Contenu du sommaire : Politiques de la nostalgie
Revue | Politique africaine |
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Numéro | no 135, octobre 2014 |
Titre du numéro | Politiques de la nostalgie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Le Dossier. Politiques de la nostalgie
- Restes du développement et traces de la modernité en Afrique - Guillaume Lachenal, Aïssatou Mbodj-Pouye p. 5-21
- « Le développement ? C'est du passé ». Une lecture historique des récits du progrès dans la Tanzanie du Sud - Rob Ahearne p. 23-46 Alors que l'idée de « développement » est très largement débattue dans les cercles académiques, les analyses critiques de l'impact de l'aide au développement sur les communautés locales sont rares, et celles intégrant une perspective historique le sont davantage encore. En s'appuyant sur des récits de vie récoltés dans le Sud de la Tanzanie, cet article met en lumière les liens entre les expériences vécues du « développement » et les réalités subjectives que recouvre la notion de « progrès ». Le ressentiment éprouvé par de nombreux aînés à l'égard de la villagisation ujamaa coïncide avec des souvenirs positifs de projets plus anciens comme le Groundnut Scheme ? le « programme arachide » colonial. Cette juxtaposition est décrite ici comme une forme de « nostalgie du développement » qui transpose les perceptions du « passé » sur le temps présent, révélant ainsi les aspirations sociales, politiques et économiques des Tanzaniens du Sud aujourd'hui. Ainsi, la complexité inhérente à ces récits de vie nous permet de dresser un tableau plus nuancé de l'historiographie tanzanienne.Academic discussions of “development” have grown rapidly in recent times, yet critically engaging with communities affected by development interventions remains limited and focusing on history is even less common. Based on life history interviews conducted in southern Tanzania, this paper seeks to demonstrate a link between historical experiences of “development” interventions and how these affect broader understandings of progress. Many older people juxtapose their negative views of Ujamaa villagization, with more positive recollections of previous interventions (especially related to the infamous Groundnut Scheme). This is therefore described as a form of “development nostalgia”, with perceptions of “the past” clearly informing the social, political, and economic aspirations forwarded in southern Tanzania today. Moreover, the richness of the narratives constructed adds further nuance to existing depictions of Tanzanian historiography.
- « Pour les écoles : tant mieux qu'elles sont là » : Patrimoine scolaire, pratiques mémorielles et politiques de sauvegarde en République démocratique du Congo - Johan Lagae, Kim De Raedt, Jacob Sabakinu Kivulu p. 47-70 Entre 1945 et 1975, une vaste infrastructure scolaire a été édifiée en République démocratique du Congo (RDC), tout d'abord dans le cadre du Plan décennal à l'époque coloniale, puis par le biais de programmes d'aide au développement après 1960. Tandis que ce patrimoine témoignait autrefois d'une anticipation du progrès, aujourd'hui considérablement délabré, il est désormais souvent évoqué pour dénoncer la faillite de l'État. Cet article montre toutefois, en s'appuyant sur quelques écoles en particulier, certaines positions divergentes quant au sens politique de ces « ruines de la modernité », allant de l'indifférence à la fascination, en passant par des tentatives de réappropriation comme « lieux de mémoire » ou des initiatives de sauvegarde et de préservation.Between 1945 and 1970, an impressive educational infrastructure was built in the Democratic Republic of the Congo, first in the context of the Ten Year Plan during colonial times, then through international development aid programs after 1960. Although testifying of a once anticipated progress, this legacy, in its ruined state, today first and foremost serves critiques of the failed state. Discussing a number of specific cases, this contribution seeks to illustrate however different positions regarding these “ruins of modernity”, ranging from indifference to fascination, as well as from reappropriations as “lieux de mémoire” to initiatives to safeguard it for the future.
- Ruines d'utopies : l'École William Ponty et l'Université du Futur africain - Ferdinand de Jong, Brian Quinn, Jean-Nicolas Bach p. 71-94 Non loin de Dakar (Sénégal), le lieu aujourd'hui connu sous le nom de Sebi Ponty fut choisi à deux reprises pour héberger d'ambitieux projets d'éducation : l'École William Ponty et plus récemment l'Université du Futur africain. Ces projets, conçus pour stimuler le développement économique, ne remplirent pas leurs promesses, mais les lieux portent encore la marque de leurs infrastructures laissées en état de ruine. Nous exhumons ici les visions afro-utopistes du futur qui ont sous-tendu ces projets ainsi que les afro-nostalgies qu'ils ont suscitées, ce qui nous permettra de mettre au jour le palimpseste des temporalités à l'œuvre à Sebi Ponty.The site today known as Sebi Ponty outside of Dakar, Senegal has twice hosted large-scale educational initiatives, L'École William Ponty and more recently L'Université du Futur africain. Both were designed to spur increased economic development and both fell short on their promise, leaving behind a dilapidated infrastructure. Excavating the utopian Afro-futures by which these projects were envisioned and the Afro-nostalgias they have generated, we discern a palimpsest of temporalities in Sebi Ponty.
- Ruines d'utopies - Judith Quax, Ferdinand de Jong, Brian Quinn p. 95-96
- Fin des temps et nouveaux départs : Un schème de Ponzi dans le Lomé des années 2010 - Charles Piot, Guillaume Lachenal, Aïssatou Mbodj-Pouye p. 97-113 Cet essai explore le cas d'un système financier de Ponzi qui a défrayé la chronique à Lomé en 2010 (puis à nouveau en 2012-2013), phénomène qui condense une grande partie des désirs et des imaginaires culturels caractéristiques du moment contemporain. Machine à espoir – il s'appelait ReDéMare – cette pyramide de Ponzi tirait sa force d'un effondrement des valeurs, sur le plan à la fois économique et politique, tout en cherchant à transformer un présent sans issue (et un passé sordide) en un futur miraculeux. Bien qu'orienté vers l'avenir, le phénomène ReDéMare témoigne aussi d'un désir pour un temps où les choses étaient plus certaines et prévisibles – un temps où les fonctionnaires recevaient leurs salaires avec régularité, où les faux ne courraient pas les rues, où le rançonnement de chacun par tous n'était pas la règle. Désir de conjuguer le passé au futur, pourrait-on dire.This essay explores a Ponzi scheme that was all the rage in Lomé in 2010 (and again in 2012-2013), a scheme that condenses many of the desires and cultural imaginaries of the contemporary moment. A hope machine – it was called ReDéMare (“start over,” “re-ignite”) – this Ponzi drew energy from a collapse in value registers, both economic and political, while seeking to transform a foreclosed present (and sordid past) into a miraculous future. If future-oriented, it also suggests a longing for a time when things were more certain and predictable – a time when civil servants received their salaries with regularity, when fakes on the street were less common, when everyone hustling everyone else was not the order of the day. Future's past, as it were.
- Espace, temporalité et rêverie : écrire l'histoire des futurs au Congo belge - Nancy Rose Hunt p. 115-136 Cet article explore l'histoire de la région de l'Equateur au Congo Belge, des violences de l'époque de l'État Indépendant du Congo à leur mise en mémoire écrite dans les années 1950. Un récit de type « évènement/ répercussion » ou « évènement/catastrophe » ne peut que simplifier l'histoire mouvementée de cette région. L'article fait plutôt appel à la notion de rêverie, empruntée à Gaston Bachelard, et aux concepts liés à la temporalité chez Reinhart Koselleck (espace d'expérience, horizons d'attente). En s'appuyant sur trois corpus d'archives distincts, il montre que les Congolais recouraient à la rêverie pour (1) ajouter une dimension d'émerveillement et d'aléatoire à la mémoire ; (2) se ménager des espaces de refuge et d'autonomie, les nganda, et (3) nourrir des mouvements rebelles et thérapeutiques afin d'imaginer des futurs dans lesquels ils auraient évincé les colonisateurs belges.Theoretically, this essay imports Bachelard on reverie and Koselleck's temporal pair (experience, expectation) to explore a history of Belgian colonial Equateur, from spectacular Free State violence through 1950s memory writing. Examining three archival slices, it insists this once volatile region would be distorted through a narrative of event-aftermath or -catastrophe. Congolese used reverie to (1) complicate memory with wonder and the aleatory; (2) create refuge spaces; and (3) imagine futures in which they had evicted their Belgian masters. A 1954 writing contest elicited intricate memory texts amid cross-generational exchange; officials never managed to close down the marshy nganda spaces of relative autonomy; while security interrogations occasioned “eviction reverie”, which repeatedly fueled movements of therapeutic insurgency from 1915 on.
Recherches
- Surveillance, répression et construction collective de l'insécurité en Érythrée - David Bozzini p. 137-157 Cet article aborde la question de la production de l'insécurité ressentie par les conscrits en Érythrée ainsi que les stratégies que ces derniers développent pour évaluer les risques qu'ils encourent. Au-delà des dysfonctionnements institutionnels de la surveillance et de la répression policière, les stratégies pour décrypter l'arbitraire étatique renforcent le sentiment d'insécurité et forgent la représentation d'un État omniscient. Ces logiques, qui catalysent les peurs, la suspicion, et favorisent la délation, représentent le modus operandi despotique qui caractérise un État policier en Afrique, imposant des limites aux relations de confiance entre les individus.This article addresses the production of insecurity affecting conscripts in Eritrea and the ways in which these conscripts develop strategies to assess the risks they encounter. It argues that beyond the limitations of surveillance and police repression, conscripts' strategies to make sense of State arbitrariness reinforce their feeling of insecurity and their belief in the existence of an omniscient state. These dynamics, which stimulate fears, suspicion and promote denunciations, are integral to the modus operandi of an African despotic police state that limits trust amongst individuals.
- Surveillance, répression et construction collective de l'insécurité en Érythrée - David Bozzini p. 137-157
Conjoncture
- Un mode de gouvernement mis en échec : dynamiques de conflit au Soudan du Sud, au-delà de la crise politique et humanitaire - Lotje de Vries, Peter de Vries, Camille Niaufre p. 159-175 Depuis fin 2013, le Soudan du Sud connaît une guerre civile qui implique les principaux acteurs politiques et militaires de ce jeune État. L'article analyse ces troubles en s'intéressant à une cause essentielle et souvent oubliée du conflit : la profonde crise qui affecte le mode de gouvernement au Soudan du Sud. Le recours à la violence est devenu un moyen privilégié de « négociation » politique, alors que les voix critiques qui cherchent à promouvoir le dialogue et l'inclusion de tous ont été systématiquement écartées durant les dernières années. Si l'on veut promouvoir la paix au Soudan du Sud, c'est ce mode de gouverner qu'il faudra transformer en premier lieu.
Since late 2013 South Sudan is entangled in a civil war that involves all political and military key players of the young country. This paper provides an insight into the turmoil, but focuses on an essential and often overlooked cause, which is a deeply rooted crisis of government. Violent means of negotiation have become the dominant mode to achieve political goals, while critical voices promoting dialogue and inclusion have been increasingly side-lined over the past - Créer des étrangers : lois de la citoyenneté de 2011 aux Soudans et désirs d'État pour une nationalité ethnique - Elena Vezzadini p. 177-195 En 2011, la séparation du Sud de la République du Soudan a entrainé pour les deux États une redéfinition de la législation sur le droit de citoyenneté. Ainsi, une personne acquiert la nationalité sud-soudanaise si elle peut démontrer une affiliation avec une des « communautés ethniques » du sud ; dans la République du Soudan, toute personne pouvant, de jure ou de facto, acquérir la nationalité du Sud perd son droit à la citoyenneté. Cet article se propose d'évaluer l'impact de ces lois, en montrant d'abord qu'elles laissent de grandes latitudes aux interprétations discriminatoires, et ensuite en examinant la question des « réfugiés » habitant au Nord, qui soudainement ont été redéfinis comme des étrangers.In 2011, the separation of the South from the Republic of Sudan has led the two states to redefine their legislation about citizenship. According to the new laws, a person acquires the South Sudanese citizenship if she or he can prove that they have an affiliation with any of the “ethnic communities” of the South; and in turn, in the Republic of Sudan, any person who is, de jure or de facto, a South Sudanese citizen loses their Northern Sudanese nationality. This article attempts to assess the consequences of this legislation: first, it shows that its loose definition leaves ample space to discriminatory interpretations; second, it examines its impact on people defined as “Internally Displaced” who in 2011were still living in the North, and who were suddenly redefined as “foreigners”.
- Un mode de gouvernement mis en échec : dynamiques de conflit au Soudan du Sud, au-delà de la crise politique et humanitaire - Lotje de Vries, Peter de Vries, Camille Niaufre p. 159-175
Lectures
- Autour d'un livre : Peter Geschiere, Witchcraft, Intimacy and Trust. Africa in Comparison, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 2013, 328 pages. - Matthieu Salpeteur, Robert Muchembled, Joseph Tonda, Peter Geschiere, Sandrine Perrot p. 197-224
- La revue des livres - p. 225-239