Contenu du sommaire : L'enseignement scolaire de l'histoire dans la France des XIXe et XXe siècles
Revue | Histoire@Politique |
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Numéro | no 21, septembre 2013 |
Titre du numéro | L'enseignement scolaire de l'histoire dans la France des XIXe et XXe siècles |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Introduction - Yves Poncelet, Laurent Wirth p. 1-4
- Les attentes institutionnelles vis-à-vis de l'histoire entre 1880 et 1940 - Philippe Marchand p. 5-21 Si les textes officiels sont une source commode pour l'étude de l'enseignement d'une discipline, on ne peut tout leur demander ; ils ne reflètent pas la réalité de la classe et ils ne peuvent constituer la source unique. Cette réserve posée, leur consultation est indispensable car ils présentent un double intérêt. Ils mettent en lumière les nuances et les corrections qu'il faut apporter à certaines traditions historiographiques. Leur mise en perspective fait ressortir les changements, les inflexions, parfois même les virages de la doctrine officielle en relation avec les enjeux idéologiques et avec l'état de la réflexion scientifique.La constitution d'un corpus de textes officiels de plus en plus détaillés faisant connaître aux professeurs les contenus, les finalités de l'enseignement historique et les méthodes pédagogiques recommandées démarre en 1814. En 1880, l'histoire est une discipline inscrite dans un cadre institutionnel dont l'État a progressivement fixé les contours. L'œuvre à venir des Républicains dispose donc d'un socle solide que Lavisse n'ignore pas quand il entreprend de rédiger en 1890 ce que certains contemporains ont considéré comme la « charte » de l'enseignement de l'histoire dans le secondaire. En effet, s'il reprend sur le plan de la didactique bon nombre de prescriptions antérieures, il innove sur deux points. La « charte » veut être une aide aux professeurs en répondant aux questions qu'ils sont amenés à se poser à propos des contenus à enseigner, à propos aussi de la préparation de leurs cours et des méthodes à mettre en œuvre en classe. Et surtout, elle affirme que l'enseignement de l'histoire sert plus que tout autre à l'éducation du futur citoyen de la République qui apprend à adhérer à un système de valeurs civiques et morales. La « charte » de Lavisse ne connaît que quelques modestes révisions dans les décennies qui suivent. Si l'analyse des textes officiels met en évidence la pensée de l'État enseignant, à les voir se répéter de l'un à l'autre, on est amené à se poser la question de leur réception.Official texts are an easy way to learn how to teach academic disciplines. But, they don't show the real class interactions and therefore are not an only and exclusive source. Yet their study is essential, for it presents a double interest. Historiographic traditions are challenged. It reveals the changes and shifts of the official doctrine linked to ideological stakes and scientific evolutions. The redaction of official texts, more and more detailed on the content of historical learning and on the teaching methods, begins in 1814. In 1880, the State had already set the contours of the historical discipline. The work done before the establishment of the Third Republic, is therefore a solid base Ernest Lavisse could not ignore when he began to write in 1890 what his contemporaries considered the charter of the teaching of History in secondary schools. Although Lavisse takes many previous requirements over, two points were quite new. The charter is to be a tool, answering the teachers' interrogations on the content to be taught, the preparation of the courses and the methods to implement in the classroom. Most importantly, Lavisse argues that the teaching of history is the core part of the education of citizens and instrumental in adhering to a system of moral values. The Lavisse's charter has barely be revised in the following decades.
- Le cours magistral dans l'enseignement secondaire. Nature, histoire, représentations (1802-1902) - Annie Bruter p. 22-38 Entendant réfuter l'idée selon laquelle le cours magistral serait une technique d'enseignement venue du fond des âges, l'article montre que la pédagogie de l'enseignement des humanités qui régnait dans les lycées du XIXe siècle reposait, au contraire, sur l'entraînement à la composition écrite. Il étudie ensuite la conséquence pédagogique des réformes de la fin du siècle, à savoir la substitution du cours magistral à la « classe » du professeur d'humanités. Une troisième et dernière partie examine la situation ambiguë de l'enseignement de l'histoire par rapport à ces deux méthodes d'enseignement et conclut à l'alignement de la pédagogie historique sur le modèle dominant à chaque époque.This article intends to refute the currently held view that lecturing has always been the way of teaching students in secondary schools. It demonstrates that the humanistic pedagogy which prevailed in 19th century French lycées and collèges, meaning to train pupils to write various compositions, was of a different kind. It then examines the pedagogical consequences of the reform which took place at the turn of the century, i.e. the advent of the one-hour long lecture instead of the two-hours class of the teacher of humanities. The third part of the paper is about the ambiguous situation of history teaching regarding these two pedagogical methods. It concludes that history teaching always fell in line with the dominant one at the time.
- Pourquoi enseigner l'histoire ? La réponse d'Ernest Lavisse - Jean Leduc p. 39-52 Acteur majeur des réformes de l'enseignement à la Belle Époque, auteur de manuels pour les écoliers et les étudiants, rédacteur de textes normatifs, Ernest Lavisse assigne à l'étude de l'histoire un certain nombre de finalités. L'article s'efforce de les inventorier et d'en suivre le devenir jusqu'à nos jours.Very important actor of the education during the french "Belle Époque", author of text books for pupils and students, writer of normative texts, Lavisse sets several purposes to history teaching. This article tries to make their inventory and to follow their evolution until the present day.
- D'un roman national, l'autre. Lire l'histoire par la fin dans les programmes de 1923 et de 1938 - Olivier Loubes p. 53-68 Afin de comprendre les profonds bouleversements de l'enseignement de l'histoire à l'école primaire durant le premier XXe siècle, cet article fait le choix méthodologique de prendre l'enseignement de l'histoire par la fin plutôt que par les origines. Se dégageant des études habituellement attachées aux débuts du cours d'histoire – origine qui peut paraître immuable durant toute la Troisième République – où se rencontrent Gaulois batailleurs et Romains civilisateurs, il se demande quel sens est donné à l'histoire enseignée en se penchant sur sa fin, sur l'horizon ers lequel les programmes cherchent à projeter les écoliers. Or, de cette perspective, on oit changer la fin de l'histoire, dans tous les sens du terme, fin du récit comme fins assignées au récit. Bien loin de la peinture classique et rassurante d'un enseignement pérenne de l'histoire, porteur d'un roman national patriotique que le – mauvais – « esprit 1968 » aurait détruit, on oit se modifier le sens même du récit commun qui inscrit les écoliers dans le temps dès les années d'entre-deux-guerres. En effet, lorsqu'on analyse – par la fin – les programmes d'histoire de 1923 puis de 1938, et qu'on les confronte aux travaux des instituteurs et de leurs élèves, on rencontre une nouvelle chronologie bouleversée par la Grande Guerre, puis par l'échec de la SDN : un double désenchantement de la nation patriotique, d'abord subordonnée à la paix au cours des années 1920, puis déplacée ers le peuple et le travail à la fin des années 1930.In order to understand the deep upheavals undergone by history teaching in primary schools during the early 20th century, this teaching has been looked at from the vantage point of its ending and not from its beginnings. Rather than classically look at the starting point of the curriculum, with its apparently immutable confrontation between bellicose Gauls and civilising Romans, throughout the Third Republic, the article seeks to explore the meaning given to the history taught in schools by focusing on its end-point. The end of history, both as the ending of a narrative and as the purpose ascribed to this narrative, can then be seen to change quite radically. Indeed, far from showing history taught in a reassuringly unchanging fashion, focusing on a grand patriotic narrative that the debunking spirit of 1968 destroyed, the history taught to schoolchildren as early as the inter-war years can be seen to experience a serious shift. A close analysis of the 1923 and 1938 curricula, focusing on their end-dates, followed by their confrontation to the schoolwork of teachers and pupils, shows to what extent the Great War and then the failure of the League of Nations upset the traditional chronology. Doubly disenchanted, the patriotic narrative was thus first subordinated to peace in the 1920s then reorientated towards the people and work at the end of the 1930s.
- L'élaboration des programmes d'histoire depuis la Libération. Contribution à une sociologie historique du curriculum - Patricia Legris p. 69-83 Cet article explique en quoi l'analyse des processus d'élaboration des programmes d'histoire est une contribution à l'histoire des disciplines scolaires mais également de la sociologie du curriculum. En recomposant les configurations d'acteurs chargés de la production des programmes et en revenant sur les propositions de programmes du second degré général qui n'ont pas abouti, le texte montre le rôle clé joué par les dirigeants politiques ainsi que les représentants des enseignants. Les réformes des programmes aboutissent quand elles transforment à petites touches ces textes. Ces changements touchant à la norme prescrite permettent ainsi de faire évoluer la discipline scolaire.This article deals with the making process of History Curricula in French high schools since 1944. As an Educative Political Tool, History Curricula are political, historical and social issues. The writing circuit of prescribed curricula opens itself throughout the period and explains changes regarding the curricula contents and the conception of citizenship promoted by school history.
- Quelle(s) pédagogie(s) au temps de la massification (années 1970-1980) ? - Évelyne Hery p. 84-95 Si le cours magistral était la norme de l'enseignement secondaire, la massification a posé la question de sa pérennité pour des élèves de plus en plus nombreux et hétérogènes. Ainsi en histoire, dans les années 1970-1980, se met en place une pédagogie caractérisée par la place importante donnée au travail sur les documents historiques. Vue comme l'outil d'une pédagogie adaptée aux différences de niveau entre les élèves, l'étude de document(s) est prônée aussi pour rendre la classe active. Cependant, la massification n'a été qu'un accélérateur de l'évolution. L'ajustement aux évolutions épistémologiques en cours et la volonté de réformer un enseignement de l'histoire devenu inadapté à son temps et à ses publics expliquent ces orientations qui ont durablement marqué la discipline.If the lecture was the standard of secondary education, its massification has questioned its sustainability for increasingly numerous and heterogeneous students. In this way, from 1970-1980, a pedagogy was set up characterized by the importance given to work on historical documents. Seen as a teaching tool suitable for differences in level s between students, the study of document(s) is also advocated to dynamise the class. However, the massification was only an accelerator of evolution. The adjustment to the current epistemological developments, and the will to reform how history is taught has become unsuited to its time and its audience, explains these directions which have had a lasting impact on the discipline.
- Bibliographie - Yves Poncelet, Laurent Wirth p. 96-105
Vari@rticles
- Médiatisation et vie politique sous la Troisième République. Painlevé, un parcours médiatique atypique ? - Anne-Laure Anizan p. 106-123 Le parcours de Paul Painlevé montre l'importance de la médiatisation sur une carrière politique, en France, au cours du premier vingtième siècle. Mathématicien de renommée internationale, il fut député pendant vingt-trois ans, ministre à quatorze reprises et trois fois président du Conseil. Sont ici définis les raisons, les formes et les effets de la médiatisation d'un élu de gauche atypique en raison de son origine professionnelle. La « presse républicaine », qui s'était déjà montrée curieuse de son engagement dreyfusard puis de son soutien à l'aviation naissante, continua de porter un regard admiratif sur le mathématicien engagé en politique à partir de 1910. Pendant la Grande Guerre, le ministre des Inventions utilisa ce capital pour valoriser la science de guerre, puis le ministre de la Guerre pour populariser les réformes adoptées avec Pétain. Son étroite association avec la presse cartelliste lui permit de devenir l'un des triumviri de la nouvelle majorité portée au pouvoir en 1924. En 1933, l'écho donné par les journaux à ses funérailles nationales porta à la postérité une image gémellaire de savant moderne engagé au service de la respublica. L'intérêt des médias ne peut cependant être réduit à cette image lisse. Les journaux engagés aux extrêmes regrettèrent que le mathématicien ait abandonné la science pour la politique et se plurent à dénoncer, notamment dans des caricatures, les travers de celui qu'ils jugeaient tantôt trop enclin à la répression, tantôt pas assez ferme.Paul Painlevé's career path shows the impact of media coverage on a political career in France at the beginning of the 20th century. An internationally famous mathematician, he was a Member of Parliament for twenty-three years, minister fourteen times and Head of the Government three times. The reasons, forms and effects of the media coverage devoted to a member of the left-wing party with an unusual professional background are defined below. The republican press which had already shown curiosity about his commitment to the Dreyfuss cause as well as about his interest in the beginnings of aviation, continued to admire the mathematician who engaged in politics as from 1910. During the First World War, the Minister of Inventions used this know-how to support the science of war and then as Minister of War to propagate the reforms adopted with Pétain. His close association with the press supporting the Cartel des Gauches enabled him to become one of the triumviri of the new majority elected in 1924. In 1933, the reports made by journalists on his state funeral presented him to posterity as a brilliant modern scientist also serving the res publica. Nevertheless, the media's interest cannot be reduced to this polished image. The extremist press regretted that the mathematician neglected the sciences in favor of politics and took pleasure in denouncing, especially through mocking cartoons, the faults of someone they considered to be either too disposed to repression or not firm enough.
- La laïcité française de 1958 à 1969 : nouvelles approches - Jean-Pierre Moisset p. 124-139 L'évolution de la laïcité française de 1958 à 1969 n'est pas une terra incognita. La question de l'enseignement privé ou les relations avec le Saint-Siège ont fait l'objet de recherches historiques récentes, de même que la personnalité religieuse du général de Gaulle. En revanche, la question du culte demeure dans l'ombre. Or, le régime gaulliste a favorisé l'activité cultuelle elle-même par des mesures discrètes destinées à faciliter la construction d'églises dans des banlieues alors en plein essor.The evolution of French secularism from 1958 to 1969 is well documented. Issues such as the private school system, the relationships with the Holy See or the religiousness of general de Gaulle have been investigated by historians recently. However, the issue of worship remains relatively neglected. This paper focuses on the subtle measures the Gaullist regime implemented to facilitate constructions of churches in suburban areas then rapidly expanding.
- Michel Rocard ou la communication marginale - Pierre-Emmanuel Guigo p. 140-154 La communication de Michel Rocard est un sujet d'interrogation. Très tôt à la pointe de la communication politique moderne, Michel Rocard en devient à partir des années 1980 l'un des critiques les plus acerbes. À partir d'une interrogation sur sa marginalité, nous voulons éclairer la manière dont il s'empare de cet outil pour palier les faibles ressources à sa disposition en raison de son positionnement, puis s'en distancie au cours de son parcours privilégiant d'autres formes de légitimité. À travers cet exemple, l'auteur entend éclairer l'institutionnalisation et ses limites de la communication politique.Michel Rocard's communication seems to be an enigma. He is one of the first to adopt the modern political communication among the French liberals. However, after becoming a minister (1981-1985) and then Prime minister (1988-1991), and even if he kept having an impressive popularity, he theorizes a very violent criticism of media effects and political communication. We want to underline how he adopts and then rejects political communication in relation to his marginal position in the French Politics. By this example the author wants to highlight the main means of political communication institutionalization.
- Médiatisation et vie politique sous la Troisième République. Painlevé, un parcours médiatique atypique ? - Anne-Laure Anizan p. 106-123
Sources
- Les archives de Michel Debré (Archives d'histoire contemporaine du Centre d'histoire de Sciences Po) - Jérôme Perrier p. 155-166 Le fonds Michel Debré, déposé aux Archives d'histoire contemporaine du Centre d'histoire de Sciences Po, est l'un des fonds français d'archives privées les plus importants, par la quantité et la qualité des pièces qu'il contient. Documentant tous les aspects et toutes les étapes de la longue carrière de Michel Debré, sa consultation permet d'éclaircir le rôle et l'action, parfois sous-estimés ou controversés, de cette personnalité politique de premier plan et de jeter un regard neuf sur les principaux événements de la vie politique française de la Libération à la Ve République. Elle permet surtout de découvrir le mode de travail de Michel Debré et de le peindre en intellectuel praticien, alliant réflexion théorique et action pratique.Michel Debré Papers, held at the Archives d'histoire contemporaine (Centre d'histoire de Sciences Po) are one of the most important private collection in France, in terms of quality and importance as well as of quantity. The papers document every aspects of Michel Debré's career. The place and action of the former de Gaulle Prime Minister, can therefore be reassessed given new insights into French political life from 1945 up to the late sixties.
- Les archives de Michel Debré (Archives d'histoire contemporaine du Centre d'histoire de Sciences Po) - Jérôme Perrier p. 155-166
Pistes & débats
- Faut-il une loi contre le négationnisme du génocide des Arméniens ? Un raisonnement historien sur le tournant de 2012. Partie II : Les pouvoirs de la recherche - Vincent Duclert p. 167-192 L'épisode intense des débats tant parlementaires que publics, tant techniques que politiques, tant historiens que juridiques, qui, en 2011 et en 2012 entourèrent l'adoption par le Parlement français (23 janvier 2012) puis la censure par le Conseil constitutionnel (28 février 2012) de la loi pénalisant la contestation du génocide des Arméniens, ou Loi Boyer constitue un événement global qu'il s'agit d'analyser et de comprendre. La première partie de cette étude répond à cet objectif de connaissance qui oblige à réexaminer le délicat et controversé dossier des « lois mémorielles » en France. La seconde partie de cette étude aborde les conséquences de l'événement pour les historiens et propose une issue possible à cette crise, fondée sur la mobilisation du travail scientifique en direction du génocide des Arméniens – dont le centenaire sera commémoré en 2015. La réflexion s'attache ainsi à situer les pouvoirs de la recherche en situation commémorative.January 2012: a French bill that punishes the denial of the Armenian Genocide was passed by both houses of Parliament. February 2012, the Constitutional Council, France's highest court, struck down the law on grounds of restriction of freedom of speech. The issue has aroused a considerable public debate, both in Parliament and in the General Opinion. This paper analyses the historical, legal/technical and historical bases of the dispute. The first part H@P 20 Issue examines the legal/political process that led to the passing and rejection of the law, against the background of “Genocide Laws” in France. The second part H@P 21 Issue focuses on the consequences of this political/legal dispute on scientific and historical research. As the Armenians will commemorate the centenary of the Genocide in 2015, this contribution questions the powers of scientific research confronted to political and memorial demands.
- Faut-il une loi contre le négationnisme du génocide des Arméniens ? Un raisonnement historien sur le tournant de 2012. Partie II : Les pouvoirs de la recherche - Vincent Duclert p. 167-192