Contenu du sommaire : Varia
Revue | Revue Française de Sociologie |
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Numéro | vol. 56, no 1, 2015 |
Titre du numéro | Varia |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Varia
- La montée et les bases sociales de l'interventionnisme dans l'Union européenne : Une analyse des attitudes économiques entre 1990 et 2008 - Frédéric Gonthier p. 7-46 À partir de l'enquête sur les valeurs des Européens, cet article montre que le rejet du libéralisme économique n'est pas un épiphénomène issu de la crise de 2007, mais une tendance de fond qui traverse l'Union européenne depuis les années 1990. En examinant les attitudes à l'égard de l'État, on met en évidence que la quasi-totalité des Européens sont devenus plus interventionnistes entre 1990 et 2008. Les caractéristiques économiques et politiques des individus exerçant ici une influence conjointe, on souligne que la vulnérabilité sociale n'est pas toujours une condition suffisante du soutien à l'État. On observe aussi plusieurs homologies entre les niveaux micro- et macrosociologiques. De même que les Européens les plus vulnérables sont les plus favorables à l'État, ceux qui vivent dans les pays les plus inégalitaires développent plus volontiers des attentes sociales. Les quelques pays où l'interventionnisme recule sont ceux où la confiance dans les institutions tend à se rétracter ; ce qui éclaire aussi les bases symboliques de la demande d'État.The rise of interventionism in the European Union and its social foundations. An analysis of economic attitudes between 1990 and 2008. Based on the European Values Study, this article shows that the rejection of economic liberalism is not an epiphenomenon resulting from the 2007 crisis, but has been an underlying trend across the European Union since the 1990s. By examining attitudes towards the state, it shows that almost all Europeans became more interventionist between 1990 and 2008. Since the economic and political characteristics of individuals had a combined influence, we emphasize that social vulnerability is not always a sufficient condition for support for the state. Several homologies between the micro- and macrosociological levels are also observed. Although the most vulnerable Europeans are the most supportive of the state, those living in countries with the greatest inequality are more likely to develop social demands. The few countries where intervention is declining are those where confidence in institutions tends to be diminishing; which also reveals the symbolic bases of demands on the state.
- Les différences entre salariés du public et du privé après le tournant managérial des États en Europe - Cédric Hugrée, Étienne Pénissat, Alexis Spire p. 47-73 Cet article revient sur les travaux abordant le clivage public-privé à l'échelle européenne, dans les années 1990-2000, en concentrant l'attention sur quatre pays : l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et la Suède. Au-delà des spécificités juridiques et historiques propres à chacun de ces pays, l'objectif ici est de mettre en lumière les différentes façons de prendre en compte l'importance du secteur d'emploi dans l'analyse des hiérarchies sociales. Dans de nombreuses recherches menées à un niveau national, l'opposition entre secteurs public et privé est une dimension importante qui gagne à être articulée à une analyse en termes de classes sociales. En dépit des réformes managériales des États en Europe, le fait de travailler au service de la collectivité induit encore aujourd'hui un ensemble de spécificités : un rapport particulier à l'État, à l'intérêt général ou encore à la chose publique, perceptible dans des pratiques culturelles, syndicales et politiques.Differences between public and private sectors employees following the managerial turn in European states. This article reviews research on the public-private divide at the European level in the years from 1990-2000, focusing on four countries: Germany, France, Great Britain and Sweden. Looking beyond the legal and historical characteristics of each of these countries, the objective here is to highlight the different ways to account for the importance of the salaried employment sector in the analysis of social hierarchies. In many studies conducted at the national level, the opposition between the public and private sectors is a significant dimension that benefits from being connected to an analysis in terms of social hierarchy. Despite the managerial reforms of European states, working in the public sector still creates a set of specific characteristics: a particular relationship with the state and the general interest, and even with public affairs, perceptible in cultural, trades union and political practices.
- Ce que l'interdisciplinarité fait aux disciplines : Une enquête sur la nanomédecine en France et en Californie - Séverine Louvel p. 75-103 L'essor de l'interdisciplinarité dans les sciences suscite de nombreuses interrogations quant à l'avenir des disciplines : dans quelle mesure demeurent-elles des unités centrales de différenciation des sciences ? Sont-elles amenées à disparaître ou à se recomposer sous l'effet de dynamiques scientifiques, et de pressions politiques, favorables à l'interdisciplinarité ? Cet article propose d'étudier les conséquences de la coopération interdisciplinaire sur les territoires et les frontières des disciplines. À la différence des travaux de sociologie des sciences qui abordent cette question, nous mettons moins l'accent sur les dimensions cognitives des disciplines que sur leurs dimensions sociales. En particulier, nous nous demandons dans quelle mesure l'interdisciplinarité peut représenter une ressource d'action et aider les disciplines en présence à consolider leurs institutions. Une étude empirique conduite sur la nanomédecine en France et en Californie nous amène à mettre en évidence deux éléments favorables au renforcement des territoires disciplinaires au contact de l'interdisciplinarité : d'une part, des pratiques interdisciplinaires propices au travail de démarcation vis-à-vis d'approches antérieures ou concurrentes ; d'autre part, la plasticité des frontières disciplinaires, qui autorise l'extension de la juridiction des disciplines.The impact of interdisciplinarity on disciplines: A study of nanomedicine in France and California. The rise of interdisciplinarity in the sciences raises many questions about the future of the disciplines as such. To what degree will they remain the central units of differentiation between the sciences? Are disciplines destined to disappear or rather to combine in new ways in response to scientific dynamics and political pressures that favor interdisciplinarity? The article studies the effects of interdisciplinary cooperation on disciplinary territories and boundaries. In contrast to an approach to this question frequently applied in sociology of science that emphasizes the cognitive dimensions of disciplines, we focus on their social dimensions. Specifically, we examine to what extent interdisciplinarity can be a resource for action and help existing disciplines consolidate their institutions. Empirical study of nanomedicine in France and California brings to light two features that work to bolster the territory of disciplines engaging in interdisciplinarity: one, interdisciplinary practices that work to demarcate the discipline with regard to earlier or competing approaches; two, discipline boundary flexibility, which makes it possible to enlarge discipline jurisdiction.
- Comment ignorer ce que l'on sait ? : La domestication des savoirs inconfortables sur les intoxications des agriculteurs par les pesticides - François Dedieu, Jean-Noël Jouzel p. 105-133 Les recherches actuelles sur la construction sociale de l'ignorance soutiennent que cette dernière est soit le fruit de stratégies conscientes, soit l'effet involontaire d'un mode d'organisation de la production de connaissances. Cet article propose de dépasser cette opposition en introduisant la question de la réflexivité des acteurs des systèmes organisés qui produisent de l'ignorance : que se passe-t-il lorsque ces acteurs prennent conscience des limites des routines qui structurent leur propre action ? Quelles dynamiques de changement résultent de cette prise de conscience ? Le cas étudié ici est celui du dispositif de prévention des intoxications professionnelles induites par les pesticides en France. En prenant appui sur l'interdiction de l'arsenite de soude (2001), nous montrons comment ce dispositif parvient à s'accommoder des savoirs « inconfortables » susceptibles de remettre en cause ses arrangements institutionnels ordinaires. Nous mettons en évidence les mécanismes par lesquels les organisations qui produisent ces savoirs offrent à leurs membres de « bonnes raisons » de les ignorer, en désamorçant leur sens critique et en évitant d'œuvrer aux changements institutionnels qui devraient découler de leur prise en considération.How to ignore what one already knows: Domesticating uncomfortable knowledges about pesticide poisoning among farmers. Current research into the social construction of ignorance holds either that it is produced by conscious strategies or that it is an unintended effect of knowledge production organization. The present article moves beyond that opposition by bringing in the reflexivity of actors implicated in the organized systems that produce ignorance. What happens when those actors become aware of limitations in the routines that structure their action? What change dynamics are triggered by this new awareness? The case analysed here is the French public policy devoted to prevent farmers from pesticides poisoning. By studying the ban of the sodium arsenite in France in 2001, we show how this policy can manage “uncomfortable” knowledges that challenge its ordinary institutional arrangements. We bring to light the mechanisms by which the organizations that produce these uncomfortable knowledges also provide their members with “good reasons” to ignore it, defusing or neutralizing their critical faculties and avoiding undertaking the institutional changes that clearly should be made in response to that knowledge.
- La montée et les bases sociales de l'interventionnisme dans l'Union européenne : Une analyse des attitudes économiques entre 1990 et 2008 - Frédéric Gonthier p. 7-46
Note critique
- Quelle place faut-il faire aux animaux en sciences sociales ? : Les limites des réhabilitations récentes de l'agentivité animale - Dominique Guillo p. 135-163 Les recherches socio-anthropologiques qui visent à réhabiliter l'idée d'une agentivité animale s'appuient sur un noyau d'arguments récurrents : jusqu'à un passé récent, les sciences sociales auraient indûment rangé les animaux du côté des choses, parce qu'elles auraient souscrit au modèle de l'animal-machine imposé par la modernité à travers la frontière que celle-ci dresserait entre la nature et la culture (Philippe Descola), entre les humains et les non-humains (Bruno Latour), en particulier les animaux (Animal Studies). L'objectif du présent article est de montrer, tout d'abord, que cette thèse est historiquement inexacte. À leur naissance, les sciences sociales reconnaissent une subjectivité forte à beaucoup d'animaux et établissent une continuité avec l'homme. Et loin d'être la conséquence d'une inscription dans la modernité – et de son discours par excellence, celui de la science –, le succès du thème de la frontière entre nature et culture est, tout à l'inverse, la conséquence d'un ferme rejet des sciences dures, en particulier de la biologie, par les sciences sociales du XXe siècle. Ce retour sur le passé permet de montrer, ensuite, que ces réhabilitations récentes de l'agentivité animale reconduisent en réalité une autre frontière – entre les sciences sociales et les sciences de la vie – et maintiennent ainsi les vieux dualismes philosophiques qui lui sont associés. Ce faisant, elles contribuent à fermer une voie qui promet d'être particulièrement féconde pour documenter l'agentivité animale : un dialogue sans réductions croisées des sciences sociales avec les sciences de la vie.What is the place of animals in the social sciences? The limits to the recent rehabilitation of animal agency. The socio-anthropological research that aims to rehabilitate the idea of animal agency relies on a core of recurring arguments: that until recently, the social sciences have wrongly classified animals amongst things, because they subscribed either to the animal-machine model imposed by modernity across the frontier that it sought to draw between nature and culture (Philippe Descola) or between humans and non-humans (Bruno Latour), and animals in particular (Animal Studies). The purpose of this article is to show, first, that this thesis is historically inaccurate. From the birth of the social sciences they recognized that many animals had considerable subjectivity and established their continuity with man. And far from being the result of a feature of modernity — and its discourse that of science — the success of the theme of the frontier between nature and culture is, on the contrary, the result of a clear rejection of the hard sciences, and particularly biology, by the social sciences of the twentieth century. This return to the past thus helps to show that these recent rehabilitations of animal agency in fact revive another frontier — between the social sciences and the life sciences — and thus maintain the old philosophical dualisms associated with it. In so doing, they help close a path that promises to be particularly fruitful for documenting animal agency: a dialogue without reciprocal reduction between the social sciences and the life sciences.
- Les livres - p. 165-196
- Quelle place faut-il faire aux animaux en sciences sociales ? : Les limites des réhabilitations récentes de l'agentivité animale - Dominique Guillo p. 135-163