Contenu du sommaire : Le rapport des jeunes au Droit à l'Est et à l'Ouest.

Les deux dernières années ont apporté un intérêt renouvelé pour les questions d'éthique, de valeurs personnelles et sociales et d'identité. Les valeurs sont considérées comme un élément important de l'identité. L'article montre les liens entre la socialisation, les valeurs et l'identité. Trois exemples de processus de socialisation seront examinés : la socialisation des terroristes arméniens, des jeunes Polonais, des jeunes immigrés issus de l'immigration du Maghreb.

Les pays européens sont devenus des sociétés multiculturelles. La question est alors posée de la transmission et de la pratique de valeurs communes, notamment à travers l'éducation civique à l'école. La socialisation des 12-16 ans par l'apprentissage des droits de l'Homme est une expérience particulièrement fructueuse. Les cours d'éducation civique en France montrent que les concepts et l'argumentation juridiques sont bien acceptés par les élèves et que cet enseignement est un moyen de rénovation de l'école.

La socialisation juridique des enfants fait l'objet de recherches depuis presque trente ans. Certaines de ces recherches ont fait partie de projets psychologiques plus vastes tentant de retracer les stades de développement cognitif et moral, d'autres ont participé des efforts pour découvrir les fondements de la légitimité politique. Il est rare, cependant, que les conceptions juridiques des enfants aient été considérées en tant qu'exemples de conscience juridique ou en tant que partie d'une culture juridique. Cet article incite à examiner les conceptions enfantines du Droit en tant qu'éléments de la culture juridique ; ces conceptions ne sont pas extérieures à ce que le Droit nous offre pour comprendre et donner sens à nos vies quotidiennes et aux relations sociales ; elles en font partie. Les chercheurs sont incités à ne pas sous-estimer les dangers du transfert des notions d'une culture dans une autre et de la croyance en la traduction transculturelle des concepts juridiques. L'article conclut par un exemple d'analyse culturelle des conceptions des droits et du Droit chez certains adolescents américains. Il décrit la saisie passionnée des concepts juridiques par un groupe d'adolescents de 13 ans. Pour ces enfants, dans leur majorité blancs, de classe moyenne, élevés et scolarisés dans une communauté reconnue pour son libéralisme, le Droit conférait des pouvoirs. Il n'est pas évident cependant que ces conceptions soient partagées par des enfants de races, de classes ou de cultures locales différentes.

L'auteur définit la socialisation juridique comme un processus par lequel le sujet s'approprie le Droit qui régit sa société en en intégrant les éléments fondamentaux dans son système de représentations et de connaissances. Ce faisant il fait sienne son identité juridique, son identité en tant que sujet du Droit et sujet de droits. Cette appropriation se produit de deux façons : dans l'acculturation juridique DU sujet, celui-ci intériorise les représentations du Droit dominantes dans la culture de sa société ; dans l'acculturation PAR le sujet des concepts juridiques, le sujet les recrée en fonction de ses valeurs propres de manière à leur donner sens dans sa propre culture. Les données d'une enquête réalisée en France et en Pologne en 1987 auprès de deux populations similaires de 11-12 ans, de 13-14 ans et de 16-18 ans, montrent le développement de l'acculturation juridique avec l'âge. Les données françaises illustrent l'acculturation par les sujets des concepts en fonction du système de valeurs propre à leur sexe et/ou à leur milieu social.

La recherche sur les phénomènes de socialisation juridique que constituent l'émergence et le développement des notions juridiques chez les enfants et les adolescents, initialement réalisée en France par Ch. Kourilsky puis devenue l'objet d'une recherche comparative franco-polonaise avait été précédée en Pologne par des recherches sur la conscience juridique de la société polonaise. Les recherches sont à la fois théoriques et empiriques. La socialisation juridique est reliée en général au processus d'interaction et de communication entre l'individu et le groupe social. Au plan théorique, la recherche met l'accent sur le rôle du langage quotidien dans l'acquisition du droit et utilise une méthode d'associations verbales basées sur une liste de mots-clés qui constitue l'instrument d'enquête. Cette approche amène l'auteur à introduire le concept de "compétence à la communication" (J. Habermas) en tant que capacité de participer au discours relatif aux phénomènes politiques et juridiques. L'auteur, qui présente une partie des résultats empiriques, se concentre sur le rôle du contexte socio-culturel au niveau local et national et sur l'influence du système social et politique sur la socialisation juridique.

L'auteur présente dans cet article les résultats de la recherche qu'elle a effectuée sur la pensée morale des enfants et des adolescents. Elle décrit les aspects que revêt chez eux la notion de justice. Cette notion et les modalités de sa formation constituent en effet pour elle la clé de la compréhension du développement moral et juridique. La recherche a été effectuée en 1990 à Varsovie au moyen d'interviews auprès de 90 sujets divisés en trois groupes d'âge : 9-10 ans, 14-15 ans et 17-18 ans. Les données montrent le passage du respect de la loi à l'évaluation individuelle en fonction de la conscience.

Au cours du processus de socialisation, les enfants apprennent progressivement à résoudre les problèmes liés au fait qu'ils vivent avec d'autres personnes et par conséquent dépendent d'elles. Les infractions et les délinquants, la criminalisation et les peines constituent des problèmes de contrôle qu'ils doivent parvenir à comprendre. Les jugements moraux des enfants sur les infractions et les délinquants sont fondés sur la réalité. Cependant l'imagination est introduite en tant que moyen additionnel de contrôle social pour élucider les processus impliqués dans la socialisation juridique. Ces processus sont décrits comme l'incorporation d'un capital moral par la discussion de l'amalgame manifeste de connaissance et d'imagination concernant les infractions et les délinquants dans le contexte du capital moral. L'auteur soutient dans cet article comme dans d'autres publications que l'on doit ajouter le concept de capital moral aux trois types de capital ou de pouvoir symbolique - économique, culturel et social - introduits par Bourdieu. Ces arguments sont illustrés empiriquement par les jugements moraux formulés par des enfants (de 11 à 13 ans) sur les infractions et les délinquants. Les données utilisées, qui proviennent de compositions écrites ou de réponses à des questionnaires, ont été recueillies au cours de la première moitié des années soixante-dix et de la deuxième moitié des années quatre-vingt.

Sous le régime communiste, en Bulgarie, le processus de socialisation juridique et d'éducation morale a été soit négligé, soit soumis aux principes du régime totalitaire. Le respect du droit, dans cette période, reposait essentiellement sur la crainte de la sanction. Les grands changements politiques qui se sont déroulés durant les deux dernières années ont influencé les attitudes des adolescents envers les principes généraux du droit. Nous présenterons ici les résultats d'une enquête effectuée juste après les premières élections nationales libres de juin 1990 auprès de 250 adolescents (14-24 ans) qui ont été interviewés notamment sur le nouveau système de droit et l'activité du futur Parlement. Les résultats montrent que des changements politiques rapides n'entraînent pas immédiatement des changements rapides dans la conscience juridique. En effet, si les jeunes ont des attitudes très négatives à l'égard du droit "socialiste" et rejettent l'ancien système de droit, ils n'ont pas de représentations claires des changements à apporter au système de droit afin de le rendre apte à protéger les droits fondamentaux.

De même que nous pouvons affirmer que les jeunes sont la société de demain, nous sommes en mesure d'affirmer que la délinquance juvénile est la criminalité de demain. A cet égard, les données obtenues dans la recherche que nous présentons ici ne sont pas faites pour nous rendre optimistes. L'on constate, effectivement, une augmentation absolue et relative de la délinquance, y compris de la récidive des jeunes. Et nous pensons qu'il est grand temps d'éveiller l'attention de toutes les organisations et organes impliqués dans la lutte contre la délinquance sur l'intégralité de celle-ci et de cesser de nous endormir l'esprit avec les chiffres faibles que nous présentent les statistiques officielles des tribunaux criminels. En effet, ceux-ci ne reflètent que les cas les plus graves des manifestations pénales de la délinquance chez les adolescents. Il apparaît, pour finir, que dans les conditions d'un Etat totalitaire tel que l'a été la Bulgarie, la socialisation juridique des jeunes a été très faible.

La socialisation juridique a été lancée comme champ de recherche et comme concept à la fin des années soixante. Elle traite des attitudes et des actions juridiques et de l'utilisation des systèmes "juridiques" — essentiellement "le droit" — pour faciliter les affaires humaines et réaliser une "légalité éthique". Cet article décrit les efforts originels et les 25 années passées à dresser la carte des univers "juridiques" de plus de 8000 enfants et adultes dans l'environnement constitué par leur foyer, l'école, le tribunal ou la prison. Il décrit la définition initiale de la socialisation juridique ; la théorie cognitive et biosociale de la légalité qui lui est corrélée ; les résultats obtenus en recherche transculturelle reliés à l'âge et aux situations ; une étude du jury de Wounded Knee ; une recherche américano-soviétique sur les jeunes. Ces recherches ponctuent les tentatives de la recherche en matière de socialisation juridique pour relier les codes de conduite et l'obéissance critique au "droit". Elles soulèvent aussi des problèmes théoriques et méthodologiques, culturels et empiriques, pertinents en ce qui concerne à la fois le droit et la psychologie en tant que socialisateurs contemporains à travers les cultures.

Cet article s'appuie sur les recherches réalisées en Hongrie depuis 1965 pour examiner l'impact du droit socialiste sur la conscience juridique des Hongrois. Les résultats révèlent des contradictions importantes. Il apparaît aussi que le processus de développement moral au sens de Kohlberg est entravé par les réalités de la vie quotidienne sous le régime communiste.

Cette brève analyse de la socialisation juridique et des changements sociaux a été effectuée compte tenu de l'importance de la socialisation juridique pour les processus de transformation en cours en Europe centrale. L'étude est fondée sur l'hypothèse selon laquelle deux facteurs ont une importance essentielle pour la socialisation juridique : le développement cognitif, émotionnel et moral de l'individu et les effets éducatifs des mécanismes de contrôle propres au système social (culturel, politique). Les arguments présentés dans l'article soulignent l'importance des mécanismes de contrôle du système dans les sociétés dans lesquelles l'intervention d'un système politique centralisé a été profonde et écrasante. La conséquence en est une détérioration dans la conscience sociale du concept de droit et des valeurs qui lui sont liées ainsi que la séparation axiologique de deux sphères de discours : la sphère publique et la sphère privée, ce qui aboutit à la détérioration de la sphère publique du discours. Il est avancé à titre d'hypothèse que la reconstruction du concept de droit et des valeurs qui composent le concept de légalité dans la conscience sociale pourrait être possible à travers les concepts fondamentaux du droit privé, à travers les normes et valeurs qui se forment autour du concept de propriété privée.

Les représentations de la loi et de la justice chez les jeunes Français s'articulent autour de quatre pôles : confiance dans la justice/croyance à la positivité des lois ; confiance dans la justice/croyance à la transcendance des lois ; méfiance dans la justice/croyance à la positivité des lois ; méfiance dans la justice/croyance à la transcendance des lois. Ces diverses attitudes ne renvoient pas à des stades différents de développement logique mais s'expliquent par l'identité sociale et les conditions d'existence des jeunes.

L'article explique pourquoi l'on ne peut ignorer les contextes des comportements et pourquoi l'on ne peut tenir pour acquis qu'il existe une relation directe entre raisonnement et comportement. Au plan théorique nous soutenons qu'il existe dans les hypothèses formulées à cet égard six points faibles qui font douter que le comportement découle automatiquement du raisonnement. Au plan empirique, nous apportons à l'appui de notre argumentation théorique des preuves tirées de nos recherches sur la socialisation juridique et sur le raisonnement juridique. Dans la recherche sur la socialisation juridique, les normes relatives aux comportements d'infraction aux règles et les normes relatives à la mise en oeuvre de sanctions jouent un rôle médiat dans la relation entre raisonnement et comportement. Dans la recherche sur la socialisation juridique, le contexte des comportements affecte la définition donnée par les individus de la gravité du comportement ainsi que leur jugement sur le bien-fondé des accusations. Nous discutons les implications de ces résultats.