoming property owners. If these spaces are often opposed to “social habitat” neighborhoods, the local policies associated with them are little understood. Based on the case of a suburban community, this article traces the logics that have led local elected officials to privilege a single-family home type of urbanization. It then focuses on the different forms of control exercised over the settlement, some of which are institutionalized while others are more informal. The refusal of project housing and the support brought to local socialization networks then translate into the rejection of social categories that remain stigmatized because they are associated with racialized or pauperized groups. As a result, these practices lead to the emergence of a residential form of in-group sociality shared by many white lower middle class households seeking social status. - La négociation de la mixité : Le travail des comités d'acceptation des villages juifs de Galilée - Pierre Renno p. 70-87 Cet article traite de la politique d'intégration de nouveaux résidents dans les mitzpim, de petits villages résidentiels de Galilée. Dans ces villages, les habitants élisent un comité d'acceptation qui dispose d'un droit de veto sur l'intégration de nouveaux résidents. Les mitzpim ont vu le jour à la fin des années 1970 dans le cadre de la politique de judaïsation et, jusqu'à aujourd'hui, leurs comités d'acceptation ont toujours refusé les candidatures arabes. Cependant, au-delà de cette réalité, les comités d'acceptation constituent des espaces de lutte dans lesquels la cooptation du semblable rencontre de plus en plus fréquemment une valorisation de la mixité sociale. En matière familiale, religieuse mais également ethnique, les résidents récemment installés revendiquent un changement de politique. Lorsque ces agents du changement s'imposent, l'ingénierie sociale que permettent les comités d'acceptation peut être mise au service d'une mixité contrôlée.Negotiating diversity
This article focuses on the policy of integration of new residents in the mitzpim, the small residential villages of Galilee.In these villages, inhabitants elect an admission committee that exercises a veto right over the integration of new residents. The mitzpim have emerged at the end of the 1970s, in the framework of the policy of Judaization, and up to this day, their admission committees have always refused Arab applications. However, despite this fact, admission committees represent spaces of struggle within which the cooptation of the same coexists more and more often with the valorization of social diversity. In family, religious or even ethnic matters, recently settled residents claim a change of policy. When these change prone actors prevail, the social engineering that admission committees enable can be placed at the serve of a controlled diversity. - Entre-soi mais chacun chez soi : L'agrégation affinitaire des cadres parisiens dans les espaces refondés - Bruno Cousin p. 88-101 Cet article s'appuie sur une enquête de terrain réalisée dans trois nouveaux quartiers de Courbevoie et Levallois-Perret (Hauts de-Seine), situés à proximité du centre d'affaires de La Défense, et au sein desquels les résidents cadres et ingénieurs d'entreprise sont fortement surreprésentés. Il s'agit d'espaces issus du processus de refondation (new-build gentrification) qui contribue régulièrement à l'élargissement de l'axe historique des beaux quartiers. On analyse successivement les ressorts et motivations des choix résidentiels de leurs habitants, la faible sociabilité locale liée à un entre-soi particulier, et enfin le rôle central joué par le marquage de frontières symboliques socioéconomiques (internes aux classes supérieures) dans les dynamiques d'agrégation. Cette dernière apparaît par ailleurs comme suivant une logique largement distincte de celle dont relève l'évitement des classes populaires (altérisées et stigmatisées).Homophily without community
This article is based on fieldwork conducted in three new neighborhoods of Courbevoie and Levallois-Perret (Hauts-de-Seine, west of Paris), which are located near the business district of La Défense, and where corporate professionals and managers are overrepresented among the residents. These areas have been transformed by the process of new-build gentrification that regularly contributes to enlarging the historic western axis of Paris' upper-class neighborhoods. The paper analyzes successively the causes and motivations of the inhabitants' residential choices, the weak local sociability associated with this specific type of urban self-segregation, and the key role played by the drawing of socioeconomic symbolic boundaries among the uppermiddle classes. Indeed, homophilic aggregation in the refounded neighborhoods follows a logic largely different and autonomous from the (complementary) one – based on radical alterization and stigmatization – that motivates the avoidance of the working class. - Disperser les ménages : Groupes résidentiels et familiaux à l'épreuve de la démolition d'un grand ensemble - Camille François p. 102-117 La mise en place en 2003 de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) a définitivement promu la démolition au rang d'instrument légitime et systématique d'intervention sur les quartiers d'habitat social anciennement ciblés par la politique de la ville. Les travaux qui lui ont jusqu'ici été consacrés accordent cependant peu de place à l'observation des procédures et des pratiques de relogement par lesquels elle s'opère concrètement, et ne peuvent de ce fait explorer la manière dont se mobilisent, se renégocient et s'imposent les formes collectives de cohabitation familiale et résidentielle au cours et à l'issue des opérations. Fruit d'une enquête menée auprès du service relogement d'un important bailleur social de la banlieue parisienne, l'article se propose d'analyser la manière dont la dispersion des ménages des grands ensembles à laquelle aboutit la rénovation affecte les territoires et les pratiques de l'entresoi des groupes d'habitation relogés, et d'établir ainsi les apports d'un recours à l'observation des pratiques institutionnelles et familiales entourant le relogement pour la saisie des effets sociaux de la politique de démolition.Dispersing households
With the establishment of the Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) in 2003, demolition has become a systematic and legitimate policy instrument used to intervene in low income neighborhoods previously managed through urban policies (politique de la ville). Yet, available studies of demolition decision have paid little attention to the processes and practices of relocation that are part and parcel of these policies. As a result, they cannot explore the ways in which the collective forms of family-based and residential coexistence are mobilized, renegotiated and imposed during and after such operations. Based on fieldwork done at the relocation service of an important housing project leaser of the suburbs of Paris, this paper focuses on the way in which the territorial dispersion of projects-based households triggered by renovation programs impacts the geographies and the practices of in-group socialization of the relocated groups. It thus seeks to highlight the contribution of the observation of institutional and family practices associated with relocation for the understanding of the social impact of demolition policies. - La parité sous contrôle : Égalité des sexes et clôture du champ politique - Catherine Achin, Sandrine Lévêque p. 118-137 Alors que les règles légales visant la féminisation des assemblées politiques sont de plus en plus nombreuses et contraignantes et qu'elles s'étendent désormais à d'autres espaces sociaux, le leadership masculin sur le microcosme politique est loin d'être renversé. Cet article s'interroge ainsi sur les effets ambivalents des lois sur la parité. Des enquêtes menées entre 2001 et 2014 permettent de montrer que les professionnelles de la politique, tout en se déclarant éminemment favorables à l'égalité des sexes, parviennent à contrôler la sélection et la circulation des élues. Le jeu avec les règles orchestre une entrée maîtrisée des femmes, tandis que la mise en lumière de quelques symboles masque la fragilité du processus de professionnalisation de la plupart. Les coulisses et les véritables lieux de pouvoir de l'espace politique restent préservés et la mise en scène symbolique du champ contribue à maintenir le statu quo de la domination masculine. Les usages de la parité participent alors à la reproduction d'un ordre du genre différenciant et hiérarchisant les catégories de sexe et favorisent la préservation de l'entre-soi.“Parité” under supervision
While the legal rules seeking to establish gender equality within political assemblies are multiplying and increasingly constraining, and are by now extended to other social spaces, they have failed to counteract the masculine leadership on the political microcosm. This paper interrogates the ambivalent effects of gender equality laws. Surveys conducted in 2001 and 2014 show that professional politicians, while declaring themselves to be fully supportive of gender equality, manage to control the selection and the circulation of elected officials. Playing the rules allows for a supervised entry of women into politics, while the highlighting of a few symbols conceals the frailty of the professionalization process of most politician women. The backstage as well as the real power sites of the political space remain exclusive spaces and the symbolic staging of the political field contributes to maintaining the status quo of masculine domination. Gender equality is used in a way that is functional to the reproduction of a gender order that differentiates between and hierarchizes gender hierarchies, thus facilitating the preservation of in-group sociability.